Aller au contenu

Classiques Garnier

Éditorial

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue Nerval
    2024, n° 8
    . varia
  • Auteurs : Illouz (Jean-Nicolas), Scepi (Henri)
  • Pages : 13 à 16
  • Revue : Revue Nerval
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406170136
  • ISBN : 978-2-406-17013-6
  • ISSN : 2554-8948
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-17013-6.p.0013
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 15/05/2024
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
13

ÉDITORIAL

Une image contenant Visage humain, personne, cravate, vêtements habillés Description générée automatiquement

Henri Bonnet (1932-2023). Photographie Sylvie Roussel Bonnet.

Nous avons la tristesse douvrir cette huitième livraison de la Revue Nerval sur une page de deuil : Henri Bonnet nous a quittés le samedi 17 juin 2023 à lâge de 91 ans.

Henri Bonnet avait été professeur en lycée, à Bourg-en-Bresse, puis en Khâgne, au lycée Édouard Herriot de Lyon ; il avait été inspecteur régional dans lacadémie de Besançon, et enfin inspecteur général. Sa passion de la littérature allait de pair avec le souci de sa transmission, exigeante et généreuse. Il avait présidé les jurys des concours de lenseignement ; et cétait devant lui, je men souviens, que javais passé 14ma leçon dagrégation, sur Sion et Jérusalem dans les Méditations sur les Psaumes de Jean de Sponde.

Sous la direction de Léon Cellier, dont il parlait avec enthousiasme, il avait commencé une thèse sur la théâtralité dans lœuvre de Nerval. À lécart des chapelles qui se partageaient le champ des études nervaliennes à un moment où lédition des Œuvres complètes était une zone conflictuelle, il avait créé les Cahiers Gérard de Nerval qui parurent entre 1978 et 1996 : composés avec un soin de bibliophile, dans un beau format, richement illustrés, un peu sur le modèle du Monde dramatique, les quelque dix-sept numéros avaient rassemblé et formé plusieurs générations de nervaliens ; toutes les approches critiques sy croisaient ; et ni la précision tatillonne de lérudition ni les partis pris théoriques ne faisaient perdre de vue lessentiel. Je me souviens du plaisir quil avait eu à y publier une étude dYves Bonnefoy sur « la poétique de Nerval ». Henri Bonnet avait cautionné et accompagné, avec une joie sincère, la naissance de la Revue Nerval quand je lançais cette entreprise avec Henri Scepi. À chaque nouvelle livraison, il mécrivait une lettre, dont je lui demandais ensuite par téléphone de maider à déchiffrer la minuscule écriture : son soutien généreux me donnait du cœur à louvrage ; Nerval lui paraissait une source inépuisable, profonde et claire, de réflexion et démerveillement ; des idées naissaient de nos échanges ; mon amitié pour lui était pleine de reconnaissance affectueuse.

Dans les études nervaliennes, Henri Bonnet était – et demeure dans ses textes – un guide sûr. Sa voix, qui avait gardé laccent du terroir, était singulière. Il disait clairement des choses mystérieuses ; la pédagogie était chez lui comme une manière dinitiation ; sa science des textes participait dune sagesse ; il aimait les livres en savant et en homme de bien. Dans sa bibliothèque, Nerval nétait jamais loin dautres de ses auteurs de prédilection : Stendhal, George Sand ou Edgar Quinet, Jaccottet, Senghor, Julien Gracq, Pierre Michon ou Christian Bobin ; sa curiosité pour les sagesses antiques et les religions à Mystères (il mavait offert les Dialogues pythiques de Plutarque comme on transmet un secret) faisait bon ménage avec sa foi chrétienne comme avec la convivialité laïque de son enseignement.

Pour honorer sa mémoire, nous publions, dans la section bibliographique de ce numéro, une liste de ses livres et articles, jalons dune vie détude. Le lecteur daujourdhui y trouvera des sources dinspiration, toujours neuves et vives.

15

Nous exprimons nos condoléances et notre sympathie à Sylvie, la bien nommée, que nous avons eu le plaisir de rencontrer pour évoquer la mémoire de son père, et à ses trois autres enfants, Cécile, Marc, et Bénédicte, – auxquels Henri Bonnet dédiait son dernier article paru dans la Revue Nerval : « Othys ou Sylvie dans la lumière des saisons ».

Pour cette livraison, Filip Kekus et Jean-Didier Wagneur ont composé un ample et beau dossier intitulé Nerval au journal : approches médiatiques de lœuvre nervalienne. Nous remercions chaleureusement les contributeurs, tout en laissant à Filip Kekus et Jean-Didier Wagneur le soin de présenter leurs travaux. Nous attendons maintenant avec impatience que paraisse, toujours sous la direction de Filip Kekus et Jean-Didier Wagneur, le tome IV des Œuvres complètes de Nerval aux éditions Classiques Garnier, qui sera également consacré à lœuvre journalistique de notre auteur.

La rubrique Varia souligne un trait qui caractérise les études nervaliennes aujourdhui : il sagit déclairer lœuvre de Nerval en quelque sorte latéralement par association et déplacement. Michel Deguy avait reforgé le mot « Poésie » en lornant dune esperluette dans le titre de sa revue, Po&sie ; or Nerval nous semble être lui-même tout entier une esperluette, pour ainsi dire : comme le & de Po&sie, il fait lien avec ses contemporains, comme Dumas, dans limitation de Froissart (Patricia Victorin) ; il fait lien avec lAllemagne, celle de Henri Heine (Michel Espagne), ou celle de Paul Celan, dans cette expérience de lexil quest lexpérience de la traduction (Michael Woll) ; il fait lien avec Artaud, dans la rencontre de la folie et de la poésie (Vincent Vivès).

Nous avons réservé pour la rubrique « Notes dérudition et dintuition critique » une heureuse découverte. En septembre dernier, Jean-Didier Wagneur nous a signalé la vente dun dessin à la plume, encre et gouache, du peintre et lithographe Augustin Feyen-Perrin, représentant une vue de la Rue de laVieille-Lanterne. Cette œuvre, très belle, était jusque-là inconnue des nervaliens. Le cœur tremblant, nous nous sommes rendu au Salon international du livre rare & des arts graphiques, et, saisi par cette pièce qui a appartenu au poète surréaliste Élie-Charles Flamand, nous lavons acquise, oublieux de la dépense. Pour la présenter aux lecteurs de la Revue Nerval, nous établissons le catalogue iconographique des 16vues de la rue de laVieille-Lanterne, qui est très tôt devenue un poncif de la fin tragique dune vie de bohème, traité aussi bien par les écrivains que par les peintres : une dizaine dartistes, dont Célestin Nanteuil et Gustave Doré, mais aussi Potémont, Charles Ransonnette, Frédéric Legrip, Henri Chapelle, Jules de Goncourt, Victorien Sardou, Léopold Flameng, Hoffbauer et Huyot, et maintenant Augustin Feyen-Perrin, fixent le souvenir dune rue disparue du vieux Paris, et composent ensemble une allégorie réelle de la mort de Gérard de Nerval, qui vaut comme un Tombeau du Poète à la fin de lâge romantique.

Jean-Nicolas Illouz et Henri Scepi