[Introduction de la quatrième partie]
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : Rituels de la vie publique et privée du Moyen Âge à nos jours
- Pages : 207 à 207
- Collection : POLEN - Pouvoirs, lettres, normes, n° 27
La mémoire, phénomène d’abord purement individuel, peut devenir collective, à l’occasion de grands événements politiques ou de traumatismes touchant une population entière : on a même pu montrer que la dimension collective de la mémoire modelait profondément sa configuration individuelle, que l’expérience d’ailleurs soit réellement vécue ou en partie mythifiée. C’est encore plus flagrant avec la commémoration, rituel public qui fonctionne comme une patrimonialisation du souvenir privé, et qui a fait l’objet depuis plusieurs décennies d’entreprises de plus en plus élaborées et diversifiées, à toutes les échelles des diverses communautés humaines1. Aussi ces questions autour du mémorable et de son envers, l’oubli, sont-elles essentielles pour appréhender la spécificité de la ritualité lorsqu’elle s’articule entre le public et le privé.
Marianne Cailloux s’intéresse à la manière dont l’image permet la circulation entre mémoires privée et publique, à travers l’étude de la Maison Tracq à Bessans de Maurienne, où la famille, sur plusieurs siècles, a transformé son lieu d’habitation en monument mémoriel domestique par l’encollage d’estampes récoltées et relevant notamment des pratiques de dévotion – ce qui témoigne d’une véritable perméabilité entre sphères publique et privée.
Myriam Watthee-Delmotte étudie la commémoration des défunts et le culte des morts à travers trois récits, Le Tombeau de Romain Gary de Nancy Huston, Joseph de Yun Sun Limet, Le Quatrième mur de Sorj Chalandon, relevant tous trois de la logique rituelle du don et du contre-don. Ces tombeaux littéraires offrent aux défunts une mémoire apaisée, et en échange consacrent le rôle et l’identité des auteurs au sein d’une communauté donnée.
Dans un dernier temps, Rémi Dalisson aborde la délicate question de la commémoration de la guerre d’Algérie en France : il s’agit en l’occurrence d’élaborer un rituel collectif qui fédère les mémoires communautaires et les affects individuels, et qui vise à dépasser le conflit des mots, entre les discours officiels normatifs et les prises de parole privées. De là une guerre de rituels et de contre-rituels, qui traduit le fait que cette mémoire est loin d’être apaisée.
1 Voir Maurice Halbwachs, La Mémoire collective, Paris, Albin Michel, 1950 ; Pierre Nora (éd.), Les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1984-1992 (3 tomes).