Book reviews
- Publication type: Journal article
- Journal: Socio-économie du travail
2020 – 2, n° 8. Genre et politiques de l’emploi et du travail - Pages: 205 to 239
- Journal: Social Economy of Labor
Quantifier l ’ égalité au travail. Outils politiques et enjeux scientifiques, Soline Blanchard et Sophie Pochic (dir.), Presses Universitaires de Rennes, 2021, 395 p.
Élise Penalva-Icher
Université Paris Dauphine
PSL et IRISSO
(UMR 7170, INRAE 1427)
Disons-le tout de suite : cet ouvrage est remarquable. Remarquable tant d’un point de vue scientifique que politique. Remarquable par les résultats qu’il propose, par les méthodes variées qu’il utilise pour construire ces derniers et par les enjeux sociaux qu’il expose suite à leur mise au jour. Remarquable quant à son mode de rédaction, fondé sur la collaboration féconde qu’il instaure entre des auteurs inscrits dans différentes disciplines académiques et des professionnels issus du terrain.
Cet ouvrage collectif part d’un double constat. D’une part, les chiffres décrivant les inégalités entre les femmes et les hommes sont partout, produits par des institutions dans le cadre de politiques publiques ou récoltés grâce au travail de militantes et militants afin de dénoncer la persistance des violences et inégalités. D’autre part, la montée en puissance de la mise en chiffres du réel est largement étudiée par les sciences sociales dans une perspective aujourd’hui bien établie de sociologie de la quantification. Pourtant, sur le sujet de l’égalité au travail, la liaison entre ces deux éléments, que sont la mise à disposition de chiffres et l’analyse de leurs constructions et effets, a été peu faite. Mis à part des travaux mesurant et expliquant les écarts de salaires, il existe en effet assez peu de travaux qui s’intéressent à la quantification de l’égalité femmes-hommes dans toutes ses dimensions. L’introduction de l’ouvrage donne des pistes de réflexion prometteuses sur les difficultés à articuler ces deux dimensions, nous y reviendrons à la fin de ce texte. Mais, et c’est là un des rares regrets qu’on ait à l’issue de la lecture du livre, cette question n’est pas posée frontalement dans l’un des chapitres. Néanmoins, la richesse de l’ouvrage est indéniable et son objectif, qui 206est de combler le manque d’études sur la production de chiffres sur l’égalité professionnelle, pleinement rempli. En rassemblant des éléments jusque-là dispersés selon les disciplines ou selon l’origine de chiffres qui peuvent être produits par des agences, des chercheurs, des entreprises ou le monde associatif, ce livre permet de faire le point sur l’état des connaissances du sujet de l’égalité professionnelle.
Ainsi, le constat est finement dépeint et on rappelle au fil des pages que : entre 2000 et 2010, les accidents du travail ont baissé de 11 %, mais que les femmes bénéficient moins de cette évolution positive (p. 95-96) ; dans le classement Global Gender Gap, la France est première en matière d’éducation, 15e en matière d’émancipation politique et 124e en matière d’égalité salariale (p. 127) ; suite à l’adoption en 1996 au Québec de la loi sur la revalorisation du travail féminin, l’écart salarial pour les emplois à temps plein y a diminué de 5,9 % (p. 157) ; près de la moitié des femmes en emploi se concentre sur une dizaine de métiers (p. 168) ; en 2012 une femme est payée 25,7 % de moins qu’un homme au même poste (rémunération annuelle nette, p. 187), l’effet du temps de travail compte pour 9,4 % dans l’explication de cette différence, et comme il reste une part de 10 %, inexpliquée par des variables comme le type de secteur, le contrat ou la nature du métier, ces 10 % correspondraient à la mesure de la « discrimination pure » (p. 188). Ne serait-ce que pour nous permettre d’accéder à un même endroit à l’ensemble de ces connaissances et mesures, l’ouvrage mérite d’être lu et cité par les chercheurs comme d’autres publics.
Au-delà de cette photo précise de l’égalité professionnelle, le livre contient bien d’autres éléments et analyses qui méritent d’être présentés. Il part du constat fondamental fait par la sociologie de la quantification, à savoir que la production de chiffres est une activité sociale prise dans des rapports de pouvoir, et que cette activité a pour effet à la fois de décrire mais aussi de construire le réel. En découle un agenda qui est d’appliquer cette démarche à l’égalité au travail sous toutes ses formes : accès à l’emploi, réglementation ou encore salaires. Bien plus qu’une description, il permet ainsi à la fois une analyse des chiffres émis par et pour les politiques publiques en matière d’égalité professionnelle, ainsi que ceux issus des stratégies des organisations. Ensuite, il n’ignore pas les enjeux de ce chiffrage de l’égalité en matière de travail au niveau national et dans différents pays, ainsi qu’au niveau méso-social des 207organisations. Enfin il décrit les jeux d’acteurs et rapports de pouvoir qui leur sont associés.
Les différentes parties du livre suivent cet agenda en proposant 3 axes de lecture. Il est toujours difficile de résumer un ouvrage collectif. Nous allons ici essayer de le faire en décrivant ces 3 grands axes et en insistant davantage sur les chapitres qui ont le plus retenu notre attention. La première partie se consacre à la fabrique des instruments de mesure. Ainsi les deux premières contributions, une analyse socio-historique de Vincent-Arnaud Chappe et un témoignage de Sophie Binet, montrent la trajectoire d’un outil pionner, le Rapport de Situation Comparée (RSC), depuis son instauration en 1983 par la loi Roudy, jusqu’à sa disqualification récente par de nouvelles politiques publiques. En effet, la loi Roudy avait instauré l’obligation de produire des informations permettant d’objectiver les inégalités femmes-hommes dans ce RSC. Mais son usage progressif a été remplacé, d’abord en 2015 par la loi Rebsamen qui l’a supprimé pour intégrer ses indicateurs dans une nouvelle base de données économiques et sociales (BDES) plus large, puis surtout par la mise en place récente de l’index d’égalité professionnelle. Cette disqualification intervient alors même que les acteurs de terrain, et notamment les syndicats, commençaient à s’approprier le RSC et à en affirmer leurs usages. Il faut souligner ici l’apport indéniable des chapitres écrits par des professionnels et professionnelles dans cet ouvrage. Celui écrit par Sophie Binet – responsable Femmes/Égalité à la Confédération générale du travail, apporte une connaissance fine des conflits liés aux négociations collectives et montre l’utilisation concrète d’outils comme le RSC dans ces négociations. Celui de Florence Chappert – responsable du projet « Genre, égalité, santé et conditions de travail » à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), rédigé sous forme d’une interview menée par Soline Blanchard, éclaire les controverses que peuvent produire de tels indicateurs, comme les indicateurs sexués de santé au travail, jusque-là manquants et nouvellement produits par l’Anact. Loin d’être de simples témoignages descriptifs, ces chapitres apportent une réelle plus-value à l’ouvrage et on devine à leur lecture que les chercheurs et chercheuses ont réussi à instaurer un climat de dialogue et de collaboration très enrichissant avec ces professionnels et professionnelles. Le lecteur récolte ici indéniablement les fruits de cette collaboration. La production de ces indicateurs est pensée à partir de politiques publiques 208qui instaurent ces dispositifs, mais les chercheurs et chercheuses n’oublient pas de regarder comment ces outils sont implémentés dans les organisations pour saisir les usages et conséquences variés de ces réglementations. Ainsi, Soline Blanchard propose un chapitre sur les effets des classements et autres palmarès et démontre le cadrage marchand produit par des outils comme le business case. Ce cadrage s’instaure au cours de routines de comparaison réalisées par les pratiques dites de benchmarking etdans une approche pragmatique des pouvoirs publics pour inciter les entreprises à respecter leurs obligations.
La deuxième partie propose de se concentrer sur les salaires, objet central de l’égalité et pourtant souvent un peu oublié des approches sociologiques. D’ailleurs, les autrices de cette partie s’inscrivent plus en économie ou gestion des ressources humaines, ou alors dans des champs spécifiques tels que les relations industrielles, disciplines qui ont plus l’habitude de traiter de cette variable. Ce n’est que justice de rendre aux rémunérations une place centrale dans l’analyse, tout comme dans les politiques d’égalité, en les mettant au centre de l’ouvrage. De même, la perspective de comparaison internationale apporte ici un point de vue particulièrement enrichissant (peut-être vient-elle pallier le manque d’études sociologiques françaises sur ce sujet ?). Ainsi, la seconde partie propose une confrontation entre les cas canadiens, français, suédois et danois – grâce au chapitre de Susan Milner, centré sur les effets variés de la transparence salariale dans les pays nordiques – et anglais – au travers de la contribution de Hazel Conley, qui montre comment la législation britannique pro égalité est mise à mal par la réalité du Brexit et de l’austérité. Cette démarche comparative permet de faire émerger des points saillants entre les modèles de la négociation collective (France), des recours individuels ou collectifs devant les tribunaux (USA, Grande Bretagne) ou la mise en place d’une réglementation suivie de sanctions (Canada). Le cas du Québec, pays souvent pris en référence pour sa loi sur l’égalité salariale de 1996, est précisément présenté dans la contribution de Valérie Tanguay qui insiste sur le rôle du principe de « salaire égal pour un travail de valeur égale ». Ce principe veut remplacer celui dit de « à travail égal, salaire égal », dont la limite est de ne pas tenir compte des « spécificités féminines » du travail et de l’emploi. Elle y montre notamment le rôle premier des comparaisons systématiques 209et collectives entre emplois par le biais de l’exercice des job evaluations, qui ont conduit à des réajustements salariaux conséquents. Le cas français, présenté dans le chapitre de Séverine Lemière et Rachel Silvera, toutes deux expertes incontournables de cette notion de « valeur égale », rappelle à quel point il est difficile de raisonner « toute chose égale par ailleurs » en ce qui concerne l’égalité professionnelle, tant les femmes subissent des discriminations qui prennent forme dans toutes les dimensions de l’emploi : temps partiels imposés, contrats courts, le fait d’être prisonnières de secteurs comme celui des métiers du care ou encore d’être toujours associées à certains types de compétences.
La troisième et dernière partie revient sur les effets et usages des indicateurs à la fois du côté des institutions qui les portent que dans les organisations qui les déploient. Ici les terrains sont divers : tribunaux, grandes entreprises, universités (contribution de Hédia Zannad et Annie Cornet), finance (chapitre rédigé par Pierre Lescoat et Claire Dambrin) ou conseils d’administration. Ainsi, l’approche juridique nous fait découvrir l’utilisation des chiffres pour démontrer la discrimination lors des plaintes (chapitre de Michel Miné). Puis, on assiste à la déconstruction des négociations autour de l’égalité salariale dans deux grandes entreprises du secteur de l’informatique et de l’énergie (par Vincent-Arnaud Chappe et Sophie Pochic). Cette déconstruction conduit à démontrer que, la mesure des inégalités reposant souvent sur des chiffres complexes et construits localement, ces négociations hautement technicisées n’en demeurent pas moins politisées. Le recours aux statistiques n’a au final que peu de valeur, si ce n’est celle de produire un gage de scientificité, car leurs résultats ne sont pas exempts de controverses et sont au final particulièrement interprétés. Enfin, le chapitre d’Anne-Françoise Bender permet un retour éclairé sur la loi Copé-Zimmermann de 2011, depuis son contexte d’adoption à ses effets indéniables sur la mixité des conseils d’administration des grandes entreprises. Toutefois, elle remarque que, là encore, des formes de ségrégation verticale et horizontale peuvent persister dans ces instances de gouvernance malgré une plus grande mixité apparente. Surtout, elle note qu’on ne peut pas encore conclure que la mixité a des effets sur la gouvernance, alors même que c’était, lorsque la loi Copé-Zimmermann a été rédigée, l’argument premier mobilisé pour justifier les changements voulus par le législateur. La richesse des cas de cette 210troisième partie, provenant d’un panorama de situations diverses liées à l’hétérogénéité du monde économique témoigne bien du caractère transverse des inégalités professionnelles et de la nécessité de mieux les mesurer dans leur globalité, diversité et hétérogénéité.
Enfin, on souhaite revenir à l’introduction pour en souligner la grande qualité, tout comme celle de la postface de l’ouvrage rédigée par Emmanuel Didier. L’introduction permet à l’ouvrage de situer clairement sa contribution. Cela se fait d’abord grâce à un parti pris méthodologique affiché et assumé, qui s’appuie sur une approche qualitative et compréhensive des indicateurs quantitatifs. Ensuite, le travail repose à la fois sur une problématique scientifique clairement construite et énoncée, tout comme un enjeu social bien identifié. Soline Blanchard et Sophie Pochic ne se dérobent pas devant l’exercice de proposer une contribution à la fois scientifique et politique. De plus, elles identifient parfaitement les angles morts de l’état des recherches sur le sujet et tentent d’en expliquer les causes. En effet, dès l’introduction l’ouvrage interroge le pourquoi de la difficulté de produire des chiffres sur les inégalités salariales. Les autrices soulignent que les féministes se sont peu investies dans la quantification et elles notent leur réserve face à la logique quantitative. Elles proposent des éléments très pertinents pour expliquer ces réticences : « Ses qualités [de la logique quantitative]en termes de légitimité, scientificité, transparence et clarté, sont ainsi soupçonnées de se transformer en défauts car les chiffres tendent à re-naturaliser et à segmenter les catégories (ici femmes-hommes) ». Cet argument nous paraît particulièrement intéressant à développer. On retrouve d’ailleurs dans les études de cas des entreprises de l’énergie et de l’informatique, des exemples concrets de ce retournement des chiffres de l’inégalité du fait d’une apparente scientificité au final très interprétée. Les chiffres peuvent se retrouver au cœur des luttes de pouvoir et devenir des éléments de dénonciation, tout comme ils peuvent être instrumentalisés au sein des politiques managériales. Ainsi, la technicité de la mesure des écarts de rémunération entraîne une forte interprétation qui conduit parfois à des situations où ces écarts sont expliqués voire niés, plus que dénoncés et combattus. On aurait aimé que cet argument fasse l’objet d’une partie autonome de l’ouvrage qui serait revenue sur la socio-histoire de la prise en compte des chiffres dans les luttes féministes en général ou sur les difficultés que la variable binaire « sexe » 211endure pour rendre compte de dimensions plurielles du genre. Ce travail aurait peut-être permis l’émergence d’une autre question : celle des audiences. Compter suppose aussi de rendre des comptes. C’est là que le reporting, c’est-à-dire l’activité de production et de publication de chiffres dans le but d’évaluer les politiques économiques, sociales ou environnementales des entreprises, rentre en jeu et rencontre son premier public : les marchés financiers. Certains cas développés dans l’ouvrage montrent, par exemple au travers du benchmaking, que ces chiffres sont aujourd’hui aussi produits en direction du secteur de la finance afin d’évaluer les pratiques sociales des entreprises. Que cette activité de reporting les rende disponibles pour d’autres audiences comme les syndicats ou les militants, pourrait devenir une conséquence, et plus un objectif premier. Même si certains indicateurs restent heureusement des obligations légales, leur production se fait aussi de plus en plus en direction des analystes extra-financiers afin de produire une évaluation dirigée vers les marchés financiers dans le cadre du mouvement de la Responsabilité Sociale des Entreprises. Et cette question de l’audience, qui devient financière, pourrait à terme avoir des effets déterminants sur les usages.
Enfin, l’exercice final de postface, mené par Emmanuel Didier un des tenants du « Statactivisme », contraction de « statistique » et « activisme », propose d’interroger la place des femmes dans la statistique. Tout cela est réalisé non sans une pointe d’introspection, qui, si elle paraît « un tantinet masochiste » (p. 384) à son auteur, n’en est pas moins heureuse. Cet exercice vient apporter une touche de profondeur et de recul historique bienvenue à la fin de la lecture d’un ouvrage, qui comme cela a été souligné dès le début de ce texte, est remarquable par sa contribution scientifique, tout comme pour l’enjeu social qu’il identifie et à propos duquel il offre des clés de compréhension. Si l’ouvrage est remarquable, nous espérons qu’il sera remarqué !
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Le genre au travail. Recherches féministes et luttes de femmes, Nathalie Lapeyre, Jacqueline Laufer, Séverine Lemière, Sophie Pochic, Rachel Silvera, Paris, Syllepse, 2021, 344 p.
Maxime Lescurieux
Centre d’études de l’emploi
et du travail (CEET),
Centre Maurice Halbwachs (CMH)
Cet ouvrage revient sur la question cruciale du genre au travail et de ses enjeux. Si l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes est parfois considérée comme acquise, ce livre rappelle qu’il reste du chemin à parcourir. Alors que les récentes mobilisations féministes mettent davantage l’accent sur les importantes questions des violences sexistes et sexuelles faites aux femmes, cet opuscule suggère de ne pas occulter la sphère productive. Pour y parvenir, ce livre propose un dialogue stimulant entre chercheuses, syndicalistes et membres d’associations féministes d’horizons variés, initié lors du 8e congrès international des recherches féministes à l’Université de Paris-Nanterre en 2018.
La première partie de l’ouvrage est consacrée au constat de la croissance des inégalités professionnelles parmi les femmes elles-mêmes, une évolution qui met à mal l’homogénéité de la catégorie des femmes. Cette partie se décline en trois chapitres.
Le premier chapitre de l’ouvrage, constitué de plusieurs contributions, vise à retracer historiquement les luttes des femmes au travail, en France et ailleurs, depuis la fin des années 1960 à aujourd’hui. L’entretien de Gisèle Mounier, employée de La Poste en mai 1968, ouvre ce premier segment. En revenant sur les coulisses d’une mobilisation « improbable », cet entretien éclaire historiquement une lutte des femmes au travail « par elles » et « pour elles ». L’insubordination ouvrière1 permet à ces salariées d’obtenir des avancées majeures en termes de conditions de 213travail et d’emploi : une première pierre vers l’égalité professionnelle. À cet égard, la contribution de Fanny Gallot rappelle le cadre législatif dans lequel ont lieu ces mobilisations collectives. Malgré la Loi de 1972 qui affirme « l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes », celle-ci connaît une portée limitée en raison du poids des classifications de branche. À partir des années 1970, de nouveaux espaces de participation des femmes voient le jour sur les lieux de travail. La porosité des espaces militants (entre les univers associatifs et syndicaux) accompagne le développement d’espaces non mixtes dédiés aux revendications des femmes dans la sphère productive. Ces espaces participent au développement de la cause des femmes au sein des organisations syndicales, comme le montre précisément Anna Frisone en Italie. Cependant, la cause des femmes au travail n’est jamais acquise. En revenant sur les luttes successives contre les réformes du régime public de retraite, Annick Coupé souligne un retard persistant de la prise en compte de la place des femmes dans les revendications. Ce constat est partagé par Arbia Selmi qui s’interroge sur l’efficacité pour les femmes des mouvements protestataires de la révolution tunisienne en janvier 2011 à partir de l’exemple de l’espace syndical. Alors que ce dernier instaure un quota de 20 % de femmes au sein des postes à pouvoir, les obstacles structurels à l’engagement persistent (absences de droit syndical, précarité de l’emploi, repression patronale). Ce premier chapitre s’achève sur le récent mouvement des gilets jaunes à partir d’entretiens de femmes des services peu qualifiées, travailleuses des emplois précaires pénibles et sous-payés qui se sont rendues visibles à travers ce mouvement.
Le deuxième chapitre de l’ouvrage s’intéresse au secteur des services. L’objectif est de saisir les enjeux de l’évolution actuelle des métiers des services à la fois sur la question de leur dévalorisation professionnelle, au sens d’un déficit global de qualité de l’emploi et du travail, et de leur faible reconnaissance sociale qui connaît des difficultés d’attractivité. La première contribution est celle d’Eve Meuret-Champfort à propos d’une mobilisation au sein des crèches. La sociologue montre comment les revendications attenantes aux conditions d’emploi et du travail du secteur tendent à disparaître au profit de la « cause de l’enfant ». Or ce cadre occulte la question de l’égalité entre les salariées. L’économiste Rachel Silvera revient ensuite sur le principe « à travail de valeur égale, salaire égal ». Alors que ce cadre est inscrit dans la Loi, la chercheuse 214montre que ce principe est loin d’être effectif. À qualifications égales, les hommes continuent à obtenir une rémunération supérieure. Dans la suite du chapitre, l’intervention de Barbara Filhol, syndicaliste en Ephad, rappelle le rôle crucial de certaines réformes structurelles et dévastatrices pour les femmes. À partir d’un décret portant sur la tarification en Ephad, les conditions de travail et d’emploi des salariées tendent à se dégrader. Un constat partagé à la FSU par Sigrid Gérardin qui discute l’évolution de la situation de travail des enseignantes et enseignants : celle-ci requiert une disponibilité professionnelle toujours plus importante particulièrement défavorable aux femmes. Pour terminer ce chapitre, Haude Rivoal expose le cas des entrepôts de la logistique. Le maintien de la division sexuée du travail dans ce secteur n’est pas le produit d’un sexisme ordinaire, mais le fruit d’une organisation productive qui valorise une certaine masculinité de l’endurance et de la performance physique au gré d’injonctions productives qui mettent à mal les tentatives d’égalité professionnelle.
La passionnante question de savoir si l’égalité professionnelle profite à toutes les femmes clôt cette première partie. Qui sont les grandes gagnantes de cette cause ? Pour Sophie Pochic, l’institutionnalisation de l’égalité professionnelle est élitiste et profite en premier lieu aux femmes cadres. La raison : la négociation d’accords en faveur de l’égalité femmes-hommes a d’abord lieu au sein des grandes entreprises. Or, les femmes cadres (qui ne représentent aujourd’hui que 16 % des femmes actives occupées) travaillent davantage au sein de très grands établissements. Cependant, seules les femmes cadres à « potentiel2 » bénéficient d’actions réellement volontaristes. À cet égard, ces femmes, étiquetées comme telle par leur direction, profitent également de réseaux qui, selon Nathalie Lapeyre, conjuguent néolibéralisme et soft féminisme. Si elle s’effectue plus ou moins rapidement selon la taille des établissements et la catégorie socioprofessionnelle des femmes, l’égalité professionnelle participe également à l’émergence d’un nouveau marché, celui du conseil en égalité. Pour Soline Blanchard, ce nouveau secteur d’activité est constitué de deux segments présentés ici de façon idéal-typique : celui de « l’égalité professionnelle pour tous et toutes » et celui du « (top) management de la mixité ». La domination symbolique et économique 215du second segment sur le premier, qui repose sur les capitaux élevés de ses consultantes (formations prestigieuses, proximité avec l’élite économique et politique, mandats pour les plus grandes entreprises, accès privilégié aux médias nationaux), alimente une vision néolibérale de l’égalité des sexes. Ce chapitre s’achève par le témoignage de deux femmes syndicalistes, Dominique Marchal de la CFDT et Carole Cano de la CFE-CGC, qui exposent chacune leur vision de l’égalité professionnelle et la prise en compte de la diversité de la catégorie « femme » dans leurs actions syndicales.
La seconde partie de l’ouvrage ouvre la question du genre au travail à de nouveaux enjeux féministes et à de nouveaux risques pour l’égalité. Cette partie se décline également en trois chapitres.
Le premier chapitre explore la question du genre au sein du secteur du numérique. Si les femmes représentent 23 % des salariées en 2017, ce secteur reproduit « une ségrégation sexuée du marché du travail digne de l’économie la plus traditionnelle ». Pour Sabine Reynosa, alors qu’une injonction à la flexibilité prône une plus grande souplesse en matière de lieux et d’horaires de travail au sein du secteur du numérique, celui-ci induit une norme à la disponibilité professionnelle relativement plus favorable aux hommes. Ces inégalités semblent toutefois éclore au cours de la carrière professionnelle. En effet, pour Thomas Couppié et Dominique Epiphane, l’insertion professionnelle des filles et des garçons du secteur de l’informatique connaît depuis les années 2000 une égalité parmi les plus remarquables. À rebours de certaines filières scientifiques, les femmes connaissent en début de carrière professionnelle un sort proche de leurs homologues masculins. Néanmoins, elles déclarent plus souvent un sentiment de désenchantement, comme le montre Élodie Evert à partir de l’exemple du conseil en systèmes d’information. Si le secteur se distingue par un taux de féminisation élevé et des discours égalitaristes bienveillants, les pratiques peinent à évoluer réellement vers l’égalité. Les femmes de ce secteur sont confrontées à des normes professionnelles contradictoires qui relèvent conjointement d’un modèle viril du consultant « culotté3 » (Boni-Le Goff, 2012) et d’une féminité respectable4.
216Le deuxième chapitre interroge le genre de l’espace numérique à l’aune des outils employés par les mobilisations « en ligne ». Sur cette question, Josiane Jouet souligne l’importance d’internet dans le renouvellement des mouvements féministes en termes d’outils de mobilisation, comme le rappelle également Caroline De Haas à propos des mobilisations de #SOSEGAPRO ou encore #NOUSTOUTES. Cependant, les espaces de mobilisation en ligne ne sont pas exempts de violences de genre. L’expérience de Raphaëlle Remy-Leleu, porte-parole d’Osez le féminisme ! au moment de l’entretien, rappelle, exemples à l’appui, les limites de ce type d’espace où le cadre législatif peine encore aujourd’hui à condamner le cyber sexisme et le cyber harcèlement. La rapidité, l’anonymat et la gratuité permettent que les propos sexistes et violents se diffusent sans contrôle suffisant.
Pour terminer, le dernier chapitre s’intéresse aux conséquences des violences intrafamiliales et conjugales sur l’emploi des femmes. En soulignant la porosité des sphères, ce chapitre éclaire ce sujet et les manières de s’en saisir dans l’univers productif. La contribution d’Iman Karzabi mentionne l’importance d’intégrer les violences sexistes et sexuelles dans l’accompagnement dans l’emploi des femmes et de les considérer comme un frein spécifique à l’accès au marché du travail. À partir d’une expérimentation territoriale innovante d’insertion professionnelle de jeunes femmes isolées, Maud Olivier expose les apports de la lutte contre les violences dans l’accès au marché du travail pour certaines femmes. Une comparaison de ces dispositifs d’accompagnement dans l’emploi des associations de lutte contre les violences en France et aux États-Unis permet finalement à Pauline Delage de faire apparaître des lignes directrices des pratiques des associations. Cependant, rares sont les enquêtes statistiques qui permettent aujourd’hui de mesurer l’impact des violences sur l’emploi des femmes. En Belgique, l’enquête menée par l’institut belge pour l’égalité des femmes et des hommes éclaire sous un nouveau jour cette problématique. Dans cette voie, la contribution de Sophie Binet, invoque le rôle des syndicats sur cette question. L’ouvrage s’achève sur la contribution de Séverine Lemière pour qui l’égalité professionnelle et la lutte contre les violences conjugales sont deux enjeux rarement articulés entre eux. Pourtant, selon la chercheuse, les violences conjugales entraînent épuisement, absentéisme, harcèlement sur le lieu de travail et incapacité professionnelle.
217En somme, l’ouvrage permet à la lectrice et au lecteur de saisir l’ampleur de la question du genre au travail. À nouveau, ce livre rappelle « qu’on ne pourra plus ne pas savoir ». La crise sanitaire aura rappelé que cette égalité des sexes est loin d’être acquise. On regrettera néanmoins que le livre s’achève sans conclusion laissant le lectorat sur sa faim au même titre que certaines contributions qui mériteraient d’être plus approfondies. Nous attendons donc une suite à cet ouvrage !
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Le Genre du capital. Comment la famille reproduit les inégalités, Céline Bessière et Sibylle Gollac, Paris, La Découverte, 2020, 326 p.
Phoebé Pigenet
Master IOES – EHESS – Paris Dauphine
Paru en février 2020 aux éditions de La Découverte, Le Genre du capital apporte de nouvelles perspectives aux études sur l’économie de la famille et plus largement en socio-économie. Céline Bessière et Sibylle Gollac, respectivement enseignante chercheuse à l’Université Paris-Dauphine et chargée de recherche au CNRS, rendent compte des inégalités économiques produites par et dans la famille. Cet ouvrage est le fruit de 20 ans de recherches individuelles et collectives sur la famille, l’héritage, les divorces et les transmissions de patrimoine. Les résultats présentés sont issus de leurs recherches de thèse respectives, mais également des recherches collectives qu’elles ont pu mener avec l’équipe JUSTINES5.
Les autrices montrent, d’une part, comment s’organise et se perpétue l’accumulation de patrimoine par les hommes au détriment des femmes 218et, d’autre part, l’urgence qu’il y a à investir ce champ de recherche dans un monde où l’accumulation de patrimoine creuse les inégalités sociales. Leur travail fait largement référence aux résultats de Thomas Piketty sur le patrimoine6, et en particulier à la part croissante de l’héritage dans le creusement des inégalités économiques et sociales des sociétés occidentales. Elles y apposent cependant la grille de lecture de Christine Delphy sur le travail domestique et le système économique qu’est le patriarcat. Ce que démontre C. Delphy en 1970, c’est l’existence du travail dans la sphère domestique : la famille y est présentée comme lieu de production et, par conséquent, la femme comme « travailleuse » et productrice de richesses. Or, comme le souligne C. Delphy, ce travail effectué par la femme n’est ni rémunéré ni valorisé (dans la sphère marchande mais également dans la sphère symbolique), et cette gratuité du travail domestique effectué par les femmes pour la famille est le socle de leur exploitation matérielle7. Le Genre du capital se présente ainsi comme une mise en relation pertinente et nécessaire des travaux de T. Piketty et de C. Delphy.
Comme C. Delphy, les autrices avancent que le travail des femmes disparaît au sein de la famille, qu’il ne leur profite pas ou peu, tandis qu’il bénéficie largement à la carrière des hommes, et participe à leur enrichissement. Ce qui est novateur dans cet ouvrage, c’est l’étude des mouvements du patrimoine. C. Bessière et S. Gollac montrent que tandis que les femmes sacrifient leur carrière à la sphère domestique et familiale afin que leurs conjoints travaillent, les hommes eux accumulent du capital, qui leur revient au moment des séparations, et qui tend à rester dans des mains masculines au moment de l’héritage. C’est sur les mécanismes permettant l’accumulation de richesse des hommes aux moments des ruptures et des héritages que les autrices se penchent.
Ce travail, résolument féministe, met en lumière la nécessité d’enquêter sur les mécanismes d’échanges au sein de la famille : les « arrangements intimes », entre conjointes et conjoints, frères et sœurs, parents et enfants, encore trop invisibles, et sur le rôle central des professionnelles et professionnels du droit (avocates et avocats, notaires et juges). Or, les outils manquent, si bien que la famille reste une « boîte noire » dont on ne regarde pas la 219production, la répartition du capital et les rapports de force alors même qu’elle est au centre de la distribution du patrimoine. Les autrices soulignent également que les recherches de ce type sont nécessaires pour (re)penser les politiques familiales et d’égalité entre femmes et hommes.
Le premier constat est que la famille est une institution économique (chapitre 1), un lieu de production et de transmission de richesses. Si les disparités créées par l’héritage sont évidentes dès lors qu’on compare les classes sociales, elles le sont moins lorsqu’on porte la focale sur le genre. Pourtant, femmes et hommes, frères et sœurs, héritiers et héritières ne sont pas toujours égaux. Une des explications à cette lacune étant le manque d’outils statistiques adéquats. La majorité des études sur la distribution des richesses sont encore fondées sur « le ménage » comme unité de mesure, dont plusieurs chercheuses ont déjà souligné les failles8 (Maruani, 2002). En outre, elles sont critiquées pour leur vision trop peu politique et matérialiste de la famille, centrée sur les « liens affectifs ».
Les autrices montrent dans ce chapitre d’ouverture que si une majorité de la population hérite, tous et toutes n’héritent pas de la même somme au même moment de la vie, ni encore des mêmes types de biens. Or, certains biens sont plus rentables et plus déterminants pour la suite de carrière et la stabilité économique d’un individu, tels que les biens professionnels (commerces, entreprises…) et immobiliers, largement plus souvent cédés aux hommes. En outre, la temporalité des donations est également importante, hériter en début de vie professionnelle pouvant être un tremplin décisif.
Sont ensuite étudiées les stratégies familiales de reproduction sociale (chapitre 2). Les observations montrent que celles-ci sont réfléchies et conçues autour d’un héritier et d’un patrimoine à « garder » (p. 66). Or, cet héritier est dans la majorité des cas un homme, le plus souvent l’aîné, que l’on tend à considérer comme « compétent » à la reprise et l’entretien de ce capital familial, et ce, quelles que soient les conditions d’accumulation de ce capital et les participations féminines à cette accumulation. Cette réflexion permet de comprendre que les inégalités économiques de genre ne naissent pas uniquement dans le couple et au sein du marché du travail, mais aussi dans la famille d’origine, à travers des stratégies familiales de reproduction défavorables aux femmes.
220Vient ensuite l’étude du rôle des professionnels et professionnelles du droit dans ces stratégies (chapitres 3, 4 et 5). Ici les autrices utilisent leurs précédentes recherches et résultats en sociologie du droit, autour des divorces9 et des transmissions10 : les transmissions et les divorces sont régulés par le droit, et se font avec l’encadrement d’un ou une ou de plusieurs professionnels et professionnelles du droit. Étudier les comportements de ces spécialistes permet de comprendre comment et pourquoi le capital se concentre en des mains masculines, malgré un droit en principe égalitaire. La suite de l’ouvrage propose ainsi une sociologie des professionnels et professionnelles du droit, et une sociologie du droit et des institutions, à l’aune du genre. Les autrices réaffirment un acquis de la sociologie du droit américaine pour y porter une analyse en termes de genre : la conscience du droit n’est pas la même pour tous et toutes. Les hommes issus des classes possédantes sont, plus souvent que les femmes, en charge de la gestion du patrimoine, et sont donc plus fréquemment confrontés aux notaires, avocates et avocats. Leur socialisation au droit est, par conséquent, plus forte. En outre, les notaires qu’ils rencontrent sont également plus souvent des hommes. Ils partagent donc une situation sociale commune et souvent les mêmes conceptions construites du « bon héritier ». Les autrices rappellent que l’accueil de la clientèle par les notaires, avocates et avocats évolue avec les caractéristiques sociales de celle-ci. Si les clientèles aisées reçoivent une aide personnalisée, visant à maintenir intact un patrimoine important, les clientèles précaires sont reçues moins longtemps et reçoivent des conseils plus généraux, quand bien même les enjeux sont souvent vitaux (p. 96).
L’un des concepts les plus parlants de leur travail est celui de « comptabilité inversée » (chapitre 4 et 6). Il existe des outils de justice compensatoire dont elles vont observer les usages : la pension alimentaire et la prestation compensatoire, versées toutes deux par l’une des deux ex-conjointes ou conjoints au/à la plus modeste (dans 97 % des cas l’homme vers la femme). Elles ont pour objectif de compenser la perte de niveau de vie engendrée par la séparation, et de maintenir la subsistance du/de la conjoint, le/la plus pauvre si celui/celle-ci est précaire. Malgré cela, 221les juges mettent en pratique une comptabilité inversée, dans laquelle ils regardent ce que le conjoint débiteur peut payer, sans se séparer de son patrimoine immobilier ou professionnel. Ainsi, c’est avant tout la stabilité économique de l’homme qui compte (p. 206). Si la somme se révèle être trop faible pour la femme, c’est à elle de se « débrouiller ».
Cette logique de comptabilité inversée se retrouve au moment des héritages dans les familles possédantes, fils héritiers et notaires se rejoignant dans un intérêt commun : le maintien du patrimoine en des mains masculines, au détriment des autres héritiers et surtout héritières (p. 144). Ce processus passe notamment par la sous-estimation des biens immobiliers et professionnels les plus importants, afin de pouvoir apporter des compensations financières aux autres héritier.es. Une autre stratégie des familles possédantes étudiées par les autrices est la manière dont ces familles s’accordent autour d’une cause commune : la résistance à l’impôt (chapitre 5). Le principal moyen d’y échapper est de diviser la fortune en donations plus petites, faites avant l’héritage, qui ne seront pas comptabilisées au moment de celui-ci, afin qu’il soit moins taxé. Néanmoins, ce type d’organisation, accompagnée voire conseillée par les professionnels et professionnelles du droit, rend possible une distribution inégalitaire de la richesse familiale, au bénéfice des hommes aînés, et au détriment des femmes (p. 186).
L’un des derniers arguments-clés de ce travail est de souligner les failles de la justice compensatoire (chapitres 6 et 7), ce que les autrices nomment des « impensés sexistes » (p. 190). Tout d’abord, le format des prestations alimentaires, payées par le conjoint, mais dont les impayés sont très peu poursuivis, placent « la femme dans une position de mendiante et l’homme dans celle de bon prince » (p. 241). De même, les nombreuses démarches administratives qui « éloignent » la femme divorcée en charge des enfants des prestations sociales auxquelles elle a le droit, alors même que ces droits lui sont souvent nécessaires pour se nourrir et se loger après une séparation, renforcent cette position de « mendiante ». Enfin, la pension alimentaire, déclarée au fisc comme un revenu est taxée (pour la femme), alors même que le débiteur peut la déduire de ses impôts (p. 190).
Ces « impensés sexistes » de la part des institutions censées compenser les écarts de richesse entre ex-conjointes et conjoints se conjuguent à l’action des juges. Les autrices montrent notamment que les juges femmes, 222très attachées au modèle de la femme active sont réticentes à la prestation compensatoire (p. 216), censée compenser les choix professionnels faits au cours de la vie. En effet, celles-ci ont une vision négative des femmes non actives (qui ont le plus souvent travaillé gratuitement pour leurs conjoints pendant plusieurs années), voire leur accolent l’étiquette de femmes « vénales » en adoptant une lecture « misogyne » de la situation. À travers la non-attribution de prestation compensatoire, les juges mettent à distance ce modèle familial et professionnel (p. 219).
Dans les familles les plus précaires, la femme travaille moins souvent, et la rupture est d’autant plus fragilisante pour elles. De fait, le versement d’une pension alimentaire, ou la liquidation du patrimoine commun (la maison familiale le plus souvent) constitue pour elles une urgence. Cette réalité les pousse à accepter une sous-estimation de leurs droits, afin d’y accéder plus rapidement.
En conclusion, en plus d’un marché du travail discriminant et segmenté, et d’une répartition du travail domestique désavantageuse pour les femmes, cet ouvrage met en lumière les fonctionnements familiaux, législatifs et institutionnels qui permettent et favorisent la concentration du patrimoine dans des mains masculines. Bien évidemment, cette analyse doit être comprise conjointement aux logiques de classes. Si dans les classes aisées ce sont principalement les hommes qui accumulent au détriment des femmes, cela se fait également au détriment des hommes et femmes des classes inférieures. Néanmoins, même au sein des classes populaires, la femme s’en sort moins bien que l’homme, comme le rappelle en fin de dernier chapitre une citation de Louise Michel, amendée par les autrices : « Esclave est le prolétaire, esclave entre tous est l’(ex)femme du prolétaire » (p. 267).
L’une des qualités de cet ouvrage est sa grande accessibilité. Les statistiques évoquées sont parlantes et précises. L’exposé des résultats qualitatifs, souvent issus d’enquêtes différentes, prend la forme de récits de famille qui fluidifient l’analyse. Le format visant à lier résultats quantitatifs et qualitatifs, relativement classique dans la littérature scientifique, permet de rendre la thèse apportée claire et explicite pour un lecteur non spécialiste.
L’ouvrage se veut une synthèse de plusieurs travaux autour du thème de la production et de la répartition des richesses au sein de la famille. Il ne s’agit pas du résultat d’une recherche précise, qui demanderait bien 223plus de détails et une analyse peut être plus fine. C’est l’interprétation de cette synthèse : les différents éléments de socio-économie de la famille et du droit mis bout à bout révèlent comment fonctionnent les mécanismes de dépossession des femmes. Pourtant, à la lecture de ce travail, il manque des précisions sur la manière dont s’articulent ces mécanismes dans les différentes classes sociales, et en quoi ils diffèrent entre ces classes. L’analyse montre la différence existante entre les femmes d’indépendants issues de familles et de couples possédants, des femmes d’agriculteurs et des femmes plus pauvres, mais il manque des comparaisons avec d’autres classes sociales. En effet, on aimerait mieux comprendre comment les logiques de classes s’articulent à celles du genre et aux mécanismes familiaux pour différentes catégories sociales. De même, la question de l’accumulation familiale de richesse dans les classes possédantes mériterait d’être observée sous l’angle des « petites mains » : des femmes précaires, issues des classes populaires et souvent racisées dont le travail permet l’émancipation économique des femmes plus riches. Ainsi, si les mécanismes mis en lumière sont importants et intéressants, on souhaiterait les voir articulés à d’autres réalités sociales, ce qui nécessiterait de se pencher plus précisément sur chaque classe sociale.
Néanmoins, ce défaut tient à la nature même de l’ouvrage. Les autrices ne nous proposent pas une recherche, mais plusieurs recherches, et ouvrent ici la porte sur un domaine d’étude. Elles ne souhaitent pas répondre à une question précise, mais bien montrer que certaines questions doivent être posées et étudiées : celles de l’accumulation masculine du patrimoine et des inégalités patrimoniales de genre au sein même de la famille.
En conclusion, ce travail est un manifeste pour une sociologie du genre matérialiste. Il appelle à la création d’outils statistiques pour travailler sur la famille. Il invite à l’investigation au sein du couple, dans l’intimité économique des ménages, là même où sont générées les inégalités de richesse.
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Rapport mondial sur les salaires 2018/19 – Quelles sont les causes des écarts salariaux entre hommes et femmes ?, Organisation Internationale du Travail, Genève, Bureau international du Travail, 174 p.
Hela Bessibes
Université d’Évry Paris Saclay
L’organisation internationale du travail (OIT) publie chaque année un rapport sur l’évolution des salaires à travers le monde. Dans l’édition 2018/2019 de ce rapport, l’institution s’intéresse plus spécifiquement à la question des écarts salariaux entre femmes et hommes. Outre un riche ensemble de données de cadrage permettant des comparaisons entre pays de niveaux de revenu très variés, les analyses statistiques proposées offrent un éclairage unique sur les tenants et aboutissants des inégalités salariales liées au sexe, et ce, à l’échelle de la planète.
La première partie du rapport permet d’inscrire ces inégalités dans un contexte de ralentissement mondial des salaires. Ce ralentissement est certes consécutif à la crise de 2008 mais s’explique aussi par des causes plus structurelles telles que l’intensification de la concurrence internationale, le ralentissement des gains de productivité, l’affaiblissement du pouvoir des syndicats avec des créations d’emplois moins nombreuses. Dans ce contexte, malgré une féminisation tendancielle de l’emploi et une progression régulière de la participation des femmes à l’activité marchande au sein des pays en développement, les inégalités femmes-hommes de salaires persistent. Le reste du rapport est ainsi entièrement consacré à la quantification et à l’analyse de ces inégalités. Le présent compte-rendu propose de se focaliser sur cette analyse quantitative et d’en discuter les principaux résultats.
1. La mesure des inégalités de salaires selon le sexe
Cette quantification ne va en effet pas de soi. Même après avoir surmonté le problème de l’hétérogénéité des données disponibles d’un pays à l’autre, les choix à opérer pour mener l’analyse restent nombreux et 225significatifs : concept de salaire (net/brut, horaire/mensuel), comparaison de valeurs moyennes ou médianes, prise en compte dans certains pays d’irrégularités dans la distribution des salaires de chaque sexe. En l’absence de choix uniformes, l’analyse peut déboucher sur des résultats qui paraissent contradictoires et difficiles à interpréter. Cette difficulté est accentuée par le fait que l’OIT place au cœur de son approche et de sa mesure des inégalités salariales le concept de justice salariale : l’exigence d’un salaire égal pour un travail de valeur égale. Il s’agit donc d’être en capacité de comparer les salaires de travailleurs dont la contribution à la création de valeur peut être jugée équivalente, y compris lorsqu’ils effectuent des tâches différentes. On écarte alors notamment le rôle de la ségrégation professionnelle selon le sexe de la liste des facteurs pouvant expliquer des différences de salaire : par exemple, toutes choses égales par ailleurs, une vendeuse (relevant du groupe des « employés ») et un commercial (groupe « profession intermédiaire ») procurant à la société un service de valeur équivalente doivent recevoir le même salaire. L’exercice proposé par les auteurs du rapport est donc très stimulant. Il permet en particulier de réfléchir au distinguo à opérer, dans l’utilisation de la méthode économétrique, entre analyse d’écarts salariaux et mesure d’injustices salariales. Visant un objectif de diagnostic de politique publique différencié d’un pays à l’autre, le rapport opte plutôt pour la première perspective. Il pose ainsi des jalons utiles (y compris pour le chercheur) à partir de données d’enquêtes nationales répondant aux normes du BIT et collectées récemment (selon les pays, entre 2012 et 2017). Il s’agit d’abord de fournir pour une soixantaine de pays (regroupant 80 % des salariés de la planète) une mesure homogène d’écart salarial selon le sexe, neutralisant certains effets de composition (instruction, âge, temps de travail, public/privé). Le rapport propose ensuite pour une vingtaine de pays pour lesquels cela est possible une analyse des disparités femmes-hommes le long de l’échelle des salaires. Ces deux aspects sont examinés successivement.
2. La prise en compte des effets de composition
Au-delà du constat d’écarts salariaux bruts, le rapport propose donc de caractériser des inégalités entre salariés féminins et masculins en neutralisant certains effets de composition. La méthode employée consiste à mesurer des écarts hommes/femmes par groupe de salariés homogènes 226et à calculer une moyenne pondérée de ces écarts. Quatre variables sont retenues pour cerner les effets de composition : le niveau d’instruction (quatre modalités), l’âge (quatre modalités), le temps de travail (temps plein/partiel) et le domaine d’emploi (public/privé). On obtient ainsi 64 groupes « homogènes » (4 × 4 × 2 × 2) et l’on estime pour chacun des écarts hommes/femmes de salaires moyen et médian. On calcule alors par pays une moyenne pondérée de ces écarts en utilisant le poids relatif de chaque groupe dans la population totale des salariés. Le rapport (p. 40 et suivantes) affiche les résultats en termes de salaire horaire et de salaire mensuel pour chacun des pays pour lesquels on dispose de l’information requise (plus d’une soixantaine, France comprise). Sur l’ensemble de ces pays, l’écart de salaire horaire moyen ainsi « corrigé » est de près de 19 % en défaveur des femmes (salaire horaire moyen inférieur de 19 % à celui des hommes) contre moins de 16 % lorsqu’on considère l’écart brut ; les effets de composition contribuent donc à dissimuler une partie des inégalités salariales femmes-hommes. Cela est manifeste pour certains pays tels que les Philippines ou la Tunisie où la neutralisation des effets de composition permet de révéler l’inégalité salariale subie par les femmes : à caractéristiques identiques, elles gagnent 10 % à 15 % de moins que les hommes alors que l’écart brut suggérait un avantage féminin. Ce n’est en revanche pas le cas pour la France. D’un écart brut de 16 % en faveur des hommes, on passe à un écart corrigé d’environ 12 % ; la différence de 4 points de pourcentage tenant à des salariés masculins mieux représentés dans les combinaisons de caractéristiques associées aux meilleurs salaires.
3. L’écart salarial femmes-hommes
le long de l’échelle des salaires
Au-delà d’écarts salariaux « corrigés » pour tenir compte d’effets de composition importants, le rapport documente la variabilité de l’écart hommes-femmes de salaire horaire le long de l’échelle des salaires (en déciles) pour une vingtaine de pays (répartis en quatre classes de revenu : élevé, intermédiaire-supérieur/-inférieur ou faible) ; la France est hélas hors champ à cette étape. L’analyse fait apparaître une étonnante variété de profils-pays au sein même de chaque classe de niveau de revenu. Parmi les pays à revenu élevé, on trouve aussi bien la Belgique, où l’écart en faveur des hommes varie de 3 % en bas de la distribution des salaires à 227un maximum de 13 % en haut de cette distribution, que le Canada où l’écart le plus élevé (20 %) s’observe à la médiane. Dans le même groupe, la Norvège se caractérise par un profil d’écarts croissant qui culmine à près de 32 % au dernier décile. Dans les pays à revenu intermédiaire-inférieur, on trouve le profil inverse avec l’Indonésie : un écart (toujours en faveur des hommes) maximum au bas de la distribution des salaires (à 40 % !) et quasi-nul dans le haut de la distribution. Pour compléter ces observations, le rapport décrit la part de femmes pour chacun des neuf groupes inter-déciles de la distribution des salaires. Pour revenir au cas de la Belgique, s’il y a quasi-parité femmes-hommes parmi les salaires horaires les plus faibles, la part de femmes est à peine supérieure à 25 % parmi les plus hauts salaires horaires ; un schéma assez semblable s’observe dans la plupart des pays avec une part de femmes élevée au bas de l’échelle des salaires horaires. Ces éléments d’observation sont particulièrement utiles pour évaluer la portée de mesures telles que l’adoption ou l’augmentation de minima salariaux nationaux pour réduire les inégalités femmes-hommes. L’analyse débouche sur quelques résultats particulièrement clairs :
–Dans la majorité des pays étudiés, l’écart salarial varie (parfois de façon monotone) le long de la distribution des salaires ;
–Dans la plupart des cas, plus on monte dans l’échelle des salaires, moins il y a de femmes ;
–Un effet « plafond de verre » apparaît très nettement dans certains pays, avec un profil croissant de l’écart salarial homme/femme et une part décroissante de femmes à mesure que l’on monte dans l’échelle des salaires ;
–Pour les pays à revenu faible ou intermédiaire, l’écart est souvent plus marqué à l’extrémité inférieure de la distribution des salaires où les femmes sont surreprésentées, suggérant plutôt un effet « plancher collant ».
Mais par-delà ces résultats, on est surtout frappé par la très grande variété des situations nationales : derrière l’omniprésence d’écarts salariaux en défaveur des femmes, les logiques varient considérablement d’un pays à l’autre. Une bonne manière de souligner la nécessité de différencier le diagnostic et l’importance des décompositions économétriques proposées dans la suite du rapport.
2284. Décomposition et analyse de l’écart salarial
homme/femme le long de l’échelle des salaires
L’objectif est précisément de quantifier le rôle des effets de composition dans la détermination de l’écart salarial homme/femme aux différents points de l’échelle des salaires.
4.1. La méthode
Il s’agit, pour chaque groupe inter-décile de salariés, d’indiquer la part de l’écart salarial imputable à des différences homme/femme de caractéristiques prédictives du salaire (part expliquée) et la part ne relevant pas de ces différences (part inexpliquée). La méthode est empruntée à DiNardo, Fortin et Lemieux (1996)11 et procède par repondération contrefactuelle : il s’agit d’attribuer au salaire de chaque femme une pondération d’autant plus forte qu’elle présente des caractéristiques plus courantes dans la population des hommes salariés. Techniquement, cela ressemble à un appariement sur score de propension avec l’estimation sur un échantillon de salariés (féminins et masculins) d’un modèle prédisant le sexe à partir d’un ensemble de prédicteurs du salaire. Les variables retenues sont regroupées en quatre ensembles :
–Dotation en capital humain : âge, niveau d’instruction, expérience ;
–Caractéristiques professionnelles : temps de travail, type de contrat, catégorie professionnelle ;
–Caractéristiques de l’entreprise : branche d’activité, taille de l’entreprise, domaine d’emploi (public/privé), région, zone rurale/urbaine, accord collectif sur les salaires ;
–Caractéristiques personnelles : syndiqué, migrant, travailleur domestique, emploi formel/informel.
Plus les caractéristiques d’une femme dans ces dimensions la rapprocheront de celles des hommes, plus son salaire sera pondéré. L’intérêt de cette démarche est qu’elle permet de construire une distribution contrefactuelle de salaires féminins et de procéder à des comparaisons 229à n’importe quel quantile. On dispose alors de trois distributions de salaires : une distribution de salaires masculins, une distribution « masculinisée » de salaires féminins (contrefactuelle) et une distribution de salaires féminins. Pour n’importe quelle statistique de position (quantile ou moyenne), la comparaison entre statistique masculine et féminine-contrefactuelle donne la part inexpliquée de l’écart salarial (des hommes et des femmes comparables sont payés différemment), la comparaison entre statistique féminine-contrefactuelle et statistique féminine, la part expliquée. L’analyse est complétée par des ajustements économétriques12 permettant de décomposer la part expliquée entre les différents prédicteurs du salaire. Dans la perspective de diagnostic de politique publique du rapport, les résultats obtenus doivent notamment permettre d’identifier des axes d’intervention prioritaires pour lutter contre l’inégalité salariale entre femmes et hommes (objet de la dernière partie du rapport). En particulier, une part inexpliquée majoritaire dans l’analyse d’un écart salarial homme/femme conduit à recommander de donner la priorité à la lutte contre les discriminations.
4.2. Les résultats
La richesse des résultats obtenus qui conjuguent décomposition économétrique, analyse par quantile et comparaisons internationales rend difficile une synthèse rendant pleinement justice à la portée de l’exercice. On se contente ici d’une restitution détaillée pour la Belgique et d’observations plus parcellaires pour quelques autres pays évoqués précédemment.
La part inexpliquée de l’écart salarial est, pour la Belgique, spécialement forte au premier échelon de la distribution des salaires. Selon l’analyse proposée, les caractéristiques des femmes du premier groupe inter-décile devraient leur donner un avantage salarial de l’ordre de 4 %. Si l’écart mesuré pour ce groupe est en fait, on l’a vu, de 3 % en faveur des hommes, c’est sous l’influence de déterminants inobservés de la formation des salaires : ces déterminants rehaussent l’avantage masculin de 7 % ! À dotations en capital humain et autres caractéristiques observables identiques, les femmes du premier groupe inter-décile gagnent 7 % de moins que leurs homologues masculins. On doit alors chercher 230l’explication dans des différences de caractéristiques inobservées (situation familiale, état de santé, etc.) et/ou dans une valorisation différenciée des caractéristiques de chaque salarié selon que l’on est un homme ou une femme, c’est-à-dire du côté de la discrimination. Toujours pour la Belgique, l’analyse est très différente pour le groupe médian (salaires situés entre le 5e et le 6e décile). Selon la décomposition proposée, les différences de caractéristiques observées détermineraient un écart en faveur des hommes très supérieur aux 4 % mesurés. Les différences de caractéristiques professionnelles et personnelles (hors capital humain) justifieraient un avantage masculin de près de 13 % mais celui-ci est atténué par d’autres déterminants du salaire et/ou une valorisation de ces mêmes déterminants plus favorables… aux femmes. Enfin, l’avantage masculin (13 %) au sommet de l’échelle des salaires serait entièrement expliqué, essentiellement imputable à un niveau d’instruction supérieur parmi les hommes.
La discussion des cas norvégien et canadien est beaucoup plus rapide. En Norvège, plus on monte dans l’échelle des salaires, plus l’écart en faveur des hommes est élevé et la part inexpliquée importante. Au Canada, la part inexpliquée domine pour la plupart des groupes inter-déciles avec une situation atypique pour le groupe médian où l’écart inexpliqué semble annuler entièrement l’avantage dont devrait bénéficier les femmes au regard de leurs caractéristiques. Enfin, pour évoquer un pays à revenu intermédiaire-inférieur, l’Indonésie affiche des décompositions très variées selon le groupe inter-décile considéré : très fort avantage masculin inexpliqué en bas de l’échelle des salaires, fort avantage féminin inexpliqué en haut de l’échelle des salaires.
Si l’on prend un peu de hauteur, comme le propose le rapport en considérant les résultats de décomposition en moyenne par groupe de pays (revenu élevé, intermédiaire-supérieur, intermédiaire-inférieur, faible revenu), il apparaît que les différences de caractéristiques entre sexes, et notamment l’écart de taux d’instruction entre femmes et hommes, ne contribuent pas à l’explication de l’avantage masculin : dans la plupart des pays l’avantage masculin reste, selon la décomposition économétrique mise en œuvre, inexpliqué. Ce n’est certes pas une surprise dans les pays à revenu élevé dans la mesure où dans ce groupe les femmes occupant un emploi rémunéré ont souvent un meilleur niveau d’instruction que les hommes. En revanche, il est plus surprenant que dans les pays à 231faible revenu le bas niveau d’instruction des femmes n’explique pas non plus l’avantage salarial masculin. L’explication tient en fait à un effet de sélection : dans ce groupe, la plupart des femmes peu instruites n’accèdent pas au salariat et les femmes disposant d’un emploi rémunéré sont souvent plus instruites que leurs homologues masculins.
5. L’explication dans l’inexpliqué
Paradoxalement, l’explication de l’avantage masculin est donc largement à rechercher dans la part inexpliquée de la décomposition économétrique : un écart de salaire à combinaison de caractéristiques observables (dotation en capital humain, caractéristiques d’entreprise et caractéristiques professionnelles) semblables. Si l’on disposait d’un modèle indiscutable de la formation des salaires et de données suffisantes pour l’estimer, la part inexpliquée pourrait s’interpréter en termes de discrimination salariale : on conclurait que les employeurs versent aux femmes des salaires horaires arbitrairement inférieurs. En pratique cependant, ces conditions ne sont pas satisfaites et l’interprétation de l’écart inexpliqué peut faire intervenir d’autres facteurs. Le rapport explore méthodiquement les alternatives.
Une première piste pointe la possibilité d’une ségrégation professionnelle infra-catégorielle. Le fait de conditionner la décomposition selon la qualification permet certes a priori de ranger la ségrégation professionnelle verticale dans la part expliquée de l’écart. Mais une hiérarchie salariale peut intervenir au sein même de chaque niveau de qualification ce qui laisserait dans la part inexpliquée les effets d’une ségrégation professionnelle infra-catégorielle où les femmes seraient surreprésentées dans les postes moins rémunérés. Au regard des catégories assez frustes utilisées dans le rapport, cette piste est assez vraisemblable. Il suffit d’ailleurs que les postes se différencient selon la disponibilité qu’ils exigent du salarié avec une prime salariale aux postes les plus exigeants et une surreprésentation des hommes dans ces postes.
Un argument analogue peut être invoqué en termes d’appariement entreprise-employeur : à combinaison de caractéristiques semblables (en particulier le groupe professionnel, le niveau d’instruction et le secteur d’activité), les femmes peuvent s’avérer surreprésentées dans des entreprises versant des salaires inférieurs. Le rapport analyse dans cet esprit le lien entre féminisation de l’effectif des entreprises et salaires 232horaires moyens. Il obtient pour l’Europe (p. 75) une courbe légèrement croissante jusqu’à 50 % de taux de féminisation (part de femmes dans l’effectif de l’entreprise) qui devient au-delà nettement décroissante. Une explication possible est que les femmes se concentrent dans des entreprises moins productives : le rapport en repère certes des indices mais ceux-ci ne permettent pas de rendre compte de l’ensemble du profil décroissant constaté.
La dernière piste d’explication investiguée dans le rapport renvoie à un effet de la parentalité sur le salaire différencié selon le sexe. Avoir des enfants peut impliquer des interruptions de carrière ou du travail à temps partiel préjudiciables à la progression salariale (éventuellement en retardant les promotions) ; cela peut orienter vers des emplois plus facilement compatibles avec la vie de famille. Or la littérature empirique montre que ces aspects ne concernent pas symétriquement les deux sexes : les femmes y sont confrontées plus souvent que les hommes. Lorsque les données pays le permettent, le rapport compare dans cet esprit des écarts salariaux liés à la maternité d’un côté, à la paternité de l’autre ; l’équité voudrait que ces écarts coïncident. Ce n’est le cas dans presqu’aucun pays : l’Égypte est la seule exception avec un avantage salarial pour les salariés parents qu’il s’agisse d’un père ou d’une mère. Dans la grande majorité des autres cas, les mères subissent une pénalité salariale et les pères un avantage salarial.
Ce rapport propose donc une analyse quantitative tous azimuts des inégalités salariales entre femmes et hommes à l’échelle de la planète. Il réussit l’exploit de conjuguer des analyses approfondies par pays et de permettre des comparaisons internationales éclairantes. La plupart (voire l’ensemble) des hypothèses invoquées dans la littérature académique pour rendre compte de ces inégalités salariales sont questionnées donnant souvent lieu à des résultats originaux. Les méthodes employées sont elles-mêmes très avancées et réalisent un arbitrage satisfaisant entre puissance et robustesse analytique. C’est donc un document précieux qui méritait, deux ans après sa publication, qu’on y revienne.
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L ’ économie féministe, Hélène Périvier, Paris, Presses de Sciences Po, 2020, 218 p.
Michelle Vernot-López
Département de Sociologie, Université de Barcelone, Espagne ;
CIPE, University Externado of Colombia, Bogota, Colombia
Loin des manuels qui cherchent à établir un catalogue le plus exhaustif possible des différentes contributions des économistes féministes à la science économique, Hélène Périvier nous propose de réfléchir sur les fondements même de l’économie comme discipline et sur le besoin pour certaines et certains économistes de s’affirmer comme féministes, alors même que cette précision n’est pas nécessaire dans d’autres disciplines. L’absence initiale de considération de la part de la discipline à l’égard des questions liées à la justice sociale ou à l’éthique, oblige à s’interroger sur la capacité des économistes à apporter des réponses pertinentes aux questions de discrimination et à plaider en faveur d’une économie renouvelée, à la fois politique et féministe. Cet ouvrage présente un grand intérêt pour comprendre les inégalités entre les sexes, au sein de nos sociétés mais aussi de la discipline elle-même.
Afin de comprendre pourquoi la discipline économique a fait l’impasse sur les questions qui touchent aux femmes, Hélène Périvier revient dans la première partie sur les fondements de l’économie, et sur le développement des féminismes comme une réponse nécessaire à la recherche de l’égalité entre les sexes. En remontant un fil historique dans un premier chapitre, l’autrice s’interroge sur la capacité des économistes à prédire, expliquer et justifier les problèmes auxquels nous faisons face comme société. Comment la neutralité de genre s’est-elle instaurée en économie, une science sociale qui « a été construite par des hommes, pour être au service d’une société dirigée par des hommes » (p. 18) ? Avec des biais androcentrés, la sphère non-marchande a souvent été mise de côté, justifiée 234par un certain « laissez-faire » comme règle d’or pour assurer le bon fonctionnement de la société. Le néo-libéralisme, dont l’homooeconomicus devient le symbole, présente un individu rationnel, responsable de son avenir dans un univers calculable et prévisible dans son comportement. Or, ce cadre théorique ignore les rapports de force entre les individus ainsi que le rôle des normes sociales. Face à cet « impérialisme néo-classique », l’autrice nous rappelle que différentes voix émergent pour demander une plus grande diversité dans la pensée économique, notamment pour traiter les questions liées à la justice sociale. Elle évoque notamment les premiers institutionnalistes qui, en mettant en avant le rôle des institutions, remettent en cause l’individualisme pour s’attacher aux formes des constructions sociales et organisationnelles. Plus tard, le keynésianisme, en vogue dans l’après-guerre, donne un rôle central à l’État et prône le développement de politiques publiques redistributives. Ces nouveaux paradigmes ne seront pourtant pas suffisants pour remettre en cause le modèle économique de Monsieur Gagnepain. Finalement, ce sera à l’économie empirique de mettre à l’épreuve les postulats du modèle néoclassique, de promouvoir le débat scientifique, et de proposer d’autres paradigmes. Pourtant, les nouvelles méthodes, dites expérimentales, prennent le pas sur les autres méthodes, et conduisent assurément « à remplacer un impérialisme par un autre » (p. 56).
Dans le second chapitre, l’ouvrage se penche sur plusieurs débats féministes qui explorent le caractère systémique des discriminations de genre et qui forgent une partie de la pensée économique. La recherche du principe d’égalité entre les sexes émane de différentes disciplines et constitue la force de la pensée féministe. Cependant, comme dans toute discipline, plusieurs controverses, souvent d’ordre théorique, voient le jour dans les années 1970. Comment définir et conceptualiser le sexe biologique, le sexe social ou encore le genre ? Le mouvement féministe sera aussi accusé de mettre de côté d’autres formes d’oppression, notamment le lesbianisme, et le mouvement Black Feminism dénoncera le manque d’intersectionnalité des luttes. L’injustice sociale fortement corrélée aux inégalités entre les sexes sera soulignée par les féministes marxistes et matérialistes. Le féminisme marxiste avancera le concept de travail « reproductif », par opposition au travail productif, pour définir le travail « invisible » fait par les femmes au sein du ménage. En utilisant l’analyse faite par les marxistes du capitalisme et de l’exploitation entre 235classes sociales, les féministes matérialistes expliquent les inégalités des sexes à travers un système d’oppression des hommes sur les femmes. Le patriarcat façonne les rôles sociaux de genre et assigne aux femmes le travail reproductif. C’est donc de cette oppression que découle la division sexuelle du travail. L’autrice se démarque du féminisme matérialiste et questionne le fait qu’on puisse considérer le travail reproductif comme « non-rémunéré » ou gratuit. Si l’objectif est l’émancipation des femmes, alors le partage égal des tâches domestiques entre conjoints est plus que nécessaire. Rémunérer ce travail reviendrait à accepter les normes sociales auxquelles est soumise la division sexuelle du travail.
La deuxième partie de cet ouvrage se focalise sur la critique féministe de l’économie et souligne les apports parfois totalement méconnus des femmes économistes à la discipline. L’homo oeconomicus est remis en question par l’économie féministe car il dépeint l’homme comme un agent rationnel qui cherche à maximiser son bénéfice alors, que la femme, contrainte de rester à la maison et de s’occuper des enfants, doit faire preuve d’altruisme dans sa vie. Si les premiers économistes refusent de traiter la sphère familiale, c’est parce qu’ils considèrent ces formes de travail exclusivement féminin comme improductives. La place de la femme est au foyer, et la possibilité d’exercer un métier en dehors est très restreinte, encadrée par un arsenal législatif. Certains économistes comme Mill, Veblen ou encore Keynes se démarquent de ce contexte patriarcal, mais cela ne suffit pas à contrecarrer le modèle néo-classique qui sera poussé à l’extrême par Gary Becker pour justifier l’efficacité de la division sexuelle du travail. Les féminismes, de par leur pluralisme disciplinaire, semblent mieux armés pour traiter la question des droits des femmes et de l’égalité des sexes. Ils se fondent sur différentes approches (marxiste, institutionnaliste, néo-institutionnaliste, constructionniste) et de différentes méthodes empiriques pour dénoncer le modèle néoclassique et inclure les inégalités entre les sexes dans l’analyse économique. Cependant, comme nous le rappelle l’autrice, tous les féminismes ne s’opposent pas à cette vision patriarcale et capitaliste de l’économie, certaines et certains féministes se revendiquent libéraux.
Le quatrième chapitre ne cherche pas à faire une liste exhaustive des femmes en économie (cela reviendrait à écrire un livre entier !), mais à comprendre la genèse de l’économie féministe. Ce chapitre témoigne de l’intention de l’autrice de valoriser des femmes « invisibles », de 236reconnaître les contributions de ces femmes à la discipline et par ce biais, d’inciter plus de femmes à rentrer dans la discipline la moins féminisée des sciences sociales. Elle souligne le rôle de Jane Marcet et Harriet Martineau dans la diffusion de concepts économiques de la doctrine libérale. Elle évoque aussi le cas de certaines femmes mariées à des économistes qui contribuent à leurs travaux, mais qui ne jouissent d’aucune reconnaissance à l’époque. À cela s’ajoutent celles qui arrêtent leur carrière pour s’occuper de leurs familles. En France, Hélène Périvier souligne les travaux au xixe siècle de Flora Tristan, Julie-Victoire Daubié et Clémence Royer qui s’intéressent aux conditions et aux droits des femmes. Aujourd’hui, malgré la création de groupes de réflexion pour promouvoir la lutte contre les inégalités entre les sexes, les discriminations dans la science économique persistent. L’autrice nous pousse à réfléchir aux actions qui peuvent être prises au sein des universités pour faire face aux barrières de genre : les politiques de publication, le poids des tâches administratives, les évaluations injustes, et parfois violentes (des étudiants et des pairs) semblent être, de son point de vue, des éléments à questionner pour lutter contre la sous-représentation des femmes dans ce domaine.
Dans la troisième partie, Hélène Périvier, en économiste, s’interroge sur les contributions de la science économique aux combats féministes et, surtout, propose quelques recommandations sur la façon dont ces combats doivent se mener aujourd’hui. Si l’économie permet de faire état des inégalités de genre, c’est parce qu’elle possède les éléments théoriques et empiriques pour comprendre les mécanismes d’assujettissement des femmes. L’autrice nous rappelle que le modèle traditionnel d’organisation des familles, représenté par Monsieur Gagnepain, ce « bon père de famille » dans le code civil, a longtemps servi d’obstacle à l’émancipation économique des femmes. À cela s’ajoutent les politiques publiques qui incitent voire récompensent les familles lorsque la femme arrête de travailler. Or, ce modèle traditionnel est contraint de se transformer suite à l’entrée massive des femmes sur le marché du travail après la seconde guerre mondiale. Cependant, malgré les politiques qui promeuvent l’insertion professionnelle, les hommes ne sont pas incités en retour à participer davantage aux tâches domestiques. De plus, les femmes ne rentrent pas dans les mêmes conditions que les hommes dans le salariat : elles sont plus nombreuses à travailler à temps partiel, dans des secteurs 237moins bien rémunérés et vulnérables, perçoivent des revenus plus bas, et sont pénalisées par la naissance d’enfants. Les femmes réalisent la plupart du travail domestique et s’occupent majoritairement des enfants. L’autrice décrit ainsi, à juste titre, le modèle de Madame Gagnemiettes. Pour expliquer cette persistance des inégalités, il faut alors revenir sur la définition beckerienne de la discrimination qui ne tient compte ni des institutions, ni des normes, ni des relations sociales. Pourtant, les discriminations liées au sexe sur le marché de travail n’émanent pas des caractéristiques propres aux individus, mais sont au contraire le résultat d’un processus de socialisation et d’intériorisation de genre.
Face au renouveau du néolibéralisme, le dernier chapitre nous amène à réfléchir à l’égalité entre les sexes dans la période récente. Cette question est primordiale car comme nous le rappelle Hélène Périvier, les moments de l’histoire où la doctrine néolibérale a été appliquée le plus fermement, les droits des femmes n’ont pas avancé ou ont même parfois reculé. On peut citer l’exemple des Chicago Boys qui participent à la dictature chilienne de Pinochet durant laquelle les militantes féministes sont arrêtées et torturées, ou celui du gouvernement néolibéral de Reagan qui s’est fortement opposé à l’égalité constitutionnelle des sexes et à la légalisation de l’avortement. Ce renouveau plus insidieux passe aujourd’hui, entre autres, par les institutions nationales ou internationales qui, d’un côté, montrent du doigt le coût économique et social des discriminations et, d’un autre côté, facilitent la flexibilité et le temps partiel féminin afin que les femmes puissent organiser leur temps autour de leur famille. À cette orientation se joignent les multinationales qui, sous couvert de « responsabilité sociale », mettent en place des politiques de conciliation de la vie familiale et professionnelle (Apple et Facebook proposent même à leurs employées de payer le coût de la congélation des ovocytes !) ou des politiques de quotas, mais qui favorisent à la longue une approche utilitariste et individualiste de la lutte pour l’égalité. En effet, le but est de nous faire penser que le progrès social passe nécessairement par le « laissez-faire ». Or, comme le montre bien l’autrice à travers différentes études, les résultats de ces politiques sont mitigés et ne permettent pas forcément de consolider les droits des femmes. Finalement, l’autrice nous rappelle que face à la montée des conservatismes, il est essentiel de revendiquer aujourd’hui une économie politique féministe. Les défis en matière d’égalité sont 238nombreux car l’État social repose encore sur des politiques publiques « familialistes ». En France, la modification du congé parental ou encore du quotient conjugal semblent être, pour elle, deux avancées, mais cette transformation sera-t-elle suffisante pour garantir l’égalité des sexes ? Probablement pas. L’économie féministe doit pousser à un renouvellement radical du système économique et social.
La réflexion portée par cet ouvrage est efficace et tout à fait pertinente, permettant de diffuser la question féministe au-delà des frontières aujourd’hui plus ou moins définies de l’économie féministe. Il constitue une pierre supplémentaire pour la promotion du pluralisme en économie. Au sein de la discipline, cela revient à penser la valeur que l’on accorde aux contributions des femmes, mais aussi aux sujets traités qui enrichissent les débats sur l’égalité et la justice sociale. C’est ainsi qu’on peut s’interroger, par exemple, sur le rôle des enseignements en économie qui, dans leur majorité, n’incluent pas de femmes économistes dans les cours d’histoire de la pensée économique, ou ne traitent pas des sujets qui affectent directement les femmes comme le travail domestique ou le care. Hélène Périvier nous rappelle les enjeux en termes d’égalité des sexes et le rôle que peuvent jouer les politiques publiques pour mettre en place des dispositifs qui favorisent cette égalité dans tous les domaines. Or, on comprend que, si même dans les pays où ces dispositifs existent l’égalité n’est pas encore atteinte, alors le combat féministe est loin d’aboutir. Malgré cette analyse tout à fait pertinente de l’interdépendance entre économie et féminisme, on regrette l’absence de prise en compte des contextes en développement. L’autrice se base principalement sur l’exemple de la France et des pays à haut revenu, et laisse de côté le dynamisme des analyses féministes qui se développent dans des contextes émergents engageant l’économie du développement et également des approches décoloniales. En effet, dans les pays où l’État social est quasiment inexistant, parcellaire et inefficace, la lutte pour l’égalité entre les sexes est d’autant plus importante et nombreux sont les travaux qui retravaillent ces questions dans les Suds. Par ailleurs, bien que l’autrice évoque la question du travail domestique et du care, et de leur répartition inéquitable, elle avance également que ce travail est, en partie, rémunéré par les politiques publiques familiales et fiscales (comme le congé parental ou le quotient conjugal). Cependant, cette réflexion doit être contextualisée, d’une part, parce que ce type 239d’allocation n’est pas universel, et d’autre part, car lorsqu’il s’agit des allocations familiales, ce transfert monétaire n’est pas forcément perçu par les femmes. De plus, certaines de ces politiques accordent une plus grande « valeur sociale » au care qu’au travail domestique. Mais le travail domestique permet aussi la reproduction de la main-d’œuvre, et mérite au même titre une reconnaissance sociale et une rémunération. Comme le dit Silvia Federici13, « pour remporter la lutte, obtenir la création de services sociaux et donc des meilleures conditions de travail, il faut d’abord établir que notre travail est bel et bien du travail ».
1 Vigna X., 2007, L’insubordination ouvrière dans les années 68 : essai d’histoire politique des usines, Rennes, Presses universitaires de Rennes.
2 Laufer J., 2005, « La construction du plafond de verre : le cas des femmes cadres à potentiel », Travail et emploi, no 102, p. 31-44.
3 Boni-Le Goff I, 2012, « “Ni un homme, ni une femme, mais un consultant.” Régimes de genre dans l’espace du conseil en management », Travail et emploi, no 4, p. 21-34.
4 Skeggs B., 2015, Des femmes respectables : classe et genre en milieu populaire, Marseille, Agone.
5 L’équipe JUSTINES (anciennement « Ruptures », réunit depuis 2008 des chercheurs et chercheuses en sciences sociales autour des questions de justice et d’inégalités (voir https://justines.cnrs.fr/, consultée le 16 juillet 2021).
6 Piketty T., 2013, Le capital au xxie siècle, Paris, Les livres du nouveau monde. Éditions du Seuil.
7 Delphy C., 1998, L’ennemi principal, Paris, Collection Nouvelles questions féministes, Syllepse.
8 Maruani M., 2002, Les mécomptes du chômage, Paris, Bayard.
9 Collectif Onze, Au tribunal des couples, enquête sur des affaires familiales Paris : Odile Jacob, 2013, 312 p.
10 Leurs thèses respectives : Gollac Sibylle (2011), « La pierre de discorde. Stratégies immobilières familiales dans la France contemporaine », thèse ENS-EHESS et Bessière Céline (2010), De génération en génération : Arrangements de famille dans les entreprises viticoles de Cognac, Paris : Raisons d’agir, 215 p.
11 DiNardo, John, Nicole M. Fortin et Thomas Lemieux (1996), Labor Market Institutions and the Distribution of Wages, 1973-1992 : A Semiparametric Approach, Econometrica 64, p. 1001-1044.
12 Régression quantile inconditionnelle.
13 Federici, S., 2016, Point zéro : propagation de la révolution. Les Éditions iXe.
- CLIL theme: 3319 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités -- Travail, emploi et politiques sociales
- ISBN: 978-2-406-12361-3
- EAN: 9782406123613
- ISSN: 2555-039X
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-12361-3.p.0205
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 12-08-2021
- Periodicity: Biannual
- Language: French