Avant-propos
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Romanesques Revue du Cercll / Roman & Romanesque
2017, n° 9. Le roman français vu de l’étranger - Auteur : Reffait (Christophe)
- Pages : 11 à 14
- Revue : Romanesques
Avant-propos
Avec son dossier sur « Le roman français lu de l’étranger », ce nouveau numéro de Romanesques s’inscrit dans une logique comparatiste déjà illustrée par le Hors-série de 2013 sur « Europe du roman, romans de l’Europe », coordonné par Carlo Umberto Arcuri. Ici cependant, il ne s’agit plus d’évaluer la contribution du genre romanesque à la construction de l’espace culturel européen, mais la présence du roman français autour du monde. Bien sûr, l’étude ne se prétend nullement exhaustive ni systématique, abandonnant toute prétention statistique aux bureaux du livre français et préférant pointer, çà et là, des singularités, qu’il s’agisse des adaptations très politiques du Comte de Monte-Cristo en Corée durant la première moitié du xxe siècle ou de l’importation du roman policier francophone en Hongrie entre 1960 et 1990. Certains articles du dossier prennent toutefois un tour quantitatif, pour évaluer la pénétration du roman français en Suède ou en Jordanie par exemple. Au bout du compte, malgré la discontinuité assumée des études rassemblées par Catherine Grall, nous voyons se dégager les références canoniques qui souvent représentent le roman français à l’étranger : Madame Bovary et L’Étranger – deux des romans français les plus traduits dans le monde, malgré leurs difficultés respectives –, ainsi que le Nouveau Roman et le « nouveau nouveau roman » d’Echenoz. Certains articles complètent ce tableau en soulignant la part de Duras ou Modiano, celle de la littérature francophone ou encore celle des romans de grande diffusion. D’autres études auraient aussi bien montré l’importance de la réception de Proust aux États-Unis ou au Japon. Dans tous les cas, rien ne va de soi : chaque langue porte ses concepts, les histoires nationales du roman diffèrent, la réception des lettrés n’est pas celle du public. Pourquoi par exemple la postmodernité d’Echenoz semble-t-elle ici comprise des Jordaniens mais pas des Tchèques ?
Parfois, ce dossier recoupe des enjeux généraux touchant le genre romanesque même : l’étude irakienne et l’étude américaine de la pénétration 12du Nouveau Roman rappellent ainsi respectivement que le roman est un genre narratif récent en Irak, ou qu’on trouverait difficilement dans l’histoire littéraire américaine un équivalent du roman balzacien contre lequel s’appuie Robbe-Grillet. Dans ce dossier cependant, il s’agit avant tout d’étudier la traduction et la réception d’œuvres précises. On s’intéresse à des lectures individuelles, en soulignant l’importance de Flaubert pour Vargas Llosa, Joyce ou Beckett, ou bien en rappelant l’hostilité de Said envers Camus (l’étude postcoloniale devient ici une étude de réception au second degré). On s’intéresse surtout à des réceptions collectives ou nationales, qu’il s’agisse de l’importance du Nouveau Roman pour une frange de l’intelligentsia et des artistes américains, ou de la réécriture de Dumas par le colonialisme japonais puis l’indépendantisme coréen. Cette question des nationalités dans la réception s’est déjà posée dans un ancien numéro de Romanesques, lorsque nous avons sondé la réception internationale, en particulier polonaise ou hongroise, de Jules Verne (Les Voyages extraordinaires, de la création à la réception, Hors-Série 2012). Mais nous approchons dans le présent volume de véritables enjeux de traduction et de style, lorsque nous mesurons notamment la différence entre ce que peuvent dire la langue afghane et la langue française (à propos de l’œuvre d’Atiq Rahimi), l’importance des choix linguistiques opérés pour traduire Robbe-Grillet en Irak, ou encore le rôle de Flaubert dans les Lettres à un jeune romancier de Vargas Llosa.
Avec également ses deux articles liminaires de varia, le présent numéro poursuit l’interrogation théorique sur la notion de romanesque que la collection puis revue Romanesques a entamée dès son premier numéro il y a une quinzaine d’années. Frank Wagner repart en effet de la définition du romanesque proposée par Jean-Marie Schaeffer en 2002 et souvent débattue dans les pages de notre revue, pour éprouver cette définition au regard des textes : s’interrogeant sur l’adéquation de la définition de Jean-Marie Schaeffer aux écritures contemporaines – dans la mesure où cette définition paraît parfois correspondre plus étroitement au roman populaire du xixe siècle –, Frank Wagner milite pour un « aggiornamento » consistant à reconnaître la diversité des degrés de distance envers le romanesque dans le roman depuis le Nouveau Roman. De même qu’il existe au sein d’une œuvre comme Madame Bovary une grande labilité dans la distanciation du romanesque, il serait impossible de croire tout uniment, dans le roman contemporain, soit à une stable distanciation 13sceptique, soit à une franche rénovation du romanesque : le romanesque est toujours désigné comme tel, en même temps qu’il est réactivé, si bien qu’il faudrait plutôt parler de « relation romanesque » pour désigner le spectre des objectivations du romanesque. Pierre Popovic quant à lui se propose d’intégrer la réflexion sur le romanesque (il repart de l’article d’Andréas Pfersmann qui a inauguré la section « Approches du romanesque » de notre revue) à une réflexion sur la lecture des œuvres en sociocritique et sur la définition du sociogramme. L’étude de l’incipit de Madame Bovary par Claude Duchet permet de montrer que la scène de l’arrivée du nouveau fonctionne comme l’assignation d’une place et d’une classe ; l’étude de romans de l’entre-deux-guerres par Claudia Bouliane dégage un paradigme de l’adolescent qui commande une thématique autant qu’une poétique ; de même, il est possible d’analyser la position du chômeur dans le roman contemporain au regard de l’imaginaire social du chômage et de la notion de romanesque. Développant une lecture approfondie de romans de Sophie Divry et de Franz Bartelt, Pierre Popovic identifie les linéaments de la construction textuelle de la place du chômeur, en écho avec le discours social, et en relation avec le romanesque : le roman du chômage est souvenir d’une possibilité de romanesque (Divry) ou dévitalisation du romanesque (Bartelt).
Il y a quelques liens entre ces réflexions liminaires sur le romanesque et les propos de Philippe Vasset que nous avons transcrits à, la fin de ce volume. En effet, l’auteur d’Un livre blanc (2007) et de La Conjuration (2013), nous a entretenu successivement de son rapport au roman romanesque, au cliché romanesque, au romanesque tout court, mais aussi de l’aspect performatif de la création littéraire, de la poétique du roman (étais et construction), et même de son rapport aux fictions du xixe siècle. Mais en méditant sur le « spectre du romanesque » qui fait retour dans ses romans, sur son rapport contrarié au romanesque, Philippe Vasset fait assez bien écho aux propositions de Frank Wagner sur les degrés du romanesque. Parallèlement, on peut se demander si une même crise du personnage, dévitalisé, plongé dans un rapport ambivalent à l’idéal romanesque de sa propre vie, ne permettrait pas de relier les romans de Philippe Vasset à ceux sur lesquels travaille ici Pierre Popovic. L’ouverture théorique de ce numéro, centrée sur les enjeux du roman contemporain, constitue donc aussi une introduction à l’entretien qui clôt l’ouvrage, en même temps qu’elle attire l’attention, dans les articles réunis par 14Catherine Grall pour ce dossier sur le roman français vu de l’étranger, sur la possibilité de traduire ces jeux sur la convention, l’histoire et les figures du romanesque.
Christophe Reffait
Cercll / Roman & Romanesque
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-07044-3
- EAN : 9782406070443
- ISSN : 2271-7242
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07044-3.p.0011
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 28/07/2017
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français