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Classiques Garnier

Editorial

  • Publication type: Journal article
  • Journal: Revue Nerval
    2022, n° 6
    . varia
  • Authors: Illouz (Jean-Nicolas), Scepi (Henri)
  • Pages: 15 to 17
  • Journal: Nerval Review
  • CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN: 9782406130963
  • ISBN: 978-2-406-13096-3
  • ISSN: 2554-8948
  • DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-13096-3.p.0015
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 04-20-2022
  • Periodicity: Annual
  • Language: French
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Éditorial

Chacun des numéros de la Revue Nerval apporte son lot de surprises et de découvertes. Pour ce numéro 6, létonnement est venu de la série des « notes », « notules » ou « notices » – pas moins de 12 ! – que Takeshi Matsumura, professeur à luniversité de Tokyo et éminent lexicographe (auteur notamment dun Dictionnaire du français médiéval1), nous a adressées, semaine après semaine, enclenchant entre lui et nous des échanges stimulants, porteurs denrichissements réciproques. Nous avons voulu lui donner « carte blanche » ; et, en débordant le format ordinaire de nos livraisons, nous avons choisi de rassembler tous ses textes dans une rubrique dédiée, intitulée pour loccasion « Notes dérudition et dintuition critique ». Le geste critique de Takeshi Matsumura est, dabord, celui du philologue : il sagit didentifier des sources, dexaminer des variantes, de vérifier létablissement des textes, de compléter ou de corriger des annotations, de réactiver des contextes devenus pour nous lointains, de puiser dans des dictionnaires et, parfois, en retour, de rectifier ces mêmes dictionnaires en y ajoutant des emplois lexicaux que certains textes de Nerval ont infusés dans la langue, – celle-ci étant considérée ainsi dans sa profondeur historique, dans sa variété géographique, et dans la plasticité vivante de son devenir. Ce travail minutieux, érudit, et en apparence austère, a trouvé en Nerval un terrain privilégié, – cela pour au moins deux raisons : la première tient à que Nerval est lui-même un écrivain attentif aux variations de la langue, – quand par exemple il collecte et réactive des archaïsmes puisés aux fonds littéraires du xvie siècle, – quand il valorise des parlers régionaux ou des expressions populaires, qui valent à ses yeux comme la marque dune résistance contre luniformisation de la langue voulue aussi bien par la monarchie absolue du Grand Siècle que par lidée de Nation issue de la Révolution, – ou encore quand il relève les parlures 16des gens, et quand il se sent touché par le phrasé intime et lointain des voix. La seconde raison tient à ce quau fil des générations de lecteurs, la critique nervalienne a fait de lœuvre de Nerval une sorte dencyclopédie portative, concentrant une somme considérable dannotations érudites, allant en senrichissant mutuellement quand chaque édition nouvelle récapitule, corrige ou complète les éditions précédentes. Sil arrive que la philologie, au sens alors étroit du terme, se montre autoritaire quant à la lettre du texte dont elle serait limmuable gardienne, ou sectaire quand elle dénie la possibilité du commentaire qui complexifie le sens et creuse davantage la lettre, le geste philologique de Takeshi Matsumura est, quant à lui, plein de grâce dans son attention étonnée aux mots et dans sa manière de récapituler et daugmenter les savoirs antérieurs : il confirme lidée qui veut que lon nentende jamais mieux une langue que lorsquon lécoute de létranger2 ; et il confirme que lon nest jamais aussi savant que lorsquon ajoute à la critique des autres ce quil faut dhumilité et dironie vis-à-vis de soi-même.

Dans les Varia, le numéro 6 apporte sa moisson annuelle. Il souligne à nouveau la grande qualité des études de littérature française au Japon, avec larticle dAkio Wada qui fait le point, que lon attendait, sur « Proust et la critique nervalienne » ; avec larticle de Simone Dubrovic sur Nerval et Leopardi, il accomplit le vœu que nous avions formé dans le précédent numéro : celui de mettre Nerval en correspondance avec dautres écrivains du romantisme européen, pour faire apparaître entre eux et lui, moins des influences positives, que des convergences, plus mystérieuses3 ; le présent numéro revient aussi, par deux voies très différentes, sur la question de ce que lon appelle « folie », – avec dun côté, une voie en quelque sorte « interne », qui fait se rencontrer Nerval et Nodier autour de la bibliomanie, dans larticle de Marine Le Bail, et de lautre, une voie en quelque sorte « externe », qui fait se rencontrer Nerval et Deleuze, avec larticle de Bruno Penteado. Nous retrouvons par ailleurs Pierre Fleury, dont létude sur la chanson folklorique et sur la chanson de chansonnier forme un triptyque avec deux autres articles de lui parus dans des numéros précédents, – lun, sur Nerval 17et Schubert, – lautre, sur Nerval et la notion de « phrasé4 ». Nous sommes heureux enfin daccueillir une nouvelle plume, celle dIseult Andreani, qui reprend la question de Wagner aux premiers temps du wagnérisme, en écho ici avec deux autres articles de la Revue Nerval publiés antérieurement5. Quant à Jean-Nicolas Illouz, il donne ici la première version dune étude sur Pandora qui prépare lédition de cette œuvre dans le tome XII des Œuvres complètes, à paraître aux éditions Classiques Garnier.

Surtout, nous avons confié la réalisation dun dossier sur « Nerval dramaturge » à Hélène Laplace-Claverie et Sylvain Ledda, les plus aptes à renouveler cette question des études nervaliennes, autrefois posée, notamment, par Henri Bonnet dabord, puis par Jacques Bony. Nous leur laissons le soin de présenter ce dossier dans les pages qui suivent ; tandis que nous-mêmes nous mettons déjà à louvrage pour un prochain dossier que nous aimerions faire porter sur « les deux qualités fondamentales » que Baudelaire plaçait au principe de lart romantique : le « surnaturalisme » et l« ironie6 ». Parallèlement, nous préparons, avec Marine Le Bail, un dossier sur « Nerval et les fous littéraires ».

Jean-Nicolas Illouz, Henri Scepi

1 Takeshi Matsumura, Dictionnaire du français médiéval, Paris, Les Belles Lettres, 2015.

2 Voir Michel Zink, On lit mieux dans une langue quon sait mal, Paris, Les Belles Lettres, 2021.

3 Voir notre éditorial du numéro 5, présentant notamment une traduction en italien des Chimères, due à Simone Dubrovic et à Chetro De Carolis.

4 Voir Pierre Fleury, « Le “doux Franz” et le “doux Gérard” : pour une comparaison entre Schubert et Nerval », Revue Nerval, no 4, 2020, p. 293-314 ; et « “Elle phrasait !” Ambiguïtés du phrasé nervalien », Revue Nerval, no 5, p. 237-256.

5 Sabine Le Hir, « Nerval, premier wagnérien français », Revue Nerval, no 2, 2018, p. 187-205 ; Cécile Leblanc, « Un cénacle wagnérien : Nerval et les “jeunes disciples” de Wagner (Weimar, 1850) », Revue Nerval, no 2, 2018, p. 207-228.

6 Voir Baudelaire, Fusées, dans Baudelaire, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, édition Claude Pichois, t. 1, 1975, p. 658 : « Deux qualités littéraires fondamentales : surnaturalisme et ironie ».