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Classiques Garnier

Éditorial

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue Nerval
    2020, n° 4
    . varia
  • Auteurs : Illouz (Jean-Nicolas), Scepi (Henri)
  • Pages : 13 à 16
  • Revue : Revue Nerval
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406105169
  • ISBN : 978-2-406-10516-9
  • ISSN : 2554-8948
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10516-9.p.0013
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 08/04/2020
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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Éditorial

Au terme dune année de travail avec les auteurs qui ont participé à lélaboration de ce numéro, nous sommes heureux doffrir à nos lecteurs la quatrième livraison de la Revue Nerval.

Dans une première rubrique, nous avons donné carte blanche à Sarga Moussa pour la constitution dun dossier thématique consacré à lOrient de Nerval, ou plutôt à ses « Résonances » : car tout vibre, on le sait, dans lécriture nervalienne, et car ces vibrations, dabord internes, se propagent jusque dans les œuvres dautres voyageurs, proches ou lointains, qui ont choisi de mettre leurs pas dans les pas de Nerval.

Dans la rubrique « Rencontres », que nous inaugurons ici, nous avons invité des écrivains daujourdhui à accompagner de leur voix la voix de Nerval. Un « genre » – « que cen devienne un », nuancerait Mallarmé1 – se cherche, qui se situerait dans le sillage de ce que Mallarmé nomme quant à lui le « poème critique2 », – réflexif bien sûr (et pleinement savant), mais sans extériorité par rapport à son objet, sil est vrai quen art, comme dans linconscient selon Lacan, il ny a pas de métadiscours, – du moins pour ceux qui font de la lecture, et de létude, le champ dune expérience dans leur vie.

François Cornilliat, dans le texte quil nous a donné pour cette rubrique, pose précisément la question de la place à laquelle Nerval convie son lecteur (un lecteur sans doute « amateur », mais « de bonne foi »), puisque Nerval sest chargé lui-même danalyser sa folie, léprouvant dans sa vie, mais aussi la racontant et la commentant dans son récit, – se tenant ainsi à la fois et dedans et dehors, – exilé des deux 14bords. Si « la critique3 » langoisse, Nerval en appelle en revanche – avec quelle douceur et quel désespoir mêlés – à un « interlocuteur » : son récit suppose quelquun qui lécoute ; lénoncé de sa « maladie » se tourne vers un autre qui puisse mieux le comprendre ; son errance a besoin dun ami qui chemine avec lui. Un nouvel espace souvre dans le livre, qui est celui du réel : le lecteur y pénètre comme un hôte étranger ; il y est appelé comme le témoin nécessaire mais muet dune folie consciente delle-même ; il sy apparaît comme le tiers exclu dune relation duelle, à qui cependant toute chose demeure adressée. Par un accident dont François Cornilliat ne cache pas le caractère (justement) subjectif, cest Montaigne qui vient alors au-devant de Nerval : tous deux également présents à la vérité dangereuse de leur parole, lun selon lessai, lautre selon la chimère, et chacun prêtant à lautre ou sa part de « sagesse » ou sa part de « folie », au-delà des habiletés littéraires et sans autre raison que celle dune amitié nouée parmi les livres dune bibliothèque en feu.

Claude Mouchard a choisi quant à lui, non pas décrire poétiquement avec Nerval (ce quil nous promet de faire dans le prochain numéro de notre revue), mais, ici, de traduire quelques notes de cours de Lafcadio Hearn, transcrites par un de ses étudiants à luniversité de Tokyo où il enseigna entre 1896 et 1902. Ce ne sont pas tant les effets de cette « réception » de Nerval au Japon qui ont attiré lattention de Claude Mouchard, que la qualité dune voix que souligne léditeur de ces notes publiées en 1919 dans Life and literature : à lintention de ses étudiants japonais, Lafcadio Hearn veillait en effet à parler lentement, avec le plus de simplicité et de clarté possibles. Quelque chose de cette voix vibre dans lespace des livres, et saisit lécoute de Claude Mouchard. Sy mêlent la transparence et létrangeté de la langue même de Nerval, ainsi réentendue de loin et révélée dans cet éloignement même. Cette justesse vocale, trouvée dabord dans la relation denseignement, est aussi une justesse de vie, puisque tout rapproche le destin de Nerval et celui de Hearn, celui-ci revivant au Japon ce que celui-là était dabord allé chercher en Orient.

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Le texte de Michiko Asahina est un hommage au poète, disparu récemment, Yasuo Irisawa. Celui-ci connaissait bien les livres de Lafcadio Hearn, mais aussi sa maison à Matsue près de laquelle il jouait dans son enfance au pays dIzumo. Yasuo Irisawa a été un traducteur éminent de lœuvre de Nerval, mais aussi un poète renommé. De Nerval à Irisawa, en passant par Hearn, le lien est à nouveau un lien de vibrations. Irisawa fit de son pays natal dIzumo, terre des morts et des dieux, un équivalent du Valois de Nerval, dans des poèmes qui en outre ne cessent de questionner la possibilité même de la poésie quand celle-ci, pour lui comme pour Nerval, est frappée de cette fatalité qui fait quelle change en chimères les vérités mêmes quelle énonce.

Le numéro 4 contient enfin une riche moisson de Varia. – Nous publions un texte non signé de La Tribune romantique du 29 avril 1830, les « Poètes décriés », que les éditeurs de la Pléiade avaient écarté des productions journalistiques de Gérard, mais dont Emmanuel Buron démontre lattribution certaine à Nerval. Cette publication est loccasion, pour Emmanuel Buron, denrichir latelier du Choix des Poésies de Ronsard []publié en 1830, mais aussi de montrer comment Nerval se loge dans ses lectures et habite cet espace autre quentrouvrent les livres ; cest aussi loccasion de mieux comprendre lidée de lodelette que construit le jeune poète autour de 1830 en combinant linspiration naïve de la renaissance et linspiration visionnaire de la poésie allemande quil édite au même moment. – Nous accueillons par ailleurs une belle étude de Dominique Kunz Westerhoff, qui montre comment Nerval, en semparant de lidée « mécaniste » de limagination, telle quelle prévaut dans les discours médicaux et philosophiques du temps, la retourne de manière à faire entendre un autre discours faisant place à limagination « créatrice », née du rêve et de la nuit. – Jean-Didier Wagneur, quant à lui, nous a confié une étude sur la bohème, voyant en Nerval celui qui fait le lien entre lâge dor des camaraderies romantiques et lâge dairain de la bohème des années 1850, non moins pittoresque ni moins émouvante, mais plus miséreuse et plus désenchantée, astreinte au « joug du journalisme » et complice, malgré quelle en ait, de lessor de « la littérature industrielle ». – Piero Latino décèle dans léros nervalien des traces de la tradition ininterrompue, à travers le relais de Dante, des Fidèles dAmour. – Trois études mettent Nerval en relation ou en 16constellation avec quelques-uns de ses frères en poésie, comme Schubert (Pierre Fleury), André Hardellet (Antoine Piantoni), ou Yves Bonnefoy (Caroline Narracci).

Nous sommes heureux que se croisent ainsi dans un même espace éditorial des chercheurs confirmés et dautres plus jeunes, des spécialistes de lœuvre de Nerval et dautres venus dhorizons divers, des travaux universitaires et des essais plus libres : notre revue fait ainsi sa preuve, en avançant.

Nous avons tenu, enfin, à encadrer ce numéro par deux textes que nous a donnés Henri Bonnet, lun sur le Voyage en Orient, lautre sur Sylvie : manière pour nous de rendre un amical hommage à ce savant et fin humaniste, que lœuvre de Nerval accompagne depuis toujours, qui sait en dire la sagesse mystérieuse, et la transmettre généreusement.

Jean-Nicolas Illouz et Henri Scepi

1 Mallarmé, « Observation relative au poème Un coup de Dés jamais nabolira le Hasard », Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1998, p. 392.

2 Mallarmé,« Bibliographie », Divagations, Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2003, p. 277.

3 Les dernières lignes de la lettre à Alexandre Dumas, à la fin de la préface aux Filles du feu, sont accusatoires et dénoncent la violence du regard critique et du regard clinique portés sur lécrivain : « – la dernière folie qui me restera probablement, ce sera de me croire poète : cest à la critique de men guérir. » (OC XI, p. 64).