Avant-propos
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Romanesques
2021, n° 13. Numérique et romanesque - Auteurs : Adler (Aurélie), Reffait (Christophe)
- Pages : 11 à 13
- Revue : Romanesques
AVANT-PROPOS
L’année 2021 sera pour Romanesques une année numérique. Non pas pour les raisons que nous connaissons tous et sur lesquelles revient amèrement ici la postface de Charline Pluvinet, c’est-à-dire la condamnation pour raison sanitaire de la recherche, de l’enseignement et du suivi des étudiants à des expédients « distanciels » qui sont la négation de l’esprit de l’écriture numérique. Mais parce que ce numéro de printemps sur « Numérique et romanesque », confié à nos collègues Gaëlle Debeaux et Charline Pluvinet et d’ailleurs largement rennais, va former une paire intéressante avec le numéro sur « Jeu vidéo et romanesque » à paraître cet automne, issu du colloque des 4 et 5 février organisé par Isabelle Hautbout et Sébastien Wit à Amiens (entendons une Amiens virtualisée par Zoom et Discord). Il y a d’ailleurs une zone d’intersection entre les deux volumes : Sébastien Wit signe un article dans le présent numéro, où l’on réfléchit aussi au romanesque des jeux de rôle en ligne.
Que Romanesques accueille la recherche vive et profonde qui se déploie sur les écritures numériques n’allait pas de soi : c’était pour les coordinatrices du dossier et les contributrices et contributeurs s’obliger à annuler ou contraindre toute velléité d’illustration ; c’était publier dans une revue qui obéit à un protocole de mise en ligne de ses contenus différent de celui des revues en ligne dont ces collègues sont coutumières et coutumiers, ou différent du principe des archives ouvertes. Symétriquement, il était étrange pour nous, relectrice et relecteur soumis à un certain nombre de normes éditoriales, de devoir veiller à la « désactivation » systématique de tous les hyperliens contenus dans les notes de bas de page, avec le sentiment étrange de mettre un arbre en pot ou d’opérer une « rétromédiation » forcée, hélas un peu différente de celle que commente ici Laurence Perron. Mais avec aussi parfois le sentiment plus rassérénant, même si un peu illusoire, de contribuer par cette revue-papier à fixer un état du champ, de photographier à l’hiver 2020-2021 une partie de cette création littéraire et transmédiale qui s’expose à un vrai problème 12de conservation (pour ne pas dire de patrimonialisation, terme que Cécile Portier balaierait probablement en même temps que l’idée de désauctorialisation), parce qu’il s’agit d’une création fragile, parfois née de l’éphémère, grandie dans la grâce des interactions, renforcée par son astucieux aïkido face aux plateformes, mais à la recherche de solutions pérennes pour échapper au « devenir vestige » dont parle Loïse Lelevé. Nous nous sommes demandé si ce génie-là, qui d’une part connaît sa fragilité et d’autre part rencontre, tout comme le jeu vidéo d’ailleurs, le problème de la finitude sur lequel s’entretiennent Cécile Portier et Loïse Lelevé, n’avait pas un rapport profond avec la notion de conversation, telle qu’on peut l’envisager de Boccace à Proust, du devis dans lequel s’ente l’esprit de la littérature.
Notre affaire était cependant avant tout de mesurer ce que nos amies et amis numériques avaient à nous dire du romanesque. Or nous avons mesuré avec joie la remarquable adéquation de la notion à ce qui se joue dans l’écriture numérique, qu’il s’agisse de l’aborder sous l’angle de l’histoire littéraire comme le fait Sébastien Wit remontant aux écritures machiniques de l’Oulipo, ou qu’il s’agisse de l’étudier sous l’angle des prolongements narratifs autorisés par les plateformes et les réseaux sociaux. De l’invention de soi permise par les réseaux sociaux analysée par Françoise Cahen aux réinventions de personnages romanesques sur les forums RPG (role playing game) examinés par Oanez Hélary, on interroge le dosage romanesque de l’avatar. Du roman-feuilleton sur Twitter étudié par Jade Pétrault ou encore des séries écrites pour Instagram par Thomas Cadène et Joseph Safieddine à la dystopie co-animée sur Facebook et ici commentée par Alexandra Saemmer : autant de fictions non seulement romanesques mais aussi métaleptiques, amendant la notion d’immersion fictionnelle et mettant en jeu un véritable effet de lecture romanesque, celui qu’étudie Nathalie Brillant Rannou en se posant finalement la question essentielle de savoir si ce romanesque de l’amorce, de la promesse, est senti parce que nous connaissons les livres ou bien s’il est, en quelque sorte, transcendant. Force est de constater la robustesse de la définition principale que donne Roland Barthes du romanesque – ou de l’une des définitions qu’il en donne, aux côtés de celles que rappelle ici Laurence Perron – définition que rappelle d’emblée Laurent Demanze en revenant sur l’aspiration de Barthes à un romanesque détaché du roman.
13Car un intéressant écho s’installe ici finalement entre les varia qui prennent traditionnellement place en tête des numéros de printemps de Romanesques et le dossier qu’ont coordonné Gaëlle Debeaux et Charline Pluvinet : l’article de Laurent Demanze sur le romanesque de l’archive, hommage à Michael Sheringham, s’interroge sur ce romanesque hors du roman qui fait signe dans l’archive, et touche à une problématique qui se rencontre ailleurs dans le volume, témoin les réflexions de Jade Pétrault sur fait et fiction. Nous avons noté aussi l’intéressant écho qui s’installe entre la réflexion de Laurent Demanze et le romanesque de l’enquête sur lequel Loïse Lelevé interroge Cécile Portier à propos de son œuvre Étant donnée, le « romanesque indiciaire » apparaissant comme une dimension essentielle de cette création numérique, de même que l’enquête est le ressort des docufictions numériques en bande-dessinée qu’étudient d’emblée René Audet et Aude Meunier en réfléchissant à la distinction entre storytelling et romanesque. Quant à la réflexion sur le romanesque psychologique dans Une page d’amour de Zola comme mise en sourdine de l’explication et de l’analyse, elle trouve un curieux et vivifiant prolongement dans ce qui se dit, d’un bout à l’autre du dossier, de la représentation ou de la mise en question dans les œuvres numériques d’une illisibilité de l’identité à l’ère des big data. Nous saluons donc la parution de ce numéro coordonné par Gaëlle Debeaux et Charline Pluvinet et lui souhaitons beaucoup de succès tant sous sa forme papier que dans sa diffusion en ligne.
Aurélie Adler
et Christophe Reffait
Axe « Roman & Romanesque » / CERCLL
Université de Picardie Jules Verne
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-11906-7
- EAN : 9782406119067
- ISSN : 2271-7242
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11906-7.p.0011
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 03/06/2021
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français