[Introduction à la troisième partie]
- Mention spéciale du jury pour le prix de thèse de l'université Paris Sciences & Lettres
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Science ou métaphysique ?. La philosophie de l'esprit au Royaume-Uni (1850-1900)
- Pages : 331 à 333
- Collection : Histoire et philosophie des sciences, n° 30
La vie réelle de l’homme est déterminée par la nature de son organisme physique et non par celle de sa personne. La vie idéale qui aurait correspondu à sa nature spirituelle, il ne peut l’atteindre, car elle contredit à la nature et aux conditions de sa vie physique. Prenant conscience de ces contradictions temporelles et les éprouvant au plus profond de lui-même, l’homme en arrive nécessairement à sentir qu’il est une énigme dans l’univers1.
La thèse générale de l’automatisme est dominante chez les défenseurs d’une étude scientifique de l’esprit, nourrie de physiologie cérébrale. La conférence de Huxley l’a rendue célèbre, et a déterminé le contenu des débats de philosophie de l’esprit jusqu’à la fin du siècle. Toutefois, l’automatisme ne fait pas l’unanimité : il ne s’agit en rien d’une thèse à laquelle tous adhèrent, malgré les efforts des automatistes pour montrer qu’il s’agit de la seule option scientifiquement tenable. Bien entendu, les automatistes se voient opposer l’objection de l’indépendance de l’esprit vis-à-vis du corps, ainsi que celle de la liberté et de la responsabilité humaines, qui reposent en dernière instance sur l’efficacité d’une volonté libre. Mais les réticences et oppositions ne se fondent pas seulement sur des arguments de nature métaphysique et morale. Au sein même du monde scientifique, certaines voix s’élèvent pour critiquer l’épiphénoménisme. Cette critique montre d’une part que l’appartenance au mouvement de la philosophie psychophysiologique n’implique pas obligatoirement une adhésion à l’automatisme. D’autre part, ces critiques montrent aussi le caractère central et structurant de l’automatisme dans les débats concernant le problème corps-esprit dans la deuxième moitié du xixe siècle britannique. Qu’on la critique ou qu’on l’adopte, 332la thèse épiphénoméniste structure les débats, en dicte les termes, exige une prise de position à son égard. Ainsi, cette partie a pour objet de montrer que le mouvement de la philosophie psychophysiologique ne se réduit pas aux seuls épiphénoménistes, mais est traversé par des débats et désaccords internes. Toutefois, la thèse épiphénoméniste est en position de force : les auteurs que nous allons présenter défendent des thèses différentes, mais ne réfutent pas ou ne se critiquent pas mutuellement. Ils ne prennent position que par rapport à l’épiphénoménisme, et par rapport aux études métaphysiques de l’esprit. Cela nous permet d’établir que la thèse automatiste est un rouage central, mais non définitionnel, de la philosophie psychophysiologique.
Nous analyserons dans un premier chapitre les positions alternatives qui ont pour point commun de conserver l’efficacité causale de la volonté. Alexander Bain et William Carpenter ne considèrent pas qu’une étude des phénomènes mentaux nourrie de physiologie cérébrale mène inéluctablement à la remise en cause de l’efficience du mental. Alexander Bain ne prend pas ouvertement position vis-à-vis de l’automatisme, mais ses études de psychologie proposent un modèle alternatif dans lequel la volonté n’est pas mise au ban. William Carpenter quant à lui rejette avec véhémence la thèse automatiste, qu’il considère comme contraire au sens commun. Il inverse la charge de la preuve en montrant que les épiphénoménistes considèrent l’efficacité de la volonté comme une illusion, sans expliquer cette illusion. Dans un second temps, nous présenterons les critiques de l’épiphénoménisme proposées par des auteurs qui ont en commun d’adopter finalement la position moniste d’une identité psychophysique. George Henry Lewes et George Romanes adoptent tous deux une position moniste, mais surtout ils partagent chacun avec Huxley des thèses philosophiques ou scientifiques centrales. George Henry Lewes rejette la différence entre les mouvements réflexes et les mouvements volontaires, considérant que ces mouvements doivent admettre un seul et unique modèle explicatif. George Romanes quant à lui adopte et défend l’agnosticisme. Et pourtant, la grande proximité théorique avec Huxley ne mène pas ces deux auteurs à adopter l’automatisme, nous allons donc expliquer les raisons de ce rejet. Enfin, dans l’épilogue, nous ouvrirons l’analyse à d’autres personnalités du monde scientifique, qui ne font pas partie intégrante du mouvement que nous avons identifié, mais proposent tout de même une réfutation de l’automatisme. Cela 333nous permettra une nouvelle fois de montrer que l’opposition souvent avancée et volontairement dramatisée entre religion et science doit être problématisée et affinée, et que le camp des « scientifiques » est tout sauf uni et unifié.
1 Nesmélov, Victor, La science de l’homme, cité par Zenkovsky, Basile, Histoire de la philosophie russe, tome II, Paris, Gallimard, 1955.
- Thème CLIL : 3126 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie
- ISBN : 978-2-406-14623-0
- EAN : 9782406146230
- ISSN : 2260-9873
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14623-0.p.0331
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 03/05/2023
- Langue : Français