Editorial
- Publication type: Journal article
- Journal: Revue Nerval
2024, n° 8. varia - Authors: Illouz (Jean-Nicolas), Scepi (Henri)
- Pages: 13 to 16
- Journal: Nerval Review
ÉDITORIAL
Henri Bonnet (1932-2023). Photographie Sylvie Roussel Bonnet.
Nous avons la tristesse d’ouvrir cette huitième livraison de la Revue Nerval sur une page de deuil : Henri Bonnet nous a quittés le samedi 17 juin 2023 à l’âge de 91 ans.
Henri Bonnet avait été professeur en lycée, à Bourg-en-Bresse, puis en Khâgne, au lycée Édouard Herriot de Lyon ; il avait été inspecteur régional dans l’académie de Besançon, et enfin inspecteur général. Sa passion de la littérature allait de pair avec le souci de sa transmission, exigeante et généreuse. Il avait présidé les jurys des concours de l’enseignement ; et c’était devant lui, je m’en souviens, que j’avais passé 14ma leçon d’agrégation, sur Sion et Jérusalem dans les Méditations sur les Psaumes de Jean de Sponde.
Sous la direction de Léon Cellier, dont il parlait avec enthousiasme, il avait commencé une thèse sur la théâtralité dans l’œuvre de Nerval. À l’écart des chapelles qui se partageaient le champ des études nervaliennes à un moment où l’édition des Œuvres complètes était une zone conflictuelle, il avait créé les Cahiers Gérard de Nerval qui parurent entre 1978 et 1996 : composés avec un soin de bibliophile, dans un beau format, richement illustrés, un peu sur le modèle du Monde dramatique, les quelque dix-sept numéros avaient rassemblé et formé plusieurs générations de nervaliens ; toutes les approches critiques s’y croisaient ; et ni la précision tatillonne de l’érudition ni les partis pris théoriques ne faisaient perdre de vue l’essentiel. Je me souviens du plaisir qu’il avait eu à y publier une étude d’Yves Bonnefoy sur « la poétique de Nerval ». Henri Bonnet avait cautionné et accompagné, avec une joie sincère, la naissance de la Revue Nerval quand je lançais cette entreprise avec Henri Scepi. À chaque nouvelle livraison, il m’écrivait une lettre, dont je lui demandais ensuite par téléphone de m’aider à déchiffrer la minuscule écriture : son soutien généreux me donnait du cœur à l’ouvrage ; Nerval lui paraissait une source inépuisable, profonde et claire, de réflexion et d’émerveillement ; des idées naissaient de nos échanges ; mon amitié pour lui était pleine de reconnaissance affectueuse.
Dans les études nervaliennes, Henri Bonnet était – et demeure dans ses textes – un guide sûr. Sa voix, qui avait gardé l’accent du terroir, était singulière. Il disait clairement des choses mystérieuses ; la pédagogie était chez lui comme une manière d’initiation ; sa science des textes participait d’une sagesse ; il aimait les livres en savant et en homme de bien. Dans sa bibliothèque, Nerval n’était jamais loin d’autres de ses auteurs de prédilection : Stendhal, George Sand ou Edgar Quinet, Jaccottet, Senghor, Julien Gracq, Pierre Michon ou Christian Bobin ; sa curiosité pour les sagesses antiques et les religions à Mystères (il m’avait offert les Dialogues pythiques de Plutarque comme on transmet un secret) faisait bon ménage avec sa foi chrétienne comme avec la convivialité laïque de son enseignement.
Pour honorer sa mémoire, nous publions, dans la section bibliographique de ce numéro, une liste de ses livres et articles, jalons d’une vie d’étude. Le lecteur d’aujourd’hui y trouvera des sources d’inspiration, toujours neuves et vives.
15Nous exprimons nos condoléances et notre sympathie à Sylvie, la bien nommée, que nous avons eu le plaisir de rencontrer pour évoquer la mémoire de son père, et à ses trois autres enfants, Cécile, Marc, et Bénédicte, – auxquels Henri Bonnet dédiait son dernier article paru dans la Revue Nerval : « Othys ou Sylvie dans la lumière des saisons ».
Pour cette livraison, Filip Kekus et Jean-Didier Wagneur ont composé un ample et beau dossier intitulé Nerval au journal : approches médiatiques de l’œuvre nervalienne. Nous remercions chaleureusement les contributeurs, tout en laissant à Filip Kekus et Jean-Didier Wagneur le soin de présenter leurs travaux. Nous attendons maintenant avec impatience que paraisse, toujours sous la direction de Filip Kekus et Jean-Didier Wagneur, le tome IV des Œuvres complètes de Nerval aux éditions Classiques Garnier, qui sera également consacré à l’œuvre journalistique de notre auteur.
La rubrique Varia souligne un trait qui caractérise les études nervaliennes aujourd’hui : il s’agit d’éclairer l’œuvre de Nerval en quelque sorte latéralement par association et déplacement. Michel Deguy avait reforgé le mot « Poésie » en l’ornant d’une esperluette dans le titre de sa revue, Po&sie ; or Nerval nous semble être lui-même tout entier une esperluette, pour ainsi dire : comme le & de Po&sie, il fait lien avec ses contemporains, comme Dumas, dans l’imitation de Froissart (Patricia Victorin) ; il fait lien avec l’Allemagne, celle de Henri Heine (Michel Espagne), ou celle de Paul Celan, dans cette expérience de l’exil qu’est l’expérience de la traduction (Michael Woll) ; il fait lien avec Artaud, dans la rencontre de la folie et de la poésie (Vincent Vivès).
Nous avons réservé pour la rubrique « Notes d’érudition et d’intuition critique » une heureuse découverte. En septembre dernier, Jean-Didier Wagneur nous a signalé la vente d’un dessin à la plume, encre et gouache, du peintre et lithographe Augustin Feyen-Perrin, représentant une vue de la Rue de laVieille-Lanterne. Cette œuvre, très belle, était jusque-là inconnue des nervaliens. Le cœur tremblant, nous nous sommes rendu au Salon international du livre rare & des arts graphiques, et, saisi par cette pièce qui a appartenu au poète surréaliste Élie-Charles Flamand, nous l’avons acquise, oublieux de la dépense. Pour la présenter aux lecteurs de la Revue Nerval, nous établissons le catalogue iconographique des 16vues de la rue de laVieille-Lanterne, qui est très tôt devenue un poncif de la fin tragique d’une vie de bohème, traité aussi bien par les écrivains que par les peintres : une dizaine d’artistes, dont Célestin Nanteuil et Gustave Doré, mais aussi Potémont, Charles Ransonnette, Frédéric Legrip, Henri Chapelle, Jules de Goncourt, Victorien Sardou, Léopold Flameng, Hoffbauer et Huyot, et maintenant Augustin Feyen-Perrin, fixent le souvenir d’une rue disparue du vieux Paris, et composent ensemble une allégorie réelle de la mort de Gérard de Nerval, qui vaut comme un Tombeau du Poète à la fin de l’âge romantique.
Jean-Nicolas Illouz et Henri Scepi
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-17013-6
- EAN: 9782406170136
- ISSN: 2554-8948
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-17013-6.p.0013
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 05-15-2024
- Periodicity: Annual
- Language: French