Comptes rendus
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue européenne de recherches sur la poésie
2015, n° 1. varia - Auteurs : Devincenzo (Giovanna), Dotoli (Giovanni), Frosin (Constantin), Lattarulo (Salvatore Francesco), Leopizzi (Marcella), Navaï (Patrick), Pacilio (Rita), Tinelli (Elisa)
- Pages : 317 à 394
- Revue : Revue européenne de recherches sur la poésie
Article de revue : Précédent 22/22
Bernard Vouilloux (éd.), Michel Deguy à l’œuvre. Poésie & poétique, suivi de deux textes inédits de Michel Deguy, Paris, Hermann, 2014, 204 p.
Dans ce volume sont rassemblés les textes issus d’une rencontre ayant eu lieu à la Bibliothèque municipale de Bordeaux, en 2011, autour de Michel Deguy, à l’initiative de l’Association régionale des diplômés des universités d’Aquitaine (ARDUA), qui lui avait d’ailleurs remis son grand prix littéraire l’année précédente.
Les contributions sont regroupées dans deux parties intitulées respectivement « Au fil de l’œuvre » et « Traverses ». La première contient les études « procédant par focalisation monographiques sur des livres » (p. 7) et la deuxième celles « travaillant sur des motifs » (p. 7).
Dans l’essai qui ouvre la première section, Wilson Baldridge se penche sur Jumelages, suivi de Made in USA (1978) (p. 11), premier livre majeur paraissant après Tombeau de Du Bellay. Ensuite, Dominique Rabaté se concentre sur le recueil intitulé Donnant Donnant (1981) (p. 23). Hanté par cette expression que Michel Deguy avait choisie comme titre de son ouvrage, l’auteur de cette contribution entend « élucider un peu plus la question centrale et redoutable du don » (p. 25). Bernard Vouilloux réfléchit sur La poésie n’est pas seule. Court traité de poétique que Deguy fait paraître aux éditions du Seuil, en 1987. Le quatrième texte de cette première partie est celui de Jean Pierre Moussaron, qui avait pris en charge une partie de l’organisation du colloque et qui disparut lors de la publication du volume, dédié par la suite à sa mémoire. Son analyse porte significativement sur le recueil de 1995, À ce qui n’en finit pas. Adelaide M. Russo focalise son attention sur Le Sens de la visite, abécédaire de plus de trois cent cinquante pages qui exige de son lecteur, comme le suggère le titre même, « de trouver une manière d’y entrer, une approche pour ce texte qui contient des “divagations” philosophiques et des poèmes en prose de longueur variable, traitant des sujets divers » (p. 81).
Ce parcours diachronique à travers l’œuvre de Michel Deguy se termine par le texte d’Éric Benoit qui aborde l’un des livres les plus récents de l’auteur, La Fin dans le monde, paru chez Hermann en 2009.
La deuxième section du volume se compose de quatre études. Monique Verret prend en compte le « commentaire » que Deguy donne dans L’Impair, dédié à Caillebotte, du texte de ce dernier intitulé Les Raboteurs. Au contraire, l’analyse de Régine Foloppe part du vers « Tout le réel est possible » dans le long poème « Chant-royal », au début du recueil Ouï dire, un vers « qui peut résonner comme une des plus belles et courageuses définitions de la poésie maintenant » (p. 127). Seiji Marukawa aborde la question du rythme qui traverse l’œuvre de l’auteur, couplée à celle de la figure. Le dernier texte de cette deuxième partie est une Lettre à Michel Deguy par Yves Charnet (p. 163).
Le volume se clôt avec deux écrits inédits de l’auteur : « Plus tard… » et « La Préface retirée ». Comme l’affirme Deguy lui-même dans une note, ces pages étaient censées constituer la préface au volume Comme si/Comme ça, publié dans la collection « Poésie/Gallimard » en 2012, préface qu’il retira et que l’on nous propose dans ce cadre.
Nous sommes redevables à la fois aux auteurs et aux éditeurs de ce volume pour avoir mené à bien un projet contribuant à restituer au lecteur la richesse et la profondeur de l’œuvre d’un grand poète, écrivain et philosophe de notre temps.
Giovanna Devincenzo
Université de Bari Aldo Moro
Gordon Millan (sous la direction de), Études Stéphane Mallarmé, Paris, Classiques Garnier, no 2, 2014, 160 p.
Ce volume constitue le deuxième numéro des Études Stéphane Mallarmé, revue annuelle ayant pour but « de fournir un espace, un lieu de rencontre et d’échange d’informations aux nombreuses personnes qui, spécialistes, chercheurs ou simples amateurs éclairés s’intéressent à la vie et à l’œuvre de Stéphane Mallarmé » (Éditorial, p. 9). Adoptant une politique d’ouverture, le comité de lecture de la revue a choisi de ne pas fixer des limites au niveau du sujet et des approches des articles publiés, pourvu qu’ils apportent une contribution originale dans le panorama des études mallarméennes. Dans cette optique, le directeur de la publication déclare qu’à partir des prochains numéros, la rubrique « Lectures » changera son titre en « Varia », manifestant ce désir d’encouragement du dynamisme et de la diversité des contributions publiées. À partir de ce deuxième numéro, on a aussi introduit une nouvelle rubrique intitulée « Actualités mallarméennes », où sont recensés les ouvrages en préparation ainsi que les diverses manifestations culturelles consacrées au poète.
Une section « Notes et documents » ouvre le volume après l’éditorial de Gordon Millan. Elle propose un « beau témoignage de ce que l’on appelle aujourd’hui la réception d’une œuvre » (p. 21) : une contribution par Alain Collet « Sur un exemplaire de Vers et Prose (1893) enrichi d’un recueil manuscrit de poésies de l’auteur » (p. 13).
La rubrique « Lectures » présente six études consacrées à des sujets variés. Maria de Jesus Cabral se concentre sur la façon dont Mallarmé reconfigure le genre de la chronique journalistique, alors que l’article de Pauline Galli porte sur la traduction des poèmes d’Edgar Allan Poe et leur illustration par Manet dans le cadre d’une édition dirigée par Mallarmé. La contribution de Yuko Matsumura s’interroge sur des aspects concernant la perception de Théodore de Banville au xixe siècle et en particulier sur la façon dont Mallarmé a réinterprété l’œuvre de ce poète au fur et à mesure que sa propre esthétique prenait forme. Joëlle Molina propose « Une lecture cabalistique du “Sonnet en X” », Jonathan Petitot illustre comment Mallarmé a réussi à « renouveler l’alexandrin français à l’aune des prosodies latine et anglaise » (p. 103), à travers L’Après-midi d’un Faune représentant « un tournant dans son entreprise poétique » (p. 106). La dernière des six études de cette section
est consacrée par Eric Touya de Marenne au long et fructueux dialogue que Claudel entretient avec Mallarmé jusqu’en 1898 et au-delà.
La revue offre à tous ceux qui à divers titres s’intéressent à Mallarmé, un outil à la fois de survol et de découverte d’aspects originaux de l’œuvre et de la personnalité de ce poète, renouvelant ainsi la vigueur de la recherche mallarméenne.
Giovanna Devincenzo
Université de Bari Aldo Moro
Laure Himy-Piéri, Pierre Jean Jouve. La modernité et ses possibles, Paris, Classiques Garnier, 2014, 374 p.
« Le temps de l’existentiel, dans lequel le sujet est plongé, trouve son équivalent dans le discours ; être auteur c’est être discours, être pris dans le discours de l’autre, mais aussi être repris par ce discours » (p. 11). Par la suite, « écrire sur un auteur revient […] à explorer cette trame interdiscursive, ces déplacements et recompositions dont l’agencement spécifique à un moment donné peut porter un nom d’auteur » (p. 11). Pour Laure Himy-Piéri, ce nom d’auteur est celui de Pierre Jean Jouve, dont l’œuvre porte trace des grands bouleversements du xxe siècle que sa longévité (1887-1976) lui a permis de connaître.
Les diverses phases du cheminement de cet auteur sont illustrées au cours de la monographie, à partir de ses tout premiers textes, nés sous l’égide des mouvements unanimistes et ensuite reniés au moment de son engament lors de la première guerre mondiale. C’est l’époque du rejet du Symbolisme et de l’appel à un renouveau revendiqué par le « modernisme », « l’Art Nouveau », les avant-gardes. De ce déchirement entre admiration pour les pères et convoitise de renouvellement, dont les ouvrages rédigés à cette époque par Jouve se font l’écho, cette spécialiste rend compte dans la première partie du volume, intitulée « Le Symbolisme sous bénéfice d’inventaire ». Face aux mêmes problématiques, la réaction de la nouvelle génération des auteurs prend des formes diverses et souvent très divergentes.
Dans le deuxième temps de son analyse, L. Himy-Piéri se penche sur les prises de position choisies par l’écrivain « dans les possibles de l’époque, entre la tentation simultanéiste d’une poésie de témoignage ; son insuffisance qui détourne de la poésie vers le roman – mais quel roman ? Et le retour à une poésie totalement renouvelée par l’apport psychanalytique et la volonté didactique » (p. 34). En ce sens, la dernière partie du volume montre l’aboutissement de la réflexion qui conduit Jouve à élaborer la notion de « poésie armée », configurant ainsi par ses textes sa propre idée d’engagement. Au moment où le deuxième conflit mondial semblait avoir écarté toute possibilité de survie à la poésie au profit de la prose, Jouve propose des choix formels constituant de nouvelles pratiques poétiques.
Par ce travail monographique riche et articulé, L. Himy-Piéri non seulement apporte une contribution précieuse aux études autour de cet auteur, mais aussi à l’égard du poétique et de ses enjeux à la fois au début du xxe siècle et dans une perspective contemporaine.
Giovanna Devincenzo
Université de Bari Aldo Moro
Michel Arouimi (éd.), Le mimétisme dans la littérature, « Les Cahiers du Littoral », éditeur Jacqueline Bel, I, no 17, 2015, 270 p.
Au centre des analyses des chercheurs ayant pris part à cet ouvrage il y a la notion de l’imitation interhumaine. Par leurs contributions, ils visent à illustrer le relief thématique du sujet en question dans des œuvres littéraires appartenant à diverses époques. Comme l’affirme Michel Arouimi dans son Introduction au volume, les auteurs des diverses études ont été sollicités « pour relire dans ce sens les œuvres de fiction qui leur sont familières » (p. ix).
Cinq sections ont été distinguées sur la base des aspects majeurs de la notion de mimétisme. La première est consacrée aux ouvrages mettant en scène « les rapports de doubles rivaux, saturés de mimétisme » (p. xii), à partir d’une définition du cadre philosophique (Michel Arouimi), poursuivant avec le rapprochement entre Kleist et Jules Verne, à travers l’exemple de leurs héros (Daniel Aranda), par la relecture de Balzac s’avérant être un expert du mimétisme humain (Donato Sperduto), et jusqu’à l’exploration de l’univers du romancier contemporain Jacques Serena, chez qui le paradoxe mimétique atteint son comble (Catherine Haman-Dhersin).
Les trois études de la deuxième partie, intitulée « Un modèle absolu », illustrent comment l’imitatio dei perd son aura dans les œuvres romanesques d’écrivains tels que Samuel Richardson (Maryam Ghabris), Georges Bernanos et Ernst Jünger (Danièle Beltran-Vidal), Azorín (Daniel-Henri Pageaux).
La troisième section est réservée au thème de la copie, montrant l’ambiguïté du travail du copiste à travers un rapprochement des nouvelles de Hoffmann et de Gogol (Virginie Tellier), le malaise prenant souvent une forme discrète comme dans le cas de Malte Laurids Brigge, double fictif de Rilke (Julie Dekens), jusqu’à des ouvrages bien plus récents, voire le théâtre de Françoise Sagan, objet de l’analyse de Michelle Ruivo ou les pratiques poétiques des « Novisimos », étudiées par Florence Madelpuech-Toucheron.
Dans la quatrième partie du volume, Mokhtar Belarbi illustre comment le Conte du Graal a été un modèle pour Maître Gaultier Map, l’un des continuateurs de Chrétien de Troyes, s’intéressant aussi au mimétisme du disciple face à ses maîtres. Lydia Bauer nous présente un
Stendhal imitateur de Goethe alors que Guy Barthèlemy se concentre sur les conséquences de l’identification de Nerval au fameux calife dans L’Histoire du calife Hakem. Ensuite, Nadia Bongo s’intéresse aux modalités suivant lesquelles Milan Kundera envisage les thèmes des doubles rivaux et de l’imitation littéraire dans La Lenteur et dernièrement Christophe Lamiot Enos analyse comment les mêmes aspects interfèrent dans un poème de Gertrude Stein.
Les contributions regroupées dans la dernière section s’attachent à investiguer le rapport entre imitation et forme artistique dans les cas de Ravel et de Colette (Catherine Steinegger) et de Prévert et de Picasso (François Guiyoba), pour terminer par l’analyse de Stéphane Reboul où le mimétisme artistique dans les œuvres visuelles et graphiques de quelques créateurs contemporains est l’objet d’une critique interne.
Le lecteur trouvera dans ces essais des analyses suggestives ouvrant des perspectives autour d’un sujet fascinant et original.
Giovanna Devincenzo
Université de Bari Aldo Moro
Eddie Breuil, Du Nouveau chez Rimbaud, Paris, Champion, 2014, 196 p.
Expliquons préalablement le titre de ce livre, pour en comprendre la substance : Nouveau c’est le poète Germain Nouveau. C’est donc un livre sur les rapports entre Germain Nouveau et Arthur Rimbaud, pas tout à fait connus, même pas par les rimbaldiens les plus acharnés, ceux que Jean-Michel Djian définit comme les rimbaldolâtres (cf. p. 328).
Eddie Breuil est en train de préparer une thèse sur l’édition critique à l’Université de Lyon, à notre époque d’édition électronique des textes littéraires. Un sujet donc essentiel, le domaine de sa thèse, même s’il pourrait apparaître comme un peu démodé.
En conduisant sa recherche, Eddie Breuil a croisé la grande question des Illuminations d’Arthur Rimbaud, parues la première fois par les soins de Paul Verlaine, dans la revue « La Vogue », en 1886. Un texte miraculeux, l’œuvre d’un génie, l’un des textes considérés comme l’un des plus importants au monde, qui a une histoire compliquée, si ce n’est troublante.
Un texte crypté ? Et pourquoi ? Qui en est vraiment l’auteur ? Arthur Rimbaud ou Germain Nouveau ? Les deux ?
Quelques éléments à retenir, pour essayer de clarifier l’essentiel. L’incident entre Verlaine et Rimbaud à Bruxelles en 1873, l’incarcération de Verlaine, la publication d’Une saison en enfer en juillet 1873, ouvrage totalement inaperçu par la critique. Malgré toute tentative, Paul Verlaine ne réussit plus à renouer avec son ami.
Qui est Germain Nouveau ? Né en 1851 – âgé donc de plus de trois ans à l’égard de Rimbaud –, il arrive ò Paris d’Aix-en-Provence et Marseille vers 1872, et connaît Rimbaud entre novembre 1873 et mars 1874. Ils vont séjourner ensemble à Londres quelque temps. On suppose que là ils mettent au propre le texte des Illuminations, un travail peut-être commencé avant à Paris. Après le départ de Germain Nouveau, Rimbaud garde ces documents poétiques, qu’il passe à Paul Verlaine lors de leur dernière rencontre à Stuttgart en 1875, après sa sortie de prison.
Verlaine publiera-t-il ces textes intégralement ? Le titre n’est pas originel, n’étant sur aucun document parvenu. Verlaine le citerait et utiliserait de mémoire. Quel est le lien de ce nouveau recueil avec le
dernier poème d’Une saison en enfer, « Adieu », précisément ? Adieu à la littérature ? Le mythe des Illuminations commence. À partir du titre, des textes, des circonstances, du départ de Rimbaud pour d’autres mondes. Erreur éditoriale, comme il y en a d’autres de très importantes dans l’histoire de la littérature mondiale ?
Eddie Breuil analyse avec précision et passion tout élément de la question Nouveau-Rimbaud. Il « relit » tout le corpus d’un dossier difficile, si ce n’est énigmatique. Il attaque dès la page 16 : « Les Illuminations sont un recueil non autorisé réunissant des manuscrits non signés portant les mains de Nouveau et de Rimbaud transcrits entre 1873 et 1874. Pour ce recueil rien n’est sûr : ni le titre, ni le contenu, ni le classement des textes. Malgré ce constat évident, le recueil est publié avec un titre (“Illuminations”), un contenu (variable) et un classement (également variable) donnant involontairement l’illusion aux lecteurs qu’il s’agit d’un recueil abouti ».
Tout serait donc un leurre. Un « recueil inabouti » (p. 61), d’après la formule d’André Breton, devient un chef-d’œuvre mondial. Et ajoutons que Germain Nouveau a l’habitude de rarement signer ses textes, et que les textes que nous possédons ne sont que des copies, de Rimbaud et de Nouveau.
Histoire fascinante d’une illusion ? Encore une question posée par André Breton : « Saura-t-on jamais quelle part de réciprocité fut mise entre ces deux êtres de génie » (p. 163). Nouveau et Rimbaud ? Ce recueil « artificiel » (ibid.), n’aurait pas d’attribution claire : Nouveau a projeté un livre de poèmes intitulé « Villes », or il y a trois poèmes intitulés « Villes » dans les Illuminations.
Arthur Rimbaud est alors réduit à être un « scribe » (p. 165), un « alibi » (ibid.) pour nous rassurer. Nous les rimbaldiens on verrait « la réalité sous un prisme déformant » (ibid.). Eddie Breuil est net dans sa conclusions : les Illuminations sont à Germain Nouveau. Louis Aragon lui aussi avait presque épousé cette thèse.
J’avoue que la démonstration d’Eddie Breuil est passionnante. Mais pourquoi Germain Nouveau n’a jamais dit que ce texte est à lui ? Pourquoi Arthur Rimbaud lui-même, qui là-bas en Afrique commençait à savoir de la rumeur de sa poésie, ne souffle mot sur la question ?
Une semple copie ne dit pas qui est l’auteur. À mon avis Rimaud reste l’auteur éternel de ses Illuminations, ce texte que nous lisons avec le plus grand amour poétique.
Giovanni Dotoli
Université de Bari Aldo Moro
Jean-Michel Djian, Les Rimbaldolâtres, Paris, Grasset, 2015, 128 p.
Le titre de ce livre m’intriguait, dès que je l’ai aperçu sur les tables de la librairie Gibert, à Paris, Boul. Saint-Michel. Quelques jours après, j’ai demandé à Pierre Brunel s’il le connaissait. Il m’a répondu, « l’auteur parle de toi aussi. Toi aussi tu es un rimbaldolâtre ».
Je l’ai lu d’un souffle, et je n’ai aucune rancune. Je suis fier d’être un rimbaldolâtre, et je remercie donc l’auteur de m’avoir donné ce titre. Tous les grands écrivains devraient avoir la chance d’un livre de ce type, hors-normes, invitant, lisible comme un roman. C’est de la critique vivante, à l’aise, bien écrite. Jean-Michel Djian est journaliste, écrivain et producteur à France Culture, où il produit la saga radiophonique Rimbaud en mille morceaux. Nous le connaissons aussi comme l’auteur du film Rimbaud, le roman de Harar, qu’il a réalisé pour France Télévisions.
Arthur Rimbaud est un mythe. René Étiemble l’a bien dit. Depuis plus d’un siècle on s’acharne sur sa vie, son œuvre, les documents le concernant. Tout le monde rappelle qu’il faut le lire, en suivre les textes, ne pas mélanger des voix autres à la sienne.
Le beau visage de Rimbaud, ce visage qui fascine Paul Verlaine et qui inquiète d’autres amis, garde un mystère pluriel. La postérité l’illumine de mille façons, en admire le génie, le canonise comme l’un des quelques poètes les plus grands au monde.
Combien sommes-nous, ces exaltés d’Arthur Rimbaud ? Jean-Michel Djian les calcule : « un millier dans le monde », qui triturent « les fulgurances, la syntaxe, les virgules, les ratures, les rimes, les allégories ou les métaphores de cette petite centaine de pages de rinçures que le poète a laissée en héritage » (p. 11).
Nous sommes peut-être encore plus nombreux. J’en connais une centaine ! Sommes-nous des possédés ? C’est comme si on disait la même chose pour les Italiens à l’égard de Dante, ou pour les Anglais à l’égard de Shakespeare.
Oui nous sommes des fous de Rimbaud. Est-ce une maladie, ou un bonheur ? Le voleur de feu nous donne du feu, nous apparaît grand comme Homère, Virgile et Dante. Ses énigmes sont les nôtres. Sa vie est un peu celle que nous aurions voulu avoir. Mais, observe Jean-Michel Djian, « plus on sait, moins on comprend » (p. 14), à propos de la vie de Rimbaud.
« Rimbaud est une sorte de drogue pure » (p. 15). Vive cette drogue. Si tout le monde l’avait ! Nous nous retrouvons dans les pages d’Arthur. Oui il est le voyant de notre époque, l’homme qui a compris la future déroute de l’Occident. Il surgit de son œuvre comme une géant.
Sommes-nous des « experts ès Rimbaldie » (p. 21), des malades inguérissables ? Et alors ? Nos « pugilats » (p. 25) se font par les mots autour des textes d’Arthur Rimbaud. Nous sommes d’accord : on va parfois au-delà du texte, en cherchant l’introuvable et l’impossible.
C’est précisément le sens de la recherche, du point lumineux que nous essayons d’apercevoir. Cela vaut pour Arthur Rimbaud et pour les galaxies, et même pour les avions qui un jour iront régulièrement sur la planète Mars.
Oui « le problème avec Rimbaud c’est la Rimbaldie » (p. 66), mais c’est notre chemin et notre étoile, pour biographes, interprètes, lecteurs, enseignants, critiques à temps perdu. Nous aussi nous voulons « protéger [Rimbaud] du pire » (p. 114). Nos compagnons sont André Breton, Louis Aragon, Yves Bonnefoy, Pierre Brunel, Jean-Jacques Lefrère, Claude Jeancolas, Antoine Adam, René Char.
À partir de ce livre, Jean-Michel Djian aussi est désormais des nôtres. Je lui souhaite la plus belle bienvenue dans notre cercle des rimbaldolâtres, sous le signe d’Arthur Rimbaud, notre intarissable étoile commune.
Giovanni Dotoli
Université de Bari Aldo Moro
Claude Jeancolas, Rimbaud l’Africain, Paris, Textuel, 2014, 646 p.
J’ai rencontré Claude Jeancolas au Marché de la Poésie, à Paris, au mois de juin dernier 2015. Le hasard fait bien les choses. On avait situé mon tiers de stand de poète de langue française à côté de celui de la Société des Amis de Rimbaud. J’étais entouré de presque tous les numéros de la revue « Rimbaud vivant ».
Claude Jeancolas est venu visiter le stand – la partie Rimbaud bien sûr. Nous avons parlé Rimbaud et l’Afrique, ayant moi-même fréquenté ce sujet pour mes deux livres, Rimbaud, l’Italie, les Italiens. Le géographe visionnaire et Rimbaud ingénieur.
J’ai demandé à Claude Jeancolas son dernier livre, Rimbaud l’Africain. Il me l’a fait envoyer tout de suite par l’éditeur. Je l’ai parcouru d’un souffle, malgré sa longueur. Pour Arthur Rimbaud et pour les études rimbaldiennes c’est un livre capital.
La passion de Jeancolas pour Rimbaud est immense. Il est journaliste commercial qui se donne à cet écrivain toto corde. Voici la liste impressionnante de ses livres sur l’auteur d’Une saison en enfer : Les Voyages de Rimbaud et Le Dictionnaire Rimbaud, 1991 ; L’œuvre intégrale manuscrite de Rimbaud, 1996 ; Les Lettres manuscrites de Rimbaud, Lettres et poèmes de Rimbaud, Une saison en enfer de Rimbaud et Passion Rimbaud, 1998 ; Poésies de Rimbaud, Rimbaud. La biographie et L’Afrique de Rimbaud, 1999 ; Rimbaud, l’œuvre commentée, 2000 ; Vitalie Rimbaud, pour l’amour d’un fils. Biographie et Rimbaud après Rimbaud. Anthologie, 2004 ; Rimbaud, l’œuvre, la vie, 2005 ; Le regard bleu d’Arthur Rimbaud, 2007 ; Rimbaudmania. L’éternité d’une icône, 2007 ; Le Retour à Tadjoura, 2008 ; Les Manuscrits de Rimbaud, 2012 ; Le Nouveau dictionnaire Rimbaud, 2013 ; Rimbaud l’Africain, 2014.
C’est pourquoi dès son premier livre, en 1991, Raphaël Sorin définit Claude Jeancolas comme « le fou de Rimbaud », une folie sublime, cultivée, appuyée sur les documents, les fais, les archives, la recherche d’éléments inédits.
Avec ce parcours de compétence et d’amour, voilà le livre que l’on s’attendait sur Rimbaud et l’Afrique. Si je l’avais eu quand j’ai écrit les miens ! Claude Jeancolas y prouve avec précision qu’en 1880 Arthur Rimbaud n’est pas « un homme retiré du monde, hors de l’action et
de l’affection ». Il le voit plutôt comme « un homme en tension, en projection » (quatrième de couverture).
Salah Stétié a raison : « Le plus absolu des poèmes de Jean-Arthur reste sa vie ! » (p. 5). Mais il fallait « briser le silence » (p. 13), ce silence sur la vérité Rimbaud, en partant des textes, des lettres, des faits les plus sûrs, des archives.
Rimbaud est consciemment l’homme de la révolte, de la justice et de l’« abolition des règles » (p. 13). « Il se croit mage, prophète. Il écrit les évangiles nouveaux qui vont secouer le monde ». Parmi les premiers, il constate que « le monde est malade » (p. 13), plus d’un siècle avant notre époque. Pour changer sa vie, après la révolution de la poésie, il choisit une autre révolution, celle de la vie.
Claude Jeancolas démontre qu’Arthur Rimbaud n’est pas un homme de compromis, en Afrique non plus. Ses « inquiétudes spirituelles » (p. 13) continuent, comme je le confirme moi aussi. Son silence est celui du malaise, de l’errance, de la damnation.
Arrivé par hasard en Afrique, Arthur Rimbaud y découvre la liberté et la nature pure. Pas de lamentations, pas de littérature, même si de temps à autre dans ses lettres apparaissent des fulgurations littéraires. La poésie était-elle vraiment une catégorie du monde des rinçures ? Non, Rimbaud croit dans sa poésie, il sait qu’il n’a pas perdu sa vie, en jeunesse.
Claude Jeancolas nous montre un Rimbaud attentif à tout, au commerce, à l’argent, au travail, aux explorations, à la politique, aux marchés, aux gens qu’il fréquente jour après jour.
Et les rêves de Zanzibar, de l’Asie, de Panama… Même sur son lit de mort, il rêve d’une autre vie. Son mal de vivre est le même, une vie entière, courte dans son étoile grandiose.
« Il est africain désormais et ne pourrait plus s’adapter à la vieille Europe. Arthur Rimbaud a aimé la corne de l’Afrique » (p. 15). Ce livre se lit comme un roman merveilleux. Les notes préliminaires et les repères nous aident à entrer dans ce monde d’innocence, sur la route du temps, où les rêves sont un chant de l’âme, face au ciel le plus beau au monde.
La polémique du marchand d’armes et surtout d’esclaves s’efface à jamais. Les courses, les cavalcades, les rivières, les forêts, les mers, les déserts nous restituent le Rimbaud de la poésie. Nous aimons les deux,
parce qu’il y a un seul Rimbaud, toujours le même, avant et après, des temps qui s’annulent.
Giovanni Dotoli
Université de Bari Aldo Moro
Jean-Luc Maxence, Psychanalyse et poésie contemporaine, Paris, Le Castor Astral, 2015, 160 p.
Né à Paris le 3 juin 1946, Jean-Luc Maxence est éditeur (il a fondé Les Éditions de L’Athanor, puis Le Nouvel Athanor, 1982-2014), revuiste (« Présence et Regards », « Ce Temps de lire », et surtout « Les Cahiers du Sens », qu’il dirige avec Danny-Marc, depuis 1987), anthologiste (cinq anthologies, surtout de la poésie contemporaine : la dernière intitulée L’Athanor des poètes, 2011), poète (neuf recueils de poèmes, de 1970 à 2011) et essayiste.
En essayiste, il est l’auteur de : L’ombre d’un père, Éditions Libres Hallier, 1978 ; Jean Grosjean, coll. « Poètes d’aujourd’hui », Seghers, 2005 ; Au tournant du siècle. Regard critique sur la poésie française contemporaine, Seghers, 2014 ; Psychanalyse et poésie contemporaine, Paris, Le Castor Astral, 2015, l’ouvrage objet de cette analyse.
Je rappelle au lecteur que Jean-Luc Maxence est psychanalyste, qu’il est l’auteur de trois ouvrages importants consacrés à Carl Gustav Jung publiés chez Dervy, qu’il a très longtemps été animateur du Centre Didro, dans sa noble lutte contre les toxicomanies, et qu’il est enfin un historien attitré de la Franc-maçonnerie (La Franc-maçonnerie, histoire et dictionnaire, « Bouquins », chez Robert Laffont).
C’est en psychanalyste que Jean-Luc analyse – à la lettre pour un psychanalyste – la poésie contemporaine de langue française. C’est un livre dont la critique – et le poète aussi de notre temps – avait besoin. On fourre le mot psychanalyse partout, pour expliquer l’inexplicable, mais on n’avait jamais osé analyser psychanalyse et poésie sur le même plan, sur le même divan, dirais-je. Derrière son sourire amical et plein d’humour et d’humeur, Jean-Luc Maxence analyse le monde du poète de notre temps comme personne ne l’a fait avant lui. C’est parce qu’il a la chance d’être à la fois poète, psychanalyste et critique attitré.
Le voilà donc partir à la recherche du vrai monde qui si cache derrière l’œuvre des poètes majeurs de notre temps : Yves Bonnefoy, Bernard Noël, Franck Venaille, André Laude, Jean-Louis Giovannoni, Yves Martin, Henry Bauchau, Daniel Biga, Jean-Pierre Duprey, Michel Deguy, Claudine Bohi, et puis Michel Leiris, Raymonf Queneau, Christian Prigent, Jean-Pierre Verheggen, André Laude, Jacques Viallebesset, Loic Herry, et d’autres.
C’est un voyage de psychanalyste qui se passe sous le signe d’Antonin Artaud. D’inspiration jungienne, sans jamais quitter la leçon de Freud, Jean-Luc « revisite les rapports ouverts incestueux entre la cure d’âme et les aveux violents de la poésie », lit-on en quatrième de couverture. Où on poursuit, pour mieux nous nous permettre de déchiffrer le vaste monde de la poésie : « Il bouscule avec force les idées reçues et l’angle de vue sociétal, ouvrant de nouveaux paradigmes essentiels pour mieux comprendre un monde en menace de psychonévrose générale ».
La poésie française contemporaine se révèle comme une terre de peurs et de folies, d’indicible et de mort, de cœurs douloureux et tragédies, lesquelles sont celées dans l’âme du poète.
Ce sont les poètes révoltés qui montrent plus clairement ce parcours, tous sur la lignée d’Artaud, à qui Jean-Luc Maxence réserve précisément une place majeure. Le poète est dérouté, écorché, un « aliéné vivant » comme leur ancien confrère, oriflamme d’un trajet qui ira très loin, même chez les descendants de Sigmund Freud, Gilles Deleuze, Jacques Lacan et Félix Guattari.
Le poète de notre temps a le regard inquiet – Jean-Louis Giovannoni est un maître de ce regard nerveux. Il est tout le temps en séance psychanalytique, sous le signe de ses pulsions et de celles du monde. Psychologie de la profondeur, pourrait-on dire, qui vient de très loin, peut-être de Baudelaire et de Rimbaud. Yves Bonnefoy en est un modèle extraordinaire, lui qui se place justement sur la lignée de l’auteur d’Une saison en enfer. Le fleuve de l’écriture poétique est le fleuve intarissable du moi – on le savait mais il fallait le prouver, et Jean-Luc le prouve –, de ses images, de ses secrets oubliés.
Bien sûr, un rôle capital exerce le surréalisme, surtout de son chef André Breton. C’est lui qui avant les autres camarades perçoit le sens du « vide vertigineux de la page » (p. 15). En révolte perpétuelle, le poète narre ses misères, ouvre son inconscient, comme « un fou à lier, éjaculation dramatique revenue des caves refoulées de soi-même, aveux en chaînes des nœuds brûlants à dénouer sur le divan invisible de l’humanité en souffrance » (p. 18).
Le poète est derrière son double, qui est celui de sa persona, la vraie, et part en dragon aux « abysses de l’inconscient personnel ou collectif » (p. 23). C’est « l’épreuve analythique de la poésie » (ibid.), le chant du primitivisme du corps du poète, vers le secret de la créativité, sans inhibition.
La terra incognita de l’Être se dévoile par fulgurations – même au point de vue de la langue, en liberté, sans liens, fragmentaire, éclairante de ce que Sartre appelle le « secret ontologique de l’être » (p. 59).
Poésie et psychanalyse sont comme frère et sœur. Le poète est un psychanalyste sans le savoir. Nul mieux que lui ne donne une importance totale aux quelques bribes oubliées, à travers l’écriture de son je. Dans notre moi il y a des pépites. C’est là l’arrière-pays de la poésie. Freud est le pionnier d’une analyse passionnante de la parole : il est l’audacieux missionnaire « de la liberté d’expression » (p. 106). Comme lui, le poète interprète ses rêves, se sert d’un savoir psychanalytique, pour lancer son poème.
Grace à ce livre, nous comprenons beaucoup de secrets de la poésie française et universelle de notre temps, sur la lignée de Gaston Bachelard, Roland Barthes et Jean-Pierre Richard. À lire, avant toute sorte de recherche sur la poésie actuelle, française et européenne.
Giovanni Dotoli
Université de Bari Aldo Moro
Guido Mazzoni, Sur la poésie moderne, traduction de Céline Frigau Manning, Paris, Classiques Garnier, 2014, 260 p.
Guido Mazzoni est professeur de théorie de la littérature à l’Université de Sienne, en Italie. Il est connu pour ses deux recueils de poésie (La scomparsa del respiro dopo la caduta, 1992, et I mondi, 2010) et pour ses deux livres fondamentaux Forma e solitudine, 2002, et Teoria del romanzo, 2011. Un poète et un chercheur, donc. Ce point de départ d’après moi est capital, pour comprendre la poésie. Guido Mazzoni connaît les formes de la poésie et leur signification profonde, que d’habitude on a tendance à minimiser.
Ainsi l’exergue devient la clef du livre : « Les formes de l’art enregistrent l’histoire de l’humanité avec plus d’exactitude que les documents », une phrase de Theodor W. Adorno.
Guido Mazzoni fixe son domaine de recherche sur presque un siècle, de la moitié du xviiie siècle à la moitié du xixe. Il analyse ce qui arrive pour la poésie italienne, mais son discours est valable surtout sur le plan européen, ce qui colle parfaitement avec la ligne éditoriale de cette revue.
À partir des Disegni letterari de Giacomo Leopardi, des notes de projets qu’il rédige entre 1819 et 1834, l’auteur essaie de fixer l’« espace littéraire » de l’Italie et de l’Europe de 1750 à 1850. Guido Mazzoni précise correctement ce qu’il entend par espace littéraire : « J’entends par espace littéraire l’ensemble des œuvres que les auteurs d’une époque donnée jugent raisonnable d’écrire et qu’ils envisagent, pour employer la métaphore sur laquelle se fonde toute forme d’historicisme, à la hauteur de leur temps » (p. 11). Il précise à titre d’exemple : « L’espace littéraire actuel comprend les genres encore vivants, les œuvres auxquelles il est raisonnable de se consacrer au début du xxie siècle si l’on espère aller au-devant du goût d’un public de masse ou d’élite » (p. 11-12).
Par l’application de ce principe simple et précis, fascinant et idéal, Guido Mazzoni prouve que la poésie occidentale se transforme, à ce moment-là. Pour la première fois le poète devient totalement libre. Il peut écrire comme il veut, être clair ou obscur, « mettre un bonnet au dictionnaire », pour parler Victor Hugo, quitter mètres et syntaxe de la tradition, inventer des mots, laisser à leur destin les mots du passé, et surtout créer un rapport direct entre le poète et le monde.
Le poète devient une persona, un je, un sujet parlant. Style et sujet se croisent à jamais. C’est le poète lui-même qui parle. Il n’a plus besoin de médiateur. Ce sont les fragments de son moi qu’il offre au lecteur, envahi par une avalanche de dictionnaire de l’égotisme.
Guido Mazzoni adopte une méthode très réussie. Il alterne la réflexion théorique et l’analyse des textes, ne met de côté aucun élément concernant le passage d’une époque à l’autre, voit la métamorphose qu’il décrit comme l’évidence d’une mutation profonde sur le plan historique.
Ainsi ce livre devient-il essentiel pour comprendre ce qu’il se passe réellement à cette période-là et constitue un éclairage illuminant sur ce qu’on appelle culture moderne. Comment et pourquoi il y a une crise de la tradition ? D’où vient l’individualisme moderne ? Quelles sont les connotations d’une différence dont il n’est pas facile de fixer les lignes ?
L’espace littéraire des année 1750-1850 se précise au fur et à mesure, la métamorphose est une lumière lente qui agit sur cent ans. Et Guido Mazzoni d’avoir justement recours à la théorie de Walter Banjamin, d’après laquelle « les transformations littéraires sont pour la plupart extrêmement lentes et n’avancent que de manière imperceptible. Il compare alors la mutation des formes épiques à l’évolution que subit la surface de la terre au fil des ères géologiques, un parallèle qui mérite d’etre développé bien au-delà des intentions de son auteur » (p. 13).
On constate l’énième fois que les métamorphoses sont progressives et lentes, comme il arrive dans l’histoire d’après la théorie des ondes longues de Fernand Braudel. La comparaison géologique se révèle comme le secret nécessaire pour analyser les métamorphoses de la littérature, mais cela vaut aussi pour d’autres formes d’art.
« C’est par sa force plastique que l’art traduit la continuité idéale d’une époque dans la continuité visible d’un système de signes, en donnant un aspect sensible aux permanences et aux ruptures radicales, exactement comme le fait la surface de la terre avec le temps géologique » (p. 14).
Hypothèse fascinante que j’épouse totalement. Je l’ai vérifiée moi-même pour mon livre xxe-xxie siècles. Avant-garde, tradition, intuition (Hermann, 2013). La pérennité d’un style dit la pérennité d’un système hiérarchique de la société européenne.
Les œuvres littéraires ont une « valeur représentative » (p. 16), ainsi que le comprend déjà Giambattista Vico. L’histoire de la culture prend
un autre chemin, le bon. Ce livre constitue un modèle pour l’analyser. Nous savons enfin « qu’est-ce que la poésie moderne » (p. 37), sur un plan unitaire. L’approche comparatiste favorise la solution du projet de l’auteur.
Giovanni Dotoli
Université de Bari Aldo Moro
« Parade sauvage », rédacteurs en chef Yann Frémy et Seth Whidden, n. 24 et 25, 2013 et 2014, Paris, Classiques Garnier, 286 + 378 p.
Tous les rimbaldiens connaissent l’importance de cette revue. Crée en 1984 par la ville natale du poète, Charleville-Mézières, elle est désormais publiée par les Classiques Garnier, sous l’égide du plus grand éditeur universitaire de notre temps, M. Claude Blum.
La ville de Rimbaud a assuré la publication de « Parade sauvage » pendant vingt-sept années, grâce à la détermination des responsables de la Bibliothèque municipale et du Musée Arthur-Rimbaud, dirigé par Alain Tourneux.
Les Classiques Garnier assurent donc la continuité d’une grande entreprise, d’un projet auquel l’avancement des études rimbaldiennes doit beaucoup. Je dirais que la plupart des plus grandes recherches sur Rimbaud passent par cette revue.
Le n. 24 se divise en deux parties : Dossier su « Mémoire » et Singularités. Dans la première à remarquer des articles de première importance d’Alain Bardel, Benoît de Cornulier, Marc Dominicy et Philippe Rocher, sur le poème Mémoire.
Dans les singularités, les articles suivants : Rimbaud chez Nina de Cyril Lhermelier, Miret ou Mirecourt « Trop de Belmontet » de Genviève Hodin, Sur l’« immondice schismatique » dans l’« Album zutique ». Sur deux poèmes zutiques de Rimbaud restitués de François Caradec, enfin de nouvelles lectures d’Antoine Fongaro.
Je conseille vivement le lecteur de lire le poème Mémoire et les lectures qui le concernent.
Le n. 25 se divise en trois parties : Études, Singularités, Comptes rendus. Parmi les études, je signale l’importance des articles suivants : L’épigraphe comme clin d’œil et la rhétorique profonde de « Jugurtha » de Steve Murphy, « L’Idole » zutique entre souffle lyrique et excrétion corporelle de Nicolas Valazza, Fleurs rimbaldiques et La fin de « Barbare » d’Antoine Fongaro, Rimbaud mystique de Marjan Mahmoudi. Parmi les singularités, j’attire l’attention du lecteur sur l’article de Benoît de Cornulier, Travail poétique d’une rime pisseuse.
« Parade sauvage » n’est pas une simple revue. C’est le laboratoire de l’œuvre de Rimaud, le lieu des propositions hardies et des lectures
traditionnelles, le pays où on rêve à chaque page, parce chacune donne envie de retourner aux sublimes textes du poète.
Giovanni Dotoli
Università di Bari Aldo Moro
« Revue Verlaine », n. 12, 2014, rédacteurs en chef Arnaud Bernadet, Solenn Dupas, Yann Frémy, Paris, Classiques Garnier, 332 p.
M. Claude Blum continue sa belle marche de publication de quelques revues parmi les plus importantes du panorama critique français. C’est la cas de la « Revue Verlaine », fondée en 1993 par Steve Murphy. C’est le deuxième numéro assuré par les Classiques Garnier.
On est impressionné par la qualité des articles et l’équipe internationale des auteurs, venant du Japon, de l’Italie, du Canada et des États-Unis, et bien sûr de France. Cela confirme l’importance de l’œuvre de Paul Verlaine, qui mérite une audience française et internationale. Le renouveau des études verlainiennes a enfin pris son bon chemin, sur des bases théoriques, biographiques, linguistiques et musicales.
Je suis convaincu qu’il y a encore beaucoup à dire sur l’œuvre de Paul Verlaine, qui a trop souffert de quelques circonstances biographiques. Cette revue ne pose justement aucun problème de méthode. Toute méthode est acceptée : seul but commun, l’avancement des recherches sur ce grand poète, dans une pluralité de voix qui est de la richesse assurée pour l’avenir.
Les matériaux historiographiques, les problèmes de comparaisons et de datation, la généalogie familiale, la vie culturelle de l’époque, le mythe du poète maudit, le sens de la transgression, les microlectures, l’intertextualité, les enjeux didactiques, sont les grands sujets brillamment traités dans ce numéro.
Paul Verlaine n’est désormais plus surtout le « criminel et marginal » à la Villon ou Genet (p. 12), mais le grand poète de la musique de la langue et de la diversité linguistique.
Relisons-le. Il nous fera du bien.
Giovanni Dotoli
Université de Bari Aldo Moro
Françoise Siri, Le Panorama des poètes. Enquête sur la poésie francophone du xxie siècle, Paris, Lemieux, 2015, 228 p.
Françoise Siri est journaliste et se définit comme « passeuse » de poésie, ce qui lui permet de publier de nombreux portraits de poètes dans le magazine « Clefs », auquel elle collabore. Nous la connaissons pour son livre d’entretiens avec François Cheng, Albin-Michel – France Culture, 2015.
Son projet est clair. Elle se demande : qui sont les poètes d’aujourd’hui ? Nous les croisons partout, en des lieux qui ne sont pas des lieux de poésie, dans un train, dans la rue, au supermarché, dans un café, à côté de nous. Qui sont-ils ? Le panorama social de la poésie a changé. On rencontre des élus de la politique, des médecins, des magistrats, des mathématiciens, des banquiers, des journalistes, des enseignants, et bien sûr des aventuriers. Tous des fous de poésie, de parole, de fulgurations du poème, comme s’ils avaient besoin de parler autre, de proposer leur dialogue par un autre type de langage.
Ce sont, souligne Françoise Siri, des poètes de la cité, engagés dans la cité, parmi nous, en ce monde moderne des villes et des lieux habités. Ils sont sensibles, parleurs même quand ils se taisent. Ils savent que quelqu’un un jour les écoutera. Confiance dans la poésie et dans le mot fragmenté, dans l’éclair du poème et dans le dit réduit.
Françoise Siri part d’une belle idée, des deux grandes manifestations annuelles de la poésie en France : le Printemps de la Poésie, au mois de mars, voulu en 1999 par Emmanuel Hoog et Jack Lang, et le Marché de la Poésie, place saint Sulpice, en juin, en général entre la deuxième et la troisième semaine. Elle en fait un bel éloge.
Les poètes sont donc vivants. Ils sont là. Françoise Siri en choisit une trentaine. On n’y voit ni Yves Bonnefoy ni Salah Stétié, ni Jacques Darras ni Vénus Khoury Ghata, ni Philippe Jaccottet ni Matthias Vincenot, mais on y trouve des amis-amies connus-es, Jeanine Baude, Tahar Bekri, Claude Beausoleil, Andrée Chedid, François Cheng, Patrice Delbourg, Charles Dobzynsky, Hélène Dorion, Bruno Doucey, Guy Goffette, Jean Métellus, Lionel Ray, Jacques Roubaud, Jean-Pierre Siméon, et d’autres.
La formule est simple et bien réussie : présentation du poète, sa biographie et son esthétique, les dates essentielles de sa carrière, un entretien avec lui, quelques poèmes symboliques de son œuvre. Sans
formules présomptueuses, on est face à un panorama convaincant de la poésie actuelle de langue française, de France et hors de France.
Face au silence des médias sur la poésie, et face à l’absence d’un marché libraire, voilà un fleuve de poètes et de poésie, partout dans la cité. Sans tapage, sans être des supermen ou des êtres exceptionnels, les voilà faire ressentir leur présence, en « veilleurs attentifs qui interrogent sans cesse la vie telle qu’elle se fait, telle qu’elle se perd, telle qu’elle se rêve » (p. 7, Avant-propos de Jean-Pierre Simenon, directeur artistique du Printemps des Poètes).
Les questions de notre existence se révèlent au fur et à mesure, d’après mille facettes, et de cette symphonie un peu désaccordée, voilà surgir « la poésie ». En ouverture, Françoise Siri nous rappelle ce mot de Victor Hugo : « Quelle niaiserie donc que celle-ci : la poésie s’en va ! On pourrait crier : elle arrive ! » (p. 9). Et elle arrive, la poésie, avec son cortège de poètes et de poèmes, de livres et de feuilles, d’affiches et de parole récité ou criée, dans une cité perdue, qui a besoin de poètes pour survivre et se donner un ton.
Le Marché de la Poésie accueille plus de 50.000 visiteurs, le Printemps des Poètes embarquent petits et grands poètes de France, dans chaque village, bourg, ville et cité. Qu’importe si d’année en année les subventions baissent ? Au fond la poésie a toujours vécu sans argent. Depuis au moins deux millénaires le poète sait que carmina non dant panem, que « les poèmes ne donnent pas de pain », et qu’ils ne font donc pas vivre.
Le pain de la poésie est en nous. Le responsable du Marché de la Poésie, mon ami Vincent Gimeno-Pons, estime qu’en France il y a environ 700 maisons d’éditions de poésie. Des tirages réduits, dépassant rarement 1500 exemplaires, observe-t-on. Qu’importe. Le roman tire à des milliers d’exemplaires et il meurt en quelques jours ou au maximum en quelques mois, sauf les grandissimes embrassés par la fortune. Mais la poésie reste, avec son poète de la cité, démocratise le monde – Françoise Siri estime que la plupart des poètes a des origines de classes moyennes ou modestes –, parle, sachant qu’elle a le droit de parler, comme l’annonce bien Mallarmé.
Et pas de différences de genre. Les poètes de la cité sont des hommes et des femmes. Combien sont-ils ? Combien sommes-nous – je suis poète moi aussi ? Pierre Seghers parlait de 50 000. Chiffre immense et certain, peut-être à augmenter un peu, si l’on considère que dans une classe
d’école trois étudiants sur vingt (p. 15) écrivent des poèmes. Françoise Siri rappelle ce mot de Seghers, pour en expliquer la raison : « [la poésie est] liée à l’intimité, comme le disaient déjà Hugo, Lamartine ou Aragon. Elle correspond à un besoin d’écoute de soi et de vie intérieure » (p. 15).
Oui le poète est à l’écoute, de soi et du monde, le proche et le lointain. Écoutons-le. Il a des propos pour tout le monde. D’après l’annuaire du Printemps des Poètes, les poètes ne seraient que 900 en France, selon le critère des poètes vivants : « avoir publié quatre recueils à compte d’éditeur ». D’après ce critère on a même moins de 900 poètes. C’est la force du poème proposé qui compte, pas qui en paye la publication. S’autoéditer ce n’est pas s’auto-déclarer un poète mauvais. Que d’exemples dans l’histoire de la littérature pour le prouver.
Ce livre est une belle piste de rencontre, outre un panorama vivant de la poésie de langue française, dans laquelle se distinguent désormais la poésie sonore avec Pauline Catherinot et la poésie des sourds-muets avec Mathilde Chabbey. À la fin du livre, outre les ressources de la poésie sur le web, on trouve une liste complète des revues de poésie avec leur adresses, les festivals et manifestations poétiques, et quelques conseils bibliographiques.
Un livre important pour les poètes et les lecteurs de poésie.
Giovanni Dotoli
Université de Bari Aldo Moro
Rosario Vitale, Mario Luzi. Il tessuto dei legami poetici, Firenze, Società Editrice Fiorentina, 2015, 172 p.
Rosario Vitale a obtenu son doctorat en Études italiennes à l’Université de Paris-Sorbonne, sous la direction du groupe créé par François Livi. Sa thèse portait sur l’œuvre du plus grand poète italien du xxe siècle, Mario Luzi.
Ce livre important est l’adaptation et la mise en forme de sa thèse intitulée Il fragile filo della vita : l’opera poetica di Mario Luzi (1914-2005).
Le projet de l’auteur prévoit la lecture totale de l’opera omnia du poète, sur un plan unitaire, ce qui est toujours un élément de départ fort valable. Un vers est le centre de tout le livre : « Il filo inafferrabile dell’universa vita », « le fil imprenable de toute la vie », tiré du dernier ouvrage de Luzi, Viaggio terrestre e celeste di Simone Martini, un texte autobiographique, qui voyage entre la lumière de la vie et celle du ciel imminent.
Le mot vita, « vie », est au centre de l’œuvre de Mario Luzi. Cette vie universelle est fragile, mystérieuse, fascinante, hermétique et déchiffrable. Le corpus de l’œuvre de Mario Luzi se fait corpus de sa vie et de ses idées de la vie. Ainsi Rosario Vitale peut-il accomplir une lecture transversale, dans un corps unique, et agir sur le plan de l’intertextualité. Le corpus se modèle autour de la poésie comme un rythme « textile ».
Le poète tisse. Son œuvre est un tissage. Ses textes sont des tapisseries de la vie. Plus qu’écrire, Mario Luzi tisse, file, coud les mots, dans son atelier d’artisan de la parole. Il peut découvrir les secrets de la réalité grâce à ce parcours de tissage, en suivant le fil des choses et des moments de sa vie.
Ce regard panoramique transforme le poète en artisan, par un regard panoramique qui correspond à son texte-tissage dont les fils sont tous reliés comme dans un chef-d’œuvre en tissu. Nous nous expliquons ainsi aussi la contamination entre les genres pratiqués par le poète. Les sources, surtout les françaises – Mario Luzi est un extraordinaire traducteur en italien de l’œuvre de Mallarmé et est professeur de langue française à l’Université de Florence – apparaissent en suivant les différents fils.
La vocation poétique et le faire-poème viennent de cette idée générale, de la continuité de la vie en tissage, d’une fragilité qui est celle d’un fil. Le texte-tissu se noue et se dénoue. Et nous pensons à la tradition
des Parques (la mort) qui ont le fil de la destinée, au fil d’Ariane, au fil imaginaire qui conduit notre vie, jusqu’au ciel, un jour.
L’auteur a appliqué une idée géniale qui est in rebus. Le résultat est la confirmation de la grandeur de Mario Luzi, qui aurait fort mérité l’attribution du prix Nobel de la littérature.
Giovanni Dotoli
Université de Bari Aldo Moro
Constantin Frosin, Au hasard de mes lectures, Bucarest, Editions eLiteratura, 2014, 522 p.
Ce livre rentre parfaitement dans la connotation de cette revue – à lire mon éditorial. C’est un texte à la vision large, européenne, en dialogue, tolérante – la culture doit être tolérante par essence.
Constantin Frosin se confirme un prince de la francophilie et de la francophonie. Le voilà donc devenir un maçon infatigable d’Europe, de culture – la vraie –, de savoir(s). Il rayonne la valeur de la parole française, le cœur d’une langue qui se dit – et qui l’est – porteuse de démocratie, de droit et d’ouverture.
Ici le chemin est celui d’un pèlerin du Moyen Âge. Constantin Frosin va vers l’or du français, une étoile qui est sa foi et son point de référence. Il ouvre des chemins et il en construit, il crée des liens entre France et Roumanie, Europe, Roumanie, France et monde.
C’est comme si l’histoire était claire et clarificatrice, malgré tout, sur une table idéale, des origines à nos jours, pour nous dire et redire que notre Continent est la terre d’une culture millénaire sous le signe de la parole et du texte, du message de la littérature – la poésie, en notre cas spécifique –, de la traduction des idées, vers l’Europe nouvelle qui est en train de se construire.
Il faudrait que la France nomme des ambassadeurs de la francophonie dans le monde, à titre onorifique, comme il arrive pour les consuls. Constantin Frosin le serait de droit pour son pays. Il ne fait que chercher les lignes secrètes du dialogue et de l’amitié. Il fait de la littérature le lieu de la vie en contact, la zone d’accueil, de la colombe, de l’olivier, des anges et des couleurs, du mal à guérir et de la joie, de la migration – quel sujet de grande actualité ! –, de l’infini et de la paix.
La littérature se refait vie, dans notre cœur et dans la réalité. Une littérature qui se vit, qui est en nous, et qui nous trace le chemin à suivre. C’est de là que part la façon de lire de Constantin Frosin, de cette ouverture qui donne au mot le sens du don, de la figuration transfigurée, de l’être et de la morale juste. La littérature enlève son masque et se donne comme une fille de la pureté. L’exégèse est un acte d’amour, un journal de l’être qui est toujours un poète, en transe poétique.
La littérature, nous communique Constantin Frosin, est un brassage d’identités, une communication ancestrale qu’aucune folie ne pourra
détruire. De Dante Alighieri à Emil Cioran, de Guillaume Apollinaire à Marthe Bibesco, on suit le chemin du brassage, vers ce point mystérieux qui est notre vie.
Le Verbe du commencement est allé très loin. Ses fruits sont un livre d’or, de textes et d’êtres, que nous avons le devoir – et le plaisir, d’après Roland Barthes – de suivre, le regard pointé au soleil.
Giovanni Dotoli
Université de Bari Aldo Moro
Mihai Eminescu, Cincizeci poeme / Cinquante poèmes, traduits en français par Annie Bentoiu, Bucarest, éd. Vitruviu, 2000.
Nous aurions pu intituler (directement) cette étude Cinquante poèmes ou comment ne pas traduire Eminescu… La délicatesse nous en a empêché… Nous ne connaissons pas Annie Bentoiu, nous savons que sa mère a été française, suisse plus exactement… Mais cela n’est pas évident, hélas ! En plus, ce livre est paru en 2000, quand Mihai Eminescu a été déclaré par l’UNESCO le Poète de l’Année. Le bel home/heaume/âge… Enfin, on y arrivera…
Pourquoi pas « Faux traité de psychologie » ? Pour la bonne raison que cette (modeste) étude n’a rien à voir avec un traité, d’autant moins un de psychologie (pas même en résumé !). Et pourtant, nous nous sommes toujours demandé qu’est-ce qui peut bien pousser certains traducteurs / certaines traductrices à s’en prendre à la mémoire de notre Grand Poète… Quel frein rongent-ils pour qu’un jour ils prennent le mors aux dents et la plume pour traduire (ou trahir ?) Eminescu ? Considèrent-ils que c’est un obstacle à absolument franchir, afin d’être couronné Traducteur ? Sont-ils hantés par la nécessité de le faire à tout prix ? À tort et à travers ? !
Pour traduire un tel Poète, il faut l’avoir lu dès son âge le plus tendre, puis avoir repris sa lecture de temps en temps, à bon nombre de reprises, pour le comprendre, le pardonner (quand il fait erreur ou quand il n’abonde pas dans notre sens) et puis, pour l’aimer, au point d’éprouver le besoin impérieux et irréfragable de le dire dans toutes les langues, ou du moins dans celle que l’on connaît le mieux… À partir de ce jour-là, l’on ne peut plus tenir en place et les mains vous démangent d’entreprendre la réécriture des saintes écritures éminesciennes. J’ai bien dit réécriture, car il s’agit de le récrire, et non pas de le traduire au bas mot (sic !), puisqu’on le considère comme intraduisible…
Seulement, il faut attendre le moment de grâce, l’état alpha, lequel permet de se détacher de tout ce qui est, afin de s’attacher au seul, à l’unique Eminescu ! ! ! À ce moment-là, tous ses problèmes personnels, toutes les angoisses, insatisfactions, tous ses échecs et mécontentements, toutes ses frustrations personnelles se doivent de disparaître et le traducteur doit se laisser habiter par Eminescu et personne d’autre !
D’habitude, ce sont les amoureux qui traduisent le mieux les poèmes d’amour, les philosophes (un tout petit peu ratés…) qui traduisent
le mieux les poèmes philosophiques ou Cioran et ainsi de suite. Une femme récemment divorcée ne sera aucunement capable de traduire les superbes poèmes d’amour d’Eminescu, tout comme un amoureux (ou un amant heureux…) ne voudra jamais traduire Mortua est, Memento mori, pas même les Lettres…
On a dit que le meilleur traducteur du Luceafarul (Hypérion) en anglais fut Cornel Popescu, un jeune homme de 19 ans, amoureux fou ou du moins épris de quelque idéal, y compris de beauté… C’est dans la logique des choses, finalement… Je doute qu’un vieil homme passé l’âge de 80 ou 90 ans, puisse traduire un poème d’amour comme un jeune homme de 19 ou 20 ans…
Un bot (sic !) jour, il nous est tombé sous la main (puis sous la dent…) un livre a(g)noste de tous les points de vue, hélas ! Il s’agit d’un livre morose et maussade à la fois, de 230 pages, une traduction de 50 poèmes d’Eminescu par Annie Bentoiu, en français. Paru juste l’année où Eminescu a été déclaré par l’UNESCO, le Poète de l’Année… Cela en dit-il long ? Ou court, ou bref… ? ! Une telle traduction ne pouvait-elle pas attendre des jours meilleurs ? Des lendemains qui chantent. Elle a fait (d’un éléphant, une) mouche, en effet… Mais Eminescu n’y était pour rien, voyons… ! La traductrice a-t-elle visé juste ?… Dans le mille…
Per farla breve / To cut it short, nous allons abréger cette introduction et passer au fait, id est, passer au crible les faits et gestes (au sens de gesta heroica – sic !) de la traductrice. Un poème qui nous tient à cœur, est Lacul / Le Lac, et pour cause… Eh bien, nous n’allons pas nous demander quel était l’âge de notre Collègue quand elle a traduit (Lustucru !) ce poème (elle aurait mieux fait de le réécrire) ni quel était son état d’âme, Dame ! A-t-elle pu finalement damer le pion à Eminescu… À son plus grand dam !
La traduction française de ce superbe poème roumain débute sous les pires augures en français : le lac se trouve « au fond des bois », pourquoi donc ? Fallait-il traverser toute la forêt pour y parvenir ? ! Ce vers de huit syllabes est rendu par un de sept (du reste, c’est la règle chez A B), alors que pour l’amour d’Eminescu, il fallait faire un effort et marcher sur ses brisées, sans briser l’unité et l’harmonie du vers éminescien… Le second vers, toujours de 8 syllabes, est rendu cette fois-ci par un vers de 6 syllabes, très maladroit et d’une veulerie…, enfin : « îl încarca » qui en roumain signifie joncher, parsemer ou tout simplement orner, devient
chez A B alourdir, ce qui connote péjorativement l’oppression, comme si cette attente lui pesait, au poète / à l’amant… L’émotion de l’attente, des retrouvailles avec l’être aimé devient un poids sur le cœur, le renvoi à lourd et lourdaud fait saillie, hélas ! Et puis, chère Collègue, lis jaune signifie belle–d’un jour, hémérocalle… Vous pensiez peut-être à lis d’eau, d’étang, ça oui…
Après un premier vers de 7 syllabes, d’un deuxième de 6 syllabes, nous voilà ensuite en présence d’un troisième vers qui compte… 5 syllabes et, dans cette lignée, on pourrait s’attendre à ce que le 4e vers compte… 4 syllabes… Et dire qu’Eminescu fut un Maître de la perfection poétique, de l’Harmonie musicale, du Rythme enchanteur… Qu’en reste-t-il, sinon des restes ? ! Pour revenir, ce fameux troisième vers est hallucinant, recelant (quel sophisme…) un verbe antipoétique, qui ces derniers temps connote péjorativement et argotiquement : vibrer, qui en cette traduction, est monosyllabe ! ! ! Le voilà : « Dès qu’il vibre, l’onde fait », que l’on pourrait réécrire, hélas, comme : Dés qu’il vibre (fait vibrer), l’on défait… Serait-ce là un exemple d’ambiguïté poétique ? Tant s’en faut…
Et comme pour démontrer que toutes les bonnes choses ne sont pas toujours trois, la quatrième s’ensuit (elle aurait pu nous en dispenser, tout de même…) : « Qu’une barque au bord frémisse ». Va pour un vers qui compte à peine 6 syllabes, mais deux mots qui commencent par la consonne dure B (et presque contiguës, ce qui fait penser à BB, ou à BD…) c’est trop, puis il y a lieu de se demander : fallait-il localiser dans le temps et l’espace une (possible) histoire d’amour, d’habitude atemporelle et a-spatiale ? Car universelle et presque partout la même… Et au bord de quoi, exactement ? Dans ce cas de figure, s’attendait-on à ce que cette barque soit amarrée au milieu du lac, comme quoi l’amant était censé inviter sa bien-aimée à la rejoindre à la nage ? Bigre…
Voilà à titre de réparation, notre propre version :
Un lac bleu, au milieu d’un bois
De jaunets d’eau est parsemé,
Faisant des ronds d’écume sur l’eau
Une petite barque s’y voit trembler.
Dans la strophe suivante, A B rivalise de réductionnismes, à l’envi. Elle frise le ridicule, en mettant : « Et je vais, longeant la rive », comme
si l’on pouvait longer une rive sans aller / marcher, alors là, pense-t-elle que le poète le faisait (ou aurait voulu le faire) en volant, ou en survolant la rive… Dans le deuxième vers de cette deuxième strophe, elle met les pieds dans les plats et doute du poète, de ses sentiments, de ce qu’il attende sa bien-aimée : « J’attends presque, à chaque pas », autrement dit, il doute, à chaque pas, de son envie de revoir son amante, alors là, ça passe notre entendement, tout en passant les bornes… ! De quel droit se fourre-t-elle le doigt dans l’œil d’Eminescu jusqu’au coude ? ! Dans le 3e vers, elle utilise le verbe surgir, qui renvoie à faire irruption, apparaître brusquement, alors qu’elle avait à sa disposition le verbe jaillir : se manifester soudainement, impétueusement, s’élancer, ce qui suggère l’élan, n’est-ce pas ? Mais le 4e vers réussit à faire aller en fumée tout le reste : « Et s’abatte entre mes bras ». Certes, la même malheureuse suite de 6 vers… Enfin, voyons ce que nous dit le Trésor de la Langue Française : « S’abattre. [Le suj. est un inanimé, plus rarement un animal ou un homme] Tomber brusquement ou perdre sa position verticale, sous l’effet d’une force ou d’un choc violents. » Ensuite : « S’abattre sur. Tomber brusquement et violemment sur un être (animé) de manière à le priver de ses forces ou de sa vie ». Clair comme de l’eau de roche, n’est-ce pas ? On s’imagine déjà une femme épuisée d’avoir couru pour revoir son amant, et qui tombe dans les pommes dans les bras de son amant… Les lecteurs français doivent se taper le cul par terre en lisant de tels livres de pacotille ! Mal vous en a pris, madame, de vouloir vous mesurer à Eminescu… Le triste sort de ce Poète unique ! ! !
Modestement vôtre, nous vous présentons (et offrons) notre propre version des faits :
Je me promène le long des berges,
L’oreille tendue, pris de langueur.
Je veux la voir jaillir des joncs,
Tendrement me presser sur son cœur.
Dans la 3e strophe, elle revient à la charge, débute par un Subjonctif qu’elle aurait pu éviter, use du verbe chantonner, alors que murmurer et surtout son déverbal : murmure étaient plus convenables (parce chantonner signifie : « Chanter à demi-voix. Synon. fredonner ». ou alors, toujours selon le TLF : P. métaph. [Le suj. désigne une bouillotte, une marmite sur le feu, une fontaine, un tramway qui glisse sur les rails]. Dans le 3e
vers, elle use de barre qui, en effet signifie : « Tige actionnant le gouvernail et, p. ext., tout dispositif servant à gouverner un bateau », mais ignore-t-elle vraiment, notre traductrice, qu’un vers ne devrait jamais se terminer en monosyllabe ? ! Que l’harmonie et la musicalité du vers en auront à pâtir ? Chez A B, ce sont la barre et les avirons qui prennent les devants, qui ont l’initiative, et non pas le Poète, qui vise par là à libérer / dégager ses mains afin d’embrasser son amante etc. Selon elle, le poète n’aurait jamais la moindre idée de ce qu’il doit faire… Comme si le Poète disait : Cela m’a échappé… Quoi donc ? La barre et les avirons… Où est donc passé le sens de l’humour et de la juste mesure ? !
Pour nous, traduire de la sorte un Poète comme Eminescu, c’est lâcher une bordée d’injures à son adresse, le traiter à toutes les sauces, de tous les noms… L’a-t-on obligée de le faire ? Lui a-t-on demandé de le faire ? Ne réalise-t-elle pas le désastre d’une telle traduction ? Dans le doute, abstiens-toi ! Et pendant que nous y sommes, voyons une version plus poétique (en toute modestie) :
Et sauter ensemble dans la barque
Par le murmure des vagues guidés,
Ensuite lâcher le gouvernail,
Les avirons abandonner.
La 4e strophe est vouée au néant, d’entrée de jeu : voguer sous le charme est un non-sens, car le charme est un arbre (ce qui prête à l’équivoque !), ensuite, d’habitude il est préférable de flotter / voguer sur et non pas sous, et l’expression qu’elle vise est être sous le charme, mais là, elle se méprend une fois de plus, voyons le TLF : « Vx, littér. Formule incantatoire. Craindre, enseigner les charmes », et « Puissance magique ainsi produite. Synon. enchantement, ensorcellement, envoûtement. », donc, être sous le charme, c’est être sous l’effet d’une formule incantatoire… : « Être, tenir qqn sous un charme ; briser, dissiper, rompre un charme. » Hélas, madame, hélas…
Dans le vers suivant, malgré l’élément liquide, elle s’imagine que la lune baigne les deux, et du rêve romantique du clair de Lune, il ne reste que des poussières, car la lune d’A B est… pâle (comme sa traduction…). Puis, ce » n’est pas le vent qui froisse (peut-il être antipoétique, ce verbe !) les roseaux, mais ce sont les roseaux / les joncs qui bruissent / frémissent au vent. Ce bruissement fait pendant au murmure de l’eau,
n’ayant nullement une composante inesthétique, comme le laisse entendre la traductrice par le verbe froisser (nous suggérant aussi son déverbal froissement). Le dernier vers de la 4e strophe est bien le der des ders, étant tout à fait cata(strophique) : « Unduioasa apa sune » devient chez elle, attention, attachez vos ceintures : « Que l’eau tinte, musicale… » Alors là, on aura tout vu ! Consultons le TLF : Tinter : « [Le suj. désigne une cloche, une sonnette ou un timbre] Produire un son métallique vibrant. Synon. résonner, sonner. » et « produire des sons semblables à ceux émis par une cloche ou une sonnette qui résonne. » ou : « Faire entendre des tintements selon un rythme donné pour annoncer un événement. Synon. sonner. Tinter le tocsin. » Les oreilles peuvent bien vous tinter, mais jamais l’eau, elle peut murmurer, chantonner… Pour comble d’infortune, elle postpose un adjectif : musicale après le verbe tinter, alors qu’elle aurait dû user d’un adverbe de mode : musicalement, tout au plus. Mais voyons ce que cela a donné dans notre réécriture :
Ainsi flotter, ensorcelés,
Au clair de la lune, douce et blonde –
D’ouïr les joncs bruire au vent
Et le tendre clapotis de l’onde !
Se non è vero, e ben trovato… (Si ce n’est pas vrai, c’est bien trouvé).
Comme de juste, vu que le début augure de la fin, sa traduction finit en queue de poisson… Chez A B, le Poète s’énerve, pique une colère blanche, marquée par la présence de l’Impératif (presque une injure, car très vocatif…), alors que chez le Poète, il n’en est rien… Le deuxième vers de la dernière strophe est une suite de mots sans… suite : « Seul, en vain, mon lourd fardeau », des mots apparemment sans rapport entre eux, le fardeau devient sujet / actant ; l’équivoque guette cette strophe ; à lire les trois derniers vers, il résulte que son lourd fardeau est seul près du lac si bleu, qui tremble (qui ça ? le lac ou son lourd fardeau ? !), surchargé de grands lis d’eau… Oh là là, mon Dieu ! Une fois de plus, la traductrice se méprend sur le sens des mots : surchargé n’a rien à voir avec încarcat du roumain, où il signifie, répétons-le : jonché, parsemé, en fait au sens de : orner, enjoliver si l’on veut.
Nous craignons presque de tirer des conclusions, mais avant d’y procéder, voyons notre solution, pour le moins meilleure que la faribole que nous offre A B :
Mais elle ne vient pas. Solitaire,
J’ai beau souffrir et soupirer
Au bord de ce lac tellement bleu
De jaunets d’eau tout parsemé.
Pour en venir aux conclusions, jetons d’abord un coup d’œil à sa Note sur la traduction, d’où nous apprenons, avec un serrement de cœur, qu’elle a déjà publié trente poèmes d’Eminescu aux Editions de l’Aire de Lausanne, en Suisse. À notre grande surprise, et surtout à notre grand étonnement / ébahissement, la traductrice affirme avoir essayé de respecter / observer au plus près la prosodie originale. Voyez-vous, s’il est vrai que Qui ne risque rien, n’a rien, il n’en est pas moins vrai qu’on ne gagne pas à tous les coups… et vu les coups qu’elle a portés à Eminescu (dont plus d’un mortel…), elle ne pouvait pas y trouver son compte, d’autant moins y gagner… En tout cas, nous lui remercions pour nous avoir donné l’occasion d’écrire cette étude, en mettant la puce à l’oreille à ses lecteurs et admirateurs, mais aussi à d’autres amateurs de traduire les inégalables poèmes de Mihai Eminescu.
Si peu en chaut à un éditeur étranger s’il s’agit d’une bonne ou d’une mauvaise traduction, vu que cela peut avoir le don de flatter son orgueil personnel (tant mieux si les Roumains ont de tels mauvais poètes, par rapport aux nôtres !), nous nous demandons pourquoi des éditeurs respectables et honorables, comme Vitruviu, acceptent d’acheter les yeux dans la poche de telles inepties, car – et là, nous demandons pardon tant à la traductrice – que nous estimons pour ses qualités humaines et littéraires – qu’à l’éditeur, aucun vers, pas le moindre vers du superbe poème Le lac traduit par Annie Bentoiu, n’est digne d’attention, ne mérite pas d’être retenu et nous nous demandons quel a bien pu être l’effet d’une telle lecture sur les f / Francophones, d’autant plus sur les francophiles… Désastreux, à n’en point douter !
Confusions, redondances, constructions superfétatoires, altérations de sens, équivoques et ambiguïtés antipoétiques, le rythme éminescien brisé, la musicalité cassée (bien qu’elle n’ait pas cassé les vitres !…). Au lieu d’un hymne à l’amour, à l’être aimé – en original, on lit en traduction une sorte de lamentation, pis encore de jérémiade, changeant jusqu’au sens éminescien de l’amour !
Cette traduction en tous points irrespectueuse d’Eminescu est une honte pour moi en tant que Roumain et traducteur, elle fait honte à Eminescu et à ses lecteurs (tous tant qu’ils sont encore…) et n’a pas le don d’éveiller l’admiration des étrangers pour les Lettres roumaines, pour le peuple roumain qui a pu donner un tel Poète comparable à Dante, Shakespeare, Ungaretti, Shelley… Mais cette piètre traduction ne fait que contredire ceux qui le comparent à ces Grands Poètes de la Littérature universelle, hélas ! Et pour cause !
Et là, je ne peux m’empêcher de relater une fois de plus ce qui m’est arrivé à Satu Mare en 1993, après que George Vulturescu a offert au Poète français Laurent Bayard et à son compagnon, une antho de poèmes éminesciens traduits en français par Elisabeta Isanos ! À une heure du matin, j’ai entendu des coups violemment frappés à la porte de ma chambre d’hôtel, des coups de pieds, peut-on se figurer ça ! J’ai ouvert tout de suite et Laurent B. a jeté le livre par terre, au milieu de la chambre et m’a asséné, avec véhémence : « Est-ce ça votre poète national ? Vous appelez ça poésie ? C’est une honte ! » Et de retourner dans sa chambre, sans autre forme de procès…
J’avais envie de hurler, de pleurer, car je n’y étais pour rien… J’étais allé moi-même aux éditions Litera pour leur proposer mes traductions d’Eminescu, mais je fus refusé quasiment impoliment, l’unique argument étant : « Nous avons déjà reçu la meilleure traduction possible ! ». On aura tout entendu ! Et dire qu’Eugen Simion de l’Académie Roumaine a vanté les mérites de cette traduction-là…, le jour de la présentation et du lancement de l’antho, en grande pompe ! Quand nous lui avons demandé de reconsidérer son point de vue, il s’est dit désolé, car il n’avait pas eu le temps de feuilleter le dit volume, ayant fait confiance à l’éditeur…
Quels sont donc les ressorts intimes qui poussent de tels traducteurs à commettre de tels impairs ? Une question que je réitère, en toute innocence… Il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler, dit le proverbe… Dans un premier temps, s’abstenir (je doute, donc je suis, n’est-ce pas ?) ce n’est pas en finir de traduire, mais l’occasion d’y réfléchir, d’y regarder de plus près, de tout bien peser dans la balance du juste milieu… Si l’on accepte que l’on doit ménager la chèvre et le chou, pourquoi ne pas accepter l’idée qu’il faut ménager tant l’auteur traduit, que le lecteur à qui cette traduction est destinée ? Pourquoi ambitionner de manger la chèvre et le chou, au lieu de les ménager ? Pourquoi manger la consigne ?…
C’est une traduction faite dare-dare, à la va-vite, « sur les genoux » comme on dit en roumain… À qui peut servir une traduction pareille, car elle ne rend que de mauvais services à la littérature roumaine, en la calomniant, tout en nuisant à la cause de notre image, de notre bonne renommée du moins dans le domaine des lettres, des arts et de la spiritualité ! Sans parler de l’image abîmée (on a abîmé son portrait, argotiquement parlant…) de notre plus Grand Poète ? Qui paiera les pots cassés ? ! Les absents ont toujours tort, n’est-ce pas ? Eminescu est le grand absent et surtout le grand perdant, les lettres roumaines s’ensuivent et tout le peuple, car on ne savait rien nous autres de son intention de traduire de la sorte un tel poème et un tel Poète !
Nous conclurons cette étude par une question-proposition : les grands projets d’envergure nationale, ne devraient pas des fois être soumis à l’attention et à la révision d’un conseil formé des grands traducteurs littéraires du moment ? Et si l’on obligeait les maisons d’édition de soumettre de telles traductions des grands représentants de la littérature roumaine, à l’attention et à l’approbation du Ministère roumain de la Culture ? Qui forme préalablement un tel conseil pour toutes les langues de circulation internationale ? À y réfléchir.
Dans le second poème Le désir, dès la première strophe, la traductrice récidive : elle ne tient pas compte de la formule prosodique éminescienne : 8 – 7, 8 – 7, mais la change (de quel droit ?) en 7 – 6, 7 – 6… Prendre de telles libertés à l’égard d’un Grand Poète qui s’est très rarement permis des licences poétiques ou grammaticales, est déjà licencieux, et la traductrice risque d’être licenciée… sans obtenir sa licence en Traduction… ! Puis, elle entame la traduction ex abrupto, (trop) directement, élude tout prélude, comme si tout se passait chez Eminescu à la vitesse de l’éclair, comme si sa devise unique et obsessive était : Fugit irreparabile tempus… Et puis, son déterminant spatial où provoque une équivoque de toute beauté, apparemment, le poète l’invite dans un certain bois, où une certaine source vibre (quelle horreur !), et non pas à la hauteur de ladite source (à son niveau / à son endroit). Chez Eminescu, cette source susurre sur le gravier, chez AB, la même source vibre sous le cailloutis (où est-elle allée pécher ce mot, sacré bleu !)… Le même déterminant spatial où complique encore plus sa traduction, car les deux cas illustrés par où comptent seulement comme références approximatives sur le bois respectif, et ne constituent pas les repères spatiaux de leur rendez-vous…
Dans le 3e vers, elle concocte une drôle de personnification : chez elle, un banc de terre s’est déplacé pour se blottir sous les feuilles. Notre étonnement va grandissant, au fur et à mesure que nous analysons cette traduction, nous n’en croyons pas nos yeux ! Mais chez Eminescu il s’agit de crengi plecate, non pas de feuilles ! Malheureusement pour AB, ce sont les branches dans leur enchevêtrement qui cachent / dissimulent prispa cea de brazde. Faire d’un complément d’objet direct, un sujet, d’un passif un actif, c’est d’une niaiserie, que dis-je, veulerie…
À la différence de la première partie de cette étude, nous allons donner comme en repoussoir les deux versions, marquées A B (Annie Bentoiu) et CF (Constantin Frosin) :
AB : Viens dans le bois, où la source |
CF : Viens dans le bois, à cette source-là |
Vibre sous le cailloutis, |
Qui tressaute sur le gravier, |
Où dans l’ombre un banc de terre |
À l’endroit où champs de sillons, |
Sous les feuilles s’est blotti. |
Par branches ployées, sont masqués. |
Cela se passe de commentaires, n’est-ce pas ? Et pourtant, qu’est-ce qui l’aura menée elle au combat ? Un combat finalement, à outrance contre la magnifique beauté des vers éminesciens… Jalousie ? Impéritie ? Négligence ? Non professionnalisme ? Insensibilité artistique ? Une humeur massacrante ? Un état d’esprit hostile à la poésie ? Nous essayons de lui trouver une excuse, à la traductrice… Mais nous avons beau chercher…
Allons-y de la deuxième strophe, dans l’espoir que la traductrice aura repris ses esprits, serait revenue à elle et à soi, à… des sentiments meilleurs à l’égard d’Eminescu… L’optimisme est toujours de mise, n’est-ce pas ? Cette strophe se configure comme suit : 5-5-6–7 syllabes…, quelque chose de tout à fait original, admettons-le… Par malheur, elle a oublié de lire à haute voix sa version, avant de la jeter sur le papier, car : Entre mes bras qui se tendent, peut être compris comme : Entrent mes bras, qui se tendent… Se tendre apparaît une seule fois dans le TLF : « Pour offrir, prendre qqc., indiquer une direction »… Serait-ce vrai que lorsque les extrêmes se touchent, c’est que les beaux esprits se rencontrent ? Nous en doutons… Car la poésie, c’est le vague (à l’âme), le flou, l’ambiguïté, la nostalgie, la mélancolie… Dans la version d’A B, trop d’indications
scéniques, comme si les deux amoureux étaient des marionnettes dont on tirerait les ficelles, ou des personnages d’une pièce de théâtre, leur destinée étant décidée par qui sait qui… Pourquoi entre mes bras, et non pas dans mes bras ? !
Dans le troisième vers, dans la traduction d’A B, le poète demande à sa bien-aimée la permission de lever son voile… L’élément de surprise, la droiture du courtisan disparaît chez A B, où, selon elle, l’amoureux doit demander la permission d’embrasser, de caresser, etc. Cette belle strophe devient une drôle de saynète, dont les personnages se prennent les pieds dans le plancher, au lieu de brûler les planches… Redécouvrir tes traits, utilisé par la traductrice, pourrait signifier que l’amant a déjà commencé à oublier son amante, ne la remet presque plus, c’est pourquoi il a besoin de lever son voile pour se convaincre que c’est bien elle et non pas une autre… Ah, tous les hommes sont pareils, serait-on enclin à dire, au lieu de Cosi fan tutte… Dommage que traits renvoie au verbe traire (les vaches), au substantif traits – au sens de flèche, voire à l’adverbe de mode très… Si tant est qu’il y en ait qui parlent pour ne rien dire, les poètes eux peuvent jongler avec les mots, peuvent utiliser métaphores, métonymies et synecdoques à l’envi… Et la traduction se doit de ne jamais être une pâle copie de l’original… !
Entre mes bras qui se tendent |
Accours donc dans mes bras tendus |
Viens contre mon cœur, tout près |
Et épanche-toi sur mon cœur, |
Laisse-moi lever ton voile |
Je te soulèverai bien le voile |
Et redécouvrir tes traits. |
Me cachant ton charme si rieur. |
Si la Poésie est la Reine des Arts, un art à l’état pur, la traduction doit elle aussi être (ou au moins avoir l’air d’) une œuvre d’art… Le traducteur doit faire de l’art, autrement dit, mais pour ce faire, il doit être lui-même un artiste, ou un écrivain, à tout le moins. On a beau dire que la poésie rimée est intraduisible, car si le Poète est un homme, un autre homme peut la traduire, à l’instar de l’homme qui l’a écrite…
La troisième strophe débute gauchement par un Subjonctif à valeur de vœu formé comme qui dirait par l’amant lui-même, qui se donne du courage, s’apprête à prendre son courage à deux mains… Apparemment, ce Subjonctif est demandé par le verbe laisser (laisse que mes genoux te soutiennent), mais il n’en est rien. Soutenir suggère que l’amante est
sur le point de s’évanouir, de tomber, mais pourquoi l’amant ne la prendrait-il dans ses bras, au lieu de la soutenir sur ses genoux ? Au lieu d’ambiguïser poétiquement sa traduction, elle prête à l’équivoque, frisant plus d’une fois le ridicule et l’improbable, le non-sens et le paradoxe pénible. Dans le 3 vers de cette strophe, la traductrice n’observe pas que l’accord de l’adjectif infiorate se fait avec les fleurs de tilleul, et nous donne une toute autre traduction : Et dans tes cheveux tremblantes. Que les cheveux tremblent parfois (qui sait pourquoi…), c’est possible, pourquoi pas, seulement, il s’agissait du frémissement des fleurs de tilleul, hélas ! Une grosse bévue (comme ce mot rime avec [avoir la] berlue !)
L’antéposition du verbe devant le sujet est contraire à la topique du français, mais l’image n’est pas convaincante du tout, parce qu’elle succède au verbe soutenir du premier vers de cette strophe. L’un dans l’autre, cette strophe n’est pas plus réussie que les deux autres, loin de là ! Mais en extrapolant, nous affirmons que Bon traducteur ne saurait mentir (ni trahir…), de même que Bon traducteur traduit de race… Mais comme tout passe, tout lasse, tout casse…, passons à la strophe suivante (la quatrième), jamais de guerre lasse et sans faire de la casse… Mais non pas avant de voir les deux versions en miroir et… en repoussoir :
Que mes genoux te soutiennent |
Sur mes genoux, là, viens t’asseoir, |
Nous serons tout à fait seuls |
L’on sera à deux, tout seuls ; |
Et dans tes cheveux, tremblantes, |
Et dans tes cheveux frémissants |
Tomberont fleurs de tilleul. |
Il neigera fleurs de tilleul. |
Nous voilà arrivés à la quatrième strophe, laquelle va de mal en pis, sur le modèle des trois autres. Ce sont les indications scéniques qui dominent, comme si l’amant ordonnait à l’amante où s’asseoir, où poser sa tête, etc. Alors que l’amant commence par le front blanc, entourée par une blonde chevelure, ce dont la traductrice ne souffle pas mot, et c’est dommage, car tout cela se tient dans la logique du poète, qui appréciait le front = l’intelligence de son amante, entité solaire grâce à ses cheveux blonds, mais le lecteur français ou francophone doit l’ignorer, apparemment… L’adverbe lentement n’a rien à faire dans ce contexte, la traductrice – parfaite bilingue, dit-on d’elle quelque part…, se méprend une fois de plus sur le sens des mots (serait-ce à cause du bilinguisme… ? !), pour la bonne raison (c’était le pont aux ânes !) qu’il
s’agit de l’adverbe doucement, tout doucement ou tout doux… Comment lentement pourrait être compatible avec l’impatience de l’amant de revoir son amante, de la serrer dans ses bras, etc. ? C’est bizarre que des choses qui sautent aux yeux, lui échappent à notre traductrice…
Le front blanc de l’amante devient chez A B ton front pâle (est-elle malade, souffre-t-elle d’une timidité excessive, se trouve-t-elle mal, a-t-elle peur du poète, ce rendez-vous ne lui fait pas plaisir, ou quoi alors ?). L’instant d’après, nous tombons sur le verbe se recoucher, spécifique du langage enfantin (après un mauvais rêve, on dit à l’enfant : Allez, recouche-toi, tout va bien !) ; ce verbe non seulement est loin d’être poétique, mais il ne se justifie pas dans ce vers précis, dans ce cas de figure, l’amant ne le dit point dans l’original roumain, pourquoi invente-t-elle donc des constructions étranges, elle ne gagne rien à ce jeu (à supposer qu’on puisse parler chez elle d’un certain côté ludique…). À psychanalyser cette strophe ainsi traduite, nous lecteur francophone, nous pouvons penser à une femme endormie, à un zombi, à quelqu’un qui tombe de sommeil et profite de ses rendez-vous pour se reposer un peu… Elle n’est là que pour se rendormir, et l’amant, qui s’en rend compte, l’invite au sommeil, car fort permissif… L’enfer peut-il être pavé de bonnes intentions !… C’est fou ce que cela peut donner sous la plume d’un traducteur qui a la tête ailleurs, qui n’a pas à cœur de traduire… Alors, pourquoi a-t-elle accepté de traduire Eminescu, un poète non seulement sublime et génial, mais aussi très difficile pour les traducteurs, fussent-ils chevronnés ?
De surprise en surprise, nous découvrons que Lasând prada gurii mele peut être traduit par Laissant offerte à mes lèvres… Non, franchement, où est passé le bilinguisme de la traductrice, qu’est-il devenu au moment de traduire Eminescu ? ! Je doute qu’un élève de lycée, débutant en français en plus, eût pu traduire si mal cette séquence… Pourquoi donc, mon Dieu ? Comment cela se fait-il qu’une poète d’expression française comme la traductrice, née de mère française, peut commettre de telles erreurs impardonnables ? ! Peut-on parler d’un certain je-m’en-fichisme ? Passons. Lasând prada = laisser en proie, change tout du tac au tac, c’est la bouche elle-même qui devient la proie (l’amant prend-il son amante en chasse, tient-il d’un fauve ?). Proie et douce ne sauraient aller ensemble, car on ne devient jamais proie par la douceur… mais par la violence… Et puis, le cumul de soi-disant arguments : le verbe laisser, le participe
passé du verbe offrir, douce et proie, ça sème le désordre, sauve qui peut, chers lecteurs ! Ça fout la pagaille… La première pulsion, c’est de poser le livre pour ne jamais le reprendre, et jeter le nom de ce poète si mal traduit : Eminescu, aux oubliettes de la mémoire…
Voyons maintenant les deux versions et quelle solution aurait pu choisir la traductrice :
Sur mon bras, que lentement |
Coiffé de blond, ton front si blanc |
Ton front pâle se recouche |
Couche-le tout doux sur mon bras, |
Laissant offerte à mes lèvres |
Et laisse tes lèvres si délicates |
La douce proie de ta bouche. |
En proie aux miennes. Tu verras… |
La traduction de poésie, tout comme la poésie originale, doit couler de source, garder son état chantant, serrer le texte de départ au plus près, en bouclant la boucle, id est en traduisant en sorte que point de départ et point d’arrivée – texte de départ et texte d’arrivée – ne fassent qu’un !
Si possible, ne jamais traduire quand on est irrité, malade, frustré ou insatisfait, cela peut déteindre sur la qualité de la traduction. Au contraire, si l’on déduit que certain texte a été écrit pendant que l’écrivain était alité, attendez un tel moment (tout en espérant qu’il ne se présente jamais !), ou en essayant de revivre un tel moment, de le reconstituer et traduire le texte respectif dans un état d’esprit pareil à l’état de maladie. L’important est de partager les états d’âme, les attitudes, les sentiments et ressentiments de l’auteur, ses joies et ses tristesses, d’essayer de se mettre à sa place au risque de se dédoubler pendant la traduction respective. En tout cas, ne jamais tomber dans le piège tendu par le premier jet, par votre première idée, laisser les choses en l’état pour se décanter, puis revenir là-dessus et se remettre au travail – revenir à la charge, comme on dit.
À première vue, la 5e strophe pourrait aller, mais, à y regarder de plus près, toute réflexion faite, le beau rêve annoncé par l’original roumain mue en cauchemar traductionnel en français, au grand dam de la perception de notre grand poète et de sa superbe poésie… Apparemment inconséquente, la traductrice persévère (oublie-t-elle que : Errare humanum est, perseverare diabolicum est ?) dans un effort digne d’une cause meilleure : elle ne démord pas de ses habitudes traductives, de ses moules (le moule en est perdu, hélas !), nous osons même dire qu’elle a pris de le pli de n’en traduire qu’à sa tête, jamais à son cœur… Enfin.
Si en roumain on a Vom avea un vis ferice, ce qui veut dire que les deux amoureux feront le même rêve de bonheur, en français les deux n’y sont pour rien, ils se retrouvent comme par hasard au milieu d’un beau rêve : Ce sera comme un beau rêve ; ce comme remet en question l’optimisme et l’espérance du Poète, la version française instaure le doute, comme quoi, ce qui s’ensuit n’a plus de sens, n’a plus sa raison d’être, tout reste au stade de virtuel, d’éventuellement possible… Le fait que les sujets sont relégués au dernier plan, que d’autres séquences mineures sont mises en relief par la traductrice, ne peut que minimiser le charme d’une poésie qui, malgré les échecs, se nourrit d’espoir, qu’elle sait transformer en joie de vivre. Mais voilà-ti-pas que notre traductrice rend vains les efforts poétiques de ne pas sombrer dans le désespoir, et s’acharne à traîner plus bas que terre les hautes sphères de l’amour éminescien, quasi métaphysique, sinon initiatique (plus marqué dans le poème Le Lac). À notre grande surprise, l’histoire se répète : elle nous offre une traduction époustouflante pour Ingâna-ne-vor c-un cânt – selon elle, la solution la plus convenable est l’expression non figée faire son chant, que nous n’avons jamais rencontrée (sinon dans l’expression figée faire son chant de cygne), espérons qu’elle ne l’a pas puisée à l’Antiquité… En tout cas, son style et certaines séquences qu’elle préfère, évoquent l’atmosphère du xxe siècle, et parfois celle du xixe siècle, ce qui arrive plus rarement, comme si elle voulait rivaliser avec la langue et l’époque de Mihai Eminescu… Ce qui pourrait expliquer, qui sait, certaines gaucheries, lesquelles, de nos jours, nous ont l’air d’inepties… C’était ça, la cinquième strophe (ni colonne, ni roue du carrosse…). Voyons ce qu’elle aurait pu faire, en comparant sa version à la nôtre :
Ce sera comme un beau rêve, |
L’on fera un beau rêve de bonheur |
A mi-voix feront leur chant |
Conjoints par l’écho du chant |
Les ruisseaux trop solitaires, |
Murmuré par sources solitaires, |
Le calme souffle du vent ; |
Par un léger souffle du vent. |
Enfin, la 6e et dernière strophe devrait finir en beauté et sauver les meubles, id est faire la part du feu… Le cas échéant… La traductrice préfère, hélas, la traduction mot à mot, ou alors elle ignore les sens figurés, les symboles et tout le reste, puisqu’elle traduit Adormind de armonia par assoupis dans l’harmonie, alors que le sens figuré, disons, du verbe a adormi pe cineva (attention donc !), est enivrer, griser, étourdir. Et
dire que c’est cette harmonie qui les enivre, les étourdit… La confusion est totale, et le texte ainsi obtenu en français, est opaque et témoigne de l’ignorance de la poésie éminescienne… Non seulement elle ne réalise pas le pénible d’une telle traduction – à côté du texte original (qu’elle modifie de son propre chef, ce qui représente la transgression d’une des règles de la traduction : ne rien enlever, ni rien ajouter au texte original sans la permission de l’auteur, excepté le cas où la traduction s’avère impossible… Mais la situation est toute autre ici, la traductrice n’avait que l’embarras du choix, à moins qu’elle se le fût proposé…).
Codrul batut de gânduri est piteusement traduit par : Du bois qui songe et divague, au point que nous nous demandons si c’est Annie Bentoiu elle-même qui a traduit ce beau poème éminescien… A fi batut de gânduri signifie être préoccupé, inquiet, broyer du noir… Songer et divaguer, même réunis, n’ont rien à voir avec l’expression dans le texte original. Comme une porte doit être ouverte ou fermée, nous nous demandons si c’est le roumain qu’Annie Bentoiu ignore ou connaît très approximativement, puisque ce qu’elle nous livre en français, on n’en voit pas le rapport avec le texte à traduire, ou alors c’est le français qu’elle ignore (cette songeuse divagation est à prendre sous bénéfice d’inventaire…) – c’est à prendre ou à laisser1 !
Dans le troisième vers, sur nous signifie que les fleurs de tilleul sont déjà là, qu’elles jonchent depuis quelque temps déjà les deux amoureux, et qu’elles se mettent à un certain moment à rouler (c’est du tonnerre, ça !), à grasseyer (rouler les r) comme les vagues… Puisque Hugo nous disait : « Pendant que la mer gronde et que les vagues roulent2 », nous en inférons que les deux ont été surpris par un orage terrible, qu’ils se trouvent dans l’œil même d’une grosse tempête, or, les choses n’en sont pas là, selon le texte original… Mais voyons ce que « pense » le TLF du verbe rouler, employé mal à propos par la traductrice : « Se déplacer en formant des tourbillons, des masses arrondies. Lames qui roulent sur la grève. Sur les routes blanches que le train coupe ou longe, une poussière crayeuse roule en tourbillons bas et poudre les buissons (Colette, Vagab., 1910, p. 261). D’épaisses masses de nuées noires roulaient dans le ciel bleu (Rolland, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1450). [P. méton., le suj. désigne la mer] Être agitée par la houle. Il y avait du flot. La mer, roulant sous un vent rude et sur un fond déchirant, était sauvage (Hugo, Quatre-vingt-treize, 1874, p. 48). » Mais ce n’est pas tout, à preuve :
« S’écouler en tourbillonnant, avec plus ou moins d’agitation. Courant, torrent qui roule. Les flots qui roulent à ses pieds sont noirs et chargés d’immondices (Janin, Âne mort, 1829, p. 50). Le Rhin, fils altier des montagnes, S’élance, à gros bouillons, de leurs flancs tortueux : Une fertile écume inonde les campagnes : Il roule à flots majestueux (Chênedollé, Journal, 1833, p. 183). » « [Le suj. désigne gén. un animé ; l’idée de chute prédomine] Tomber en roulant plus ou moins sur soi-même dans l’élan de la chute. Rouler à terre, par terre, sur le sol, dans la poussière, au bas de/dans l’escalier, dans un précipice, sous les pieds d’un cheval, à la renverse ; envoyer rouler son adversaire. Je fus debout si vite, que ma chaise roula derrière moi (Maupass, Contes et nouv., t. 2, Rois, 1887, p. 300). Il courait vers les fusils, entouré de bourdonnements pointus, invulnérables. Il roula, les deux jambes coupées (Malraux, Espoir, 1937, p. 488). »
Comme nous sommes enclin à donner raison au TLF, nous nous demandons, à lire cette incroyable et surtout inacceptable traduction, pourquoi le Ministère de la Culture a subventionné la parution de cette illisible traduction ? N’y a-t-il pas là des spécialistes capables d’analyser une traduction ? Pourquoi n’a-t-on pas alors recours à des spécialistes qui soient consultés individuellement ou dans le cadre d’un comité national, qui se réunisse trimestriellement disons, comité formé des meilleurs traducteurs dans toutes les langues ? Qui ont été publiés à l’étranger et dont les traductions ont été primées chez nous et à l’étranger ? Serait-ce la mer à boire ? ! Nous ignorons à quoi ressemblent les autres textes traduits, mais Le lac et Le désir ne sont nullement potables, digérables, d’autant moins publiables ! (Désolé de le constater…)
À bon entendeur, salut !
Sources : Mihai Eminescu, Cincizeci poeme / Cinquante poèmes, traduction Annie Bentoiu, éd. Vitruviu, Bucarest, 2000 ; Mihai Eminescu, Poèmes, traduction par Constantin Frosin, Portail PORT@LEU, 2010 (ISSN : 1842 – 9971) ; Constantin Frosin, Petite anthologie de poésie roumaine, Iasi, éd. TIPOMOLDOVA2012 ; Constantin Frosin, Au fil de mes idées. Autrement sur la traduction, Bucarest, éd. eLiteratura, 2014.
Constantin Frosin
Université de Galati, Roumanie
Giovanni Dotoli, Je la vie, Fasano – Paris, Schena – Éditions du Cygne, 2015, vol. III, 854 p.
Vie…
Poésie…
Je la vis, la vie
Je la vis, la poésie
Je la vis, la félicité d’être poète en vie
Je la vis, cette vie, vraie poésie…
Je vis la poésie, ma vie…
Un jeu la vie, le Poète, Homo ludens ?
JE LA VIE, défaut de séquence verbale, on peut mettre n’importe quoi : J (’) AIME LA VIE ; JE LA VEUX LA VIE, voire je brigue, je convoite la vie ; JE L’ADMIRE, LA VIE ; JE POETISE LA VIE / décris / portraiture / peints la vie ; JE la prends comme elle vient, LA VIE ; JE, LÀ, VIS – il vit dans le miroir du Soi, Se regarde vivre, ou alors : il vit dans l’au-delà et il se regarde faire… car la Poésie est immortelle ! ! !
Ce titre est à lui-même un énormément complexe Poème, de tous les points de vue ! ! !
À force de chercher les diverses et multiples significations du Titre, un autre volume tout aussi gros, pourrait voir le jour ! Gros volume, gros de conséquence pour le présent et l’avenir de la poésie ! À l’aide de quoi il grossit les contours de sa poésie, mais de la Poésie en général également !
Giovanni écrit comme il respire, il respire pour écrire, il vit pour écrire et non pas écrit pour vivre ! Car il a de quoi vivre – il a sa Poésie, il a la Poésie pour lui…
Il ressuscite la Poésie, l’impose à ses contemporains et le fait que pas mal de maisons d’édition françaises publient ses recueils, est déjà bon signe – de la Résurrection de la Poésie !
Il guérit la Poésie de tous les maux qu’on lui avait trouvés, à cause de ses mots…
Il s’immole en tant qu’être terrestre pour ainsi dire au profit de l’Esprit, d’essence céleste, il gaspille ses instants pour faire durer la Poésie, la Reine des Arts ! Tout en bâtissant le plus splendide temple possible à la Poésie, où il officie en grand Prêtre – Œuvres poétique 3…
Joueur de Poésie (le plus beau sport qui soit, impliquant âme et esprit), le Poète fait que la vie devienne un jeu, auquel on gagne à tous les coups, armé, certes, de la seule Poésie… Loin de considérer la vie comme un jeu d’enfants, sans la prendre par jeu, il joue à la vie et à la poésie, cette réunion sublime faisant tant et si bien qu’elle n’ait plus l’air d’un gros péché à expier, ni d’une lourde peine à subir, comme le pensent les âmes en peine… En peine de Poésie…
Toutes les bonnes choses sont trois : le Poète – la Vie – la Poésie, il boucle (apparemment) la boucle, la Poésie revient sur elle-même et le Poète glisse sur son erre… Dans le sillage de la Poésie, l’humain revient à la vie, à la vraie vie… Ainsi, la Poésie peut être considérée comme la Voie, la Vérité et la Vie – la somme biblique des trois V.
Giovanni Dotoli est un Poète monumental qui monumentalise la Poésie, en en faisant sa VIE et, par extension, la Nôtre ! À ce rythme-là, il risque un record absolu en la matière : d’être inscrit, grâce à la Poésie, dans le Livre des Records Guiness Boook ! Pour lui, la Poésie est la matière première de la Vie, une nourriture non point terrestre, mais cent pour cent spirituelle, car c’est l’Esprit qui s’en nourrit. Il écrit comme il respire, car il ne saurait respirer sans faire de la poésie, voire, il renaît avec chaque poème ! Il se fait plus beau, plus sage et plus aimant avec chaque vers, chaque poésie !
Il bâtit une échelle du Poète, laquelle mène les seuls élus à la République des Lettres, le Paradis des lettrés. Voire, les trois gros volumes se constituent en trois marches, au bout desquelles s’ouvre l’Infini du Beau, de l’Amour et de la Bonté. C’est un défi qu’il jette aux créateurs, en adepte du dicton latin : Non multa, sed Multum. Il cultive le poème en un vers, deux vers peuvent constituer chez lui un poème, et un recueil peut constituer autant qu’une anthologie… Il sait qu’à l’ombre du simple, peuvent se nicher des dizaines de sens et de significations, plus ou moins voilés, des allusions, renvois, références se constituant en un Tout harmonieux.
Du reste, s’il fallait lui coller une étiquette, l’on pourrait parler de lui comme du Poète à la recherche du Tout perdu. Ses vers brisés, ses bouts de vers (apparents) à l’image d’éclats de miroir, tels les pièces d’un puzzle, reconstituent le miroir de l’Univers, où il se retrouve lui-même, car partie d’un Tout, il est un Tout lui-même… Ses vers fragmentés, ses brisures poétiques – reflets du Rien qui s’est trouvé à l’origine du
Tout, aspirent sous sa Plume à redevenir un Tout – et sa démarche poétique aboutit ! Grâce à lui, l’humain redevient Humain, car l’être redevient Être !
En vrai homo poeticus ludens (sic !), il joue à la vie avec nous, à cela près qu’il s’institue en un véritable trainer, qui nous apprend à gagner à tous les coups, toutes les parties que nous livrons à / contre (parfois, oui) la vie. Son secret : la poésie, le vers bien pesé, lequel ne juge de rien, tout en visant à éradiquer les maux humains… Castigat dicendo mores… non seulement ridendo… Néanmoins, malgré sa simplicité, malgré son caractère initiatique, malgré l’exode des mots à l’intérieur du discours poétique, et des maux à l’intérieur du bonheur possible, sa poésie est celle d’un Sphinx – à moins de percer l’énigme de ses vers aphoristiques, l’on ne saurait aller de l’avant…
Ses strophes, parfois ses vers sont de véritables bouteilles jetées à la mer, comportant des messages plus ou moins dissimulés ou… révélés, j’irai même jusqu’à dire que chaque lecteur y découvrira au moins un message qui lui est adressé, lequel lui vient comme un gant… Ecrit-il à la cantonade, ou alors à l’intention de tout un chacun ? En fin connaisseur de l’être humain, il traite – ou tout comme – de tous les aspects possibles de la vie, afin de nous épargner de nous égarer dans les rues de la vie. Aurait-on affaire à un livre de prières sui-generis, où il nous prie d’accepter l’idée que la vie est belle, qu’elle vaut la peine (sic !) d’être vécue. ? Là où en sont les choses, nous pensons que le Poète s’érige (voire à son insu) en un Guide spirituel…
Ou alors, en commentateur de la vie, vu sa vénérable expérience – ayant lu le Roman de la Vie, il en extrait pour nous les idées principales qu’il nous livre d’une manière poétique, sous forme de vers, afin de nous blinder contre l’action ultérieure des vers3. Et quelle meilleure et efficace immunisation que celle par la beauté poétique, le pittoresque de l’expression et le reflet de l’âme et de l’esprit ? Son livre de vers est le vrai journal de sa vie, journal de bord de son voyage à travers la vie et la poésie, lesquelles chez lui se confondent et fusionnent, pour notre plus grand bien.
Et que dire de ses aphorismes, où il pendule entre essence et quintessence ? Je les adore, ses aphorismes, qui sont à lire absolument, comme
tout le recueil, du reste ! Pour moi, à tout le moins, ce recueil dotolien est un fleuron qui vient sauver la face de la poésie actuelle, voire fait un nouveau sort à la poésie ! Cela fait plaisir de voir que la Poésie revient dans la cité, signe que l’âme et l’esprit exigent avoir voix au chapitre. À vos plumes donc, poètes, sinon vous perdrez vos plumes à force de vous laisser plumer… par la prose !
Modestement vôtre,
Constantin Frosin
Université de Galati, Roumanie
Luigi Bonaffini, Joseph Perricone (ed.), Poets of the Italian diaspora. A bilingual anthology, New York, Fordham University Press, 2014, 1532 p.
Questa ponderosa antologia bilingue rende un generoso servizio a tutta la vasta comunità di studiosi, lettori e appassionati di poesia. Si tratta di un lungo e dettagliato itinerario tra testi lirici relativi a dodici aree del globo, che muove dall’Argentina e attraversa in ordine alfabetico Australia, Belgio, Brasile, Canada, Croazia e Slovenia, Francia, Germania, Svizzera, Stati Uniti, per approdare, con un moto circolare, di nuovo al continente sudamericano, sulle sponde del Venezuela. Ma il centro assorbente della raccolta non è la produzione in versi dei nativi dei paesi passati in rassegna, bensì degli « Italians dispersed throughout the world » (p. xi). Per questa ragione un siffatto « remarkable pioneering work » (ibid.) intende essere fondativo di un innovativo e alternativo orizzonte di ricerca critica : « the study of the litterature of the Italian diaspora » (ibid.).
Ne vien fuori una corposa silloge della lirica italiana migrante proprio all’intersezione con una cruciale congiuntura storica in cui, per ragioni politiche, economiche, religiose e ideologiche, enormi e diversificati flussi di gente abbandonano la loro terra d’origine in caccia di una futura e accogliente terra promessa. Una sorta di espatrio di massa che sta inducendo settori sempre più larghi delle discipline umanistiche a porre come tema d’indagine le scritture in movimento. Un fenomeno di grande circolazione di popoli e di individui che sembra deflagrare oggi in tutta la sua drammatica virulenza ma che affonda le sue premesse in un passato lontano ove il passaggio della frontiera era agito da istanze diverse e affrontato con un altro spirito. A buon diritto Sante Matteo considera nella sua introduzione l’esperienza letteraria transfrontaliera del secolo scorso fonte di formazione, crescita e costruzione della coscienza soggettiva e della sfera comune, valevole tanto per i fuorusciti quanto per le società ospitanti, all’interno di un mutuo e fecondo scambio di umori e saperi. Provare a tracciare una mappa ragionata dell’esodo dell’Italia dei poeti significa recuperare perciò le « cultural roots of our origin » (p. xviii).
Certo, la condizione del transfuga ingenera sovente nelle corde più sensibili la sindrome dell’esule, la sintomatologia dello straniero in
terra straniera, costantemente bilicantesi tra la volontà di inserimento, integrazione e fusione e la percezione di isolamento, emarginazione e segregazione. Il sentimento di sradicamento può così scivolare in un moto di rimpianto e di nostalgia. L’apertura all’esotico consente allora una dinamica visione centrifuga dell’esistente, in cui la spinta alla scoperta e all’appropriazione di un diverso spazio geografico è controbilanciata dalla vaghezza del ritorno, in una tensione continua che oscilla tra una fertile energia creativa e il ripiegamento malinconico.
E tuttavia, l’archetipo del nomade par exellence, l’Ulisse omerico e dantesco, insegna che il paradigma odeporico è un dato antropologico e culturale che s’inscrive nel solco più profondo della tradizione occidentale e alimenta da sempre il nostro immaginario espressivo. Come nel caso di quel « mare d’Ulisse » che scorre nell’anima di Luigi Strano (La mia terra). E, d’altra parte, che cos’è la lettura se non « a form of migration, a mental activity that transports us into others realities » ? (p. xvii). Suggestiva l’immagine con cui Matteo, rivisitando il mito classico, oppone lo sguardo stereoscopico del figlio di Laerte, l’eroe perennemente in viaggio, alla prospettiva monoculare del Ciclope, il dio gigante da sempre stanziale che, da incallito e ottuso residente, finisce per essere definitivamente accecato non avendo avuto altra esperienza visiva della realtà eccetto quella della sua angusta isola.
Alla luce di ciò, sondare quel versante della lirica italiana contemporanea che è venuto maturando nel superamento dei confini fisici e nell’oltrepassamento delle barriere linguistiche vuol dire rivedere la categoria di « italianità », che si esaurisce con il riassumersi in un paradigma statico e costrittivo – in qualche modo erede dello stereotipo nazionalista di ascendenza mussoliniana –, che richiede di essere ripensata in un’ottica storiografica multipolare delle patrie lettere, soggetta a contaminazioni, incroci e mescidanze nell’arco degli ultimi cento anni. Sicché, così intesa, la poesia italiana della diaspora, osserva Francesco Durante, appare come « a new culture’s first moment » (p. xix). Un rimescolamento di codici prodotti dall’avventura d’oltroceano che Giovanni Pascoli seppe acutamente focalizzare in quel fin troppo noto poemetto che è Italy, resoconto in versi del ritorno al nido di una famiglia della Garfagnana emigrata in America.
Il censimento annovera un’ottantina di poeti lungo uno spettro cronologico che va dalla fine dell’Ottocento al tardo Novecento. Pesi
massimi, come quello di Dino Campana, che apre la crestomazia con i suoi ritmi andini, convivono accanto a pesi leggeri o piuma, asteroidi o meteore nella grande galassia della lirica peninsulare. Ma figurano anche personalità impostesi ormai a pieno titolo all’attenzione della critica, dal decano Joseph Tusiani, dauno per nascita ma newyorkese d’elezione, ai più giovani Luigi Fontanella e Paolo Valesio, entrambi trapiantati negli States, per citarne solo alcuni, incorrendo, peraltro, nell’inevitabile rischio di fare torto a molti altri.
Caleidoscopico è il campionario dei motivi in cui ci si imbatte scorrendo i testi sillogizzati. In Campana l’avvistamento del paesaggio sudamericano che si approssima dalla linea del mare è il dischiudersi di un « paese ignoto » (Viaggio a Montevideo). Per Rodolfo Wilckock « vivere è percorrere il mondo / attraverso fonti di fumo ». Antonio Aliberti fissa l’attenzione sul momento del distacco, dell’« Addio ! » (Partenza), consapevole che « non c’è nessun maggior dolore / che spargere le proprie ceneri per il mondo » (Radici), dando l’impressione di orecchiare le parole di Francesca a Dante nel quinto canto dell’Inferno (« nessun maggior dolore / che ricordarsi del tempo felice / ne la miseria »). Il mood dello straniamento ben si coglie nell’istantanea dello « stanzone anonimo, impersonale » che apre Hostel ’58 di Piero Tedeschi. Dal canto suo, Anna Maria Guidi è preda dello smarrimento dinanzi al mistero che l’attende oltre la dogana, rappresentata come un limite di vago sapore leopardiano (« dietro la siepe ») che stimola a figurarsi al di là infinite vastità (From Australia with Fear). E, in effetti, intarsi colti non mancano in questo lungo rosario di versi che si sgrana pagina dopo pagina. Ne è prova anche Paolo Totaro, che rivisita l’incipit della celebre ballata dell’esilio di Guido Cavalcanti, « Perch’io non spero di tornar già mai » (Prima Ballata Cavalcanti : Le parole). Va da sé che lo spaesamento è una coordinata che si misura non solo con il compasso del mutamento dei fattori ambientali, quello che il filosofo latino Seneca chiamava permutatio loci, ma anche con il sestante di un’alterità linguistica messa a reagire con la parlata materna. Perciò la migrazione poetica è soprattutto una dispersione, un’irradiazione espressiva : « La lingua madre – scrive Enea di Stefano – / ha spazio per vivere / e andare lontano ». A essere chiamato in causa non è solo l’idioma nazionale ma anche il vernacolo di casa. Sul piano espressivo non mancano esempi di fedeltà al dialetto della propria terra. Di qui il savonese di Ermanno Minuto, un ex operario
dell’Italisider scopertosi aedo nel paese carioca. Ma di certo esemplare è la parabola di Tusiani, in grado di assorbire dentro di sé i tria corda di enniana memoria, dall’idioletto garganico all’italiano e all’inglese.
Il merito di questo lavoro sta, a ben vedere, nell’aver dato cittadinanza a nomi destinati a rimanere ai margini del canone quale si è andato consolidando nel tempo, fornendo una mappa ampia delle possibili latitudini su cui si è situato il linguaggio poetico italiano nel corso del secolo precedente e battendo sentieri rimasti finora in penombra e risultanti ignoti financo ai loro connazionali. Al di là della qualità intrinseca dei materiali, per quanto il giudizio di valore e il gradiente estetico finiscano sovente per rivelarsi spie di un approccio miope e pregiudiziale con la letteratura in versi, ciò che conta è la funzione di documento, testimonianza e memoria che le parole trasmettono. Sono non di rado voci che non aspirano a fare della poesia un mestiere né tanto meno ambiscono a una carriera letteraria, ma attraverso cui il canto si impone come stringente e autentica necessità di dare pronuncia e tono al mutato rapporto con la propria identità originaria, all’insegna di un vitale e operoso andirivieni della mente e del cuore tra la terra natale e quella adottiva.
Salvatore Francesco Lattarulo
Université de Bari Aldo Moro
Anoush Ganjipour, Le réel et la fiction. Essai de poétique comparée, Paris, Hermann, 2014, 434 p.
Publié dans la collection « Échanges littéraires », fondée et dirigée par Éric Dayre, cet ouvrage se compose de quatre parties : I. La défamiliarisation des Grecs. Pour une généalogie orientale ; II. Solécisme du réel. Qu’est-ce qu’une poétique de vérité ? ; III. Sauver les phénomènes. Une littérature qui est la phénoménologie ; IV Histoire de vérité. L’historiographie persane et sa raison.
En analysant, d’un côté, l’impératif « la fiction ne doit pas mentir » propre à toute une tradition métaphysique, littéraire et historiographique et, de l’autre, la conviction de la tradition occidentale que « la fiction n’est qu’un mensonge utile », Anoush Ganjipour démontre que le passage d’une tradition à l’autre s’opère à travers les Grecs. Au travers d’une approche littéraire et philosophique, l’auteur remonte notamment jusqu’à Platon, à Aristote, à Plotin, à la recherche d’une pensée de l’art et du fictionnel qui ne se contenterait pas du cadre référentiel. À l’appui de nombreux exemples, il réfléchit et fait réfléchir sur les « aventures de la fiction », voire sur les concepts de « fiction », de « réel de la réalité » et de « réel de la fiction », ainsi que sur le rapport entre la réalité et la fiction : rapport dans et par lequel la fiction peut exister.
Aussi, tout au long de l’ouvrage, Ganjipour invite-t-il à penser la fiction dans le cadre d’un schème tripartite où le rapport du réel au fictionnel fait immanquablement entrer en ligne de compte un troisième pôle qu’on appelle la vérité ou le réel de la réalité.
Qui plus est, il envisage – et pousse le lecteur à faire de même – la fiction comme l’Autre… comme la voix/voie de la différence opposée à la voix/voie de l’identité. Par voie de conséquence, « entre les lignes », l’auteur suggère une « lecture » très intéressante du « nous » et du « vous » : il les regarde comme des « traductions en cours » voire comme des « passages », des « trans-lations continuelles » de « l’identité » à la « différence »…
Par cette étude, donc, Ganjipour offre un examen du réel et de la fiction riche non seulement en données érudites mais aussi en réflexions reliées à la vie de tous les jours et aux rapports (entre dimensions intérieures/extérieures et entre semblables et différents) qu’elle implique. Dans les pages de ce livre, la comparaison-alternance-opposition entre
le réel et la fiction assume des connotations très concrètes. Loin d’être des entités abstraites, dans cet ouvrage, le réel et la fiction aboutissent à la sphère la plus intime de l’Homme et deviennent les coordonnées fondamentales de la vie et des relations « je » – « tu ».
Marcella Leopizzi
Université de Bari Aldo Moro
Sarga Moussa, Michel Murat (sous la direction de), Poésie et orientalisme, Paris, Classiques Garnier, 2015, 224 p.
Publié sous la direction de Sarga Moussa (directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l’orientalisme littéraire et du récit de voyage au xixe siècle) et de Michel Murat (professeur de littérature française à l’Université Paris-Sorbonne et à l’ENS, et spécialiste de Juilen Gracq et du surréalisme), cet ouvrage recueille les actes des Journées d’Étude « Poésie et orientalisme » organisées à l’ENS les 31 mai et 1er juin 2012.
Constitué par trois parties (I. Naissance de la poésie orientalisante ; II. Orientalisme et Romantisme ; III. Poétique et idéologie), ce livre fait réfléchir sur la poésie orientaliste voire sur l’Orient littéraire : sur l’imagerie héroïsante de même que sur les préjugés anti-orientaux. Les études y contenues mettent en évidence que la découverte de la poésie orientale par le xixe siècle européen ainsi que la pratique, à la même époque, d’une poésie orientalisante par des auteurs français, anglais et allemands, sont deux phénomènes distincts mais liés. Cette « découverte » et cette « pratique » renvoient, en effet, l’une comme l’autre à un « désir de renouvellement esthétique et idéologique dont les relations d’interculturalité sont un vecteur essentiel » (p. 18). Les textes, les images et des imaginaires, ont circulé d’Orient en Occident, constituant pour le meilleur et pour le pire l’orientalisme dans le sens critique qu’Edward Said donne à ce terme.
Les textes de ce collectif analysent les diverses caractéristiques des orientalismes français, anglais et allemands et démontrent que l’orientalisme en poésie ne s’est pas imposé comme un véritable courant esthétique, ainsi que ce fut le cas en peinture. Ils soulignent que le mythe oriental qui traverse les genres littéraires – et qui concerne aussi bien des prosateurs et des poètes – apparaît comme « une ressource poétique » (p. 15), comme le lieu originaire où peuvent se déployer toutes les valeurs opposables au culte du progrès et du matérialisme bourgeois. En effet, la fascination exercée par des poètes orientaux du passé a été profondément associée par les Romantiques aux valeurs qu’ils promouvaient : vigueur primitive, imaginaire exotique, formes renouvelées.
Le grand mérite de cette œuvre est justement celui de s’intéresser à un sujet encore peu traité et qui pourtant s’impose. Elle examine l’enthousiasme des romantiques pour des poètes arabes, persans ou indiens ; elle porte son attention sur les premiers ouvrages qui introduisent
en France un corpus de poésie arabe : à savoir la Chrestomathie arabe de Silvestre de Sacy (1806) et les anthologies de ses élèves Jean Humbert et Grangeret de Lagrange ; et elle fournit des réflexions sur le fait que nombre d’écrivains du xixe siècle voyaient dans la France de ces années-là un monde dépoétisé opposable à l’Orient qui, au contraire, était envisagé comme un « Orient poétique »… bien évidemment, il s’agissait d’un Orient purement rêvé, idéalisé où le poète avait non seulement sa place dans la société mais où, récompensé selon ses mérites, il pouvait apparaître symboliquement comme l’égal du calife…
Ce volume offre de nombreuses informations et ouvre de nouvelles perspectives de recherche. En mettant en lumière que de grands poètes européens tels Goethe, Byron, Hugo se sont engagés, chacun avec ses propres caractéristiques, dans la voie de l’orientalisme, il pousse le lecteur et le spécialiste à réfléchir sur l’influence que cette voie a eue sur le développement de la poésie européenne ainsi que sur l’ouverture à l’interculturalité.
Marcella Leopizzi
Université de Bari Aldo Moro
Béatrice Bonhomme, Gabriel Grossi (sous la direction de), La Poésie comme espace méditatif ?, Paris, Classiques Garnier, 2015, 352 p.
Divisé en trois parties – I. Paroles de poètes et pratiques de la poésie ; II. Réflexions sur méditation, contemplation et poésie ; III. Confrontations –, cet ouvrage rassemble les Actes de la Journée d’Étude « La Poésie comme espace méditatif ? », organisée à l’Université de Nice – Sophia-Antipolis, le 29 novembre 2012.
Recueillis sous la direction de Béatrice Bonhomme, professeur à l’Université de Nice et spécialiste de la poésie moderne et contemporaine, et de Gabriel Grossi, doctorant à l’Université de Nice où il travaille à une thèse sur l’œuvre de Jean-Michel Maulpoix, les articles de ce volume offrent d’importantes réflexions sur la Poésie.
Les auteurs de ce livre mettent en évidence le « mystère » de l’écriture – écriture en tant que processus et acte accompli – poétique et s’interrogent sur la dimension méditative de la poésie : dimension qui concerne non seulement l’action d’écrire un poème mais aussi le poème lui-même. Ils démontrent que l’écriture poétique crée une posture méditative dans et par la langue. Elle est un art, un art de penser, qui dit l’indicible. Elle interroge et s’interroge entre énigme et lucidité. Elle offre au poète et au lecteur un regard contemplation-assimilation sur le Monde : le monde minéral, végétal, animal, humain et celui des choses. Espace méditatif, voire « forme pensante » (p. 18), la poésie est un exceptionnel véhicule de méditation dans son double sens philosophique et spirituel. Émerveillement devant les choses les plus simples et même les plus éphémères, elle fournit des expériences singulières puisqu’elle accueille ce qui est souvent peu pensé et laissé dans le vague et l’obscurité. Elle dépasse les lois physiques de l’espace euclidien et unit l’infime à l’infini, ce qui est proche à ce qui est lointain.
Ainsi, les textes de ce collectif mettent en relief que l’écriture poétique est affranchie des contraintes spatiales et temporelles et que, par conséquent, elle repose sur une attitude de désubjectivation de la part de celui qui écrit et, même, de celui qui lit. Elle est écriture transpersonnelle basée sur la transujectivation.
En écrivant un poème, le poète s’exile de son je-biographique, sort de lui et se transmute en je-lyrique : il devient un foyer de convergences multiples dépourvues d’ancrage stable dans l’espace-temps réel, biographique…
Le poète cesse ainsi d’être sa propre reproduction individuelle et se met à « l’écoute » (p. 9)… Il quitte sa dimension spécifique pour parcourir des espaces universels et atemporels… Il fait souvent cela sans savoir pourquoi ni dans quel but : ce qui enclenche que l’écriture d’un poème n’est pas une simple occupation ou un divertissement, mais une activité qui relève de la nécessité.
De même, la lecture d’un poème « travaille » la sphère profonde du « moi » et modifie la façon de se rapporter au réel et d’être avec l’« autre ». D’ailleurs, comme l’a écrit Henri Meschonnic, la poésie « n’est pas un langage qui dit » mais « un langage qui fait » (Henri Meschonnic, La rime et la vie, [1990], Paris, Gallimard Folio-Essais, 2006, p. 177). Elle est écriture de création et de suggestion : étymologiquement, en effet, le mot « poème » renvoie au verbe grec « poiéin / ποιεῖν », qui signifie précisément « faire, inventer, produire ».
Or, le point d’interrogation du titre de cet ouvrage souligne que le fait de définir la poésie de façon générale paraît impossible, tant elle est riche de tendances multiples et de formes diverses… La poésie est recherche. Elle est énergie. Elle donne joie et apaisement. Elle fait vibrer et émouvoir l’âme, le regard, l’oreille…
Notre monde, peu enclin à la méditation, a de plus en plus besoin de Poésie : de poètes, de poéticiens et de réflexions littéraires. Les études de ce collectif fournissent un apport important à l’état de l’art et ouvrent de nombreuses perspectives de recherche.
Marcella Leopizzi
Université de Bari Aldo Moro
Josette Pintueles, Aragon et son Œuvre poétique. L’« Œuvre » au défi, Paris, Classiques Garnier, 2014, 460 p.
Issu d’une thèse soutenue le 9 mars 2012 à l’Université Paris-Diderot Paris 7, cet ouvrage se compose de trois parties : I. La singularité de l’Œuvre poétique. Une nouvelle Dépouille du Minotaure en costume d’Arlequin ; II. Ce que le commentaire fait à l’œuvre ; III. L’œuvre et ses médiations.
L’auteur trace l’histoire de la réception de l’Œuvre poétique, démontre l’intérêt de la part de la critique (il prend en considération notamment Jean-Louis Jeannelle, Gérard Genette, Mireille Hilsum) pour les commentaires d’Aragon écrits en marge des recueils et des textes, et propose une analyse attentive de cet ouvrage en l’envisageant non seulement comme un recueil d’œuvres poétiques mais aussi comme une œuvre à part entière : laquelle, à l’instar d’autres œuvres de ce poète, est autoréflexive car Aragon y joint la théorie à la pratique.
Pintueles souligne à l’appui de nombreux exemples que l’Œuvre poétique d’Aragon met la notion d’« œuvre » au défi : d’autant plus que le concept d’« œuvre » se trouve totalement dévalorisé au moment où les premiers volumes de l’ouvrage sont publiés – les 15 volumes de l’Œuvre poétique paraissent au Livre Club Diderot, entre 1974 et 1981 –, notamment suite aux travaux de Roland Barthes et de Michel Foucault.
Il met en évidence que l’Œuvre poétique « programme » la lecture par des illustrations, des commentaires, des articles et toute une série de textes sur le projet éditorial, sur les péripéties de la mise en œuvre et sur les difficultés de classement des ouvrages. D’ailleurs, remarque Pintueles à juste titre, Aragon a conçu le projet de ce « Grand Œuvre » en utilisant toutes les ressources sémiotiques et plastiques propres au Livre : édition, fabrication matérielle, illustration, agencement de l’espace. Aussi, « se faisant son propre éditeur, aux deux sens de ce terme » (p. 392), Aragon propose-t-il dans l’Œuvre poétique des croisements sémiotiques invitant le lecteur à parcourir toute l’œuvre et à circuler en elle. Aragon y reconfigure ses œuvres poétiques en un ensemble insolite qui clôt ses œuvres complètes, les commente et les entoure de documents hétérogènes pour éclairer leurs circonstances de création. Dans le titre, en effet, Aragon emploie le terme « poétique » en envisageant ce signifiant à partir du verbe grec « poiéin / ποιεῖν », qui signifie « faire, inventer,
produire ». Il entend ce mot comme « la faculté de créer » dans sa plus grande « extensibilité ».
De ce fait, Pintueles porte l’attention du lecteur sur le fait que si, d’un côté, Aragon semble « brouiller » le concept de « littéraire » ainsi que les frontières habituelles entre genres littéraires, et entre œuvre et commentaire, de l’autre, il fournit sa propre projection dans son œuvre et, même, dans l’espace littéraire. Le « paratexte » et le discours « métatextuel », d’ailleurs, aident à mieux explorer la façon dont, au fur et à mesure, l’œuvre d’un écrivain se développe, s’enrichit, se transforme et se précise… C’est pourquoi, observe Pintueles, l’Œuvre poétique est un ouvrage indispensable pour connaître Aragon, mais également pour réfléchir sur la notion d’œuvre littéraire.
Par cette publication, Pintueles offre un travail très ponctuel et fécond pour la recherche aragonienne. Des annexes très intéressantes portant sur la fabrique et la structure de l’Œuvre poétique enrichissent et complètent cette importante étude.
Marcella Leopizzi
Université de Bari Aldo Moro
Ridha Bourkhis, Triompher du vent. Modifier la teinte du jour, Paris, Éditions alfAbarre, 196 pages. 19 euros, 20154.
Il est des universitaires porteurs d’une grande exigence littéraire, alliant la finesse d’analyse à celle de l’intelligence ; il est des poètes et des écrivains dont l’écriture est chevillée à l’âme et à la connaissance de l’être. Ridha Bourkhis est de ceux-là. À la fois Professeur de l’Enseignement Supérieur à l’Université de Sousse, chercheur, critique littéraire et poète, il vient nous offrir aujourd’hui son plus bel ouvrage, qui contient, tel un écrin, dix textes de son cru habités par le vent et ses complices ailés et écrits dans une langue poétique à nulle autre pareille.
Tout acte poétique exprime une quête. Chez Ridha Bourkhis, c’est la quête d’absolu dans ces Textes poétiques placés en première partie de l’ouvrage. Ici l’auteur donne un titre à chacun de ses poèmes en prose : le vent y est omniprésent et semble se jouer de l’auteur, tantôt acerbe « Le rire du vent », tantôt destructeur « Vent et cendres » ou encore trompeur « Le vent du large », voire même mystificateur « Une poignée de vent ».
Dans « Le vent souffle de l’intérieur », l’idéal féminin, par le procédé de la personnification, apostrophe le poète en lui reprochant sa soif du « philtre absolu » responsable de sa « vaste solitude ». Car que lui reste t-il de ces femmes aimées « Images emportées par le vent » ? Le poète sera-t-il capable enfin de jeter « Au vent de l’oubli » ces « silhouettes éphémères » du rêve ? Il exhorte sa belle amoureuse, « espérance brune aux boucles d’oreilles argentées », à chevaucher ensemble, lui, ce « cavalier promis par la lune » et elle, « tendre crinière trempée dans la nuit », vers le « jardin illuminé enfoui dans le palimpseste du front ».
Les poèmes intitulés « Le vent du Nord » et « Le vent du Nord II » abordent le thème de l’exil, un exil où règnent attirance et répulsion, domination, incompréhension et solitude.
L’image du vent est le fil conducteur de ces Textes poétiques où se côtoient la nature et la femme tour à tour trompeuses et enchanteresses.
La seconde partie est didactique. Elle se compose d’essais analytiques et d’entretiens à travers et par lesquels l’auteur éclaire le lecteur sur les procédés stylistiques employés par les poètes cités dans leur démarche créative.
Mais écoutons ce que dit Rida Bourkhis à propos de son propre ouvrage :
C’est un livre qui réunit, en deux volets complémentaires, des textes poétiques et des textes sur certaines notions comme « la poéticité », « le régime de littérarité » « le lyrisme », « l’émotion », « l’image » ou encore « le rythme » ; des notions cardinales examinées ici en m’appuyant sur les théories de Roman Jakobson ou de Georges Molinié et à travers la poésie de Lionel Ray, Patrick Navaï, Pierre Reverdy, Mahmoud Darwich, Jean-Michel Maulpoix, Michel Collot, Arthur Rimbaud, Nizar Quabani, Mario Scalési, Georges Schehadé, Belgacem Ecchebbi, Marielle Ansalmo et Laurence Bougault. Des réflexions sur les textes de ces poètes marquants, mais aussi des entretiens avec certains parmi eux qui, pour parler de cet art poétique qui est le leur, savent trouver les mots qui sonnent juste et qui sonnent vrai. Bonne lecture !
Parmi les poètes présentés par Ridha Bourkhis, citons un extrait du poème Le poète qui marchait sur sa blessure, de l’immense Mahmoud Darwich, trop vite disparu en 2008 :
Je vais chanter pour la joie
Derrière les paupières des yeux apeurés
Depuis que dans mon pays se lève la tempête
Me promettant vin et arc-en-ciel » ;
« Je suis revenu de la mort pour vivre et chanter
Je suis le délégué d’une blessure qui ne transige point
Les coups du tortionnaire m’ont appris
À marcher sur ma blessure
Et marcher
Et encore marcher
Et résister.
À ce propos, Ridha Bourkhis écrit :
Résister au colonialisme barbare, à la supercherie historique, à nulle autre semblable, et à la mort, mais aussi à la haine et à l’intolérance d’où qu’elles viennent. Résister pour Darwich, c’est rien de mieux que d’écrire sur la vie, sur l’amour, sur la noce des papillons avec les fleurs, sur l’odeur du café et le parfum du jasmin, sur le chant du vent dans la prairie interdite et qu’on ouvrira, sur les matins heureux qu’on voudrait revivre, sur les amandiers qui ne meurent pas de leurs blessures et qui tiennent à vivre et fleurir, sur les fenêtres percées dans les murs de granit et qui donnent sur un champ de roses.
Laurence Bougault retient aussi vite notre attention par l’intensité vibratoire et sensuelle de sa poésie dont un extrait de son livre Éclats est offert aux lecteurs :
Éclats
Ce qui blesse, qui agresse l’oeil
Ce qui se fige dans les chairs moroses
Ce qui éclaire puis retombe dans la nuit
Telles sont les paroles qui cherchent
À venir
Irriguer sans tarir
Éclats de ce qui échappe
Mais comment ne pas parler du frère intérieur qu’est Lionel Ray pour Ridha Bourkhis. N’a-t-il pas écrit en 2012 Lionel Ray L’intarissable beauté de l’éphémère. Dans la seconde partie de Triompher du vent, il interroge ce poète qui fut très jeune reconnu par Louis Aragon. À la question posée sur le Temps, Lionel Ray répond par ces mots :
Oui, toute poésie (particulièrement la mienne) est en débat avec le temps qui nous opprime et qui nous blesse, qui nous accable et nous ronge, et que nous ne parvenons pas à contrôler, à maîtriser. S’il y a dans nombre de mes poèmes une angoisse perceptible, c’est bien celle-là. La seule réponse à donner, la seule solution c’est encore le chant, le gain du chant (de l’ordre du plaisir esthétique) qui peut compenser toute perte due aux outrages du temps.
Un livre pluriel et essentiel pour embrasser la poésie contemporaine. De celui qui a publié divers essais et articles sur la poésie la stylistique et la rhétorique en Tunisie, en France et en Belgique.
Patrick Navaï
Écrivain
Antologie poetiche internazionali : 1. Tempi d’Europa, a cura di Lino Angiuli e Milica Marinković, 2013, 2. AAA Europa cercasi, a cura di Lino Angiuli e Maria Rosaria Cesareo, 2014, 3. Luoghi d’Europa, a cura di Lino Angiuli e Diana Battagia.
Per noi è difficile immaginare che qualcuno possa considerare la scrittura in modo diverso ; sappiamo, però, che ci sono individui che non interpretano la scrittura alla nostra maniera, per esempio gli adulti analfabeti e i bambini in età prescolare. Tuttavia questo « non interpretano alla nostra maniera » è da intendere come « non sono in grado » oppure « non sanno ». La scrittura, infatti, in quanto oggetto culturale socialmente stabilito, è un oggetto di conoscenza e come tale pone delle richieste di pensiero logico, così come dipende dalle possibilità di assimilazione che sono determinate dalla struttura logica del soggetto. Per esempio testi identici o molto simili possono servire per rappresentare oggetti molto diversi, così come testi diversissimi possono servire per indicare nomi identici. Nella mente le due esigenze complementari cominciano a manifestarsi solo gradualmente : per leggere cose differenti deve esistere una differenza oggettiva nella scrittura e per leggere cose simili deve esistere una oggettiva similarità, anche se non identità vera e propria. In altre parole, l’identità concettuale deve essere riflessa nella rappresentazione, così come la differenza concettuale. La preponderanza della similarità concettuale rispetto alla similarità fonetica risulta evidente quando, ad esempio, i bambini scrivono con lettere simili sia « gallina » che « pulcino ». Sperimentare, in una situazione di globalità, il confronto e l’incontro di scritture e linguaggi che possano avere in dotazione l’interiorizzazione della propria peculiarità espressiva antropologica, le norme e gli stili relazionali capaci di gestire l’anticonformismo e l’introversione nella direzione della socialità, dell’incrocio comportamentale, può sicuramente rappresentare un forte incoraggiamento all’affratellamento, alla conoscenza, all’unione, alla socialità. Spesso, negli aspetti formali del linguaggio, vengono messi in evidenza le sollecitazioni culturali, ecco perché il progetto culturale di Lino Angiuli Luoghi d’Europa (antologia poetica internazionale a cura di Lino Angiuli e Diana Battaggia) terzo volume antologico, venuto alle stampe per i tipi editoriali La Vita Felice, 2015 dopo Tempi d’Europa a cura di Lino Angiuli e Milica
Marinković (2013) e AAA Europa cercasi a cura di Lino Angiuli e Maria Rosaria Cesareo (2014), è fortemente ambizioso, perché comprendere, addentrarsi negli ambiti cognitivi della scrittura indigena, e a maggior ragione, in quella poetica, significa effettuare un procedimento di assimilazione e trasformazione, quindi di ricostruzione. Questo, infatti, è il compito del poeta : reinventare la realtà modificandola grazie alla sua immaginazione visionaria. Si passa, così, attraverso una corrispondenza biunivoca : il lettore si trova di fronte a un viaggio virtuale in cui può vedere (la versione originale è collocata a destra, mentre a sinistra compare la traduzione in italiano, a volte prodotta dallo stesso autore) e udire (l’effetto straordinario del suono e del ritmo della parola scritta unisce al linguaggio la coesistenza di mondi plurimi in continuo fermento). È interessante identificarsi negli innesti linguistici che sottendono sistemi eterogenei per aspetti cognitivi e di comunicazione ; infatti le tre Antologie internazionali, prodotte grazie al patrocinio della Fondazione Roma, diretta dal Prof Emanuele Emanuele, sono un’importante interfaccia con i Paesi attualmente aderenti alla Comunità Europea (e non solo) per ricreare, culturalmente, un modo sociale/naturale, ovviamente non un mondo alternativo, ma una realtà sociale esistente e spesso soffocata dal capitalismo economico, in cui persone, microculture, bisogni, dimenticanze, vivono un senso comune di sfocamento, tutto sommato impotente, identificato in una versione meno classicheggiante. Penetrare e compenetrarsi nel vissuto identitario dei linguaggi europei e planetari non solo per passione filologica, ma soprattutto, per energico progetto di incrocio unificatore delle culture, sposta l’attenzione sulla tradizione storica che diventa oggetto di studio e di investimento per il futuro. È nel patrimonio del linguaggio creativo che si possono verificare risorse e antitodi per discutere i temi importanti della libertà di mercato, la quale, a causa del processo di globalizzazione, vive la classicità come qualcosa di superato o addirittura morto. È un periodo questo in cui è necessario far capo alla coscienza critica e anche allo studio delle lingue minoritarie ripercorrendo apertamente le dinamiche del dialogo con la « parola storica » : ecco l’opportunità di una trilogia poetica capace di partecipare e condividere pienamente lo svecchiamento dei precedenti modelli ispirativi, dominanti e paralizzanti. I significati originari devono necessariamente restare la sfida per una rilettura del
passato e l’intuizione per un’avanguardia che precisa, legittima e opera in modo profetico sulla parola.
Rita Pacilio
Petrarca, l’Italia, l’Europa. Sulla varia fortuna di Petrarca, Bari, 20-22 maggio 2015. Cronaca del Convegno.
Si è svolto a Bari, presso l’Università Aldo Moro, nei giorni 20-22 maggio 2015, un Convegno di studi dedicato a Petrarca, l’Italia, l’Europa. Sulla varia fortuna di Petrarca, a conclusione del P.R.I.N. 2010-2011 Nuove frontiere della ricerca petrarchesca : ecdotica, stratificazioni culturali, fortuna, coordinato da Vincenzo Fera (Università di Messina). Scopo del convegno è stato quello di ritessere la storia della tradizione di Petrarca, intesa come storia della ricezione delle sue opere, ma anche come storia degli ambienti, delle società, degli uomini che lessero, amarono e imitarono quelle opere o che, al contrario, ne presero le distanze e, dunque, in ultima analisi, come storia dell’eredità e dell’anima umanistica dell’Europa sub specie Francisci (Davide Canfora, Premessa ai lavori del convegno) : l’Europa nasce come respublica literaria, ha affermato Amedeo Quondam nel suo intervento, sotto l’insegna del petrarchismo, che rappresenta la macrostruttura invariante della modernità, la ricerca e l’esperienza di una forma, di una langue, di uno strumento condiviso e standardizzato di senso, che trova, poi, la sua realizzazione concreta in una molteplicità di paroles.
La prima sessione del convegno e parte della seconda sono state dedicate all’esplorazione della dimensione europea della fortuna di Petrarca sin dalla sua prima manifestazione in area francese : su questo tema si è soffermato variamente, con incursioni anche novecentesche, Jean-Luc Nardone dell’Università di Tolosa nella relazione inaugurale. Il Cinquecento fu caratterizzato, in Francia, dal trionfo del petrarchismo poetico – si pensi, in particolare, alle figure lionesi di Maurice Scève e Clément Marot –, soprattutto a seguito della scoperta, avvenuta nel 1533, della supposta tomba di Laura ad Avignone, scoperta che diede slancio al culto della musa del poeta laureato e alla moda della lettura delle opere di quest’ultimo. Significativa la figura di Pierre de Brach, giureconsulto, poeta e traduttore di Bordeux che all’amatissima moglie Anne de Perrot, detta Aymée, consacrò i suoi versi : il canzoniere di de Brach rivela elementi di grande originalità e si arricchisce di un’inedita dimensione sensuale, sorprendentemente declinata anche in chiave femminile (Concetta Cavallini).
Nel contesto del petrarchismo spagnolo, particolare rilievo assume la figura di Luis de Góngora, che con il modello petrarchesco stabilì complessi rapporti, improntati a un processo di continua metamorfosi,
distanziamento e rinnovata fruizione : nella sua opera, in effetti, non si riscontra un’imitazione esclusiva del poeta di Laura ma, piuttosto, un rapporto ravvicinato con singoli testi e con le forme, le cadenze e i metri di una maniera poetica ormai consolidata e diffusa in tutta l’Europa (Ines Ravasini).
La stagione del petrarchismo inglese si aprì con sir Thomas Wyatt senior, il quale, vivamente impressionato da un viaggio in Italia (1527), si dedicò alla composizione di sonetti e poesie in terza rima : tuttavia, piú che nel sonetto – che Wyatt per primo introdusse in Inghilterra –, la presenza di Petrarca si percepisce in alcune poesie a ritornello, definite ballets ; dell’influsso petrarchesco, assimilato attraverso la mediazione della Pléiade, risentirono in seguito i poeti Thomas Watson e sir Philip Sidney, i padri del sonetto elisabettiano (Cristina Consiglio).
La seconda sessione del convegno ha avuto come oggetto la variegata fortuna trecentesca di Petrarca ; Paola Vecchi ha indagato il fenomeno policentrico e plurivalente rappresentato dalle Rime disperse, ossia da quella poco compatta raccolta comprendente sia componimenti autentici – sonetti per lo più – che Petrarca, procedendo alla revisione e alla selezione dei Rerum vulgarium fragmenta, non fece confluire nel Vat. Lat. 3195, sia componimenti non ascrivibili al poeta di Laura, ma a suoi immediati imitatori, i quali, quand’ancora Petrarca era in vita, lessero, copiarono e antologizzarono le sue rime, suscitando il disappunto dello stesso autore, come si può inferire dalla Sen. XIII 4 a Giovanni d’Arezzo o dalla Fam. XXII 15 a Boccaccio.
Il ricchissimo epistolario petrarchesco è stato oggetto di un intervento che ha posto l’accento sulla notorietà che Petrarca ha, talvolta, regalato ad alcuni dei suoi corrispondenti – i cui nomi, diversamente, sarebbero stati destinati all’oblio, dal momento che nessuno di essi, con la sola eccezione di Coluccio Salutati, ha raccolto e ordinato le proprie epistole – o ad alcuni dei personaggi menzionati nelle sue lettere : il caso senz’altro più eclatante è rappresentato dall’evanescente figura di Giovanni Malpaghini, il più famoso copista della storia letteraria italiana, a proposito del quale possediamo, paradossalmente, pochissimi e incerti dati, che a lungo hanno corroborato l’erronea identificazione con Giovanni da Ravenna (Monica Bertè).
Di « corrispondenti » di Petrarca si è parlato, poi, anche a proposito di tutti quegli autori – tra i quali spiccano i nomi di Sennuccio del
Bene, Antonio da Ferrara, Stramazzo da Perugia e Braccio Bracci – che indirizzavano le proprie rime al cantore di Laura, spesso mettendone a frutto « tessere » poetiche (si pensi, ad esempio, al tema della laurea poetica), naturalmente con l’intento di omaggiare il grande maestro, il quale, tuttavia, lamentava, ad esempio nella Fam. XIII 7, la quotidiana ricezione di epistole contenenti mediocre poesia, che nasceva, evidentemente, da una superficiale imitazione del Canzoniere e non recuperava, di quest’ultimo, le linee programmatiche (Marco Daniele Limongelli).
Due interventi sono stati dedicati al Bucolicum carmen petrarchesco, attorno al quale si sviluppò, quando ancora l’autore era in vita, un ricchissimo apparato esegetico : Boccaccio fu il primo a sottolineare l’importante ruolo rivestito, nel processo di rifondazione del genere bucolico, da Petrarca ; non è senza significato, tra l’altro, che quest’ultimo, proprio in un’epistola indirizzata al Certaldese (Fam. XXII 2), prenda le mosse da alcuni riferimenti alla sua decima egloga per affrontare il fondamentale tema dell’imitatio e per ribadire come la ricerca della veritas debba essere motore della scrittura, intesa, questa, come momento etico ed estetico a un tempo (Loredana Chines). È stato rilevato, peraltro, che la riflessione condotta dallo stesso Petrarca sulle sue egloghe (si pensi anche solo alla Fam. X 4) influenzò l’esegesi delle Bucoliche virgiliane : è il caso, ad esempio, del commentatore Benvenuto da Imola (Giovanni Cascio). Anche un intervento della quarta sessione ha avuto per oggetto il petrarchismo bucolico – quattrocentesco, in questo caso – con particolare riferimento al Bucolicum carmen che Paracleto Malvezzi indirizzò a Papa Pio II e che comprende sei egloghe nelle quali all’eredità culturale petrarchesca si accompagna una significativa componente biblica ed è, inoltre, evidente l’intento encomiastico nei confronti di Piccolomini (Claudia Corfiati).
Le sessioni terza e quarta sono state dedicate alla ricezione quattro-cinquecentesca e primosecentesca della figura e delle opere di Petrarca. Paolo Viti ha mostrato come nella Vita del Petrarca compresa negli Scriptorum illustrium Latinae linguae libri XVIII dell’umanista Sicco Polenton – opera completata intorno al 1436 – al grande aretino si guardi come al punto d’arrivo della secolare produzione letteraria in lingua latina e, al tempo stesso, come all’iniziatore di una nuova cultura, autentico spartiacque tra due mondi e artefice della rinascita di quegli studi che, nei secoli del Medioevo, erano stati trascurati.
Francesco Tateo ha illustrato, nel suo intervento, la novità costituita dalla più erudita – e, in apparenza, medievale – delle opere di Petrarca, i Rerum memorandarum libri, che, oltre a dare avvio alla moderna aneddotica, sorprendentemente contemplano, nel II libro, tra le funzioni dell’intelligentia, oltre all’eloquentia, anche la facetia, che assurge qui, per la prima volta, alla dignità di cosa grave. Significativa sarà, da questo punto di vista, l’influenza esercitata dall’opera petrarchesca, per citare solo alcuni esempi, sul Boccaccio della VI giornata del Decameron, sul Bracciolini delle Facezie, sul Pontano del De sermone.
Ampio spazio è stato riservato all’eredità politica consegnata da Petrarca agli umanisti, anzitutto sotto il profilo dei modelli di potere monarchico che si delineano nel suo epistolario, in cui si giustappongono il prototipo monastico angioino, incarnato da re Roberto, e quello del sovrano, rappresentato dall’imperatore Carlo di Boemia, coadiuvato da un cancelliere, al quale il poeta si rivolge instancabilmente per esortarlo a discendere in Italia e a opporsi alla dilagante corruzione ecclesiastica (Raffaele Ruggiero). Il petrarchismo politico napoletano, poi, è stato oggetto di due interventi : il primo, di Sebastiano Valerio, ha messo a fuoco la presenza di suggestioni petrarchesche (oltre che dantesche) nelle Rime sannazariane, nel canzoniere di De Jennaro – che non si limita a una generica laudatio di re Ferrante, ma segue una precisa traccia politica, attribuendo al sovrano il compito fatale di defensor Italiae – e nelle liriche politico-civili del Cariteo ; il secondo, di Michele Mongelli, si è concentrato sulla presenza dell’auctoritas di Petrarca nel Libro de la observantia de li ri e de li subditi di Giovan Marco Cinico da Parma che, nel regno di Napoli scosso dalla congiura dei baroni del 1485, dedicò a Ferrante un centone di esempi di clemenza e di obbedienza tratti da peregrini et varii auctori – tra cui, appunto, Petrarca – per indurlo a usare magnanimità nei confronti dei congiurati.
È stata esplorata, ancora, la tradizione delle opere « ascetiche » di Petrarca – in particolare il De otio religioso e il De vita solitaria – e dal punto di vista della loro diffusione materiale nei conventi e negli ambienti curiali (Lorenzo Geri) e sotto il profilo della persistenza di motivi petrarcheschi nelle opere con cui gli umanisti – a partire da Coluccio Salutati – intervennero, a vario titolo, nel dibattito de optimo vitae genere, che sorse proprio sulla scia della riflessione dell’umanista di Arezzo (Elisa Tinelli).
Un intervento ha riguardato il processo di codificazione del classicismo cinquecentesco e, in particolare, la riflessione linguistica di Benedetto Varchi, il quale, muovendo da presupposti parzialmente diversi da quelli di Pietro Bembo, propose una nuova formulazione del canone del volgare, spostandone il perno da Petrarca a Dante, in ossequio all’esigenza di dar vita a un linguaggio filosofico volgare che potesse sostituirsi a quello latino : egli, in effetti, dopo aver riletto il poema dantesco alla luce dell’insegnamento aristotelico e lucreziano, nell’Ercolano oppose alle critiche che Bembo aveva rivolto alla Commedia il riconoscimento dell’appropriatezza del realismo linguistico di Dante al genere « heroico » di ascendenza classica (Annalisa Andreoni).
L’intervento di Pasquale Guaragnella ha evidenziato il legame della poesia volgare di Giambattista Basile con taluni aspetti della lirica cinquecentesca, un legame testimoniato altresì dalle cure che l’autore dedicò all’edizione delle Rime di Pietro Bembo, di Giovanni Della Casa e di Galeazzo di Tarsia, pubblicate tra il 1616 e il 1617. Significative sono pure, dello stesso Basile, le Osservationi intorno alle rime del Bembo e del Casa (1618), il cui obiettivo è la messa a punto di un percorso linguistico diacronico che, attraverso Bembo, colleghi Petrarca a Della Casa, manifestazione, questa, di quel processo di « lessicalizzazione » di Petrarca – ossia della riduzione a vocabolario del tessuto espressivo e tematico dei Fragmenta – riconosciuto da Marco Santagata come caratteristico della poesia napoletana.
Non è stata trascurata, poi, l’indagine della dimensione figurativa e allegorica del Canzoniere petrarchesco, che offrirà ai più noti trattati sulle imprese e sugli emblemi e alla vita delle accademie e delle corti italiane tra Rinascimento ed età moderna non solo versi – spesso adoperati come motti – ma anche immagini di animali reali e mitologici, domestici e selvatici : si pensi, solo per fare un esempio, a Girolamo Ruscelli, il quale, ne Le imprese illustri (Venezia, 1572), per descrivere l’emblema di Lucrezia Gonzaga, raffigurante una cerva bianca posta sotto un lauro, trarrà ispirazione dal noto sonetto 190, Una candida cerva sopra l’erba (Pietro Sisto).
La sessione conclusiva del convegno ha lumeggiato svariati aspetti della fortuna di Petrarca tra il Cinquecento e il Novecento ; due interventi hanno messo a fuoco, rispettivamente, la presenza del poeta di Laura, talvolta sotterranea, talaltra più esplicita, nella tragedia regolare
italiana – nell’Orbecche di Giraldi Cinzio, ad esempio, che si conclude con la prosopopea della Tragedia stessa, che afferma d’aver adoperato la lingua volgare seguendo, in parte, « il gran Tosco / che per Laura cangiò l’Arno con Sorga » (Stella Castellaneta) – e nella teorizzazione secentesca del comico di Giovan Battista Andreini, il quale nel 1612 pubblicò un pamphlet in difesa dell’arte comica, il Prologo in dialogo fra Momo e la Verità, in cui la divinità della maldicenza, Momo, scacciato dai cieli, s’imbatte in un palco pronto per una rappresentazione e subito si mette all’opera, diffamando l’arte comica e incappando, tuttavia, in una fanciulla, la Verità, che difende magistralmente la virtù della commedia e dei comici ed ha l’aspetto della bellissima donna che, nel Secretum, impersona, appunto, la Verità (Rossella Palmieri).
Ancora, un intervento è stato dedicato alle postille di Galileo Galilei all’edizione delle Rime di Petrarca curata da Ludovico Castelvetro, postille che, seppur stese in maniera piuttosto asistematica, rivelano la disposizione critica dello scienziato e un interesse rivolto prevalentemente agli aspetti naturalisti rintracciabili nel Canzoniere, che non si accompagna, tuttavia, a una sentita esigenza di verosimiglianza, giacché per lo scienziato la poesia si situa nel campo del non credibile, in cui tutto è possibile (Giulia Dell’Aquila).
L’intervento di Grazia Distaso ha avuto per oggetto la figura di Pier Jacopo Martello, letterato arcadico diviso tra l’accettazione, peraltro non esaltata, del classicismo cinquecentesco e il tentativo di salvare taluni elementi della lezione marinista in grado di animare l’Arcadia ufficiale, impedendole di limitarsi a un petrarchismo di maniera. Più volte dichiarata è, infatti, l’avversione di Martello non a Petrarca ma alla pedissequa imitazione sua – e dei modelli in generale – e soprattutto all’uso stereotipato dei topoi dell’amore platonico a cui aveva condotto l’arcadica reazione antibarocca, ossia il petrarchismo platonizzante della proposta di Crescimbeni.
Con i due interventi conclusivi, i lavori del convegno sono approdati al Novecento : da un canto, è stato evidenziato come il modernismo italiano prenda le mosse, per ciò che riguarda la produzione poetica, dalla constatazione dell’inadeguatezza della lezione di Pascoli e D’Annunzio e dall’esigenza di lasciare da parte, dunque, i maestri del simbolismo decadente italiano e di ripiegare su Foscolo e Leopardi, sino a ritornare molto indietro, a Dante e Petrarca ; la memoria di quest’ultimo, in
particolare, emerge tanto nello scavo psicologico nella storia dell’io condotto da Saba – che sarebbe approdato, peraltro, al rifiuto del magistero petrarchesco accolto in gioventù – quanto nell’autobiografismo ironico gozzaniano (Giuseppe Bonifacino). Dall’altro, è stata indagata l’interpretazione del pensiero politico petrarchesco elaborata da Rodolfo De Mattei (1899-1981), docente universitario di storia delle dottrine e delle istituzioni politiche, il quale, in una serie di articoli scritti tra il 1928 e il 1937, affermò che, se era da rifiutare la convinzione che Petrarca avesse potuto maturare l’idea politica di « nazione » italiana, si doveva ritenere, tuttavia, che l’umanista, emancipandosi dall’universalismo imperiale e attingendo il « particulare », avesse concepito almeno una peculiare idea dell’Italia come unità morale, fondata su un patrimonio comune di storia e tradizioni (Laura Mitarotondo).
Elisa Tinelli
Università di Bari Aldo Moro
Bernard Vouilloux (éd.), Michel Deguy à l’œuvre. Poésie & poétique, suivi de deux textes inédits de Michel Deguy (Giovanna Devincenzo)
Gordon Millan (sous la direction de), Études Stéphane Mallarmé, no 2, 2014 (Giovanna Devincenzo)
Laure Himy-Piéri, Pierre Jean Jouve. La modernité et ses possibles (Giovanna Devincenzo)
Michel Arouimi (éd.), Le mimétisme dans la littérature, « Les Cahiers du Littoral », I, no 17, 2015 (Giovanna Devincenzo)
Eddie Breuil, Du Nouveau chez Rimbaud (Giovanni Dotoli)
Jean-Michel Djian, Les Rimbaldolâtres (Giovanni Dotoli)
Claude Jeancolas, Rimbaud l’Africain (Giovanni Dotoli)
Jean-Luc Maxence, Psychanalyse et poésie contemporaine (Giovanni Dotoli)
Guido Mazzoni, Sur la poésie moderne, traduction de Céline Frigau Manning (Giovanni Dotoli)
« Parade sauvage », n. 24 et 25, 2013 et 2014 (Giovanni Dotoli)
« Revue Verlaine », n. 12, 2014 (Giovanni Dotoli)
Françoise Siri, Le Panorama des poètes. Enquête sur la poésie francophone du xxie siècle (Giovanni Dotoli)
Rosario Vitale, Mario Luzi. Il tessuto dei legami poetici (Giovanni Dotoli)
Constantin Frosin, Au hasard de mes lectures (Giovanni Dotoli)
Mihai Eminescu, Cincizeci poeme / Cinquante poèmes, traduits en français par Annie Bentoiu (Constantin Frosin)
Giovanni Dotoli, Je la vie (Constantin Frosin)
Luigi Bonaffini, Joseph Perricone (ed.), Poets of the Italian diaspora. A bilingual anthology (Salvatore Francesco Lattarulo)
Anoush Ganjipour, Le réel et la fiction. Essai de poétique comparée (Marcella Leopizzi)
Sarga Moussa, Michel Murat (sous la direction de), Poésie et orientalisme (Marcella Leopizzi)
Béatrice Bonhomme, Gabriel Grossi (sous la direction de), La Poésie comme espace méditatif ? (Marcella Leopizzi)
Josette Pintueles, Aragon et son Œuvre poétique. L’« Œuvre » au défi (Marcella Leopizzi)
Ridha Bourkhis, Triompher du vent. Modifier la teinte du jour (Patrick Navaï)
Antologie poetiche internazionali : 1. Tempi d’Europa, a cura di Lino Angiuli e Milica Marinković, 2. AAA Europa cercasi, a cura di Lino Angiuli e Maria Rosaria Cesareo, 3. Luoghi d’Europa, a cura di Lino Angiuli e Diana Battagia. (Rita Pacilio)
Petrarca, l’Italia, l’Europa. Sulla varia fortuna di Petrarca, Bari, 20-22 maggio 2015. Cronaca del Convegno (Elisa Tinelli)
- Thème CLIL : 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
- ISBN : 978-2-406-05673-7
- EAN : 9782406056737
- ISSN : 2555-0241
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-05673-7.p.0317
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 04/03/2016
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français