En souvenir de Yann Frémy (1972-2021)
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue Verlaine
2021, n° 19. varia - Auteurs : Bernadet (Arnaud), Degott (Bertrand), Dupas (Solenn), Murphy (Steve), Whidden (Seth)
- Pages : 11 à 14
- Revue : Revue Verlaine
EN SOUVENIR DE YANN FRÉMY (1972-2021)
C’est par un hommage ému à notre ami et collègue Yann Frémy, disparu le 5 juillet 2021, que nous souhaitons ouvrir ce numéro de la Revue Verlaine. L’annonce brutale de son décès a suscité une profonde sidération et une immense émotion. Les témoignages ont afflué pour saluer, dans le chagrin, ses qualités humaines et l’importance des travaux qu’il a consacrés à Rimbaud et à Verlaine.
Les apports de Yann au champ de la recherche rimbaldienne sont considérables. À sa thèse soutenue en 2003 sous la direction d’Alain Buisine, publiée en 2009 sous le titre « Te voilà, c’est la force ». Essai sur Une saison en enfer de Rimbaud (Classiques Garnier), s’ajoutent de nombreux articles, interventions radiophoniques et vidéos1 pleinement représentatifs de son dynamisme et de son goût pour le partage. Chercheur associé au CERIEL de l’université de Strasbourg, il a dirigé plusieurs numéros et volumes consacrés à Rimbaud2 et publié en 2014 le volume Mémoires inquiètes. De Rimbaud à Ernaux (Academia/L’Harmattan, coll. « Sefar »). En 2021, venait de paraître le Dictionnaire Rimbaud (Classiques Garnier), dont il a assuré la co-direction avec Adrien Cavallaro et Alain Vaillant.
Il faut également souligner l’apport déterminant de sa contribution à la recherche verlainienne, en lien étroit avec ces explorations rimbaldiennes. Avec Seth Whidden, Yann a notamment dirigé entre 2006 et 2012 une série de séminaires intitulée « Verlaine/Rimbaud » à l’université Paris III-Sorbonne et à l’université Paris IV-Sorbonne. Tout en assurant la responsabilité de co-rédacteur en chef de la revue Parade sauvage entre 122004 et 2015, il a d’autre part co-dirigé la Revue Verlaine entre 2011 et 2016. C’est avec bonheur que nous avons partagé cette aventure éditoriale en bénéficiant de son enthousiasme, de son énergie, de sa curiosité, de son regard aiguisé sur les textes et de son art de la blague « hénaurme ». D’une infinie générosité, Yann a mis son riche réseau de collègues et d’amis au service de l’animation de la revue et s’est attaché à en nourrir les pages de belles contributions consacrées entre autres aux « Ariettes oubliées » et à des documents inédits qu’il avait à cœur de mettre en lumière3.
Si la Revue Verlaine lui doit énormément, ses travaux ont plus largement enrichi la connaissance du poète et de son œuvre. Il faut rappeler en particulier l’importance du numéro de la Revue des Sciences humaines « Forces de Verlaine » qu’il a dirigé en 2007. L’avant-propos de ce volume et les contributions qu’il rassemble revisitent les approches théoriques de la création verlainienne et en explorent les différentes facettes, au-delà des poncifs relatifs à la petite musique et à la chanson grise, pour mettre en avant les « forces » du poète, sa « formidable énergie ». « Nier cette réalité, écrit-il, consiste à refuser de donner corps à une certaine chance critique, une chance pour la critique4. » De nombreux articles et communications complètent cette dense production5, dont une partie est recueillie dans l’ouvrage Verlaine : la parole et l’oubli (Academia/L’Harmattan, coll. « Sefar ») paru en 2013. Le volume Arthur Rimbaud / Paul Verlaine. Un concert d’enfers, vies et poésies (Gallimard, coll. « Quarto », 2017), élaboré avec Henri Scepi et Solenn Dupas, reflète aussi ce désir 13de partager ses explorations infinies à travers les œuvres de Rimbaud et de Verlaine.
Attentif au travail de la langue, aux ressorts intertextuels des poèmes, aux effets d’ironisation et de suggestion, Yann a éclairé les subtilités de l’écriture verlainienne, ses forces et sa profondeur, ses tensions et ses paradoxes, sa pluralité. Ses travaux s’appuient sur une fine et large connaissance de l’œuvre, sur une prise en compte des spécificités génétiques et philologiques des textes. Ils révèlent une intelligence, une liberté et une grande sensibilité, étayées par un bagage conceptuel personnel, notamment nourri de lectures deleuziennes. Entre présence et absence, mémoire et oubli, Yann n’a eu de cesse de sonder « le cri et le pli d’une poésie qui se veut intense, réelle et qui se rêve souveraine, vraie6 ». Sensible à « la fonction ontologique que [Verlaine] lui-même a, de tout temps, assigné à la poésie », il a montré que « le poème fut, pour lui, surtout relation, l’acte même par lequel s’essaie dans les mots l’impérieuse exigence de l’esprit7. » Laissons-lui encore la parole : « Verlaine est en effet un poète profondément conscient de sa création, un homme qui ne méconnaît certes rien des forces propres à la réalité sensible, mais est également et surtout celui de la pensée forte en matière de poésie, de pensée de la poésie8. »
Ses travaux reflètent un goût pour l’échange, la discussion et le dialogue, une appétence sans borne pour les dynamiques collectives et les chantiers d’ampleur, comme en témoignait son travail en cours, engagé avec Seth Whidden, sur l’édition du premier tome des Œuvres complètes de Marie Krysinska, à paraître aux éditions Honoré Champion9.
Amoureux des mots et de l’écriture, Yann a enfin réuni dans le recueil Soleil froid et autres nouvelles (Academia/L’Harmattan, 2016) un ensemble de textes personnels où l’élan créatif déjà à l’œuvre dans ses 14études littéraires prend sa pleine dimension. Le titre de ce livre résonne avec une intensité particulière au moment de saluer sa mémoire.
Nos conversations, nos projets, notre camaraderie ont été soudainement interrompus et son décès est une perte immense. L’équipe de la Revue Verlaine rend hommage à la mémoire d’un ami très cher, qui a profondément marqué ceux qui l’ont côtoyé. Elle salue un chercheur passionné, généreux, à l’énergie communicative. Ses travaux constituent un apport riche et précieux avec lequel nous sommes appelés à dialoguer durablement. Nous remercions notre ami « présent », « Encore que loin en all[é] » (« Ariettes oubliées », VII) et l’assurons de la force de notre souvenir.
Arnaud Bernadet,
Bertrand Degott,
Solenn Dupas,
Steve Murphy
et Seth Whidden
1 Ces émissions et vidéos sont consultables sur le site du CERIEL (Centre d’Études sur les Représentations : Idées, Esthétiques, Littérature) de l’université de Strasbourg : https://ea1337.unistra.fr/ceriel/enseignants-chercheurs-du-ceriel/yann-fremy/ (consulté le 01/09/2021).
2 Yann Frémy (dir.), « Je m’évade ! Je m’explique ». Résistances d’Une saison en enfer, Paris, Classiques Garnier, 2010 ; « Énigmes d’Une saison en enfer », Revue des Sciences humaines, janvier-mars 2014 ; « Rimbaud le Voyant ? », Francofonia, studi et ricerche sulle letterature di lingua francese, no 72, printemps 2017.
3 Yann Frémy, « Verlaine et les “voix d’Autrui” dans les Ariettes oubliées », RV11, 2013, 43-64 ; « Verlaine, lecteur de Rimbaud. Publications inédites autour de la vente de la bibliothèque Tissot-Dupont », RV16, 2018, 39-62.
4 Yann Frémy, « Verlaine aujourd’hui… » dans Forces de Verlaine, dir. Yann Frémy, Revue des Sciences humaines, janvier-mars 2007, p. 7.
5 Voir notamment Yann Frémy, « Verlaine, entre Rimbaud et Longfellow : au sujet de la troisième ariette oubliée », Verlaine : reprises, parodies, stratégies, 2007, publié dans la rubrique « Colloques en ligne », sur : https://www.fabula.org/colloques/document851.php (consulté le 01/09/2021) ; « La cinquième ariette oubliée, entre mémoire et absence », dans Lectures de Verlaine : Poèmes saturniens, Fêtes galantes, Romances sans paroles, dir. Steve Murphy, Presses Universitaires de Rennes, 2007, p. 210-226 ; « Verlaine en train (de quoi ?). Essence et ironie dans Notes de nuit jetées en chemin de fer », Plaisance, revista di linguae letteratura francese moderna et contemporanea, no 23, 2011 ; « La Mort Verlaine : à propos de la section “Lucien Létinois” dans Amour », Europe, avril 2007, p. 157-172 ; « L’urgence de la pensée : au sujet de La Bonne Chanson, VII », dans Forces de Verlaine, op. cit., p. 152-166.
6 Yann Frémy, Verlaine : la parole ou l’oubli, Louvain-la-Neuve, Academia/L’Harmattan, coll. « Sefar », no 5, 2013, p. 35.
7 Ibid., p. 33.
8 Ibid., p. 75.
9 Marie Krysinska, Poésie, volume I (Rythmes pittoresques, éd. Seth Whidden ; Joies errantes, éd. Yann Frémy), dans Œuvres complètes, dir. Florence Goulesque et Seth Whidden, Paris, Honoré Champion, à paraître. Voir également Yann Frémy, « L’inquiétude dans les Rythmes pittoresques de Marie Krysinska », dans Marie Krysinska. Innovations poétiques et combats littéraires, dir. Adrianna M. Paliyenko, Gretchen Schultz et Seth Whidden, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2010.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-12916-5
- EAN : 9782406129165
- ISSN : 2426-8860
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12916-5.p.0011
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 30/03/2022
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français