Éditorial
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue Nerval
2022, n° 6. varia - Auteurs : Illouz (Jean-Nicolas), Scepi (Henri)
- Pages : 15 à 17
- Revue : Revue Nerval
Éditorial
Chacun des numéros de la Revue Nerval apporte son lot de surprises et de découvertes. Pour ce numéro 6, l’étonnement est venu de la série des « notes », « notules » ou « notices » – pas moins de 12 ! – que Takeshi Matsumura, professeur à l’université de Tokyo et éminent lexicographe (auteur notamment d’un Dictionnaire du français médiéval1), nous a adressées, semaine après semaine, enclenchant entre lui et nous des échanges stimulants, porteurs d’enrichissements réciproques. Nous avons voulu lui donner « carte blanche » ; et, en débordant le format ordinaire de nos livraisons, nous avons choisi de rassembler tous ses textes dans une rubrique dédiée, intitulée pour l’occasion « Notes d’érudition et d’intuition critique ». Le geste critique de Takeshi Matsumura est, d’abord, celui du philologue : il s’agit d’identifier des sources, d’examiner des variantes, de vérifier l’établissement des textes, de compléter ou de corriger des annotations, de réactiver des contextes devenus pour nous lointains, de puiser dans des dictionnaires et, parfois, en retour, de rectifier ces mêmes dictionnaires en y ajoutant des emplois lexicaux que certains textes de Nerval ont infusés dans la langue, – celle-ci étant considérée ainsi dans sa profondeur historique, dans sa variété géographique, et dans la plasticité vivante de son devenir. Ce travail minutieux, érudit, et en apparence austère, a trouvé en Nerval un terrain privilégié, – cela pour au moins deux raisons : la première tient à que Nerval est lui-même un écrivain attentif aux variations de la langue, – quand par exemple il collecte et réactive des archaïsmes puisés aux fonds littéraires du xvie siècle, – quand il valorise des parlers régionaux ou des expressions populaires, qui valent à ses yeux comme la marque d’une résistance contre l’uniformisation de la langue voulue aussi bien par la monarchie absolue du Grand Siècle que par l’idée de Nation issue de la Révolution, – ou encore quand il relève les parlures 16des gens, et quand il se sent touché par le phrasé intime et lointain des voix. La seconde raison tient à ce qu’au fil des générations de lecteurs, la critique nervalienne a fait de l’œuvre de Nerval une sorte d’encyclopédie portative, concentrant une somme considérable d’annotations érudites, allant en s’enrichissant mutuellement quand chaque édition nouvelle récapitule, corrige ou complète les éditions précédentes. S’il arrive que la philologie, au sens alors étroit du terme, se montre autoritaire quant à la lettre du texte dont elle serait l’immuable gardienne, ou sectaire quand elle dénie la possibilité du commentaire qui complexifie le sens et creuse davantage la lettre, le geste philologique de Takeshi Matsumura est, quant à lui, plein de grâce dans son attention étonnée aux mots et dans sa manière de récapituler et d’augmenter les savoirs antérieurs : il confirme l’idée qui veut que l’on n’entende jamais mieux une langue que lorsqu’on l’écoute de l’étranger2 ; et il confirme que l’on n’est jamais aussi savant que lorsqu’on ajoute à la critique des autres ce qu’il faut d’humilité et d’ironie vis-à-vis de soi-même.
Dans les Varia, le numéro 6 apporte sa moisson annuelle. Il souligne à nouveau la grande qualité des études de littérature française au Japon, avec l’article d’Akio Wada qui fait le point, que l’on attendait, sur « Proust et la critique nervalienne » ; avec l’article de Simone Dubrovic sur Nerval et Leopardi, il accomplit le vœu que nous avions formé dans le précédent numéro : celui de mettre Nerval en correspondance avec d’autres écrivains du romantisme européen, pour faire apparaître entre eux et lui, moins des influences positives, que des convergences, plus mystérieuses3 ; le présent numéro revient aussi, par deux voies très différentes, sur la question de ce que l’on appelle « folie », – avec d’un côté, une voie en quelque sorte « interne », qui fait se rencontrer Nerval et Nodier autour de la bibliomanie, dans l’article de Marine Le Bail, et de l’autre, une voie en quelque sorte « externe », qui fait se rencontrer Nerval et Deleuze, avec l’article de Bruno Penteado. Nous retrouvons par ailleurs Pierre Fleury, dont l’étude sur la chanson folklorique et sur la chanson de chansonnier forme un triptyque avec deux autres articles de lui parus dans des numéros précédents, – l’un, sur Nerval 17et Schubert, – l’autre, sur Nerval et la notion de « phrasé4 ». Nous sommes heureux enfin d’accueillir une nouvelle plume, celle d’Iseult Andreani, qui reprend la question de Wagner aux premiers temps du wagnérisme, en écho ici avec deux autres articles de la Revue Nerval publiés antérieurement5. Quant à Jean-Nicolas Illouz, il donne ici la première version d’une étude sur Pandora qui prépare l’édition de cette œuvre dans le tome XII des Œuvres complètes, à paraître aux éditions Classiques Garnier.
Surtout, nous avons confié la réalisation d’un dossier sur « Nerval dramaturge » à Hélène Laplace-Claverie et Sylvain Ledda, les plus aptes à renouveler cette question des études nervaliennes, autrefois posée, notamment, par Henri Bonnet d’abord, puis par Jacques Bony. Nous leur laissons le soin de présenter ce dossier dans les pages qui suivent ; tandis que nous-mêmes nous mettons déjà à l’ouvrage pour un prochain dossier que nous aimerions faire porter sur « les deux qualités fondamentales » que Baudelaire plaçait au principe de l’art romantique : le « surnaturalisme » et l’« ironie6 ». Parallèlement, nous préparons, avec Marine Le Bail, un dossier sur « Nerval et les fous littéraires ».
Jean-Nicolas Illouz, Henri Scepi
1 Takeshi Matsumura, Dictionnaire du français médiéval, Paris, Les Belles Lettres, 2015.
2 Voir Michel Zink, On lit mieux dans une langue qu’on sait mal, Paris, Les Belles Lettres, 2021.
3 Voir notre éditorial du numéro 5, présentant notamment une traduction en italien des Chimères, due à Simone Dubrovic et à Chetro De Carolis.
4 Voir Pierre Fleury, « Le “doux Franz” et le “doux Gérard” : pour une comparaison entre Schubert et Nerval », Revue Nerval, no 4, 2020, p. 293-314 ; et « “Elle phrasait !” Ambiguïtés du phrasé nervalien », Revue Nerval, no 5, p. 237-256.
5 Sabine Le Hir, « Nerval, premier wagnérien français », Revue Nerval, no 2, 2018, p. 187-205 ; Cécile Leblanc, « Un cénacle wagnérien : Nerval et les “jeunes disciples” de Wagner (Weimar, 1850) », Revue Nerval, no 2, 2018, p. 207-228.
6 Voir Baudelaire, Fusées, dans Baudelaire, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, édition Claude Pichois, t. 1, 1975, p. 658 : « Deux qualités littéraires fondamentales : surnaturalisme et ironie ».
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-13096-3
- EAN : 9782406130963
- ISSN : 2554-8948
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-13096-3.p.0015
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 20/04/2022
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français