Éditorial
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue Nerval
2020, n° 4. varia - Auteurs : Illouz (Jean-Nicolas), Scepi (Henri)
- Pages : 13 à 16
- Revue : Revue Nerval
Éditorial
Au terme d’une année de travail avec les auteurs qui ont participé à l’élaboration de ce numéro, nous sommes heureux d’offrir à nos lecteurs la quatrième livraison de la Revue Nerval.
Dans une première rubrique, nous avons donné carte blanche à Sarga Moussa pour la constitution d’un dossier thématique consacré à l’Orient de Nerval, ou plutôt à ses « Résonances » : car tout vibre, on le sait, dans l’écriture nervalienne, et car ces vibrations, d’abord internes, se propagent jusque dans les œuvres d’autres voyageurs, proches ou lointains, qui ont choisi de mettre leurs pas dans les pas de Nerval.
Dans la rubrique « Rencontres », que nous inaugurons ici, nous avons invité des écrivains d’aujourd’hui à accompagner de leur voix la voix de Nerval. Un « genre » – « que c’en devienne un », nuancerait Mallarmé1 – se cherche, qui se situerait dans le sillage de ce que Mallarmé nomme quant à lui le « poème critique2 », – réflexif bien sûr (et pleinement savant), mais sans extériorité par rapport à son objet, s’il est vrai qu’en art, comme dans l’inconscient selon Lacan, il n’y a pas de métadiscours, – du moins pour ceux qui font de la lecture, et de l’étude, le champ d’une expérience dans leur vie.
François Cornilliat, dans le texte qu’il nous a donné pour cette rubrique, pose précisément la question de la place à laquelle Nerval convie son lecteur (un lecteur sans doute « amateur », mais « de bonne foi »), puisque Nerval s’est chargé lui-même d’analyser sa folie, l’éprouvant dans sa vie, mais aussi la racontant et la commentant dans son récit, – se tenant ainsi à la fois et dedans et dehors, – exilé des deux 14bords. Si « la critique3 » l’angoisse, Nerval en appelle en revanche – avec quelle douceur et quel désespoir mêlés – à un « interlocuteur » : son récit suppose quelqu’un qui l’écoute ; l’énoncé de sa « maladie » se tourne vers un autre qui puisse mieux le comprendre ; son errance a besoin d’un ami qui chemine avec lui. Un nouvel espace s’ouvre dans le livre, qui est celui du réel : le lecteur y pénètre comme un hôte étranger ; il y est appelé comme le témoin nécessaire mais muet d’une folie consciente d’elle-même ; il s’y apparaît comme le tiers exclu d’une relation duelle, à qui cependant toute chose demeure adressée. Par un accident dont François Cornilliat ne cache pas le caractère (justement) subjectif, c’est Montaigne qui vient alors au-devant de Nerval : tous deux également présents à la vérité dangereuse de leur parole, l’un selon l’essai, l’autre selon la chimère, et chacun prêtant à l’autre ou sa part de « sagesse » ou sa part de « folie », au-delà des habiletés littéraires et sans autre raison que celle d’une amitié nouée parmi les livres d’une bibliothèque en feu.
Claude Mouchard a choisi quant à lui, non pas d’écrire poétiquement avec Nerval (ce qu’il nous promet de faire dans le prochain numéro de notre revue), mais, ici, de traduire quelques notes de cours de Lafcadio Hearn, transcrites par un de ses étudiants à l’université de Tokyo où il enseigna entre 1896 et 1902. Ce ne sont pas tant les effets de cette « réception » de Nerval au Japon qui ont attiré l’attention de Claude Mouchard, que la qualité d’une voix que souligne l’éditeur de ces notes publiées en 1919 dans Life and literature : à l’intention de ses étudiants japonais, Lafcadio Hearn veillait en effet à parler lentement, avec le plus de simplicité et de clarté possibles. Quelque chose de cette voix vibre dans l’espace des livres, et saisit l’écoute de Claude Mouchard. S’y mêlent la transparence et l’étrangeté de la langue même de Nerval, ainsi réentendue de loin et révélée dans cet éloignement même. Cette justesse vocale, trouvée d’abord dans la relation d’enseignement, est aussi une justesse de vie, puisque tout rapproche le destin de Nerval et celui de Hearn, celui-ci revivant au Japon ce que celui-là était d’abord allé chercher en Orient.
15Le texte de Michiko Asahina est un hommage au poète, disparu récemment, Yasuo Irisawa. Celui-ci connaissait bien les livres de Lafcadio Hearn, mais aussi sa maison à Matsue près de laquelle il jouait dans son enfance au pays d’Izumo. Yasuo Irisawa a été un traducteur éminent de l’œuvre de Nerval, mais aussi un poète renommé. De Nerval à Irisawa, en passant par Hearn, le lien est à nouveau un lien de vibrations. Irisawa fit de son pays natal d’Izumo, terre des morts et des dieux, un équivalent du Valois de Nerval, dans des poèmes qui en outre ne cessent de questionner la possibilité même de la poésie quand celle-ci, pour lui comme pour Nerval, est frappée de cette fatalité qui fait qu’elle change en chimères les vérités mêmes qu’elle énonce.
Le numéro 4 contient enfin une riche moisson de Varia. – Nous publions un texte non signé de La Tribune romantique du 29 avril 1830, les « Poètes décriés », que les éditeurs de la Pléiade avaient écarté des productions journalistiques de Gérard, mais dont Emmanuel Buron démontre l’attribution certaine à Nerval. Cette publication est l’occasion, pour Emmanuel Buron, d’enrichir l’atelier du Choix des Poésies de Ronsard […]publié en 1830, mais aussi de montrer comment Nerval se loge dans ses lectures et habite cet espace autre qu’entrouvrent les livres ; c’est aussi l’occasion de mieux comprendre l’idée de l’odelette que construit le jeune poète autour de 1830 en combinant l’inspiration naïve de la renaissance et l’inspiration visionnaire de la poésie allemande qu’il édite au même moment. – Nous accueillons par ailleurs une belle étude de Dominique Kunz Westerhoff, qui montre comment Nerval, en s’emparant de l’idée « mécaniste » de l’imagination, telle qu’elle prévaut dans les discours médicaux et philosophiques du temps, la retourne de manière à faire entendre un autre discours faisant place à l’imagination « créatrice », née du rêve et de la nuit. – Jean-Didier Wagneur, quant à lui, nous a confié une étude sur la bohème, voyant en Nerval celui qui fait le lien entre l’âge d’or des camaraderies romantiques et l’âge d’airain de la bohème des années 1850, non moins pittoresque ni moins émouvante, mais plus miséreuse et plus désenchantée, astreinte au « joug du journalisme » et complice, malgré qu’elle en ait, de l’essor de « la littérature industrielle ». – Piero Latino décèle dans l’éros nervalien des traces de la tradition ininterrompue, à travers le relais de Dante, des Fidèles d’Amour. – Trois études mettent Nerval en relation ou en 16constellation avec quelques-uns de ses frères en poésie, comme Schubert (Pierre Fleury), André Hardellet (Antoine Piantoni), ou Yves Bonnefoy (Caroline Narracci).
Nous sommes heureux que se croisent ainsi dans un même espace éditorial des chercheurs confirmés et d’autres plus jeunes, des spécialistes de l’œuvre de Nerval et d’autres venus d’horizons divers, des travaux universitaires et des essais plus libres : notre revue fait ainsi sa preuve, en avançant.
Nous avons tenu, enfin, à encadrer ce numéro par deux textes que nous a donnés Henri Bonnet, l’un sur le Voyage en Orient, l’autre sur Sylvie : manière pour nous de rendre un amical hommage à ce savant et fin humaniste, que l’œuvre de Nerval accompagne depuis toujours, qui sait en dire la sagesse mystérieuse, et la transmettre généreusement.
Jean-Nicolas Illouz et Henri Scepi
1 Mallarmé, « Observation relative au poème Un coup de Dés jamais n’abolira le Hasard », Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1998, p. 392.
2 Mallarmé,« Bibliographie », Divagations, Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2003, p. 277.
3 Les dernières lignes de la lettre à Alexandre Dumas, à la fin de la préface aux Filles du feu, sont accusatoires et dénoncent la violence du regard critique et du regard clinique portés sur l’écrivain : « – la dernière folie qui me restera probablement, ce sera de me croire poète : c’est à la critique de m’en guérir. » (OC XI, p. 64).
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-10516-9
- EAN : 9782406105169
- ISSN : 2554-8948
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10516-9.p.0013
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 08/04/2020
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français