[Page de titre des Premiers Âges de 1792]
- Publication type: Book chapter
- Book: Œuvres complètes. Tome I. Les Premiers Âges, Sur les générations actuelles, Énoncé rapide et simple…
- Pages: 58 to 58
- Collection: Nineteenth-Century Library, n° 61
Chronologie
Avant-propos
La vie de Senancour – « ennuyeuse à force d’être ennuyée », écrivait Sainte-Beuve à propos d’Obermann – demeure, encore aujourd’hui, nimbée de mystère. D’aucuns s’accordent à en retenir le doute et le désespoir comme composantes essentielles, mais elle ne peut raisonnablement se réduire à ces motifs, si prégnants soient-ils. En proie à l’irrésolution et à un désir d’extension sans bornes, Senancour souffrait, peut-on lire chez divers commentateurs, d’un « mal de vivre » proche du taedium vitae. Mais le constat fait par l’écrivain de l’écart entre la vie réelle et la vie rêvée, entre l’homme tel qu’il est et l’homme tel qu’il devrait être, nous invite à la nuance : plus que le spleen ou le dégoût existentiel, il fut davantage hanté par un « mal d’espérer ». En effet, si le sort semble s’être acharné sur cet homme grêle et délicat, taciturne mais curieux de toutes choses, ce dernier ne cessa cependant jamais de nourrir un grand appétit de savoir et d’être mû par un secret mouvement d’espérance – souvent camouflé par sa mélancolie –. C’est ainsi qu’Oberman écrit : « Je ne veux point jouir ; je veux espérer ; je voudrais savoir ! » (Lettre XVIII). L’espérance et le savoir : deux motifs que l’écrivain essaya sans cesse d’approcher à travers l’anthropologie, la religion et la morale. En vain… ?
La vie se chargea souvent de ruiner les aspirations de Senancour, dont l’existence paraît n’avoir été faite que d’espoirs déçus et de rêves désenchantés. On sera certes sensible à la tension entre l’inquiétude et l’espérance, mais aussi au conflit entre les limites humaines de la connaissance et la soif d’Absolu, entre la paralysie (du corps comme de la volonté) et l’envie de s’évader, entre la solitude extrême et la quête de l’amour, ou encore à l’alternance signifiante entre les reliefs et la plaine. Mêlant monotonie et intensité, Senancour mena, au total, une 22vie « en dents de scie » à l’image de son parcours alpestre, une vie « en demi-teinte » où l’obscurité semble chaque fois retomber à la moindre éclaircie, une vie somme toute tragique.
À ces oppositions qui sont au fondement même de l’existence et de l’œuvre écrit de Senancour, il faut ajouter un autre paradoxe. À y regarder de plus près, on s’aperçoit que la vie de cet écrivain relativement méconnu (pour ne pas dire oublié) a tout de même fait couler beaucoup d’encre depuis l’intéressé lui-même (lorsqu’il se fait autobiographe) jusqu’aux critiques d’aujourd’hui. Plusieurs générations se sont donc succédé, qui ont apporté de précieuses contributions à la connaissance biographique de notre écrivain. La première fut naturellement celle des témoins directs, des proches et des contemporains de Senancour : sa fille, ses amis Boisjolin et Sainte-Beuve, etc. La seconde fut – entre autres – celle des J. Levallois, des J. Merlant, des G. Michaut, des L. Maury, des E. Pilon, des A. Törnudd, etc., « senancouriens » du tournant des xixe-xxe siècles qui ont pu côtoyer des descendants de l’écrivain et recueillir maints souvenirs et témoignages inédits. La troisième, enfin, fut constituée de quelques chercheurs passionnés s’étant employés à dépouiller les archives des quatre coins de l’Europe pour « faire parler » les documents et en distiller le contenu dans de remarquables travaux, fruits d’investigations patientes et stimulantes. À cet égard, citons quelques-uns des travaux d’André Monglond dans les années 1920-1940 : Vies préromantiques (1925), Le Préromantisme français (1929), Le Mariage et la Vieillesse de Senancour (1931), Jeunesses (1933) et surtout Le Journal intime d’Oberman (1947). Mentionnons aussi l’ouvrage de Marcel Raymond : Senancour. Sensations et révélations (1965). Retenons enfin la thèse très complète de Béatrice Didier (Le Gall) intitulée L’Imaginaire chez Senancour (1966), qui a contribué à exhumer une fois encore l’écrivain de l’oubli et à promouvoir l’ensemble de son œuvre.
Si cette vogue de Senancour apparaît comme un phénomène vicennal ou tricennal, elle ne touche cependant que quelques « adeptes » – comme l’auteur des « Observations » préliminaires à Oberman aimait à les appeler –. Qu’ils aient fait partie de ces initiés ou qu’ils aient « rencontré » l’écrivain par le plus grand des hasards, nous tenions à rendre un respectueux hommage à nos devanciers qui ont su, chacun à leur manière, apporter leur pierre à l’édifice biographique. Notre présentation leur doit beaucoup, c’est pourquoi, nous nous sommes permis de prolonger 23la chronologie ci-dessous par les références de monographies, d’extraits d’ouvrages et d’articles qui permettront au lecteur soucieux du détail d’aller plus loin dans la connaissance de Senancour.
Toutefois, toute biographie factuelle – si rigoureuse soit-elle – finit par heurter à quelques pans nébuleux de la vie de notre écrivain, à commencer par sa jeunesse qui est fort mal connue. Pour relater certains événements, des documents de la main de Senancour eussent été précieux, qui sont aujourd’hui lacunaires voire manquants. Par-delà les recoupements de sources et l’investigation personnelle, un autre problème se posait pour tenter de faire la lumière sur ces zones d’ombre : l’œuvre comme source possible de la biographie. Ainsi, Oberman pourrait-il contenir une part suffisamment fiable et exploitable de la vie de son auteur1 ? Certes, le héros solitaire accompagna Senancour tout au long de son activité scripturale (1801-1804, 1833, 1840), mais gardons-nous bien de rapprocher trop systématiquement l’écrivain et sa créature de papier. En effet, si le premier s’est marié et s’accommoder d’une existence modeste, le second est, quant à lui, resté célibataire mais est parvenu à une vie confortable à Imenstròm. De là, il serait difficile d’établir une table de concordance entre la vérité et la fiction, Senancour faisant par ailleurs preuve d’une grande liberté dans la topographie et plus encore dans la chronologie : « J’ai retrouvé les lieux ; je ne puis ramener les temps » (Lettre LX). Et pourtant, on ne peut raisonnablement pas exclure les passerelles reliant la vie intime et la vie littéraire de l’écrivain ; car, si Oberman aime s’écarter de la situation réelle de son créateur, tous deux recherchèrent activement le « vrai immuable » et connurent la même élévation suivie du même accablement devant le « sentiment de [la] destinée » (lettre LXXXIX).
À défaut de pouvoir conclure à une méthode infaillible pour établir la biographie d’une personnalité aussi complexe que celle de Senancour, méditons plutôt le propos d’un de ses critiques reconnus. Ce dernier résume bien la difficulté à cerner la vie de celui qui fut tant un peintre de la nature qu’un détracteur de la société des hommes, tant un prosateur héritier des Lumières qu’un philosophe (pré)romantique, tant un 24historien qu’un journaliste, tant un homme ayant vécu soixante-seize ans qu’une « âme qui [ne prit jamais] le temps de vivre » (George Sand).
Telle est cette vie, malheureuse à tout prendre et noble. Elle se justifie par elle-même ; elle éclaire [son] œuvre ; elle explique la double réputation d’orgueil ennuyé ou de dignité, qu’il a laissée parmi ceux qui l’ont jugé sur une lecture hâtive d’Oberman, ou parmi ses amis. C’est seulement après une étude attentive de sa pensée que nous pourrons essayer de porter sur lui un jugement d’ensemble2.
Chronologie
31 mars 1734
Naissance de Claude-Laurent Pivert (le père de Senancour), dans une famille de chapeliers. Bien que n’étant d’aucune noblesse attestée3, il se fait appeler « de Sénancourt » (avec un « t »), du nom d’un toponyme de l’Eure4, où la famille Pivert, bien enracinée à Paris (rue de Tournon, rue 25Jacob, rue Saint-Denis, etc.), n’avait – semble-t-il – aucune attache. De là, l’écrivain signera indifféremment avec ou sans « t » final, avec ou sans accent sur le « e » – avec néanmoins une préférence pour l’orthographe : « Senancour ».
1758
Rompant avec la tradition mercantile de la famille Pivert, Claude-Laurent se destine à la prêtrise et reçoit les ordres mineurs. Les actes officiels lui donnent le titre d’« acolyte du diocèse de Paris ». Cette vocation religieuse (avortée) du père ne sera pas sans incidence sur la jeunesse de son fils, qu’il eût volontiers voué à une existence ecclésiastique.
1768
Mariage de Claude-Laurent Pivert (âgé de 34 ans) avec sa cousine germaine, Marie-Catherine Pivert (âgée de 38 ans), elle aussi fille de marchands et nourrissant un goût prononcé pour la vie conventuelle. De ce couple austère, dévot, venu tardivement et par erreur au mariage (consanguin de surcroît), leur petite-fille, Eulalie-Virginie, trop jeune pour les connaître, écrira : « Bien qu’ils fussent strictement soumis l’un et l’autre à leurs devoirs, il ne régnait entre eux ni cet abandon, ni cette harmonie sur lesquels ils auraient dû si bien compter. » Mariage malheureux donc, qui annonce étrangement celui d’Étienne, leur fils, en 1790.
16 novembre 1770
Naissance à Paris (quartier de Saint-Paul) d’Étienne Jean-Baptiste Pierre Ignace Pivert de Senancour, unique enfant du couple Pivert, alors établi rue de Beaurepaire, face à l’Hôtel d’Angleterre. L’accoucheur de sa mère – qui était aussi celui de la dauphine Marie-Josèphe – l’aurait dit « robuste et bien conformé » (cf. Mlle de Senancour). Enfance morose et solitaire à Paris, marquée par un climat familial de mésentente et d’extrême piété à coloration janséniste. L’enfant, qui se révèle d’une faible constitution physique et d’un tempérament maladif et vagotonique, 26est tenu à distance par son père et est étouffé par la religiosité rigoriste et excessive de sa mère qu’il accompagne durant de longues heures de prière à l’église Saint-Paul-Saint-Louis.
1774
Poussé par un désir d’ascension sociale, le père de Senancour rachète la charge de « Contrôleur général des rentes de l’hôtel de ville de Paris5 », qui lui confère une fonction stable (sous la Monarchie du moins), le titre de conseiller du roi ainsi que la particule. Sa fonction lui vaut gages de 4 500 livres par an et 2 700 livres de droits d’exercice, ce qui lui permet d’assurer l’aisance financière de la maisonnée. Ainsi, Senancour, enfant, mène une existence facile (cf. la « Notice biographique » de sa fille).
1784
L’adolescent Senancour est mis en pension chez Marc Lecule-Dupuis, curé « progressiste » et acquis aux idées des Lumières, à Fontaine-Chaalis, dans l’Oise, près de la forêt d’Ermenonville – celle-là même qui avait déjà attiré Rousseau et qui, par la suite, marquera Nerval et Proust. Premières sensations de liberté et de plénitude dans la promenade au contact de la nature. En proie au doute et solitaire, le jeune Senancour tente de trouver un dérivatif dans la lecture des récits de voyages (l’Histoire du Japon de Kaempfer et le Robinson Crusoé de Defoe sont parmi ses ouvrages favoris) et l’apprentissage de la géographie, pour laquelle il démontre tôt un engouement et des prédispositions qui lui valent l’admiration du savant Mentelle.
1785
À l’occasion d’un séjour estival avec ses parents chez des amis vivant aux Basses-Loges, il accompagne sa mère à Valvins, dans la forêt de Fontainebleau. L’arrière-saison venue (automne), il y retourne, rêveur, et s’évade en des courses dont Oberman puis – dans une moindre 27mesure – le Solitaire inconnu des Libres Méditations allaient perpétuer le souvenir mélancolique (cf. la « Seconde année » d’Oberman et notamment les lettres XIà XXVqui contiennent d’authentiques indices autobiographiques)6.
1785-1789
Pensionnaire au collège de la Marche (sur la montagne Sainte-Geneviève), Senancour fait en quatre années les six classes d’humanités – un « supplice » (le mot est de sa fille) pour ce timide de la première heure. Cependant, en raison de ses bons résultats, il est pressenti pour le concours général de l’Université. Pendant ses loisirs, rue Beauregard, il lit Buffon, Malebranche, Helvétius, Bernardin de Saint-Pierre et surtout celui qui fut son maître à penser : Rousseau. Bien que peu causeur et peu familier, il se lie d’amitié avec un condisciple, François Marcotte, futur Contrôleur général des eaux et forêts et amateur de peinture, qui lui inspirera certainement le personnage de Fonsalbe, frère de Mme Del*** et seul ami d’Oberman dans le roman à venir.
1789
Sa lecture de la philosophie des Lumières et les événements houleux de la Révolution ébranlent la foi du jeune Senancour qui refuse de rentrer au séminaire de Saint-Sulpice, s’attirant ainsi le courroux paternel. Suite à ce triple bouleversement politique, idéologique et familial, il quitte Paris sans projet précis (14 août). Vraisemblablement accompagné d’un domestique, il se réfugie en Suisse valaisanne, dont les lacs (ceux de Genève et de Neuchâtel) ainsi que les paysages variés le fascinent, 28et où il s’adonne intensément à la lecture d’écrivains alpinistes tels que Bourrit, Saussure, Besson ou Coxe – dont Ramond de Carbonnières avait traduit les lettres en 1781. Mais les lectures et la topographie cèdent rapidement le pas à la dimension existentielle de la montagne. À cet égard, il fait l’expérience d’un hiver rude et solitaire à Saint-Maurice, où il est, semble-t-il, touché par une affection nerveuse – qu’il impute à sa consommation d’un vin blanc soufré local. Par ailleurs, dans sa course vagabonde à la recherche d’un site parfait où s’établir, il découvre Massongex et le hameau de Fontany qui préfigure Charrières dans Oberman (cf. lettres V, VII, VIII), compromis entre la beauté des hauteurs et le climat de la plaine où il ne se fixera pourtant jamais.Par la suite, il est victime d’un tragique accident dans le Grand-Saint-Bernard, dont on lui avait déconseillé l’accès sans guide (fin de l’été). Or, n’écoutant que son orgueil et son goût des reliefs, il part à pied de Martigny par un ciel dégagé, parcourt les vallées jusqu’à l’hôtellerie de Liddes où il se restaure et, arrivant à Bourg Saint-Pierre, le hardi marcheur s’endort de fatigue sans voir que le temps se gâtait. Prisonnier d’une tourmente de neige, isolé, se croyant perdu, il défie les éléments et – « ivre de danger », écrira sa fille – se jette dans la Dranse avec l’espoir de regagner le village de Saint-Pierre en contrebas (cf. lettre XCI de l’Obermann de 1840). Moralement affecté et physiquement affaibli, il développe un début de paralysie qui, dès lors, ne le quittera plus. Après deux jours de repos, il rejoint l’Hospice du Grand-Saint-Bernard tenu par des moines, et décide de pousser jusqu’à Étroubles dans le Val d’Aoste.
1790
Senancour se rend à Fribourg, ville très catholique, où il espère voir sa mère le rejoindre (janvier). Il trouve à se loger dans la famille De Jouffroy, établie sur un promontoire sauvage, dont le nom – le « Bout du Monde » – ne pouvait que séduire l’écrivain en quête de solitudes escarpées. S’ensuivent plusieurs périples en terre helvétique qu’Oberman rapportera dans ses lettres (cf. la « Première année » du roman). Désirant se fixer, il sollicite de la municipalité le droit d’habiter le village d’Agy (commune de Givisiez), non loin de Fribourg (1er mars). Là, il rencontre l’officier Joseph-Georges-Florian Daguet, capitaine à la « Porte des Étangs » et chef d’une famille patricienne qui logeait des émigrés. Senancour connaît alors ses premiers émois amoureux au contact d’une 29des filles, Marie-Françoise, sensible et romanesque, attirée elle aussi par la solitude, l’œuvre de Rousseau, l’imagination mélancolique et le chant – notamment celui du ranz des vaches, « air vraiment alpestre » et « analogu[e] à l’être profond », évoqué dans le 3e fragment d’Oberman sur « l’expression romantique ». Pour elle, il cueille des violettes dans les prés, fleurs qu’il associera, dans ses derniers écrits, à la dualité du sentiment amoureux, à savoir : l’amour-passion et l’amertume d’un amour déçu. Entrevoyant le bonheur, il semble toutefois repris par son goût de l’indépendance et son besoin de mouvement : tantôt il descend du côté de Granges-Paccot, dans le ravin où bruit le ruisseau de Lava-Péchon ; tantôt il parcourt la hêtraie jusqu’à l’Ermitage de la Madeleine ceint par de hauts rochers dominant la Sarine. Cette même année (juillet), il cultive une correspondance avec Saussure et Bernardin de Saint-Pierre, auprès desquels il cherche conseil pour s’établir en solitaire dans quelque lieu reculé (vallée, montagne, voire sur une île). Malgré ses velléités de vie érémitique et sa peur de l’engagement, il épouse Marie Daguet sans conviction et avec le seul consentement de sa mère (11 ou 13 septembre). L’union fut « un malheur pour tous deux », au dire de Mlle de Senancour, voire « le jour le plus triste de [sa] vie », confiera a posteriori l’écrivain à son ami Vieilh de Boisjolin. Senancour est, en effet, victime des calculs sordides d’une belle-famille peu scrupuleuse et voyant en lui un parti avantageux amené à toucher tôt ou tard un bel héritage. Pire encore, ni son épouse ni lui ne s’accorderont réellement sur le mode de vie à adopter. Marie Daguet, certes « sauvage », se trouve néanmoins saisie de terreur à la vue des reliefs escarpés et brumeux : elle refuse catégoriquement de traverser les Alpes battues par les pluies et de demeurer coupée du monde en haute montagne, à Étroubles, où Senancour, lui, comptait pourtant se fixer (19 septembre).
1791
Le couple rentre à Fribourg chez les Daguet, où ils cohabitent difficilement. La voix mélodieuse de la jeune épouse cède le pas à un ton brusque et impérieux, et la désillusion s’est totalement substituée à l’apparente conformité des goûts qui avait motivé le mariage. Ainsi Oberman s’épanche-t-il : « C’était en mars […]. Le soir, la lune éclairait : des cors se répondaient dans l’éloignement ; et la voix que je n’entendrai plus … ! Tout cela m’a trompé » (cf. lettre XI). Voyage probable du 30couple à Paris (avec de faux passeports) pour obtenir le pardon du vieux père de Senancour – désormais installé près des Halles, au cloître Saint-Sépulcre – qui n’avait point donné sa bénédiction pour le mariage. Malgré sa rigidité, il se montre accueillant et oublieux du passé. De retour en Suisse, l’écrivain devient père : sa fille, Agathe-Eulalie-Ursule dite « Virginie » naît à Givisiez7(8 septembre). Devenue écrivaine, elle veillera son père jusqu’à la fin et rédigera en 1850 une « Notice biographique sur E. de Senancour » (cf. infra), qui se veut un témoignage sincère et de première main de ce que fut vraiment la vie de l’auteur d’Oberman. Enfin, la famille choisit de demeurer à Fribourg, malgré l’injonction de l’Assemblée Législative qui donne deux mois aux émigrés (dans le canton de Fribourg, ils étaient 3 700 Français en 1793) pour rentrer dans leur pays d’origine, sous peine de confiscation de leurs biens (9 novembre).
1792
Publication – peut-être à Neuchâtel – des Premiers Âges. Incertitudes humaines, sous le pseudonyme « Rêveur des Alpes ». Concurremment, naît Jacques-Balthazar (9 octobre). Pour célébrer la naissance de son premier héritier mâle, Senancour plante un platane (arbre qui sera associé au « génie » dans Isabelle) sur le domaine d’Agy, en bordure de la route de Morat. Mais l’enfant meurt quelques jours plus tard (16 octobre). Quant à l’arbre, unique vestige du passage de Senancour à Agy, il sera abattu par des bûcherons en mai 1907.
1793
Résidant à Thiel près du lac de Neuchâtel et de Bienne (été), Senancour fait l’expérience d’une nuit d’illumination mystique (cf. lettre IV d’Oberman). Il fait également la connaissance d’un vieux receveur des péages du roi de Prusse au pont de Thiel, Josué Favargez, qui, avec bonhomie, le prend sous sa protection (septembre).Senancour part ensuite en excursion en Suisse romande, peut-être jusqu’au Grimsel, ou dans l’Unterwalden et le Hasli, à travers l’Oberland, probablement en quête d’une solitude plus pure (cf. lettre IIId’Oberman et la 17e Rêverie de l’éd. de 31l’an VIII8). La même année, il publie, à Neuchâtel, l’essai Sur les générations Actuelles. Absurdités humaines, de nouveau sous la signature de « Rêveur des Alpes ». Il est aussi victime de l’incident du « ragoût empoisonné », dont s’est rendu responsable son beau-frère Favre de Longry. Émigré et ruiné comme Senancour, il tente, en effet, d’entraîner l’écrivain dans la mort. Ce dernier y échappe de justesse grâce à sa prudence ainsi qu’à une évacuation rapide9. À la fin de l’année (9 décembre), naît un troisième et dernier enfant, Florian-Julien, qui embrassera une carrière d’officier dans l’infanterie. Sa sœur et lui sont tôt placés en nourrice à La Valsainte, à proximité de Chevrilles et de Saint-Sylvestre, auprès d’une paysanne de langue allemande qui leur tint vraisemblablement lieu de mère.
1794-1795 [an III]
Ruiné en raison de la dévaluation des assignats, Senancour revient seul à Paris, laissant son ménage aux bons soins de sa belle-famille fribourgeoise (hiver 1794-1795). Face à l’adversité et pour fuir la turbulence de la capitale remuée par les émeutes et la faim (printemps 1795), l’écrivain désœuvré, ne retrouvant plus la ville de son enfance, s’adonne à la lecture de Voltaire, de Rousseau, des Encyclopédistes ainsi que des auteurs grecs, latins et orientaux à la Bibliothèque nationale, « antique et froid dépôt des efforts de toutes les vanités humaines » (cf. lettre XI d’Oberman). À Paris, où il réside au no 195 de la rue de la Justice, il revoit aussi son ami François Marcotte et la sœur de ce dernier, Marie-Jeanne-Antoinette-Joséphine « Finotte » (qui lui inspirera Mme Del*** dans Oberman), dont il s’éprend du fait de leur tempérament commun. Face à ces espérances illicites, les violettes du premier amour laissent place, dans l’imaginaire de l’écrivain, aux jonquilles des désirs mystiques pour la femme-ange inaccessible (mars). C’est encore à Paris qu’il fait publier, chez Leprieur, son petit roman Aldomen ou le Bonheur dans l’obscurité – ce « premier Obermann inconnu » (A. Monglond) –, reflet immédiat de son histoire intérieure entre vingt et vingt-cinq ans, qu’il signe de son 32nom sans-culottisé : « Citoyen Pivert ». Après avoir aidé en vain son père à acquérir un bien de campagne du côté de Montlignon, dans la vallée de Montmorency, il achète un petit pavillon dépendant de l’abbaye de Chaalis – déguisée en « Chessel » dans Oberman – (29 mars), là même où il avait été pensionnaire dix ans plus tôt. Mais à cause d’un locataire rétif refusant de quitter la propriété et auquel il n’ose pas s’opposer, Senancour, temporairement installé à Ermenonville, ne pourra jamais prendre possession de son bien, qu’il est, en définitive, contraint de revendre à perte. De là, il retourne à ses errances à travers le Valois. En ces deux années funestes et désenchantées, Senancour, très éprouvé tant physiquement que moralement, connaît des crises de profond désespoir.
1795-1796 [an IV]
Ses pérégrinations conduisent Senancour chez l’un de ses amis nommé De Sautray (ancien garde du corps du futur Charles X), à quelques kilomètres de Chaalis, dans la région de Senlis, plus précisément entre Villemétrie et Mont-l’Évêque. Là, l’esprit rêveur et « le crayon à la main » – selon un mot de Mlle de Senancour –, l’écrivain se serait essayé à la peinture de paysage (été-automne 1795). C’est aussi lors de ce séjour isarien de quelques semaines (ou mois ?) qu’il aurait projeté de rédiger le « Livre des livres » (intitulé La Raison des choses humaines, jamais paru) et qu’il entame la synthèse de ses nombreuses lectures condensées dans l’épais manuscrit des Annotations encyclopédiques (novembre). Pour Senancour, la quête de l’érudition et de l’œuvre totale s’impose désormais comme un viatique au dégoût existentiel : la bibliothèque de Senlis devient son refuge et l’espoir de la permanence retrouvée. Mais l’ouverture au(x) savoir(s) va aussi de pair avec le rejet de la société et le repli sur soi, qu’accentue encore la perte de son père (7 décembre) et de sa mère à quelques mois d’écart (26 septembre 1796).
1796 (?)
Dans un climat de violence et de suspicion, plusieurs tentatives infructueuses d’émigrer illégalement vers la Suisse mettent la vie de Senancour en danger. Bien que les Français ayant épousé des Suissesses aient bénéficié d’un régime de faveur, cela ne dura qu’un temps et l’écrivain, sans être un émigré politique, finit pourtant par être considéré comme tel. Une fois, il est arrêté, alors qu’il se faisait passer pour un 33prêtre non assermenté, et, sous la clameur d’une population curieuse de « voir bientôt fonctionner l’instrument meurtrier » (Mlle de Senancour), il est conduit à Besançon pour subir un interrogatoire, au cours duquel il conserve un silence absolu. Le spectacle de cette foule en délire « venue se repaître les yeux de la vue d’une infortune » le marquera durablement (cf. la « Notice biographique » de sa fille). À une autre occasion, il est malmené par les gendarmes et menacé d’être fusillé. Il ne se tire d’affaire qu’en feignant d’être un simple d’esprit, mais court le risque de voir son nom inscrit sur la liste « fatale » des émigrés avec tous les désagréments personnels et pécuniaires qui pouvaient en résulter.
1797 – début 1798
Le nom de « Pivert Sénancourt » [sic]apparaît dans la liste des citoyens inscrits sur le « Rôle de la Garde Nationale sédentaire de la commune de Senlis pour servir à l’organisation ordonnée par la loi du 23 thermidor an V » (10 août 1797). On peut supposer que l’écrivain, « habitant du faubourg de Villemétrie », a été marqué par le coup d’État du 18 fructidor, qui a revigoré l’institution républicaine (4 septembre).Cette même année, loin des troubles politiques, il assiste certainement au spectacle des vendanges que narrera Oberman dans une missive datée de Méterville (cf. lettre IX du roman) – scène contrastant avec le souvenir angoissé du Valois. Enfin, dans une lettre très solennelle qu’il adresse à François de Neufchâteau, membre du Directoire, Senancour renie son appartenance de classe et, avec l’espoir de pouvoir jouir d’un exil officiel en Suisse auprès de son épouse, il exprime son souhait de « servir l’humanité, partout égarée et souffrante […], fût-ce dans les contrées les plus éloignées […] » (24 septembre). Par-delà la Suisse, il va jusqu’à s’imaginer être « le Lycurgue d’un peuple encore neuf » sur une île du Pacifique, où il pourrait créer « une institution vraiment heureuse, premier exemple pour l’univers social ». Par trois fois renouvelée (14 octobre, 4 novembre, 25 novembre), sa requête n’obtient cependant que des fins de non recevoir (12 février 1798).
1798
Peut-être une tentative de gagner la Suisse, mais qui se solde par une arrestation et un rapatriement forcé à Paris, où il vit d’abord dénué de ressources (automne). Senancour est tiré d’affaire grâce à l’éditeur Laveaux 34qui le protège et le recommande pour le poste de précepteur auprès des deux fils du fermier général La Live. Il loge alors à l’Hôtel Marigny (place du Vieux-Louvre). En parallèle, l’écrivain publie chez les éditeurs La Tynna et Cérioux une version partielle de ses premières Rêveries sur la nature primitive de l’homme (commencées l’an passé à Villemétrie). En outre, il se met à fréquenter l’hôtel Beauvau où, reçu en ami, il jouit des nombreux privilèges (domestiques, voiture, accès à la bibliothèque, etc.) et rencontre, entre autres, la famille d’Houdetot, Elzéar de Sabran, le poète Saint-Lambert, le jeune Molé, le chevalier de Boufflers ou encore Mme de Staël, etc.
1799
Publication en un volume de la première version des Rêveries sur la nature primitive de l’homme […], chez Laveaux, La Tynna, Moutardier et Cérioux, dont l’imprimerie attenait à l’hôtel Beauvau. Dans ce livre (désormais complet), où se mêlent les influences des épicuriens, de Rousseau, de Condillac et d’Helvétius, il faut voir ce qu’un journaliste appellera plus tard « le péristyle du grand ouvrage philosophique que [Senancour] méditait sur l’infécondité et la fausseté des institutions sociales » (cf. L’Illustration du 31 janv. 1846). Pour composer son œuvre, l’écrivain, déjà attiré par l’Orient et les théories illuministes, aurait consommé – parfois à l’excès – des drogues exotiques (opium, coca, etc.) et des boissons excitantes (café, thé), préfigurant par là même les « paradis artificiels » de Baudelaire.
1800 (?)
Promenade avec Frédéric d’Houdetot aux alentours de Paris (cf. lettre LIId’Oberman). Senancour, établi à l’Hôtel Beauvau, séjourne probablement quelque temps à Fontainebleau. Lors d’une marche sur les Champs-Élysées, il aurait également aperçu la sœur de son ami Marcotte – devenue Mme de Walckenaer depuis la fin de mai 1798 – (cf. lettre XL d’Oberman). La trentaine s’annonce pour lui comme l’âge des illusions perdues, mais aussi comme le ferment de sa création littéraire.
351801
Interception d’une lettre adressée par l’écrivain à Mme de Walckenaer, qu’il aime toujours secrètement (9 et 11 juin). Provoqué en duel par le mari de cette dernière, Senancour se désiste, récusant « avec force l’intention qu’on lui supposait de chercher à séduire une femme mariée », explique Mlle de Senancour. Une demi-réconciliation s’ensuivit probablement. 1801 est aussi un tournant majeur dans sa vie littéraire : « dans un appartement donnant sur la place Beauvau » (J. Levallois), il entame la rédaction d’Oberman, qui allait devenir son œuvre majeure.
1802
Retour en Suisse, d’abord à Lausanne (février), puis à Fribourg (février-mars), dans le pays valaisan et vaudois qui, treize ans plus tôt, lui avait révélé la grandiose montagne suisse. Mais le contexte est désormais bien différent : les retrouvailles avec sa fille et son fils, devenus presque étrangers à leur père, sont glaciales. Senancour découvre, en outre, l’infidélité de son épouse qui, en son absence, s’est rendue à Lausanne pour mettre au monde un fils illégitime, Jacques-Hippolyte (7 janvier). Par la ruse et la menace, les Daguet intimeront plus tard à Senancour de reconnaître l’adultérin comme son propre fils. Frappé par ce surcroît de mésaventures, l’écrivain décide sans doute de fuir les commérages de Fribourg et de retisser un semblant de liens familiaux avec ses deux enfants trop souvent négligés (cf. la parabole de la lettre LX d’Oberman). Fort du pécule recueilli auprès des d’Houdetot – et peut-être de l’héritage d’un parent (cf. lettre LIIIdu roman de 1804) –, il songe à prendre son indépendance vis-à-vis de sa belle-famille (fin mai-début juin). À cet égard, le château de (Ts)chupru, grosse maison de maître rustique du xve siècle, sise à Saint-Sylvestre, à une dizaine de kilomètres de Fribourg, lui offre un nouveau refuge (cf. lettre LIV). Sur cette terre « patriarcale », ce « pré universel » bordé par la Gruyère, la Berra, le Cousimberg et le Jura, Senancour partage – probablement avec sa famille et/ou quelques amis – un goûter champêtre de fraises sauvages, de crème et de café. Mais même dans ce rare moment de bien-être (cf. lettre LIX), le solitaire inquiet pressent qu’il n’est pas « parmi [les convives] deux cœurs semblables » et que l’« intimité » ne sera que « momentanée » (ibid.). À (Ts)chupru, 36enfin, Senancour aurait poursuivi l’écriture d’Oberman (qui n’aurait donc pas été rédigé en totalité à Agy). Pour l’avenir, l’écrivain semble nourrir quelques timides espoirs de succès.
1803
Poursuite du séjour au château de Chupru (cf. lettre LIX d’Oberman). Signe qu’il rêve toujours d’une vie pastorale dans les hauts plateaux alpins, Senancour consigne dans son roman majeur : « Je viens de parcourir presque toutes les vallées habitables qui sont entre Charmey, Thun, Sion, Saint-Maurice et Vevey. » (Cf. lettre LX). De fait, l’écrivain solitaire, longeant la route menant à Villeneuve, traverse le col du Sanetsch et effectue plusieurs courses dans le Jorat, la Gruyère, la Singine, poussant parfois jusqu’au lac Noir, aux bains du Schwarzsee et dans le Val-de-Travers (cf. lettres LVII sqq. d’Oberman). L’échec de son mariage le conduit, au reste, à se séparer de son épouse et à regagner la France (octobre). Avant de quitter la Suisse, il fait paraître (à Lausanne ?) un Énoncé rapide et simple sur quelques considérations relatives à l’acte constitutionnel qui doit être proposé à la République helvétique (rédigé l’an X)– la Confédération, devenue République, venait effectivement d’être rattachée à la France –.
Fin 1803 – 1804
Senancour quitte définitivement la Suisse10 et rentre en France, où il fait venir ses deux enfants légitimes (octobre 1803). Alors qu’il séjourne quelque temps à Fontainebleau, il arpente la forêt en compagnie de sa fille (printemps 1804). Oberman, commencé en 1801 et rédigé en grande partie en Suisse pendant l’année 1802, paraît enfin chez Cérioux, précédé de l’épigraphe pythagoricienne : « Étudie l’homme, et non les hommes » (juin-juillet 1804). Mais le rêve de gloire littéraire ne tarde pas à s’étioler : l’ouvrage, dénué de « mouvement dramatique » et empreint de longues séquences mélancoliques, ne connaît aucun succès, confortant son auteur dans l’amertume et la misanthropie (cf. lettre LI du roman). Sa situation pécuniaire se dégrade.
371805
À peine publié, Senancour prend son roman Oberman en une aversion que rien ne pourra désarmer. Il songe même à le supprimer.
1806
Décès de l’épouse de Senancour, Marie Daguet, qui, restée en Suisse, est emportée, dans sa trente-septième année, par une maladie du foie (janvier). Par ailleurs, la première version de De l’Amour, considéré dans les lois réelles et dans les formes sociales de l’union des sexes, paraîtchez Cérioux et Bertrand (février-mars).L’ouvrage choque et vaut à son auteur un certain « succès de scandale ».
1807
Déménagement de Senancour du no 272 de la rue Sainte-Croix à la rue Jean-Jacques Rousseau. Publication chez Cérioux, Barba, Masson, Capelle et Renand de Valombré, comédie en cinq actes et en prose d’un misanthrope « qui n’est pas tout à fait de ce monde » (i, 1) et est entouré d’hommes légers cherchant à lui tendre des pièges. Dans l’épisode où le sage Valombré, apprenant sa nomination de sous-préfet, est saisi de scrupules devant l’exercice de l’autorité, on peut voir une transposition d’un événement de la vie de Senancour, auquel un poste similaire aurait été proposé sous l’Empire – probablement par l’entremise de Boufflers et de Lucien Bonaparte. L’intéressé, à l’image de son personnage, décline l’offre par pusillanimité et crainte des responsabilités. Toujours est-il que l’écrivain « attachait une médiocre importance » à sa pièce et « en rougissait même un peu », selon le critique J. Levallois. Il se garda donc bien de la répandre. Mlle de Senancour la passe d’ailleurs totalement sous silence.
1808
Parution de la deuxième version du De l’Amour (au sous-titre identique à la première) chez les éditeurs parisiens Capelle et Renand (16 mai). L’ouvrage donne lieu à un article violent et plein de mauvaise foi de la part de La Gazette de France,accusant l’auteur « de justifier des crimes et d’autoriser l’abandon le plus cynique à toute la dépravation que les sens 38peuvent conseiller » (10 juillet). L’écrivain, irrité, s’empresse d’exercer un droit de réponse (6 août), mais sa lettre, partiellement amputée avant d’être publiée, a été de surcroît remaniée par les rédacteurs du journal (8 août). Par la suite, Senancour désavouera cette seconde mouture de son livre.
1809
Parution des secondes Rêveries sur la nature primitive de l’homme chez Cérioux et Bertrand. Les « changements et additions considérables » évoqués par l’auteur viennent notamment du fait qu’une bonne moitié d’Oberman y est insérée et que l’accent religieux s’y révèle très pénétrant.
1810
Voyant son état de santé s’aggraver et sa gêne matérielle s’amplifier, Senancour, à mesure qu’il considère – amèrement – ses jeunes années irrévocablement perdues, est de nouveau en proie à une crise existentielle. S’interrogeant sur le sens de sa vie, l’écrivain, vieilli prématurément, fait sien le mot d’Oberman : « Vous le savez, j’ai le malheur de ne pouvoir être jeune. » (Cf. lettres I, XV, XXXVII et passim dans le roman de 1804). C’est aussi vers 1810 qu’il aurait entamé la rédaction de Notes intimes (récit de sa jeunesse, essai d’analyse morale, observations, souvenirs, bibliographie, etc.) destinées à devenir des « mémoires en quelque sorte intellectuels » (J. Levallois) et malheureusement demeurées très fragmentaires.
1811-1814
Dans cette période, deux manuscrits (respectivement publiés en 1816 et 1819) semblent être achevés ; il s’agit des Observations critiques sur l’ouvrage intitulé « Génie du christianisme » (terminées en 1811) et des premières Libres Méditations (prêtes dès 1813). Toutefois, aucun n’est publié, à tel point qu’on ignore la source des revenus de l’écrivain entre 1810 et 1812. Devant la dureté du quotidien, Senancour comprend qu’il ne pourra pas « vivre de sa plume » sans revoir ses exigences à la baisse et sans diversifier ses formes d’écriture. Entre autres « insipides incidents de sa carrière littéraire », il est contraint d’accepter des travaux « alimentaires » en participant par exemple à un Almanach de commerce chez La Tynna ou en rédigeant des plaidoyers pour une revue 39de jurisprudence, malgré son aversion pour les affaires et les débats juridiques. Au dire de sa fille, « ce fut un des supplices de sa vie » de troquer sa vision sacerdotale de l’écriture contre celle du livre comme objet de profit. Par ailleurs, grâce à Mercier, Jay, Nodier, Ballanche, Boisjolin ou Mme Dufresnoy, il découvre le journalisme, corollaire du « métier » d’écrivain qu’il a longtemps méprisé. Devenu un publiciste assidu, il donne régulièrement des contributions, des articles et des comptes rendus (parfois assez engagés) à plusieurs journaux, notamment au mensuel Mercure de France(septembre 1811-décembre 1814). Parmi ses apports au Mercure – dont Senancour indique qu’il choisissait lui-même les sujets ou les livres sur lesquels il voulait travailler –, on mentionnera : « Du style dans les descriptions » (septembre 1811), « Sur Fontainebleau » et « Extrait d’une dissertation sur le roman » (janvier 1812), ou encore « Des succès en littérature » (juillet 1813), article paradoxal où Senancour fait mention d’auteurs méconnus comme pour signifier son regret d’être resté dans l’oubli.
1814
Publication chez les marchands de nouveauté des premiers textes polémiques et brochures politiques de Senancour qui, quoique n’appartenant à aucun parti, prend une part active aux luttes politiques de son temps, s’appuyant sur une pensée essentiellement libérale. Paraît tout d’abord (4 juin) la Lettre d’un habitant des Vosges, sur MM. Buonaparte, de Chateaubriand, Grégoire Barruel, réponse virulente au De Buonaparte de Chateaubriand – dont il blâme l’opportunisme – conjuguée à une réflexion sur le génie de la nation française. Rédigée dans le même esprit, la Seconde et dernière lettre d’un habitant des Vosges lui fait suite (11 juin). Puis c’est au tour de Juin et Juillet 1814 de voir le jour (fin juin) : l’écrivain y fait part de son scepticisme envers la Restauration et de sa crainte d’assister au retour de l’absolutisme. Enfin, à travers les Simples observations soumises au Congrès de Vienne et au Gouvernement français par un habitant des Vosges (parues chez Delaunay), c’est un Senancour ardemment patriote et plein de mépris pour la vieille diplomatie qui se révèle. Dans son propos, il somme les pays vainqueurs de Napoléon Ier de ne pas rendre la France plus petite en 1814 qu’en 1791, de renoncer à la « balance européenne » et d’affirmer un juste équilibre de paix que garantirait une alliance entre la Russie, l’Angleterre et la France (12 novembre).
401815
Parution de deux autres plaquettes politiques. D’une part, le De Napoléon, édité chez Beaupré (1er avril), où Senancour, pendant les Cent-Jours, écrit de l’Empereur déchu – et néanmoins désigné comme le « le prince du siècle » – : « Il lui reste encore à manifester une pensée secrète, et à se montrer l’homme exactement juste, comme il s’est montré l’homme fort. […] Qu’il le soit donc ! qu’il achève par une heureuse conception, ou, si l’on veut, par une fantaisie sublime, le bel ouvrage de son audace et de sa fortune ! » D’autre part, Quatorze Juillet 1815, édité chez Lanoë (22 juillet), s’inscrit dans la continuité des Simples observations de 1814, consistant en « quelques lignes sur la situation de la France » et son « indépendance politique » vis-à-vis de l’Angleterre. Par l’entremise de son ami Jay, Senancour s’engage également dans une importante collaboration au journal libéral, bonapartiste et anticlérical Le Constitutionnel(fin octobre-début novembre), dans lequel il publie des comptes rendus de lecture comme celui sur La Monarchie sous la Maison de Bourbon de Montigny (1er novembre), ainsi que des articles sur les questions religieuses et de politique intérieure (19 novembre-19 décembre, etc.).
Mars 1816
Parution chez Delaunay des Observations critiques sur l’ouvrage intitulé « Génie du christianisme », suivies de quelques réflexions sur les écrits de M. de B[onald], etc., relatifs à la loi du Divorce,pamphlet ayant Chateaubriand pour cible. Probablement prêt dès 1811, Senancour retarda la publication de son manuscrit par égard pour son adversaire alors en disgrâce.
1816-1817
Pour fuir la misère de sa vie parisienne ainsi que les pressions de sa belle-famille déterminée à lui faire reconnaître l’enfant adultérin de son épouse (début 1816), notre écrivain part pour Marseille, où il ne reste que trois jours, sans pouvoir assister, du reste, au spectacle de la mer déchaînée (avril). Par la suite, il fait halte quelques mois dans le Gard, à Nîmes, puis se fixe au mas de la Figuière, à un kilomètre d’Anduze, pendant un an et demi, au cours duquel il jouit des agréments du pays 41méridional. C’est là, dans les Cévennes protestantes, qu’il aurait connu, lors d’une méditation en compagnie d’une société réformée, un moment d’apaisement suivi d’une crise religieuse décisive. Celle-ci l’aurait amené sinon à retrouver le chemin de la spiritualité dont il s’était si longtemps détourné, du moins à être attentif aux influences chrétiennes. Immergé dans la végétation cévenole et la dureté de ses paysages, son imagination s’en trouve définitivement marquée.
1818
Abandon du rêve de vie provinciale et retour à Paris (fin mars), que Senancour – habitant désormais 13 rue des Postes – ne devait plus quitter et qui allait sonner le glas de ses espoirs de prospérité. De surcroît, un parent éloigné, disposant de dix mille livres de rente, décide de déshériter l’écrivain (son héritier naturel) dans la gêne au profit de parents de sa femme déjà aisés (cf. lettres IVet XXVd’Oberman). Cette frustration et le désargentement qui s’ensuit sont à l’origine de « vingt années d’inquiétudes et de travaux souvent très contraires à ses goûts et qu’il supporta longtemps avec un grand courage », souligne Mlle de Senancour (cf. Simples documents). Cette précarité peut expliquer, pour partie, son intense collaboration au Constitutionnel, pour le compte duquel Senancour rédige près de 900 articles (généralement non signés) entre 1815 et 1829. En 1818 – année particulièrement riche en contributions journalistiques –, on retiendra par exemple les articles : « Des passions politiques et de l’ouvrage de Mme de Staël » (17 et 20 juin), ou « De l’ordre » (1er juillet), mais aussi les comptes rendus sur les « Œuvres complètes d’Helvétius » (8 juillet) et sur les « Œuvres complètes de J.-H. Bernardin de Saint-Pierre (…), par M. L. Aimé-Martin » (30 septembre).
Avril 1819
Publication chez Mongie et Cérioux de la première version des Libres Méditations d’un solitaire inconnu sur le détachement du monde et sur d’autres objets de la morale religieuse, sorte de « cours de morale » qui marque un tournant dans la pensée et la spiritualité de Senancour. Ce dernier, inspiré par Ballanche, est de plus en plus versé dans la mystique, à la recherche d’une religion universelle non dogmatique.
421820
Participation ponctuelle de Senancour au semi-périodique royaliste L’Observateur des colonies, où il publie, sous forme de feuilleton, un « Dialogue écrit en ancien grec par un correspondant de l’Académie Ionienne, et traduit par un Français à Argostoli où l’auteur s’est réfugié depuis le désastre de Parga ».
1820-1822
Collaboration éphémère – sous forme de comptes rendus d’ouvrages en tous genres – à L’Abeille (1821-1822), journal remplaçant La Minerve littéraire (1820-1821), où il avait donné « De la justesse en littérature » (1820), « Du génie » et deux études « Sur J.-J. Rousseau » (1821). Dans son ouvrage La Presse littéraire sous la Restauration, Ch.-M. Des Granges évoque les contributions de Senancour à ces journaux comme « fort peu romantique[s] dans [leur] critique » et empreintes d’un « style terne et lourd » (p. 80).
1823
Senancour sollicite du ministre de l’Intérieur, l’ultra Jacques-Joseph Corbière, une pension en qualité d’homme de lettres. Bien que le baron de Walckenaer intervienne en sa faveur, sa requête paraît n’avoir pas abouti.
1823-1827
Collaboration active au Mercure du xixe siècle, quotidien utilisant la littérature pour contourner la censure et aborder des sujets plus politiques. Senancour se distingue alors par un « esprit critique fort étroit […], terne, incolore, indécis, imprécis » (cf. Des Granges, op. cit., p. 130) dans nombre d’articles, dont on retiendra : « Considérations sur la littérature romantique », « Sur la tolérance » ou « Songe romantique » (1823), et « De la prose au xixe siècle » ou « Des fleurs » (1824). Cependant, cette activité journalistique ne suffisant pas à le nourrir, il accepte, parallèlement, d’insérer plusieurs portraits, vies et contributions dans la Biographie nouvelle des contemporains d’Arnault, Jay, Jouy (une centaine d’articles) et dans celle de Rabbe et de Boisjolin (environ 300 entrées de sa main), ainsi que de rédiger trois ouvrages de librairie à coloration 43historique chez Lecointe & Durey. Il s’agit successivement du Résumé de l’histoire de la Chine (1re éd. : 9 oct. 1824 ; 2e éd. : 19 fév. 1825), du Résumé de l’histoire des traditions morales et religieuses (1re éd. : 1er oct. 1825 ; 2e éd. : 31 mars 1827) et du Résumé de l’histoire romaine (14 juil. 1827, 2 vol.). Loin de la prose littéraire et philosophique d’Oberman, ces travaux sur l’histoire de l’humanité, la sagesse antique et les cultes orientaux, ont certes pu « détourn[er][Senancour] de sa voie naturelle » (cf. la « Notice biographique » de sa fille). Toutefois, par l’érudition qui y est déployée, ils ont aussi contribué à alimenter la quête mystique et théosophique de leur auteur.
Août 1827-janvier 1828
Procès dit « des Traditions morales et religieuses ». Attaqué sous le ministère Villèle en raison du syncrétisme de la figure du Christ (qualifié de « jeune sage ») et de l’irréligion contenue dans la seconde édition de son Résumé, Senancour est condamné à une forte amende11 et à neuf mois de prison (14 août 1827). Assisté par Me Berville qui assure sa défense avec zèle et éloquence, Senancour tient toutefois à prendre lui-même la parole pour plaider sa cause12. Il se voit finalement acquitté en cour d’appel sous le ministère Martignac (22 janvier 1828).
Fin 1828-été 1829
Collaboration à la Revue encyclopédique (octobre 1828-juillet 1829), journal mensuel ayant succédé au Magasin encyclopédique (1795-1816) puis aux Annales encyclopédiques (1817-1818) et abordant la connaissance humaine dans la diversité de ses objets et de ses progrès – ce qui dut assurément séduire un penseur polymathe comme Senancour. De plus, ce dernier renouvelle sa demande de pension (été 1829), qu’il adresse au baron de Walckenaer, devenu préfet de l’Aisne. Elle ne lui sera cependant accordée que quatre ans plus tard, après la « résurrection d’Obermann », en 1833.
441829
Parution de la troisième version du De l’Amour – sous-titré cette fois : « selon les lois primordiales et selon les convenances des sociétés modernes » –chez Vieilh de Boisjolin. Senancour prend parti dans la querelle du divorce, allant jusqu’à défendre l’union libre et certaines pratiques sexuelles jugées indécentes jusque lors. De nouveau, l’ouvrage rencontre un certain succès, mais sera désavoué par son auteur. Au reste, 1829 marque la fin probable de son travail de publiciste au Constitutionnel, avec d’ultimes articles préparés à la fin de l’été (septembre).
Septembre 1830
Parution des secondes Libres Méditations d’un solitaire inconnu sur divers objets de la morale religieuse,chez Vieilh de Boisjolin également (rééd. en 1834 chez Trinquart).
1831
Retour à Paris du fils de Senancour, Florian-Julien, intégré aux rangs de la Garde municipale de la ville (30 avril). Il se tient certainement à distance de son père, dans la vie duquel il semble ne pas avoir occupé une grande place ni trouvé beaucoup de tendresse.
1832
Parution dans LaRevue de Paris de l’article de Sainte-Beuve (22 janvier), qui contribue à faire sortir Obermann (désormais écrit avec deux « n ») de l’oubli et à le consacrer comme modèle de la génération romantique. Une amitié sincère et profonde se noue entre les deux hommes. Par ailleurs, Senancour entame une collaboration de courte durée (1832-1834) au journal de Charles Malo, La France littéraire, où il publie des articles à teneur littéraire et philosophique (novembre).
Fin 1832 – début 1833
Ambition de Senancour d’intégrer l’Académie des Sciences morales et politiques, organe de réflexion interdisciplinaire hérité de la Convention (rétabli par ordonnance royale du 20 octobre 1832) et avec lequel la ligne philosophique et religieuse de l’écrivain entretenait un réel « rapport 45d’objet » (cf. lettre de 1833 à M. Dupin). Ses différentes tentatives furent malheureusement toutes vaines. La première (4 décembre 1832) essuie un refus à la toute fin de l’année 1832 (29 décembre), nonobstant une candidature minutieusement préparée (rédaction d’une « Profession de foi » accompagnée d’« observations » et d’un descriptif de ses ouvrages) et les soutiens du président de l’Académie, M. Dupin, du frère de celui-ci, ainsi que de MM. de Gérando et de Schoenen. Quant à la deuxième (23 février 1833), elle reçoit la même sanction (6 avril). À noter également qu’en 1833, poussé par ses admirateurs et ses amis, Senancour envisage de présenter sa candidature à l’Académie Française. Mais en dépit d’appuis tels que Cousin et Boufflers qui lui eussent été favorables, il renonce à ce projet, en raison des visites d’écrivains qu’il aurait dû assumer, de son manque d’aisance à l’oral et surtout de sa crainte de l’équivoque eu égard à ses dispositions religieuses (cf. le procès des Traditions morales et religieuses en 1827).
1833
Réédition d’Obermann chez Abel Ledoux (fin mai-début juin), avec une préface de son bienfaiteur et ami Sainte-Beuve, qu’il invite à manger chez Foyot, avec Boisjolin, en témoignage de sa gratitude (18 juin). Cette deuxième édition, augmentée, suscite davantage d’engouement et même une petite flambée de gloire grâce à l’article de Nodier donné au Temps(21 juin) et surtout celui de George Sand, paru dans LaRevue des Deux Mondes (29 septembre). En outre, Thiers alloue à l’écrivain 1200 francs de pension – argent depuis longtemps escompté et donc le bienvenu –. Senancour, qui s’est retiré depuis quelques années dans son « ermitage » de la rue de la Cerisaie (près de l’Arsenal), reçoit sporadiquement la visite d’admirateurs et d’amis tels que David d’Angers, Ballanche, Sainte-Beuve ou George Sand. Cette bonne fortune, toutefois, ne parvient pas à le contenter : il est résolu à déconsidérer un succès survenant malgré lui et pour de mauvaises raisons. La même année sont édités le dernier roman de l’écrivain, Isabelle (chez Ledoux), pendant féminin d’Oberman(n) qui n’emporte guère l’adhésion du lectorat (27 juillet) ; le Petit Vocabulaire de simple vérité (rééd. en 1834 dans la « Bibliothèque populaire »), sorte de manuel de sagesse d’inspiration chinoise (28 septembre) ; ainsi qu’une ultime version des Rêveries (encore chez Ledoux) très différente des deux premières (19 octobre).
461834
Parution en deux volumes, chez Abel Ledoux, de la quatrième et dernière version du De l’Amour – sous-titré finalement « selon les lois premières et selon les convenances des sociétés modernes » (février-mars). Cette année 1834 consacre, de plus, l’entrée de Senancour à l’Institut historique (20 avril), en tant que membre titulaire de deuxième classe (histoire des sciences sociales et politiques). Sans doute introduit par Ballanche et Jouy, l’écrivain, auteur de résumés (cf. supra) et de nombreux articles à coloration historique, rejoint ladite société présidée par l’auteur de l’Histoire des croisades, Joseph-François Michaud, et où il retrouve d’illustres contemporains tels qu’Ampère, Geoffroy-Saint-Hilaire, Burnouf, Lacordaire, Lamennais, Michelet, etc. Pendant six ans, il assiste cependant à des assemblées « sans vitalité », où il ne fait vraisemblablement aucune communication (J. Levallois).
Début 1836
Ultime tentative (encore frappée d’insuccès) d’entrer à l’Académie des sciences morales et religieuses (janvier). Senancour s’adonne aussi à de petits travaux rédactionnels pour des ouvrages collectifs comme Fleurs sur une tombe (fin janvier-début février). Il compose aussi l’article « Clémence Robert » (mars) de la Biographie des femmes auteurs contemporains françaises coordonnée par Alfred de Montferrand.
1836-1838
Progression inquiétante de l’infirmité de Senancour – atteint d’une « goutte héréditaire », de paralysie ainsi que d’une affection nerveuse depuis son escapade malencontreuse dans les Alpes en 1789. Il voit son corps se déformer, perd l’usage de ses mains, peine à entendre et ne marche que difficilement13. Ne soutenant sa vie qu’à force de soins répétés, l’écrivain conservera toutefois jusqu’au bout son air de jeunesse et la finesse de ses traits.
471840
Troisième édition d’Obermann(février-avril) chez Charpentier avec une préface de George Sand (version rééditée par la suite en 1844, 1847, 1852, 1863, 1874). Pour fêter cette réédition, Senancour réunit quelques amis (George Sand, Sainte-Beuve, Philarète Chasles, etc.) au restaurant Joseph II, tenu par Foyot, à l’angle des rues de Tournon et de Vaugirard : il se montre toutefois si compassé et silencieux qu’aucun des convives n’ose parler. Par ailleurs, devant le risque de mésaise de l’écrivain – ce dernier ayant cessé d’écrire dans les journaux –, le ministre de l’Instruction publique et secrétaire perpétuel de l’Académie Française, Abel-François Villemain, ajoute à sa pension une « indemnité littéraire annuelle » de 1200 francs, portant alors la rente de Senancour à 2400 francs (26 février). C’est aussi vers 1840 qu’on situe, d’une part, son retrait de l’Institut historique (imputable à son âge avancé, son goût pour la solitude et le coût de la cotisation incompatible avec ses modestes moyens) et, d’autre part, l’interruption des Annotations encyclopédiques (certainement du fait de sa santé déclinante).
1841
Annonce de la nomination de Senancour au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur (1er mai) – décoration dont son fils, Florian-Julien, avait été récipiendaire neuf ans auparavant –, mais qui ne fut cependant pas confirmée par l’obtention de la croix. La même année, il voit aussi sa pension diminuée à 2000 francs sur ordre du ministre Duchâtel agissant « par suite d’embarras dans les finances », signale Mlle de Senancour. L’écrivain quitte le 33 de la rue de la Cerisaie pour s’installer au 26 de la place Royale (actuelle place des Vosges). Comble de malchance : au cours du déménagement, il voit brûler, par inadvertance, son manuscrit De la religion éternelle, auquel il était fort attaché. Sa fille notera que cette perte fut « pour [son père] un grand pas de fait vers la tombe, l’accomplissement de sa vie perdue ».
1843-1844
Notre écrivain fait publier au moins deux articles dans le journal fribourgeois L’Émulation – auquel collaboreront aussi Mlle de Senancour et son cousin, l’historien Alexandre Daguet –. La première contribution, 48intitulée « Souvenir des Alpes fribourgeoises », correspond, en fait, à un extrait de la lettre LIX d’Obermann précédé d’une notice bienveillante d’A. Daguet (juillet 1843). La seconde porte, quant à elle, « sur la demeure du Solitaire des Libres Méditations » (août 1844).
1844
Senancour, continûment assisté par sa fille devenue sa secrétaire zélée, s’occupe activement de remanier sa troisième version des Libres Méditations et de leur trouver un éditeur. Il mourra sans avoir revu son manuscrit, confié à un jeune professeur allemand en partance pour Berlin, et dont Béatrice Didier retrouva une partie en Finlande (éd. chez Droz-Minard en 1970). L’obsession de l’écrivain aspirant à survivre à travers son œuvre est ruinée, de même que son existence rongée par la mélancolie et la maladie.
10 janvier 1846
Décès de Senancour – alors pensionnaire d’un hospice de vieillards à Saint-Cloud – à l’âge de 76 ans, dans l’indifférence générale. En effet, peu de journaux daignent consacrer ne serait-ce que quelques lignes à l’événement – supplanté par la disparition de l’artiste J.-G. Deburau, qui faisait alors la une. De surcroît, rares sont les témoins à être présents à l’enterrement, excepté son ami intime Ferdinand Denis. Ainsi, dans la « Notice biographique » qu’elle dédie à son père, Mlle de Senancour note avec amertume : « Son enterrement se fit dans les conditions les plus obscures. […] Sur le marbre dressé à la tête d’une tombe, qui, par son isolement, au milieu des morts sans renom, rappelle la vie de celui qu’elle renferme, se trouvent gravés ces mots pris des Libres Méditations : “Éternité, deviens mon asile14” ».
49Sources
et prolongements bibliographiques
Nous indiquons ci-après quelques ouvrages et articles proprement biographiques que nous avons utilisés pour rédiger la présente chronologie et qui permettront au lecteur désireux de se familiariser avec la vie de Senancour d’en approfondir la connaissance.
Ouvrages monographiques
Bouyer, Raymond, Un contemporain de Beethoven : Obermann précurseur et musicien, Paris, Fischbacher, 1907.
[Il s’agit de la compilation d’une étude publiée en feuilleton dans Le Ménestrel, du 28 janvier au 18 mars 1906, puis dans son « supplément », du 12 août au 7 octobre de la même année.]
Didier (Le Gall), Béatrice, L’Imaginaire chez Senancour, Paris, Corti, 1966, 2 vol. Rééd. : Genève, Slatkine Reprints, 2011, 2 vol.
Finot, (Dr.) André, Essais de clinique romantique. Senancour ou le myopathique, Paris, Laboratoires Houdé, 1947.
Grenier, Jean, Les Plus Belles Pages de Senancour, Paris, Mercure de France, 1968.
Levallois, Jules, Une évolution philosophique au commencement du xixe siècle : Senancour, Paris, Picard, 1888.
Levallois, Jules, Un précurseur : Senancour – avec des documents inédits et un portrait, Paris, Champion, 1897.
Lévy, Zvi, Senancour, dernier disciple de Rousseau, Paris, Nizet, 1979.
[ N.-B. : voir notamment les chap. 2 et 3 de la Ire partie, respectivement p. 41-60 et 61-69.]
Merlant, Joachim, Bibliographie des œuvres de Sénancour – avec des documents inédits, Paris, Hachette, 1905.
Merlant, Joachim, Sénancour (1770-1846) : poète, penseur religieux et publiciste. Sa vie, son œuvre et son influence – documents inconnus ou inédits, Paris, Fischbacher, 1907. Rééd. : Genève, Slatkine Reprints, 1970.
Michaut, Gustave, Senancour, ses amis et ses ennemis. Études et documents, Paris, E. Sansot et Cie, 1909.
50Monglond, André, Le Journal intime d’Oberman, Grenoble et Paris, Arthaud, 1947.
Monglond, André, Le Mariage et la Vieillesse de Senancour. Senancour en Suisse (1789-1803) & lettres de Senancour à Ferdinand Denis (1832-1846), Château de Chupru (Fribourg), [s. n.][Imprimerie Daupeley-Gouverneur], 1931.
Pizzorusso, Arnaldo, Senancour, formazione intima, situazione letteraria di un preromantico, Florence, G. d’Anna, 1950.
Raymond, Marcel, Senancour. Sensations et révélations, Paris, Corti, 1965.
Senancour, Eulalie-Virginie de, Réplique à un mal avisé, Fontainebleau, E. Jacquin, 1858.
Törnudd, Alvar Saladin, Étienne Pivert de Senancour – en literaturhistorisk studie, Helsinki, Centraltryckeri, 1898.
Articles, notices et sections d’ouvrages
à caractère biographique
Anonyme [ non signé ] , « Appendice à la notice biographique de L’Émulation sur M. de Sénancour », L’Émulation [de Fribourg], vol. 5, no 8, 1846, p. 127-128.
Anonyme [ non signé ] , « Notice biographique sur M. de Sénancour, l’auteur d’Obermann et des Libres Méditations d’un Solitaire inconnu », L’Émulation [de Fribourg], vol. 5, no 3, 1846, p. 44-48.
Anonyme [non signé], « Senancour (E. P. de) », dans Antoine-Vincent Arnault, Antoine Jay, Étienne de Jouy, Jacques Marquet de Montbreton baron de Norvins et al. (dir.), Biographie nouvelle des contemporains, ou Dictionnaire historique et raisonné de tous les hommes qui, depuis la Révolution française, ont acquis de la célébrité par leurs actions, leurs écrits, leurs erreurs ou leurs crimes […], Paris, Librairie historique, 1820-1825, 20 vol., t. 19 (1825), p. 138-139.
Anonyme [non signé], « Sénancourt (Étienne Pivert de) », dans François-Xavier Feller, puis Charles Weiss et Claude-Ignace Busson (dir.), Biographie universelle, ou Dictionnaire historique des hommes qui se sont fait un nom par leur génie, leurs talents, leurs vertus, leurs erreurs ou leurs crimes [1781], nouvelle éd. revue et continuée, Paris, Leroux, Jouby et Cie, Gaume et Cie, 1847-1850, 8 vol., t. 7 (1849), p. 532.
Anonyme[non signé], « Senancour (P. T.) », dans Une société de gens et de lettres et de savants [Louis-Gabriel Michaud ?] (dir.), Biographie 51des hommes vivants, ou Histoire par ordre alphabétique de la vie publique de tous les hommes qui se sont fait remarquer par leurs actions ou leurs écrits, Paris, L.-G. Michaud, 1816-1819, 5 vol., t. 5 (1819), p. 355.
Baude, Michel, « Timidité et création littéraire : Étienne Pivert de Senancour », Travaux de linguistique et de littérature, Strasbourg, Centre de philologie et de littérature romanes de l’Université de Strasbourg, 1967, vol. 5, 2, p. 49-67. Repris dans Jeanne-Marie Baude (dir.), Le Moi à venir, avec une préface de Jean Gaulmier, Paris, Klincksieck, 1993, p. 119-142.
Bercegol, Fabienne, « Dossier/Chronologie », dans Oberman[1804], éd. critique par F. Bercegol, Paris, GF-Flammarion, 2003, p. 553-559.
B [ oug ] y, A[lfred] de, « Senancour (Étienne Pivert de) », dans Dr. Ferdinand Hoefer (dir.), Nouvelle biographie générale depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours […], puis Nouvelle biographie universelle, Paris, Firmin-Didot Frères, Fils et Cie, 1852-1866, 46 vol., t. 43 (1864), p. 744-746.
Braunschweig, Roger, « Deux amis et disciples : Senancour et Nodier », dans Hermann Hofer (dir.), Louis-Sébastien Mercier précurseur et sa fortune – avec des documents inédits, recueil d’études sur l’influence de Mercier, Munich, Fink, 1977, p. 155-196.
Bryant, David, « Senancour’s “Obermann” and the autobiographical tradition », Neophilologus, vol. 61, no 1, janv. 1977, p. 34-42.
Charpine, Albert, « Le platane de Sénancour », La Liberté [de Fribourg], no 119, 25 mai 1907, p. 3.
[ Cuisin, J.-P.-R. et Brismontier, G.-L.], « E. P. de Sénancour », dans le Dictionnaire des gens de lettres vivants – par un descendant de Rivarol, Paris, Chez les marchands de nouveautés, 1826, p. 249-254.
D [ eppin ] g, [Georges-Bernard], « Sénancour (Étienne Pivert de) », dans Louis-Gabriel Michaud et al. (dir.), Biographie universelle ancienne et moderne, ou Histoire par ordre alphabétique de la vie publique et privée de tous les hommes qui se sont fait remarquer par leurs écrits, leurs actions, leurs talents, leurs vertus ou leurs crimes[1811-1862], nouvelle éd. corrigée et considérablement augmentée, Paris et Leipzig, Mme C. Desplaces & M. Michaud – F.-A. Brockhaus, 1854-1865, 45 vol., t. 39, p. 50-52.
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52Dupin, Antoinette, « Études littéraires – M. de Senancour », Journal des femmes, 15 fév. 1835. Repris dans Gustave Michaut, Senancour, ses amis et ses ennemis. Études et documents, op. cit., p. 326-352.
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53Merlant, Joachim, « L’évolution religieuse de Sénancour », Revue d’histoire littéraire de la France, vol. 13, 1906, p. 381-426.
Merlant, Joachim, « Sénancour et Sainte-Beuve », suite d’articles parus dans LaRevue latine, no 2, janv.-fév. 1906, successivement p. 47-64, 243-256, 373-384, 441-448 et 508-512.
Mirecourt, Charles Jean-Baptiste et Jacquot dit Eugène de, Les Contemporains. Madame Clémence Robert, Paris, G. Havard, 1856, p. 36-43.
[ N.-B. : ces pages – critiquées par Mlle de Senancour dans sa Réplique à un mal avisé – offrent quelques détails intéressants sur la vie du vieux Senancour établi rue de la Cerisaie, ainsi que sur les rares visiteurs qu’il y reçut.]
Monglond, André, « La jeunesse de Senancour », Vies préromantiques, Paris, Éditions des Presses Françaises – Les Belles Lettres, collection « Études romantiques », no 5, 1925, p. 123-188.
Monglond, André, « Le mariage de Senancour », Jeunesses, Paris, Grasset, 1933, p. 217-285.
Monglond, André, « Senancour en Suisse (1789-1803) », Revue de littérature comparée, Paris, vol. 10, 1930, p. 634-678.
Monnoyer, Jean-Maurice, « Dossier/Chronologie », dans Obermann[3e éd.–1840], éd. critique par J.-M. Monnoyer, Paris, Gallimard, collection « Folio classique », 1984, p. 477-482.
Notices nécrologiques [anonymes – non signées] sur Senancour :
dans La Quotidienne, 14 janv. 1846 ;
dans Le Moniteur Universel, 15 janv. 1846 ;
dans Le Narrateur Fribourgeois, 27 janv. 1846 ;
dans L’Illustration, vol. 6, no 153, 31 janv. 1846.
Payne, William Morton, « A famous recluse. [Étienne de Senancour] », The Dial, Chicago, Jansen, McClurg et Cie, vol. 5, mai 1884-avril 1885, p. 8-9.
Pilon, Edmond, « Pyvert de Sénancour », L’Ermitage, juil. 1904, p. 215-234. Rééd. : Portraits français (xviie, xviiie et xixe siècles), Paris, E. Sansot et Cie, 1906, p. 123-149.
Pizzorusso, Arnaldo, « L’allusion biographique dans une lettre d’“Oberman” », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, no 19, mars 1967, p. 129-142.
Raemy, Tobie de, L’Émigration française dans le canton de Fribourg (1789-1798), Fribourg, Imprimerie de Fragnière Frères, 1935, p. 24, 27, 45, 59-62, 165-166 et 205-207.
54Raymond, Marcel, « Adieu à Senancour », LaNouvelle Revue française, no 158, fév. 1966, p. 283-290.
Raymond, Marcel, « Naissance d’un homme nommé Senancour », Journal de Genève (supplément littéraire), no 66, 19-20 mars 1966, p. 15.
S. [Guairard ?], « Variétés – Oberman. Lettres publiées par M. Senancour […] », Journal des débats, 26 et 27 août 1804, p. 1-4.
S [ abatier ] , A[uguste], « Variétés – L’évolution religieuse d’un épicurien [Senancour] », c. r. en deux parties de l’ouvrage de Jules Levallois [Un précurseur : Senancour], Journal de Genève, no 263 et 269, 7 et 14 nov. 1897, p. 2.
Sainte-Beuve, Charles-Augustin, « M. de Sénancour – 1832 », La Revue de Paris du 21 janv. 1832. Repris dans les Portraits contemporains[1846], nouvelle édition revue, corrigée et très augmentée, Paris, Michel-Lévy, 1870-1871, 5 vol., t. 1 (1870), p. 143-172.
Sainte-Beuve, Charles-Augustin, « M. de Sénancour – Obermann (1833) », Le National du 14 mai 1833. Repris dans les Portraits contemporains, op. cit., p. 173-197.
[ N.-B. : Le texte deviendra la préface de la seconde édition d’Obermann en 1833.]
Sainte-Beuve, Charles-Augustin, « Quatorzième leçon », Chateaubriand et son groupe littéraire sous l’Empire. Cours professé à Liège en 1848-1849[1860], 2e éd., Paris, Garnier frères, 1861, 2 vol., t. 1, p. 343-356 et 359-364.
[ N.-B. : selon le critique J. Levallois, les écrits de Sainte-Beuve susmentionnés se fondent partiellement sur les Notes intimes que Senancour avait commencées vers 1810 en vue de rédiger des « mémoires intellectuels ». Ces derniers ne virent jamais le jour. De surcroît, les dossiers constitutifs de ces Notes intimes (« Notes isolées, explication de certains faits et réflexions sous des rapports personnels », « Dates, etc. », « Notes pour les années 14 août 1789 – 31 décembre 1809 », « Observations personnelles », « Essai d’analyse morale personnelle », …), ont malheureusement subi de nombreuses suppressions – certaines imputables à Senancour lui-même – et demeurent à jamais lacunaires.]
Sand, George, « Obermann », La Revue des deux mondes, vol. 2, 15 juin 1833, p. 677-690.
[ N.-B. : le texte deviendra la préface de la troisième édition d’Obermann en 1840 chez Charpentier.]
55Senancour, Eulalie-Virginie de, « Notice biographique sur É. de Senancour écrite en 1850 »,
reproduite sous le titre « Vie inédite de Senancour » dans la Revue Bleue, 5e série, no 6, 11 août 1906, respectivement p. 97-100, 129-132, 165-169, 209-213, 243-247. Reprise dansGustave Michaut, Senancour, ses amis et ses ennemis. Études et documents, op. cit., p. 51-167.
[ N.-B. : composée de mémoire et parfois imprécise voire inexacte, la notice de Mlle de Senancour a été, grâce aux bons soins du critique G. Michaut, enrichie de variantes et d’éléments exhumés des dossiers littéraires de Sainte-Beuve et intitulés « Simples documents pour des articles biographiques sur M. de Senancour » et « Supplément à ces notes biographiques trop insuffisantes ». Ces manuscrits, aujourd’hui détenus par la Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg, sont recensés sous les cotes D. 1998, L. 590 et L 591.]
Texte, Joseph, « La jeunesse de Sénancour, d’après des documents inédits », Modern Language Quarterly, nov. 1898, p. 202-206.
Tharaud, Jérôme et Jean, « Senancour », LaRevue de Paris, no 9, sept. 1947, p. 3-10.
Vasseur, Jean-Marc, « Étienne Pivert de Senancour dans le Valois », Revue d’histoire littéraire de la France, vol. 115, 2015, p. 169-189.
Verdeau, Abel et Louat, Félix, « Un poète philosophe : Étienne de Senancourt (1770-1846) [art. en deux parties] » et « L’esprit et l’œuvre de Senancour », cycle de conférences des 9 avril, 12 mai et 13 oct. 1938, Comptes rendus et mémoires de la société d’histoire et d’archéologie de Senlis, vol. 5 (1934-1939), 1940, respectivement p. 133-136, 140-142 et 153-156.
Vieilh de Boisjolin, Claude-Augustin, « Senancour (É. P. de) », notice biographique parue dans Alphonse Rabbe, Pierre-Martin-Rémi Aucher-Éloy, Claude-Augustin Vieilh de Boisjolin, Charles-Claude Binet de Sainte-Preuve (dir.), Biographie universelle et portative des contemporains, ou Dictionnaire historique des hommes vivants et des hommes morts depuis 1788 jusqu’à nos jours […][1826-1830], Paris, F. G. Levrault, 1834, 5 vol., t. 4, p. 1311-1313. Reproduite dans Gustave Michaut, Senancour, ses amis et ses ennemis. Études et documents, op. cit., p. 167-179.
Vieilh de Boisjolin, Claude-Augustin, « Vie de Senancour », notice biographique non datée et retrouvée dans les dossiers de Sainte-Beuve, 56publiée successivement dans André Monglond, Le Mariage et la Vieillesse de Senancour, op. cit. ; dans Id., Jeunesses, op. cit., p. 286-294 ; et reprise dans Oberman, éd. critique par F. Bercegol, op. cit., p. 495-506.
[ N.-B. : certes rédigée par Vieilh de Boisjolin, mais vraisemblablement dictée à ce dernier par Senancour lui-même – dont on sait qu’il était désireux de fixer son image et de remédier aux interprétations erronées de son œuvre –, cette notice, gage de sincérité et de précision, vise à éclairer de l’intérieur les années d’errance du jeune écrivain entre la France et la Suisse jusqu’en 1804 et partant, la genèse de son roman Oberman.]
1 Sur la question des affinités et des dissemblances entre Senancour et Oberman, nous recommandons la lecture des articles de David Bryant (« Senancour’s “Obermann” and the autobiographical tradition ») et d’Arnaldo Pizzorusso (« L’allusion biographique dans une lettre d’“Oberman” »), ainsi que de la remarquable étude d’André Monglond : Le Journal intime d’Oberman. Pour les références, voir infra en bibliographie.
2 J. Merlant, Sénancour (1770-1846), Poète, penseur religieux et publiciste. Sa vie, son œuvre, son influence, Paris, Fischbacher, 1907, p. 52.
3 Sur la question de la particule (faussement) nobiliaire de la famille Pivert, voir B. Didier (Le Gall), L’Imaginaire chez Senancour, Paris, Corti, 1966, 2 vol., t. 1, p. 19 sq. – Cet engouement pour l’aristocratie relèverait moins d’un sentiment d’emphase ou de fatuité que d’une volonté de se distinguer des autres membres de la famille et de cultiver le raffinement d’ordinaire associé à la classe noble.
4 Lieu-dit dépendant de la commune de Cahaignes (N.E. de l’Eure), « Sénancourt » (dont le nom est attesté dès 1239 sous la forme « de Saisnencourt » [sic]) compte une vingtaine d’habitants et abrite un manoir du xviiie siècle. (Cf. Louis-Étienne Charpillon et Anatole Caresme, Dictionnaire historique de toutes les communes du département de l’Eure, Les Andelys, Chez Delcroix, 1868-1879, 2 vol., t. 1, p. 635-636). – À noter, par ailleurs, l’existence d’un village « Senancour » (en réalité : « Senoncourt[-les-Maujouy]) dans la Meuse, où, selon un critique, la famille de l’écrivain aurait ses origines » (Cf. Gustave Michaut, Senancour, ses amis et ses ennemis, Paris, Sansot et Cie, 1909, p. 109, n. 2). – Longtemps, l’écrivain s’interrogea sur les motifs ayant conduit son père à s’être accolé le nom de « Senancour » plutôt qu’un autre. En vain. Faute de mieux, il se borna à recopier littéralement le passage idoine des Rues de Paris dans ses notes de lecture : « Hameau à dix-huit lieues de Paris, près de Requiecourt, route de Rouen par Pontoise et Magny. » (Cf. Annotations encyclopédiques, art. « Sénancourt », p. 320 [ms.]). – Du point de vue de l’onomastique, le toponyme « Sénancour(t) » semble dériver du radical celte « *(S)enan » ou « *(S)nant » caractérisant un espace vallonné baigné par un cours d’eau (une sagne par exemple), associé au suffixe « *court » signifiant l’habitation. Étymologiquement parlant, le nom « Sénancour(t) » désignerait donc un vallon marécageux habité, au bord d’une rivière. (Cf. sur ce point : Jean-Baptiste Bullet, Mémoires sur la langue celtique […], Besançon, Chez C.-J. Daclin, 1754-1760, 3 t. en 2 vol., t. 3, p. 185).
5 Sur cette profession, voir Pierre Le Roy, Mémoires concernan[t]s le Contrôle des rentes […], Paris, Lemercier, 1717, p. 40 : « Officiers présents au paiement dont ils tiennent registres […], les contrôleurs sont tierces personnes préposées pour la Sûreté publique, entre les receveurs payeurs et les rentiers ». – Le Minutier central précise leurs activités : dépôts de pièces, de procurations, de quittances à l’État, de mainlevées, etc.
6 Senancour se rendra encore aux Basses-Loges en 1786 et 1788, à une époque où les bois de Fontainebleau commencent à être aménagés et davantage fréquentés. En 1786, alors que de nombreux pins sont plantés sur les étendues sablonneuses de la forêt, il assiste, impuissant et désenchanté, à la transformation de la nature vierge en une nature cultivée et domestiquée par l’Homme (cf. lettre XXV d’Oberman). – À noter également qu’en hommage à l’écrivain, l’association des « Amis de la Forêt » et l’administration forestière ont scellé, en mai 1931, une médaille à l’effigie de Senancour dans la pierre du rocher d’Avon, au beau milieu des bois de Fontainebleau (secteur ouest, parcelle no 34, sentier no 10). Sauvage et mélancolique, cette grotte imposante (baptisée par Denecourt « Manoir d’Obermann », en référence à la lettre XII du roman) aurait constitué le repaire méditatif de l’écrivain solitaire dans ses errances de jeunesse (cf. son article « Sur Fontainebleau » dans Le Mercure de France de janvier 1812).
7 B. Didier (Le Gall), L’Imaginaire chez Senancour, op. cit., t. 1, p. 110. – Les trois enfants du couple furent baptisés à l’église de Givisiez, soit parce que Marie Daguet préférait accoucher à la campagne, soit en raison du statut d’émigré de Senancour qui ne lui permettait peut-être pas de vivre à Fribourg sans autorisation officielle.
8 On note aussi des allusions au pays de Grindelwald, aux vallées de Schwitz et de Glaris, au Righi, au Titlis, au Sargans, à l’Appenzell, etc., qui laissent supposer une connaissance de certaines contrées suisses davantage livresque que vécue.
9 A. Monglond, « Le mariage de Senancour », dans Jeunesses, Paris, Grasset, 1933, p. 246-247. – D’après le critique, il faudrait distinguer deux tentatives d’empoisonnement de Senancour par Favre : la première, vraisemblablement en 1793, à Berne ; et la seconde, peut-être en 1794, en présence de la belle-sœur de l’écrivain.
10 De fait, il n’accompagnera pas sa fille à Fribourg en 1828 ni en 1834. La page suisse est bel et bien tournée.
11 Une incertitude subsiste quant au montant exact de l’amende : elle se serait élevée à 300 francs selon Le Constitutionnel et Le Courrier français, et à 500 francs selon le Journal des débats (22-23 janv. 1828) et la Gazette des tribunaux (23 janv. 1828).
12 Voir les deux discours (respectivement datés du 8 août 1827 et du 22 janvier 1828) prononcés par Senancour pour assurer sa défense, dans B. Didier (Le Gall), L’Imaginaire chez Senancour, op. cit., t. 2, p. 471-481.
13 Sur la souffrance physique et morale, et l’avancée de la maladie de Senancour, voir Dr. André Finot, Senancour ou le myopathique. Essais de clinique romantique, Paris, Laboratoires Houdé, 1947 ; et B. Didier (Le Gall), L’Imaginaire chez Senancour, op. cit., t. 1, p. 481-493.
14 Sur la description, l’état d’abandon et le devenir menacé de la sépulture clodoaldienne de l’écrivain, voir G. Saintville, « La tombe de Senancour », Journal des débats politiques et littéraires, 23 juillet 1938, p. 2.
- CLIL theme: 3440 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- XIXe siècle
- ISBN: 978-2-406-06497-8
- EAN: 9782406064978
- ISSN: 2258-8825
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-06497-8.p.0058
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 01-07-2019
- Language: French