Comptes rendus
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue européenne de recherches sur la poésie
2020, n° 6. varia - Auteurs : Dotoli (Giovanni), Cavallini (Concetta), Devincenzo (Giovanna), Selvaggio (Mario), Fraccacreta (Alberto), Caserini (Aldo)
- Pages : 243 à 274
- Revue : Revue européenne de recherches sur la poésie
Adrien Cavallaro, Rimbaud et le rimbaldisme. xixe-xxe siècles, Paris, Hermann, « Savoir lettres », 2019, 496 p.
Un autre livre sur Arthur Rimbaud ? Était-il indispensable ? C’est que la question Rimbaud est ouverte, et le sera à jamais. Une œuvre si révolutionnaire, et une vie si révolutionnaire elle aussi, ne trouveront jamais d’accord général.
Mais c’est là la force de Rimbaud. C’est désormais un classique, avec toutes les connotations du classique. Un mythe général et des interprétations même opposées les unes aux autres.
Dès les premières critiques on parle en effet de mythe de Rimbaud. Son cas est tellement extraordinaire, que l’on ne trouve pas de mieux pour le classer.
D’après l’auteur de ce livre, c’est le mythe rimbaldien qui déroute la critique. À la place de partir du texte on part du mythe, et tout se complique. En plus, on parle trop de deux Rimbaud, celui d’avant, le poète, et celui d’après, l’explorateur et le marchand.
Même la plaque que l’on lit sur sa maison de naissance parle d’explorateur et de poète. La Société de Géographie le fait trop passer par la lignée du géographe. Moi, dans un livre d’il y a quelques années, je parle de géographe visionnaire.
Ce livre est très précieux. Il examine la construction du mythe Rimbaud en ayant recours à tous les témoignages, à toute sorte de document, à partir de la thèse de Stéphane Mallarmé, pour qui Rimbaud est un « passant considérable ».
Le rimbaldisme se construit dès le début. La disparition du poète et la découverte de son œuvre créent le mythe du silence et de l’ailleurs, du départ vers l’Orient et l’infini.
Pendant plus d’un siècle il y a deux Rimbaud. Ce livre conteste cette lecture. Je partage cette contestation. Il y a un seul Rimbaud, ce que j’ai répété dans mes recherches.
À lire son œuvre dans son intégralité. La poésie et la correspondance, les photographies et les cris de là-bas, en Afrique et à Aden.
244Le rimbaldisme appartient à la modernité. Il se tient si nous voyons un seul Rimbaud. Même ses rêves font partie de l’œuvre. Et quelle œuvre !
Nous assistons toutefois à quelque chose d’extraordinaire. Un poète total aimé par toute sorte de public, par les jeunes et les adultes. Rimbaud est un seul. Le personnage fantastique qu’il est. Étiemble a son rôle, avec son Mythe de Rimbaud, mais tout va vers le mythe dans la réception rimbaldienne. Il faut la repenser. On aimera encore plus ce poète universel.
Ce livre nous aidera à réfléchir. Un autre pas en avant sur une interprétation plus correcte de Rimbaud.
Giovanni Dotoli
Université de Bari Aldo Moro
Cours de Civilisation française
de la Sorbonne
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Steve Murphy, sous la direction de, Rimbaud, Verlaine et zut. À la mémoire de Jean-Jacques Lefrère, Paris, Classiques Garnier, « Rencontres », 2019, 608 p.
Steve Murphy, l’un des plus grands spécialistes d’Arthur Rimbaud, rend hommage à un géant des études sur l’auteur des Illuminations, Jean-Jacques Lefrère, trop tôt disparu (1954-2015).
J’ai eu la chance de le connaître. Je l’ai croisé deux fois, surtout au colloque organisé par la Société de Géographie sur « Rimbaud géographe ». Il m’a dit à cette occasion-là qu’il avait apprécié mes livres Rimbaud, l’Italie, les Italiens. Le géographe visionnaire et Rimbaud ingénieur.
Il parlait comme un ange de projets, de documents, de découvertes, de visions. Et il m’avait donné des conseils pour continuer sur la route que j’avais entreprise. Puis je n’ai plus eu l’occasion de le croiser.
245Quand on ouvre les livres de Jean-Jacques Lefrère sur Rimbaud – des recherches sublimes, précises et pleines de nouvelles orientations – on est pris par une nouvelle énergie. C’est grâce à lui que le mythe de Rimbaud a trouvé un nouvel essor.
Et toutefois la littérature pour Lefrère était un hobby ! Il était professeur des universités en hématologie, et directeur de l’Institut national de transfusion sanguine ! Et… aussi docteur ès lettres. Un miracle de science et de confiance dans la recherche à l’infini.
Promoteur de colloques et revues, biographe sublime – Lautréamont, Verlaine. Rimbaud –, il ouvre la littérature comme un livre aux mille secrets. Et il déniche ces secrets avec aisance et humour, d’où le titre de ce livre, rappelant le zutisme, qui a joué un grand rôle dans la poésie de Rimbaud.
Dans ce livre, 36 chercheurs rendent hommage à Jean-Jacques Lefrère. Le trio Rimbaud-Verlaine-cercle zutique révèle son humour et son goût de la parodie. Une mine pour la verve de Lefrère.
« Rimbaldo-verlaino-zutophile » (p. 7), Jean-Jacques Lefrère montre une érudition hors pair, une passion qui est un modèle. L’un de ses livres porte le titre Rimbaud ailleurs. Oui, il nous amène toujours ailleurs, où la critique n’a pas réussi à arriver. Et grâce à lui nous aimons la littérature comme notre salut.
Il m’est impossible de choisir des titres et des noms dans la foisonnante table des matières de ce livre. On y repère des diamants, et des découvertes à la Lefrère. Tout chercheur d’Isidore Ducasse-Verlaine-Rimbaud devra en tenir compte.
Giovanni Dotoli
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Paul Verlaine, Écrits sur Rimbaud, choix de textes, préface et notes d’Andrea Schellino, Paris, Payot & Rivages, « Rivages poche. Petite Bibliothèque », 2019, 146 p.
Un petit livre précieux comme un bijou. Andrea Schellino, connu comme un grand baudelairien, a l’heureuse idée de recueillir tous les écrits de Paul Verlaine sur Arthur Rimbaud, en prose et en vers.
Un véritable diamant, à la lumière centrale d’azur avec toutes les couleurs de l’arc-en-ciel autour. Tout ce que l’on sait des liens entre les deux poètes s’éclaircit. Logique biographique et logique poétique.
« La débauche parisienne, le ménage à Londres, le drame de Bruxelles » (p. 7) trouvent une explication fondée sur les faits, de l’écriture et de la vue. C’est Verlaine qui est à l’origine du mythe Rimbaud, d’après les signes « d’une amitié ‘très réelle, très profonde et très persévérante’ » (p. 7), bien que « pas très pure ».
Rimbaud apparaît à Verlaine comme un « enfant sublime », un « Casanova gosse », un être au « visage parfaitement ovale d’un ange en exil, avec des cheveux châtain-clair mal en ordre et des yeux d’un bleu pâle inquiétant ».
Charme physique et charme poétique. Supériorité de l’œuvre, que Verlaine reconnaît l’un des premiers, si ce n’est le premier, et subjugation physique. Verlaine sait que Rimbaud va renouveler la poésie, à jamais. Son mythe se fonde sur la réalité de l’œuvre. Ce qui l’amène à publie les Illuminations.
Verlaine ne cesse de publier son ami, de l’admirer, d’annoncer au monde la grandeur d’un poète universel. Ce jeune maudit et infernal est son compagnon sur la route du monde et de la poésie.
« Verlaine est à l’origine d’une réhabilitation littéraire qui se fonde sur une admiration lucide et sincère. Les questions qu’il aborde occuperont durablement la postérité rimbaldienne » (p. 13).
Nous les chercheurs, mais aussi les lecteurs communs, nous devons savoir gré à cette belle idée d’Andrea Schellino. L’« ange ET démon », « exquisément perverse ou chaste » Rimbaud apparaît dans toute 247sa fulgurance. Verlaine lui aussi. « En précurseur, Verlaine prolonge l’enchantement de Rimbaud au-delà de la page écrite » (p. 14).
Giovanni Dotoli
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Paul Verlaine, Œuvres poétiques, édition de Jacques Robichez, « Classiques jaunes. Littératures francophones », 2020, 808 p.
Cette édition est la réimpression de l’édition de Paris, 1995, par un spécialiste attitré de l’œuvre de Paul Verlaine. Jacques Robichez est l’auteur d’une thèse capitale, intitulée Le symbolisme au théâtre. Lugné-Poe et les débuts de l’œuvre, et notamment de Verlaine entre Rimbaud et Dieu : de Romances sans paroles à Sagesse, des chefs-d’œuvre.
En faisant trésor d’études importantes, surtout d’Antoine Adam, Jacques Borel, Y.-G. Le Dantec et Jacques-Henry Bornecque, Jacques Robichez choisit de ne pas publier les œuvres poétiques complètes de Verlaine, mais ses huit recueils historiques, des Poèmes saturniens à Parallèlement, c’est-à-dire l’œuvre publiée entre 1866 et 1889. Il n’exclut que les premiers vers « ainsi que les poèmes non recueillis en volume par l’auteur » (p. xv). « Ce n’est rien sacrifier d’essentiel et retenir tous les chefs-d’œuvre » (Ibid.).
Robichez privilégie la meilleure édition parue du vivant du poète et l’originale pour cinq recueils et la seconde pour Romances sans parole, Sagesse et Jadis et naguère. Il maintient la ponctuation de Verlaine, même quand elle est bizarre. Un choix que je partage totalement, parce que la grande poésie n’est jamais bizarre : la ponctuation est le rythme de la poésie, et Verlaine suit son rythme à lui. Il laisse ainsi des expressions telle « Incendie ès-mon-cœur », dans Parallèlement.
248Le professeur et directeur et fondateur des éditions Classiques Garnier, M. Claude Blum, a fait un choix de grande importance pour l’interprétation de Verlaine, en publiant cette édition, qui est un modèle de rigueur et de simplicité.
Il y a une unité dans l’œuvre de Verlaine, sous la marque de la dualité et de la nostalgie. Jeux de l’amour et libertinage apparaissent dans toute leur force. Plaisir et déception. Péché et Dieu. C’est-à-dire l’homme Verlaine à l’unisson avec le poète.
Verlaine se révèle, comme il se doit, l’un des plus grands poètes français et au monde. Son mysticisme est contrebalancé par son amour de la chair. Le voilà alors aller par « accords dissonants », d’après sa dualité intrinsèque. Le rêve se fait éphémère. L’écriture impressionniste est en effet une écriture d’avant-garde.
Plus de malentendus. Verlaine est l’un des plus grands poètes de France. Il faut le relire. Il faut l’aimer. Il faut qu’il revienne dans les écoles. On découvrira l’allure poétique d’un géant.
Giovanni Dotoli
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Dante Alighieri, La Divine Comédie, nouvelle traduction de l’italien et préface de René de Ceccatty, Paris, Éditions du Seuil, « Points », 2017, 698 p.
« Retraduire un chef-d’œuvre après tant de prédécesseurs peut paraître une tentative absurde, périlleuse et inutile. La Divie Comédie a connu tant de versions françaises obéissant aux principes les plus divers qu’en proposer une de plus semble voué à répéter le travail d’un autre et à risquer d’ajouter ou d’aggraver des erreurs, des malentendus ou des 249inexactitudes, plus qu’à trouver des solutions élégantes et lumineuses » (p. 7).
René de Ceccatty ouvre sa préface par ces mots précis, comme s’il voulait s’excuser d’avoir oser traduire l’un des chefs-d’œuvre de l’humanité.
Il nous dit que la traducteur est un musicien. Et il est un musicien. Il connaît bien l’original et la traduction qu’en en a fait Jacqueline Risset, une amie à moi qui nous a quittés il y a quelques années. Mais si Risset « a conservé des zone d’obscurité », Ceccatty essaie de tout éclaircir.
C’est une traduction sans notes – Ceccatty les refuse, pour éviter que le lecteur aille à droite et à gauche, en perdant le rythme du texte. Pour lui la lecture doit être « sinon totalement courante, plus qu’elle ne l’est d’ordinaire », de toute façon fidèle à l’original. C’est le texte qui guide le lecteur et non pas les notes.
Romancier et essayiste, traducteur de nombreuses ouvrages classiques et contemporains du japonais et de l’italien (Pasolini, Moravia, Leopardi, Michel-Ange, Pétrarque, Saba, Penna), Ceccatty nous offre un texte qui garde tout son rythme, son importance, sa densité reconnue par toute la critique.
La Divine Comédie est un voyage parmi les mots, pour parler des vivants, de leurs défauts, de leurs crimes. C’est un tableau de l’Italie, de l’Antiquité au xive siècle, un texte de théologie, un pamphlet contre la corruption des puissants et la décadence des papes, à Rome.
Ceccatty nous prouve que ce texte est un roman d’aventures, avec des visions d’horreur et d’extase.
Pour obtenir une lisibilité facile, à la hauteur de nos temps, il choisit l’octosyllabe, ce qui lui permet de retrouver la légèreté brillante d’un texte total.
Giovanni Dotoli
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Dante, La Divine Comédie, traduction et édition critique par Henri Longnon, Paris, Classiques Garnier, « Classiques jaunes. Textes du monde », 2019, 718 p.
Archiviste paléographe, Henri Longnon était un spécialiste de la Renaissance. On le connaît pour sa biographie de Pierre de Ronsard et son édition des poètes de la Pléiade.
Sa traduction de La Divine Comédie reçut un prix de l’Académie française. Longnon a aussi édité en édition critique la Comédie humaine d’Honoré de Balzac, en quarante volumes, un travail colossal.
Cette édition de sa traduction du grand œuvre de Dante Alighieri est la réimpression de l’édition de Paris, 1999. Le texte de départ est celui de la Società Dantesca Italiana.
Henri Longnon choisit une traduction où le rythme est central, un peu selon les théories d’Henri Meschonnic. En partant du fait que « Dante est le maître de l’allusion » (p. xxvii), il prend « le parti de le rendre indifféremment en coupes de dix ou de douze syllabes, selon que le vers venait à l’appel de son modèle italien » (Ibid.).
Ainsi, si en français le décasyllabe a « toujours sa césure après la quatrième », en italien elle peut varier. C’est ce que fait Henri Longnon, en assurant un rythme musical à sa traduction du chef-d’œuvre de Dante. Une opération bien réussie, malgré sa difficulté.
Comme il sait qu’il est impossible de comprendre La Divine Comédie sans le contexte de l’époque et sans la vie mouvementée de Dante, il fait précéder sa traduction d’une longue importante préface, où la vie de Dante et l’interprétation de l’énigme de La Divine Comédie ont un rôle fondamental.
Je salue donc cette réimpression comme un événement, par ces temps tragiques de perte des valeurs et de pandémie.
Giovanni Dotoli
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Daniel Lançon, Yves Bonnefoy, histoire des œuvres et naissance de l’auteur. Des origines au Collège de France, Paris, Hermann, « Savoir Lettres », 2014, 618 p.
Voici un livre que j’aurais voulu écrire. J’ai été ami d’Yves Bonnefoy à la fin de sa vie. Mes entretiens avec lui étaient sublimes. On pensait être dans une sphère céleste, ici sur cette terre qu’il comprenait mieux que n’importe quel grand philosophe.
L’un des plus grands spécialistes de l’œuvre de Bonnefoy, Daniel Lançon, analyse ici, dans ce livre fondateur, les recueils de poèmes de Bonnefoy de La Révolution la nuit, paru en janvier 1946, à l’édition des Poèmes en 1978 dans la collection « Poésie », chez Gallimard.
La « fiction poétique » se construit au fur et à mesure, jusqu’à la chaire au Collège de France – voir la leçon inaugurale du poète.
À une époque de grandes mutations, Yvs Bonnefoy garde toujours un parcours linéaire : le poète, le prosateur, le critique d’art, le traducteur, l’éditeur sont liés par un fil rouge poétique qui est l’axe central de mouvement du poète.
« C’est la raison pour laquelle la mise en lumière d’une archéologie poétique et intellectuelle méconnue (1946-1952) est apparue indispensable, ainsi que celle de la position du jeune écrivain dans les débats du moment existentiel de la pensée française dans les premières décennies de l’après-guerre » (p. 11).
C’est une méthode que j’apprécie énormément, celle de faire l’histoire des œuvres, en utilisant tout document possible, même les textes non recueillis par le poète. « La genèse de chaque recueil ou livre est prise en compte, tout comme la matérialité des éditions premières » (ibid.), ainsi que l’illustration, le livre de poche, le volume luxueux.
Tout se fait réalité symbolique, et la figure d’Yves Bonnefoy et de sa poésie se font visibles. La poésie devient la vie.
Yves Bonnefoy est-il désormais un écrivain « classique » ? Je le pense. Ce livre lui aussi le prouve. Par sa « gestation en amont » 252(p. 12), on remonte à la source. Bonnefoy ne quitte jamais sa pensée et sa route.
Tout chercheur voulant étudier l’œuvre de ce grand poète, un patrimoine de l’humanité, doit en tenir compte.
Giovanni Dotoli
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Marina Alberghini, La fortuna è un gatto nero. I poeti cantautori del cabaret Chat Noir di Montmartre, Viterbo, Stampa Alternativa/Nuovi Equilibri, 2013, 144 p.
Je ne connaissais pas Marina Alberghini. Puis une heureuse soirée avec l’une de ses amies m’a permis de connaître ses livres et son action en faveur des chats.
Elle m’a envoyé une immense biographie de Louis-Ferdinand Céline, dont elle est l’auteur, parue en 2009 chez Mursia à Milan : un monument.
J’ai appris que Mme Alberghini est peintre et essayiste et qu’elle a la passion des chats et de la présence du chat dans les arts, dans la littérature et dans le différentes civilisations. Elle est aussi l’auteur de biographies de Paul Klee, Suzanne Valadon, Jacopo Bassano, Lewis Carroll.
Ce livre est un modèle de perfection et d’élégance. La première partie décrit la naissance du célèbre cabaret de Montmartre, fondé par Rodolphe Salis en 1881, Le Chat noir, ce local mythique où on fait de tout et surtout où la littérature et l’art sont vivants.
La crème des poètes et artistes indépendants fréquente le Chat Noir. Il a même un journal, « Le Chat Noir », dans lequel écrivent les grands 253de l’époque, Renan, Bloy, Coppée, Maeterlinck, Loti, Saint-Saens, Jarry, celui qui écrira le sublime Ubu Roi.
Les fous, les poètes, les révolutionnaires qui ont fait faillite, les artistes contre, les mythomanes, les libertaires, les érotomanes, sont là, pour chanter, danser, écrire, présenter leurs folies.
C’est le vrai Montmartre, celui qui est resté dans l’histoire. En 1885, un nouveau siège, rue Laval. Sur la façade on lit à côté d’un grand chat noir : « Passant, sois moderne ! ». On y fait aussi du théâtre d’avant-garde. Le Chat noir est idéaliste, concret, chauvins, fumistes, réactionnaires, républicains, et surtout indépendants. Toute âme qui rêve y est accueillie.
Les noms les plus importants : Salis lui-même, Goudeau, Bruant, Allais, Ghil, Rollinat, Cros, Verlaine, Mallarmé, Rictus, Satie.
Ce livre est donc fondamental, pour connaître l’un des lieux où naît l’avant-garde. Après l’histoire du cabaret relatée comme un roman, Marina Alberghini donne une anthologie commentée des poètes du Chat Noir, traduits en italien.
À lire avec passion. Un monde s’ouvre. C’est un monde d’amour et de rêve.
Giovanni Dotoli
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René Corona, Compitare nei cortili, postfazione di Emanuele Spano, Pasturana, puntoacapo, 2019, 174 p. ; La conta imprecisa, prefazione di Alessandro Quattrone, Pasturana, puntoacapo, 2019, 122 p.
Je connais René Corona depuis très longtemps, comme professeur de Langue et Traduction françaises, à l’Université de Messine, en Sicile.
254J’adore ses essais et ses livres, surtout un livre que j’ai publié dans ma collection parisienne « Vertige de la langue », chez Hermann : Le singulier pluriel ou « Icare et les élégiaques ».
Je percevais l’âme poétique profonde de René Corona, mais je ne savais pas qu’il était poète à plein titre. Puis un jour voilà le miracle. Il me propose de publier dans ma collection « L’Orizzonte » (Aga - L’Harmattan), premièrement un merveilleux livre d’essais poétiques : Passage du temps et des courants. L’imagination ô savoir ! Le spectacle du monde : pour un micro-imaginaire poétique, 2019, 408 p., et immédiatement après, deux recueils de poèmes : Croquer le marmot sous l’ombre, 2019, 216 p., et Sortilèges de la retenue sous le bleu indigo de la pluie, 2019, 128 p., en langue française.
C’est une découverte qui me procure un immense plaisir. Je suis face à un grand poète.
Puis, à tour de rôle, je reçois deux autres recueils de poèmes : Compitare nei cortili, postface d’Emanuele Spano, et La conta precisa, préface d’Alessandro Quattrone, les deux parus chez puntoacapo, en 2019, en langue italienne.
Quatre livres de poèmes en un seule année. Je me console. Je ne suis pas le seul à trop écrire. La raison vient en direct des poèmes de René Corona. Des poèmes d’avant-garde claire, accessible, où l’éclair de lumière est toujours ensoleillé.
J’aime la préface d’Alessandro Quattrone, laquelle m’ouvre les yeux et me donne des pistes de lecture. René Corona joue avec les mots. Il aime les mots. Il en invente. Il les orchestre. Chaque poème est la confirmation que l’être est fait de mots. Nous sommes mots plus que chair. Et aussi chair de mots.
La mer de la poésie est un plateau de mots. René Corona y nage comme un poète d’autrefois, en cherchant des réponses. Même sa mélancolie est faite de mots. Il est à l’écoute du monde via les mots. Les plus insignifiants eux-mêmes lui parlent, lui désignent la voie à suivre.
Mais tout cela sans rhétorique. En liberté, tel un poète de l’avant-garde historique. Les « sources » que Corona aime, surtout Charles Baudelaire – un amour partagé – sont dans les coulisses. Elles sourient et craignent même que notre poète les dépasse. Le langage se fait magique, fort, profond. René Corona sait qu’il a une énergie et se lance à la recherche de cette énergie pour la donner en cadeau au lecteur.
255C’est la fête du langage, et de la poésie, lieu par excellence du langage. Une nouvelle étoile poétique est née, j’en suis convaincu, en langue italienne et en langue française. Un autre élément qui nous unit.
Giovanni Dotoli
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Filip Kekus, Nerval fantaisiste, Paris, Classiques Garnier, 2019, 844 p.
Cet imposant volume, fruit d’une thèse soutenue en 2015, vise à approfondir un volet peu connu de l’œuvre de Gérard de Nerval, toujours considéré comme un poète fou ou tout du moins mélancolique, vu son inspiration fantaisiste. Ce qui, comme le dit l’auteur dès la quatrième de couverture, « ne revient nullement à nier sa folie », mais plutôt à la mettre en relation avec une des possibilités de l’inspiration romantique, qui permettrait de ne plus voir Nerval comme un personnage isolé dans le panorama littéraire de son époque, mais au contraire comme un sujet original dans son contexte.
L’étude s’appuie sur une bibliographie importante (p. 797-829). Tout en élisant comme texte de référence l’édition Pléiade en trois volumes des Œuvres complètes de Nerval par J. Guillaume et C. Pichois (1984-1993), Kekus consulte un très grand nombre d’autres éditions, ainsi que les manuscrits de Nerval et de nombreux périodiques d’époque. Il ajoute à cela un apparat bibliographique critique important pour supporter sa lecture centrée sur l’inspiration ‘fantaisiste’ de Nerval.
Le « Préambule » (p. 9-28) fait le point sur de véritables « bévues » (p. 14) de la critique, qui a attribué à Nerval l’image du poète fou et maudit, mélancolique, oubliant presque qu’il était ce poète humoriste, causant un « rire sonore » (p. 14 d’après les mots de Marcel Du Camp dans ses Souvenirs littéraires) chez ses contemporains, ainsi que toute la 256production burlesque et ironique de l’auteur. Les quelques critiques qui ont essayé de réévaluer les éléments fantaisistes de l’œuvre nervalienne se sont limités à de brèves études qui n’ont pas mis en valeur l’ensemble des éléments plus proprement fantaisistes, car « la fantaisie n’efface pas la folie, et inversement » (p. 19).
Pour ce qui est du corpus analysé, l’auteur inclut aussi les journaux auxquels Nerval a collaboré, L’Artiste, Le Monde dramatique, Le Mercure de France au dix-neuvième siècle, le Figaro, outre les « chefs-d’œuvre de fantaisie » (p. 24) comme Les Faux Saulniers ou Les Nuits d’octobre, mais aussi les sections les plus fantaisistes du Voyage en Orient et de Lorely, et encore des sections fantaisistes d’ouvrages “insoupçonnables”, comme Aurélia et « Les Chimères ». Certes, plusieurs œuvres ont échappé à cette enquête, comme « Sylvie » et Pandora, dont l’ironie est le sujet de récentes recherches tout à fait intéressantes, mais l’auteur avoue ce choix qui n’affecte en rien la force de l’analyse, puisqu’aucune recherche n’est jamais complète ni achevée. L’auteur laisse aussi de côté les œuvres écrites à plusieurs mains, théâtrales notamment, ou des œuvres dont la part d’attribution nervalienne est extrêmement douteuse.
Après les sections consacrées à l’analyse de la production nervalienne, le volume consacre des pages à une réflexion plus théorique, qui tente de renouer la notion de ‘fantaisie’ à l’époque romantique avec une tradition importante d’ouvrages où fantaisie et imagination étaient déjà liées, dans l’Antiquité et à la Renaissance par exemple (i.e. au début de la littérature moderne). Et c’est justement la possibilité de trouver une troisième voie entre le Bien et le Mal, une voie échappatoire brouillant raison et folie, qui peut faire de la fantaisie une source de salut, cherchant en même temps un contact avec le lecteur à travers un sourire. Car Nerval n’a jamais été un homme isolé de son vivant, bien au contraire. La « Conclusion » (p. 783-796) contient une liste des fonctions que la fantaisie peut avoir dans l’œuvre nervalienne. Parmi ces nombreuses fonctions, l’une des plus importantes nous semble être la fonction critique et subversive, car d’après Kekus « la fantaisie est la nuance particulière de l’opposition nervalienne » (p. 791).
Un écrivain engagé dans la communauté intellectuelle de son temps, un écrivain informé, rieur, amuseur, tout en étant original, traçant des directions d’écriture et de réflexion nouvelles, un écrivain dont la production a peut-être trop longtemps fait les frais d’une lecture partielle ne 257permettant pas d’en apercevoir les particularités. Ce volume a le mérite de re-porter l’attention sur Nerval en regardant sa production d’une manière nouvelle et convaincante mettant en lumière des éléments insoupçonnés ou passés sous silence grâce à une analyse rigoureuse et détaillée.
Concetta Cavallini
Université de Bari Aldo Moro
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Ferdinand Alquié, sous la direction de, Le Surréalisme, Paris, Hermann, 2012, 568 p.
Fidèle à la mission qu’elle s’est donnée, la collection « Cerisy Archives » aux éditions Hermann re-propose aux lecteurs un livre « de prime importance » (p. 5), comme le précise l’« Avertissement » d’Édith Heurgon, directrice du CCIC (Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle). Il s’agit des actes du colloque Entretiens sur le Surréalisme, qui a eu lieu du 10 au 18 juillet 1966 à Cerisy-la-Salle. Le volume, sous la direction de Ferdinand Alquié, était sorti aux éditions Moutons & Co (Paris – La Haye), avec des contributions de Gérard Legrand, Jean Brun, Michel Guiomar, Annie Le Brun, Jean Jaude, Alain Jouffroy, Robert S. Short, Maire-Louise Gouhier, Jean Whal, Stanley S. Collier, René Passeron, Michel Carrouges, Gaston Ferdière, Jean Schuster, José Pierre et d’autres encore. Le volume présente aussi la transcription des discussions qui ont eu lieu après les séances.
Ces contributions ont permis de dessiner les caractères du Surréalisme ainsi que ses rapports avec le cinéma, l’art, surtout la peinture, et d’autres mouvements comme Dada. La réflexion a touché aussi les rapports d’écriture dans les genres principaux où s’est essayé le surréalisme, notamment la poésie et le roman. Cependant, ce qui nous paraît encore d’actualité, ce 258sont les approfondissements concernant les rapports entre les idées de ce mouvement et le langage finalisé à la communication, ainsi que les croisements notionnels avec les idées de liberté humaine et de hasard dans l’existence, qui ont fondé la modernité au xxe siècle et qui sont aussi à la base d’autres philosophies et d’autres mouvements. L’originalité du Surréalisme réside dans la manière de traiter ces idées, originalité qui a très bien été mise en évidence pendant les discussions, lesquelles apportent toutes une contribution d’envergure à la représentation plus précise des problématiques.
Comme le rappelle l’« Avertissement », le but de ce colloque était de dessiner le visage entier de ce mouvement ; et il rappelle aussi que le colloque s’était déroulé sous le parrainage et sous la supervision discrète d’André Breton, qui devait disparaître deux mois plus tard (« […] tandis que chaque soir André Breton, resté discrètement dans les parages […] donnait ses directives », p. 5). Le livre des actes n’étant plus disponible, cette réédition donne au public des chercheurs et des amateurs la possibilité de consulter et de se servir de cet outil de grande importance pour la connaissance du Surréalisme, qui a été le focus de nombreux colloques au cours des années suivantes, toujours à Cerisy, sous la direction notamment de Henri Béhar et de Jacqueline Chénieux-Gendron.
Concetta Cavallini
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Thomas Buffet, Le Renouvellement de l’écriture élégiaque chez Friedrich Hölderlin et André Chénier, Paris, Classiques Garnier, 2019, 602 p.
Le titre de ce volume offre immédiatement un éclairage sur les visées de cette enquête qui s’insère dans le domaine de la littérature comparée, en établissant pour la première fois un rapprochement entre deux poètes 259élégiaques, dont l’œuvre est passée à la postérité : André Chénier et Friedrich Hölderlin. C’est Thomas Buffet lui-même qui explique les raisons de ce choix en soulignant comment ces deux poètes « quoique très proches d’un point de vue esthétique comme spirituel, n’ont pas encore fait l’objet d’une comparaison approfondie » (p. 9).
Dans l’Introduction de cette étude, après des constatations relatives à un état des lieux de la recherche sur ce sujet, l’auteur fixe ponctuellement les étapes de son analyse et les principes qui l’ont guidée.
L’ample réflexion de Th. Buffet se nourrit de diverses interrogations et s’égrène au fil de deux parties. La première dresse un arrière-plan autobiographique pour s’arrêter par la suite sur les motivations qui ont pu inciter Chénier et Hölderlin à privilégier le modèle antique dans la composition de leurs élégies. Le contexte culturel, philosophique, religieux et politique n’est pas négligé dans cette exploration des enjeux poétiques. Au contraire, la prise en compte de l’évolution diachronique du style élégiaque en France et en Allemagne au xviiie siècle constitue un moment clé pour avancer vers le deuxième volet de l’étude où est mise en lumière l’originalité que le genre élégiaque acquiert sous la plume de ces deux poètes, grâce à l’héritage antique, source d’inspiration incontournable pour les deux auteurs.
Dans cette perspective, Th. Buffet souligne l’importance qu’il a accordée dans son ouvrage aux traductions des textes anciens que Chénier et Hölderlin ont respectivement réalisées et enrichies de commentaires. Par ce biais, la pratique de l’intertextualité littéraire est également envisagée, afin de mieux cerner la réception de l’Antiquité chez ces deux poètes et les nouveaux horizons ouverts à un genre qui suscita de nombreux débats au cours de ces années.
Th. Buffet nous livre une analyse comparative lucide et juste sur des aspects fondamentaux et encore peu connus dans le panorama de l’écriture élégiaque au xviiie siècle en Europe.
Giovanna Devincenzo
Université de Bari Aldo Moro
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Pétrarque, Le Chansonnier (Canzoniere), traduction et édition critique par Pierre Blanc, Paris, Classiques Garnier, 2020, 589 p.
Spécialiste de la littérature humaniste et classique française et italienne, Pierre Blanc a contribué par ses travaux à une réévaluation de l’œuvre de Pétrarque et de son influence sur la culture européenne au fil des siècles (Pétrarque en Europe, xive-xxe siècle : dynamique d’une expansion culturelle).
En 1989, il a offert à tout lecteur – chercheur, étudiant, amateur – une édition de référence bilingue du Canzoniere, édition dont ce volume nous propose une réimpression.
Les visées du projet sont bien articulées et énoncées au cours de l’Introduction. Deux niveaux de lecture sont envisagés et privilégiés – les perspectives génétiques de l’œuvre ainsi que les retombées poétiques et existentielles – en fonction de la stratégie culturelle et de la praxis d’écriture.
Ce travail s’attache à illustrer comment le Canzoniere est beaucoup plus qu’un simple exemplaire d’histoire d’amour spiritualisé et comment, en revanche, il entend véhiculer un message plus puissant, dans une dimension où se côtoient individualité, écriture, philosophie de l’existence et psychologie.
Cette pluralité d’instances ressort d’ailleurs du titre latin choisi par Pétrarque : Rerum vulgarium fragmenta. Une œuvre caractérisée par un aspect fragmentaire, morcelé, et écrite en langue vulgaire ; une œuvre à laquelle l’humaniste italien n’avait accordé aucun espoir de passer à la postérité. C’est en effet sur sa production néo-latine que Pétrarque avait tout misé, production qui obtient une ample renommée au moins jusqu’à la fin du xve siècle quand on commence, au contraire, à faire montre d’un intérêt croissant envers le pétrarquisme vulgaire.
En affichant de nouvelles orientations possibles, le travail de P. Blanc garde toute son utilité dans la mesure où sa traduction versifiée, à laquelle s’ajoute un appareil critique toujours ponctuel et circonstancié, favorise l’appréciation d’un chef-d’œuvre qui, loin d’être un monument 261d’un temps révolu, se présente comme un livre de fondation. Ce projet a contribué au repositionnement du Canzoniere dans une dimension qui transcende le temps pour toucher à une éloquence cosmique, à une pureté où la parole ne requiert plus aucune exégèse et s’éclaire d’une vigueur inattendue.
Giovanna Devincenzo
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Aude Bonord et Christian Renoux, sous la direction de, François d’Assise, un poète dans la cité. Variations franciscaines en France (xixe-xxe siècles), Paris, Classiques Garnier, 2019, 243 p.
Au printemps 2015, à Orléans, a été organisé le colloque François d’Assise, un poète dans la cité. Variations franciscaines en France de la fin du xixe siècle à nos jours, dont ce volume présente les Actes, réunis sous la direction de deux spécialistes distingués des études dans ce domaine.
Le projet entend témoigner de la vitalité de l’intérêt envers la littérature mystique et franciscaine au cours de la période s’étalant de l’entre-deux-guerres à l’aube du xxie siècle, des époques apparemment éloignées et qui pourtant se retrouvent autour d’un ressourcement à l’hagiographie médiévale, dans les pas de la « mode » franciscaine entamée déjà au tournant du xxe siècle.
Les contributions regroupées dans ce volume illustrent comment l’influence de François d’Assise est transversale et touche en égale mesure la littérature, la peinture, la sculpture, le cinéma, la musique. Pareillement, cette sensibilité franciscaine ne concerne pas seulement des auteurs confessionnels, mais touche des courants de pensée en dehors des milieux catholiques.
262Au fil des trois parties qui composent le volume, les études s’étalent à partir d’une exploration des sources de l’engouement de bon nombre d’écrivains du xxe siècle pour le saint d’Assise, en tenant compte aussi bien du rôle qu’ont joué les débats autour de la « question franciscaine » dès la fin du xixe siècle. Les essais de la deuxième partie s’interrogent sur l’ascendant que François d’Assise a eu sur les courants de pensée du xxe siècle. Par la suite, on illustre l’actualité du saint pour le présent et sa place dans la fiction contemporaine. Les trois contributions de la dernière partie réfléchissent sur la place de choix que l’inspiration franciscaine occupe dans les arts.
L’hétérogénéité des approches entreprises dans les diverses études rassemblées dans cet ouvrage fait preuve de la souplesse par laquelle l’héritage franciscain peut encore donner des leçons à notre modernité sécularisée. Grâce à l’apport de littéraires, historiens, musicologues, historiens de l’art, François d’Assise continue à inspirer l’homme de tout temps, l’aidant à méditer sur sa relation au monde et à lui-même.
Giovanna Devincenzo
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Armande Ponge, Pour une vie de mon père, tome II, Rétrospective, 1919-1939, préface de Jean-Marie Gleize, Paris, Classiques Garnier, 2020, 800 p.
Ce prestigieux volume présente le deuxième tome du monument qu’Armande Ponge a élevé à la mémoire de son père. Un signe de grande générosité envers les admirateurs de l’œuvre de ce grand écrivain du xxe siècle, un don précieux que les lecteurs recevront avec émotion et reconnaissance.
Armande a toujours été très liée aux écrits de son père, dont elle a aussi dirigé la fondation. Depuis de nombreuses années, elle consacre 263son temps à l’organisation, à la valorisation et à la diffusion des archives familiales, patrimoine incontournable pour cerner des aspects inouïs de la pensée de Francis Ponge.
Notes de carnets, échanges épistolaires inédits – exception faite pour la correspondance avec Jean Paulhan publiée en deux volumes par Claire Boaretto en 1986, aux éditions Gallimard –, images, photos tirées des albums de famille, textes manuscrits et dactylographiés : une somme documentaire d’une valeur inestimable qui retrace les étapes de l’avancée de vingt nouvelles années de la vie de l’écrivain et qui nous permet d’avoir accès aux plis les plus abscons aidant la connaissance/reconnaissance de son œuvre.
Jean-Marie Gleize, dans la préface qui ouvre l’ouvrage, en livrant ses premières impressions lors de la réception du manuscrit de ce volume, rappelle entre autres combien il a été « émouvant de voir qu’il s’ouvre sur une image, celle de deux monographies ayant appartenu à l’étudiant Francis Ponge en novembre 1919, son Kant et son Spinoza. Rappel salutaire du fait que cet ennemi des “idées”, des abstractions vides ou vidées et des logiques abstraites, a lu et pratiqué les philosophes, s’est imprégné de “systèmes” » (p. 7).
Les années prises en considération sont caractérisées par un enchaînement d’événements importants dans la vie personnelle de Ponge. Après une courte rupture des rapports avec sa famille et un moment de déstabilisation psychologique, il se rapproche des siens pour replonger dans un état de confusion suite à la mort de son père en 1923. Puis, c’est le tour de son mariage, de la naissance de sa fille à laquelle il donne le nom de son père, Armande. Arrivent les années du début de sa carrière d’écrivain, de la publication de ses premiers écrits, de la reconnaissance de sa vocation.
Par la réalisation de cet ouvrage, Armande Ponge accomplit admirablement sa mission de fille dévouée. D’un côté, elle livre à tout amateur de la poésie de Ponge l’intimité du poète, de l’autre elle offre à tout chercheur des opportunités de réflexion et une clé d’accès unique à une œuvre censée avoir désormais tout dit.
Giovanna Devincenzo
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Vân Dung Le Flanchec, Michèle Clément et Anne-Pascale Pouey-Mounou, sous la direction de, Maurice Scève. Le poète en quête d’un langage, Paris, Classiques Garnier, 2020, 565 p.
À l’automne 2016 a eu lieu en Sorbonne et au Palais du Luxembourg, dans un cadre « à haute teneur intellectuelle » (p. 7), le premier colloque d’envergure internationale sur Maurice Scève, dont cet ouvrage regroupe les apports des contributeurs qui y ont participé. Le titre choisi pour les journées d’étude, qui a été conservé pour le volume des Actes, laisse évidemment cerner l’esprit de ce projet.
Une intuition linguistique a orienté la réflexion des spécialistes à partir de l’idée que seule une prise en compte des divers enjeux de l’élaboration formelle de l’ouvrage de cet auteur pourrait fournir à ceux qui accueillent ce défi herméneutique la clé d’accès au système complexe et mystérieux sur lequel se régit le travail scévien.
Les chantiers ouverts sur l’écrivain lyonnais sont vastes et nombreux – comme le rappelle Michèle Clément – ce qui témoigne d’un intérêt concret envers un ensemble de textes qui résiste au temps et qui continue de fasciner aussi bien les amateurs que les chercheurs.
C’est le poète lui-même qui fournit au lecteur le code d’entrée dans son univers abscons. Lorsqu’il écrit dans sa Délie : « Si chaque signe est par toy entendu » (d. 377), Scève engage son lecteur dans une chasse aux signes avec la certitude qu’elle pourra entraîner des erreurs. Dans cette perspective, les contributions rassemblées dans ce volume envisagent l’ambivalence et la complexité du langage de Scève et s’engagent dans l’exploration de la fabrique de sa langue poétique, en décelant la dynamique de création à travers les phases d’élaboration et de réorganisation des signes en réseaux signifiants.
L’enquête prend forme à partir de l’obscurité, élément incontournable lorsque l’on parle de Scève, pour passer par la suite à l’impersonnalité et au travail éditorial, dans un dialogue fécond entre filiations formelles et singularité, transferts culturels et tentatives de réappropriation, échos textuels et spécificité, jusqu’aux expériences de traduction, aux procédés 265rhétoriques de densification du style. L’écoute est aussi prise en compte, par le biais d’une oralité considérée en fonction de l’énonciation, « à travers la réactualisation de la voix et du corps dans l’écrit par le primat du rythme » (p. 23). La dimension synergique entre l’œuvre de Scève et les autres arts est également envisagée : la collaboration avec des musiciens, le rapport avec l’image, en termes de convergence ou de discordance, mais aussi à travers une exploration plus profonde et systématique des éléments constitutifs du blason héraldique et du déploiement du texte. Le lien entre le poète, la mort et l’œuvre retient également l’attention : un rapport qui se dissout dans le chemin qui conduit de la mort à l’immortalité poétique.
Le long d’un parcours riche et articulé, ce copieux volume débouche finalement sur la formulation d’hypothèses nouvelles, inédites et stimulantes autour du corpus de ce poète en quête d’un langage. La poésie de Scève connaît un souffle vivifié grâce à ce projet qui a remis au jour la question toujours fascinante de la forme et du sens.
Giovanna Devincenzo
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Aude Bonord, Christian Renoux, François d’Assise, un poète dans la cité. Variations franciscaines en France (xixe-xxe siècles), Paris, Classiques Garnier, « Polen – Pouvoirs, lettres, normes », 2019, 244 p.
Ce livre contient les actes du colloque François d’Assise, un poète dans la cité. Variations franciscaines en France de la fin du xixe siècle à nos jours, organisé par l’Université d’Orléans les 19 et 20 mars 2015. De mon point de vue, c’est un livre important qui ouvre tant de perspectives non seulement sur la figure du Poverello, mais aussi et surtout sur le lien de la modernité et de l’avant-garde avec le passé.
266Pourquoi retourne-t-on à la « littérature mystique, franciscaine en particulier » (p. 7) ? Cette mode commence par la biographie de François d’Assise écrite par le protestant Paul Sabatier, que l’on connaissait pour ses importantes recherches dans le domaine des traditions populaires.
L’imaginaire franciscain offre tant de thèmes à la modernité, aux croyants et surtout aux non croyants. Il contribue au renouveau de l’inspiration, dans la littérature, la peinture, la sculpture, le cinéma et la musique, aussi en « divers courants de pensée non chrétiens, politiques ou philosophiques ».
Voici les thèmes traités : « Quelles sources franciscaines traversent ces courants de pensée non chrétiens et les pratiques artistiques qu’ils ont pu faire naître ? Puisent-ils dans les travaux d’historiens contemporains, se faisant l’écho de leurs débats largement diffusés dans la presse ? Reviennent-ils aux textes-sources du Moyen Âge ? Laissent-ils vagabonder leur imagination au fil des récits, où pointe parfois encore le merveilleux, comme dans les Fioretti ? Quels éléments retiennent-ils de la figure du saint et de sa spiritualité, quand la foi chrétienne n’est plus le référent ? Quelles nouvelles approches philosophiques ou politiques en tirent-ils ? Quels liens entretiennent-ils avec les artistes catholiques, comme Julien Green en leurs œuvres ? En quoi la situation française se distingue-t-elle ou non de celle d’autres pays européens ? » (p. 7-8).
Un éventail immense. Le Poverello qui parle avec les animaux et qui se comporte en écologiste ante litteram a une présence énorme aux xxe et xxie siècles.
On comprend comment fonctionne la mémoire collective. La vérité historique est moins importante que la vérité spirituelle de la fiction.
Un livre à lire, pour méditer sur les problèmes de notre temps, très utile pour l’analyse de tant d’artistes et d’écrivains.
Mario Selvaggio
Université de Cagliari
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Fiona McMahon, Giuseppe Sangirardi, Brigitte Denker-Berkoff, Cécile Iglesiais, sous la direction de, Penser le genre en poésie contemporaine, Paris, Classiques Garnier, « Rencontres », 2019, 342 p.
Ce livre se constitue des actes du colloque « Penser le genre en poésie contemporaine », organisé les 15 et 16 mars 2012 à l’Université de Bourgogne - Franche Comté.
Les auteurs posent un problème crucial de notre temps : la notion de genre a-t-elle encore une valeur ? Peut-on encore l’appliquer dans la recherche et dans l’enseignement scolaire et universitaire ?
Qu’est devenue la poésie, texte fixe comme genre de la nuit des temps au tout début du xxe siècle ? On la nomme encore poésie, mais est-ce toujours de la poésie ?
On pose désormais avec force quelles sont les frontières de la poésie, et comment la reconnaître. Peut-on encore parler de lyrisme ?
Y a-t-il d’autres paradigmes pour définir la poésie ? La théorie littéraire a-t-elle encore un sens ?
Cela fait émerger l’importance cruciale de ce livre collectif. Des poètes européens et anglo-américains confrontent leurs réflexions, aussi avec un volet de poèmes inédits en clôture de toute la recherche, pour conclure que la poésie ne peut qu’être liberté, de formes et de thèmes.
La tradition universitaire des genres reste inattaquable, grâce à une résistance profonde, et toutefois la question genre commence à prendre d’autres chemins. La tradition esthétique moderne, à partir du romantisme prend d’autres voies.
Face à des filiations hybrides, nous disent les auteurs de ce volume, on peut remarquer des points de convergence, et des lignées centrales.
La linguistique joue son rôle – surtout celle de Roman Jakobson. Le savoir générique de Castelvetro et de Nicolas Boileau, qui a résisté des siècles, a pris d’autres routes, celles du rêve et de la liberté. Le code est désormais celui de la transgression et pas de la forme fixe. On est face à une nouvelle « généricité ».
268La structuration du livre est à rappeler, pour aller au-delà de cette recherche : La poésie comme genre, Les genres en poésie, Poème court et poème long, Transferts et interférences, Anthologie des poètes.
Ce livre prouve que le « genre » poésie se porte bien, grâce à la créativité des poètes et à leur sens du rêve.
Mario Selvaggio
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Lino Angiuli, Addizioni, con un saggio di Daniele Maria Pegorari, Nino Aragno Editore, 67 p.
Opera multiforme e in certo modo sperimentale, dedicata «all’anima infuocata di Giordanobruno», Addizioni conferma il piglio giullaresco (à la Palazzeschi, per intenderci, ma con punti di espressionismo brechtiano e nominalismo anglosassone) di Lino Angiuli, la cui ruse principale – come sottolinea Daniele Pegorari nella densa postfazione – nasconde la «tendenza sempre più marcata alla costruzione del libro secondo principi formali e tematici che esaltino l’aspetto intenzionale, progettuale, quasi ingegneristico» (p. 135). La silloge è divisa in nove sezioni numericamente crescenti (Un poemetto chiaro e tondo, Due confonie, Tre santini fattincasa, Quattro quarti di luna, Cinque utpicturapoesis, Sei per quattro di questo e di quello, Sette piaceri capitali, Tot affetti personali, Bancarella dell’usato) con una nota dell’autore, Parola di cappero, che evidenzia per mezzo di un linguaggio burlesco il vigore spietatamente antiantropocentrico e antiegologico della poesia di Angiuli, un’«ecosofia in cui “Vegetalesimo” e cristianesimo popolare si coniugano con persuasiva leggerezza alla tradizione del marxismo» (ibidem, p. 152). Tuttavia, l’elisione dell’io nel poeta barese non coincide tanto con la povertà epistemologica jaccottetiana — si ricordi l’ignorant di una 269celebre lirica dell’autore svizzero —, quanto con l’idea di un arioso «non dire la sua», ossia di «ammettere nella poesia sguardi e sensibilità che non gli appartengono, come costringendosi a farsi attraversare da altre esperienze» (ibidem, p. 155). Il filtro dell’alterità, dell’indossare cechovianamente panni altrui, è legato al fil rouge — o meglio, vert — della concrezione numerica, struttura inscardinabile di dantesche figurazioni algebriche, battenti ossessioni di genetliaci e anniversarî (con particolare predilezione per il 6). A tali elementi si aggancia la preoccupazione di una «ver(d)ità», sempre in vista dell’addio alle humanae quaestiones per grazia fonematica: «Allora, ciao Umanesimo, cerca di farti un po’ più in là e di passare dall’ego all’eco grazie a una sola consonante» (p. 132). È proprio la viriditas — sorta di «umanesimo vegetale» — una qualità che induce Angiuli a liberare l’estro di un dettame in nessun modo costretto a coercizione sintattica, capace di svirgolate e lapsus autoprodotti, paronomasie, allitterazioni, bisticci verbali, commistioni di linguaggio aulico, giornalistico, parlato e tuffi nel dialetto.
A cosa allude esattamente il titolo, Addizioni? Pegorari nota come questo rimandi «al bisogno di tornare alla logica dei numeri come autoeducazione alla progressività, allo sviluppo di un ragionamento che dura quanto la vita e che procrastina il bilancio consuntivo, perché esso (come per Pasolini nella metafora del montaggio filmico) si addice alla morte» (p. 142). La prima sezione, Un poemetto chiaro e tondo, è occupata da una lirica in ventiquattro strofe di sei versi ciascuna, con una coda finale che tira le fila del discorso. La dedica è rivolta a Raymond Queneau.
Inciampando tra le ultime rovine di metaponto
è caduto a terra il sogno equilatero di pitagora
gli si è slogata l’ipotenusa e scassato un cateto
tra 1 lunghissimo carrello di antipasti e 2 primi
2 secondi 1 dolce più frutta 1 caffè con l’amaro
per festeggiare la testa vuota della pancia piena
(p. 9)
Sin dall’incipit del poemetto è evidente l’intenzionalità geometrico-sarcastica: «pitagora» (sintomaticamente in minuscolo), «l’ipotenusa» e «un cateto», numeri espressi in cifre. L’impasto formale di questo exercise de style mantiene un tono di surrealismo («la tabellina non conta più pianeti né lune», ibidem), mentre nel prosieguo il linguaggio assume 270un andamento plurifunzionale facendo scintille nella commistione tra gergo ecclesiastico, dialettale-italianizzato e anglofono-pubblicitario — trascritto secondo pronuncia per aumentare l’effetto parodico — anche in un solo verso («o per accattare indulgenze plenarie ollìnclusiv», ibidem).
Le Due confonie sono attraversate da un diffuso sottofondo musicale che ricorda un celebre mottetto montaliano ma invertendone il messaggio in senso paradossale, e che personifica le note in modo tale che «un si scasato a primora dal pentagramma assaggia la silente melodia del niente» o il fa «fa la luce di settembre» (p. 25). Tre santini fattincasa, terza sezione, riprende una modulazione lirica più regolare (quattro quartine costituite di novenari con schema di rime ABAB CDCD…), modificata però sempre secondo un disegno trilussiano di ironia sacra, di cristianesimo «laico e creaturale» (Pegorari, p. 143).
Io me ne vado presto a letto
dentro la capa un pensierino
per agguantare un po’ d’affetto
mi devo fingere bambino
chiudendo gli occhi si può fare
— sta cosa mica è senza affanni —
devo provare a smascherare
il cuore ammaccato dagli anni
madonnamia santamaria
e dai fammi mezza carezza
non grazia contro malattia
nemmanco una quasi certezza
ma solo il fiato di una mano
poggiata bene sulla testa
si riempie il cuore sanosano
così la notte fa la festa.
(p. 32)
La devozione alla Vergine è intrisa di una relazione fanciullesca e simpaticamente spavalda da parte del poeta che chiede un conforto nella notte della malattia, nel segno di Ripellino e della «buffoneria del dolore». Le quattro sezioni successive (Quattro quarti di luna, Cinque utpicturapoesis, Sei per quattro di questo e di quello, Sette piaceri capitali), centrali per la comprensione della silloge, volgono verso la prosa con versi 271lunghi e ordinati e, ancora, con un deciso impulso per le proporzioni e le squadrature. «C’è un altro elemento — scrive Pegorari —, che agisce a livello tipografico e non metrico, che mi risulta essere stato utilizzato da Angiuli la prima volta nell’Appello della mano, e consiste nella consuetudine sempre più sistematica di impaginare le strofe (quando non si tratti di versi isosillabici) come fossero dei rettangoli perfetti: i versi, di misura prossima, ma non identica, vengono parificati tramite una giustificazione della riga, sicché quello che non è omometrico per l’orecchio lo diviene per l’occhio» (p. 145-146). Valga per tutte Mi piace troppo ritrovare a casa o per la strada che fa ampio utilizzo del suffisso -lino come sphragis ripetuto in maniera martellante e nascosto nelle catene sillabiche:
[…] un nome fatto di due consonanti e due vocali
un nome proprio che passa per dublino berlino
attraversa il cremlino e giunge nei paraggi di
una terra fascinosa qual è quella di merlino
dove poter dire al mondo forteforte ecce lino.
(p. 65)
In Tot affetti personali campeggia la figura di William Shakespeare con alcuni componimenti (Amleto innamorato, La canzone di Romeo, Il canto di Giulietta e le traduzioni in dialetto di due sonetti, 22 e 55) che dal bardo ereditano una latente critica sociale mista a una tensione di stile indirizzata al sublime, questa volta senza alcun intento farsesco:
Mi prese un sogno alle spalle a mano disarmata
portava scritte in fronte le iniziali del tuo nome
teneva in corpo un abbraccio da diciotto carati
quando le parole entravano dal lato della notte
per mettersi dolcemente a cavalcioni sul petto
proprio sotto il miracolo dell’ombra di un noce
dissi non avrò altro maggio fuorché la tua voce.
(p. 79)
L’ampio soliloquio sulla morte, le virtù dell’umanesimo vegetale, nuovi calembours, luoghi topici della Puglia (Marzagaglia, Punta Meliso), antichi riti gaelici (Lughnasadh) sino alle Murge e alla conclusiva Cartolina dal monte dell’alba: il discorso di Angiuli nell’ultima parte si amplia oltre il gioco dei rimandi e la clownerie letteraria per entrare in una 272dimensione crepuscolare di fitto dialogo, in una delicata penombra di «bilanci sentimentali» (Pegorari, p. 158) nel ricordo della moglie Tina, scomparsa il 27 dicembre 2017. Anche lei si nasconde nelle associazioni fonetiche e nelle code delle parole divenendo senhal («piantina») che resiste ai tentativi di devastazione causati dal tempo e dalla malattia. La poesia degli affetti è così una risorsa ineguagliabile contro le profanazioni e i segni della sofferenza, proprio nel punto in cui «il dolore già compie inedite rime con un amore/ buono a trainare un carretto di carezze intere/ da versare nel pozzo sfondato di lacrime nuove» (Pianto per Tina = Piantina, p. 80).
Cosìccome non potevo sapere che si muore da vivi
e si vive da morti restando immobili a occhi chiusi
tra le tavole del sonno pieno inchiodate apposta
per stipare quella minuscola eternità degli umani
che sa ricambiare un dolore con un regalo e che
sente di perdere tutto senza perdere un bel niente
perché basta solo un colore a spalancare una storia
come basta soltanto un rumore a dirmi che ci sei:
col miracolo della cenere non c’è morte che tenga.
(p. 81)
Qui, in questi Appunti per un epitaffio, come nell’Anguilla di Montale («la scintilla che dice/ tutto comincia quando tutto pare/ incarbonirsi»), la resurrezione della vita nasce dal suo opposto, la «cenere», e la donna che effigia al contempo il massimo potenziale del dictum poetico, la Poesia stessa, risorge dalle sue spoglie al modo dell’araba fenice. Anzi, il «miracolo della cenere» diviene la somma possibilità di presenza dell’invisibile, di tangibilità dell’intoccabile, la «radice del mondo» (Giaculatoria di Lancillotto, p. 83) al di là — direbbe Caproni — dei «càrdini della morte», segno veritiero di un’oltranza da conseguire dove sono raccolti tutti i trapassati amati, le persone che hanno lasciato una traccia nella vita del poeta. Il brano che chiude la silloge, la già citata Cartolina dal monte dell’alba, esprime questo eterno lasciare-andare dell’interrogativo intorno alla natura della morte, serbando un filo di speranza nell’immagine di un perenne rinnovarsi dell’aurora: «Tante domande di creta rimaste aperte e/ lasciate seccare al sole con i pomodori/ che accerchiano il coro di tegole anziane/ seminate a spaglio sopra il monte dell’alba/ o affacciate alla valle della nostra 273sorte/ quasi sempre incompiuta a metà/ come un crepuscolo appeso all’infinito» (p. 126).
Alberto Fraccacreta
Università di Urbino Carlo Bo
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Amedeo Anelli, L’alphabet du monde, traduction en français d’Irène Dubœuf, Paris, Éditions du Cygne 2020, 54 p.
La situazione della poesia nel nuovo millennio è particolare, procurata dalla assenza di poetiche “impegnate” o militanti, e non perché manchino problemi e occasioni da capire o tradurre in una cornice poeticamente adatta a recepire quanto avviene nel mondo, nella società, nella cornice ambientale, singolare e collettiva, da rifletterne il mutamento e dare spazio in versi ai dubbi, alle idee, alla costruzione di apporti e a nuove visioni. L’impressione, parliamo in generale, è difficile da rubricare anche perché è difficile, col disimpegno della critica, considerare qualità e importanza letteraria circolante. Ognuno cerca di fare storia a sé. Ed è forse qui che andrebbe cercata la frattura epocale della poesia, ridotta a “casi singoli”, da farle perdere la sua forza di persuasione.
L’Alphabet du monde oltre essere il nuovo titolo del libro di poesie di Amedeo Anelli pubblicato dalle Edition du Cygne (Parigi, giugno, 2020, € 10), inseriscono l’autore lodigiano in una “collection” di scrittori spagnoli, colombiani, irakeni, brasiliani, islandesi, canadesi, messicani, statunitensi ecc. Non un generico mondo di poetanti, ma una selezione di autori attenti alle insidie che vengono da certe banalità sentimentali o dall’inventare un linguaggio che già c’è (da tempo).
274Quella portata a compimento da Irène Dubœuf è la seconda traduzione in francese della poesia di Anelli. Fa seguito a Neige pensée, pubblicato dalle edizioni Ticinum qualche mese fa con in copertina un’opera di Gino Gini, autore ben noto ai lodigiani, mentre la nuova “couverture” – Virus musical n.35 – è stata creata da sua moglie Fernanda Fedi, due apporti che si coniugano perfettamente con la costruzione poetica del direttore di Kamen’.
Poeta e critica letteraria la Dubœuf oltre al avere tradotto Amedeo Anelli, ha fatto conoscere ai francesi altri poeti italiani, noti ai lodigiani: l’estroverso Luigi Carotenuto (uno che legge e scrive per “sopportare la vita”), la dolente, nel linguaggio, Margherita Rimi (presentata da Oldani nella collana di poesia di Mursia, poeta originale che rielabora il linguaggio dei minori espressione di esperienze traumatiche), Massimo Silvotti (poeta piacentino, creatore del Piccolo Museo della Poesia) ha premesso alle cinquanta paginette di versi raccolti ne L’Alphabet du monde, suddivisi in due sezioni – Contrapunctus, diciotto testi in omaggio all’arte della fuga di Jean Sébastien Bach, già usciti per LietoColle una decina di anni fa e L’Alphabet, una quindicina di dedicazioni a conoscenti (Rimi, Cesari, Mazzon, Fedi, Gini, Conti, Angiuli, gli Amici lodigiani) e al fratello Guido defunto, che conferiscono una curvatura di affetti e simpatie ai versi del codognese.
Il fresco volume mette di nuovo in luce le qualità della Dubœuf traduttrice, attenta nell’ essere “la plus proche possibile” all’autore, alle strutture della sua scrittura e fedele nel restituire “la tonalità et la dimension rythmique”.
Preposizioni quali la natura, le stagioni, la terra, il futuro creano un confronto con l’uomo, la vita, il presente e il passato, garantendo rapide illuminazioni che proiettano il dialogo oltre le percezioni autobiografiche. La Dubœuf interpreta tutto in modo convincente, acuto e sottile, ne interpreta con freschezza e convinzione la tradizione e la filosofia. Il suo è sostanzialmente un invito alla buona lettura e a collezionare l’opera.
Aldo Caserini
Critique
- Thème CLIL : 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
- ISBN : 978-2-406-11318-8
- EAN : 9782406113188
- ISSN : 2555-0241
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-11318-8.p.0243
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 18/01/2021
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français