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Classiques Garnier

Avant-propos

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Romanesques
    2021, n° 13
    . Numérique et romanesque
  • Auteurs : Adler (Aurélie), Reffait (Christophe)
  • Pages : 11 à 13
  • Revue : Romanesques
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406119067
  • ISBN : 978-2-406-11906-7
  • ISSN : 2271-7242
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11906-7.p.0011
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 03/06/2021
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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AVANT-PROPOS

Lannée 2021 sera pour Romanesques une année numérique. Non pas pour les raisons que nous connaissons tous et sur lesquelles revient amèrement ici la postface de Charline Pluvinet, cest-à-dire la condamnation pour raison sanitaire de la recherche, de lenseignement et du suivi des étudiants à des expédients « distanciels » qui sont la négation de lesprit de lécriture numérique. Mais parce que ce numéro de printemps sur « Numérique et romanesque », confié à nos collègues Gaëlle Debeaux et Charline Pluvinet et dailleurs largement rennais, va former une paire intéressante avec le numéro sur « Jeu vidéo et romanesque » à paraître cet automne, issu du colloque des 4 et 5 février organisé par Isabelle Hautbout et Sébastien Wit à Amiens (entendons une Amiens virtualisée par Zoom et Discord). Il y a dailleurs une zone dintersection entre les deux volumes : Sébastien Wit signe un article dans le présent numéro, où lon réfléchit aussi au romanesque des jeux de rôle en ligne.

Que Romanesques accueille la recherche vive et profonde qui se déploie sur les écritures numériques nallait pas de soi : cétait pour les coordinatrices du dossier et les contributrices et contributeurs sobliger à annuler ou contraindre toute velléité dillustration ; cétait publier dans une revue qui obéit à un protocole de mise en ligne de ses contenus différent de celui des revues en ligne dont ces collègues sont coutumières et coutumiers, ou différent du principe des archives ouvertes. Symétriquement, il était étrange pour nous, relectrice et relecteur soumis à un certain nombre de normes éditoriales, de devoir veiller à la « désactivation » systématique de tous les hyperliens contenus dans les notes de bas de page, avec le sentiment étrange de mettre un arbre en pot ou dopérer une « rétromédiation » forcée, hélas un peu différente de celle que commente ici Laurence Perron. Mais avec aussi parfois le sentiment plus rassérénant, même si un peu illusoire, de contribuer par cette revue-papier à fixer un état du champ, de photographier à lhiver 2020-2021 une partie de cette création littéraire et transmédiale qui sexpose à un vrai problème 12de conservation (pour ne pas dire de patrimonialisation, terme que Cécile Portier balaierait probablement en même temps que lidée de désauctorialisation), parce quil sagit dune création fragile, parfois née de léphémère, grandie dans la grâce des interactions, renforcée par son astucieux aïkido face aux plateformes, mais à la recherche de solutions pérennes pour échapper au « devenir vestige » dont parle Loïse Lelevé. Nous nous sommes demandé si ce génie-là, qui dune part connaît sa fragilité et dautre part rencontre, tout comme le jeu vidéo dailleurs, le problème de la finitude sur lequel sentretiennent Cécile Portier et Loïse Lelevé, navait pas un rapport profond avec la notion de conversation, telle quon peut lenvisager de Boccace à Proust, du devis dans lequel sente lesprit de la littérature.

Notre affaire était cependant avant tout de mesurer ce que nos amies et amis numériques avaient à nous dire du romanesque. Or nous avons mesuré avec joie la remarquable adéquation de la notion à ce qui se joue dans lécriture numérique, quil sagisse de laborder sous langle de lhistoire littéraire comme le fait Sébastien Wit remontant aux écritures machiniques de lOulipo, ou quil sagisse de létudier sous langle des prolongements narratifs autorisés par les plateformes et les réseaux sociaux. De linvention de soi permise par les réseaux sociaux analysée par Françoise Cahen aux réinventions de personnages romanesques sur les forums RPG (role playing game) examinés par Oanez Hélary, on interroge le dosage romanesque de lavatar. Du roman-feuilleton sur Twitter étudié par Jade Pétrault ou encore des séries écrites pour Instagram par Thomas Cadène et Joseph Safieddine à la dystopie co-animée sur Facebook et ici commentée par Alexandra Saemmer : autant de fictions non seulement romanesques mais aussi métaleptiques, amendant la notion dimmersion fictionnelle et mettant en jeu un véritable effet de lecture romanesque, celui quétudie Nathalie Brillant Rannou en se posant finalement la question essentielle de savoir si ce romanesque de lamorce, de la promesse, est senti parce que nous connaissons les livres ou bien sil est, en quelque sorte, transcendant. Force est de constater la robustesse de la définition principale que donne Roland Barthes du romanesque – ou de lune des définitions quil en donne, aux côtés de celles que rappelle ici Laurence Perron – définition que rappelle demblée Laurent Demanze en revenant sur laspiration de Barthes à un romanesque détaché du roman.

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Car un intéressant écho sinstalle ici finalement entre les varia qui prennent traditionnellement place en tête des numéros de printemps de Romanesques et le dossier quont coordonné Gaëlle Debeaux et Charline Pluvinet : larticle de Laurent Demanze sur le romanesque de larchive, hommage à Michael Sheringham, sinterroge sur ce romanesque hors du roman qui fait signe dans larchive, et touche à une problématique qui se rencontre ailleurs dans le volume, témoin les réflexions de Jade Pétrault sur fait et fiction. Nous avons noté aussi lintéressant écho qui sinstalle entre la réflexion de Laurent Demanze et le romanesque de lenquête sur lequel Loïse Lelevé interroge Cécile Portier à propos de son œuvre Étant donnée, le « romanesque indiciaire » apparaissant comme une dimension essentielle de cette création numérique, de même que lenquête est le ressort des docufictions numériques en bande-dessinée quétudient demblée René Audet et Aude Meunier en réfléchissant à la distinction entre storytelling et romanesque. Quant à la réflexion sur le romanesque psychologique dans Une page damour de Zola comme mise en sourdine de lexplication et de lanalyse, elle trouve un curieux et vivifiant prolongement dans ce qui se dit, dun bout à lautre du dossier, de la représentation ou de la mise en question dans les œuvres numériques dune illisibilité de lidentité à lère des big data. Nous saluons donc la parution de ce numéro coordonné par Gaëlle Debeaux et Charline Pluvinet et lui souhaitons beaucoup de succès tant sous sa forme papier que dans sa diffusion en ligne.

Aurélie Adler
et Christophe Reffait

Axe « Roman & Romanesque » / CERCLL

Université de Picardie Jules Verne