Avant-propos
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue d'Histoire littéraire de la France
4 – 2022, 122e année, n° 4. varia - Auteur : Scepi (Henri)
- Pages : 773 à 780
- Revue : Revue d'Histoire littéraire de la France
Jules Verne, une vision du xixe siècle
L’ensemble des textes réunis ici constituent les actes du colloque « Arts, sciences et techniques : Jules Verne, une vision du xixe siècle », qui s’est tenu à la Fondation Singer Polignac les 5, 6 et 7 juillet 2021, à l’initiative du CRP19 de la Sorbonne nouvelle.
AVANT-PROPOS
Henri Scepi1
Longtemps considéré comme un auteur imaginatif et récréatif, dont le premier mérite eût été, pour le plus grand émerveillement des jeunes lecteurs de son temps, d’anticiper un xxe siècle scientifique et technologique, Jules Verne apparaît comme un écrivain lisse et conciliateur, un vulgarisateur appliqué, docile aux idées libérales et républicaines de Jules Hetzel et de Jean Macé, et acceptant d’être l’invention géniale d’un éditeur sûr de ses choix et de ses décisions. À l’heure où – dans une époque marquée par l’essor des individualités artistiques – le talent personnel s’affiche et s’affirme, parfois au prix de quelques excès, Verne s’en remet sagement aux conseils de Pierre-Jules Hetzel, il se résout à entrer dans une espèce de norme – auctoriale et générique – conforme au cahier des charges de la série des Voyages extraordinaires et du Magasin d’éducation et de récréation qui en est le canal de diffusion régulier2. La relation auteur-éditeur se bâtit, dès 1863, sur le socle d’un contrat particulier, qui 774place le romancier sous la direction d’une volonté éclairée, censée lui garantir succès commercial et épanouissement personnel3. Typique du second xixe siècle, et de l’essor de l’édition moderne, le couple Hetzel-Verne doit être approché comme une association équilibrée, profondément complémentaire, solidaire des conditions d’élaboration, de publication, et de réception des œuvres de l’écrivain4. Elle donne à une écriture une part de sa couleur en y imprimant un faisceau de valeurs – esthétiques, morales, idéologiques – qui gouverne sa visée.
Verne est le romancier des synthèses éloquentes et des reformulations mémorables : le genre du roman d’aventures dans lequel il excelle aussi bien que celui du roman géographique, qu’il contribue à créer, impose non seulement un code du romanesque – parfois même des recettes et des ficelles – mais aussi une certaine accommodation par rapport à la culture littéraire, scientifique et technique d’une époque. Chaque roman de Verne est comme un condensé de roman et de science, d’imagination et de description, d’émotion et de technique. Chaque aventure repose sur les ressorts d’une intrigue que favorisent les apports objectifs autant que les potentialités du progrès. C’est là, sans doute, l’impulsion première, l’étincelle motrice qui donne le branle au double mouvement de l’écriture et de l’invention, et qui commande la colonisation des espaces, la conquête des territoires les plus lointains, les grandes enjambées de l’aventure5. Fidèle au programme théorique que se propose d’accomplir Le Magasin d’éducation et de récréation – qui est d’opérer comme une totalisation des disciplines et des savoirs –, Jules Verne ambitionne certes de décrire « toute la surface de la terre6 », mais il aspire en outre à remodeler quelques-uns des grands profils héroïques qui hantent l’imaginaire romantique en leur conférant une puissance héritée des nouvelles machines et des nouvelles énergies : Nemo, Robur, Rodolphe de Gortz sont les artistes de l’électricité et des prouesses qu’elle permet. Les fables des Voyages extraordinaires réinventent autant qu’elles inventent, et Verne a bien conscience d’être un écrivain qui 775récrit, lui qui ne cesse de raviver, à l’horizon de ses chantiers, les modèles de Dumas et de Hugo, de Nodier ou de Byron, autant d’occasions propices à ces moments de « figuration » où le texte vernien prend un relief réflexif7. Des grilles de lisibilité – démarquées du répertoire de la grande littérature, située par delà le bien et le mal – se voient dès lors adaptées et réajustés à des univers romanesques modestes, pourvoyeurs de conduites et d’exemples dignes d’être suivis8. C’est pourquoi, si elles se proposent bien d’instruire et de distraire tout en exaltant les vertus moyennes conformes à l’idéal d’éducation bourgeoise, ces fictions s’apparentent à des cartographies maniables et assimilables, mais néanmoins précieuses et précises ; elles sont le reflet prismatique de la culture étendue d’une époque ; elles font valoir, à un moment de la durée, une coupe possible du temps qui donne à percevoir, dans toute leur épaisseur, des formes de sensibilité et des modes d’intelligibilité.
À sa manière historien et sociologue, Verne s’intéresse moins aux événements saillants et aux doctrines linéaires du progrès (scientifique, technologique ou politique) qu’aux conditions ordinaires dans lesquelles un siècle s’investit dans les scénarios de la conquête et les rituels de la réussite (voyages, découvertes géographiques, inventions savantes modifiant la perception des données de l’espace et du temps et remodelant les formes usuelles de l’expérience individuelle et collective…). Il scrute les mille et une façons par lesquelles une « histoire du temps » se donne à lire en se projetant dans les situations, les objets et les projets qui dessinent, au revers des faits et des pratiques, comme les lignes de force d’une histoire culturelle et laissent affleurer les linéaments d’une anthropologie sociale. Fondés sur la notion d’expérience, les romans de Verne sont, dans la plupart des cas, des odyssées de la connaissance, où se déploie une pédagogie du faire et du savoir, vouée le plus souvent à exposer – sinon à expliciter – les règles qui régissent la vie sociale, à partir d’une maîtrise raisonnée des passions et des désirs. Les travaux qui ont été nouvellement consacrés – depuis maintenant plus de deux décennies – à l’œuvre de Jules Verne attestent qu’une réorientation marquée – comme un changement d’optique – a eu lieu dans l’approche et le traitement du vaste corpus des Voyages extraordinaires. Aux options thématiques et mythologiques – qui ont prévalu dans les années 1970 et 1980, sous l’impulsion notamment des travaux pionniers de Simone Vierne ou de l’essai capital de Michel Serres9 –, aux questionnements idéologiques qui les ont prolongées, illustrés notamment par Jean Chesneaux10, ont succédé des attitudes critiques 776soucieuses de faire valoir des points de vue centrés plus spécifiquement sur le tissu complexe de relations (de convergence, de contrepoint ou de renversement) que l’univers fictionnel entretient avec la sphère socio-politique au sens large : une dimension historique d’abord, incluant dans son champ de résonance interne des propositions et des valeurs venues de l’économie générale du xixe siècle, à commencer bien sûr par l’ensemble des données démarquées de l’économie restreinte et du monde du travail dans une société déterminée par la massification et l’industrialisation accélérées. C’est bien dans cette perspective attachée à l’examen des « dissymétries » et des « possibles » d’une œuvre qui ne « ferme pas » qu’en 1988 s’inscrivait le volume collectif dirigé par Jean Bessière11. Le colloque « Jules Verne, cent ans après », organisé en 2004 à Cerisy, a permis de dégager les lignes de fuite d’une réception critique envisagée dans sa généalogie autant que dans sa configuration épistémologique : l’histoire sociale et politique y apparaît comme un moment de ressaisissement des enjeux propres à un romanesque du temps, auscultant les souffles de l’époque et les résonances du siècle12. L’imaginaire des sciences se replie sur les usages du quotidien, les savoir-faire de tous et de chacun, ouvrant ainsi le champ de la réflexion à une histoire des expériences et à une économie du sensible. À Robert Pourvoyeur, qui naguère s’interrogeait sur les fondements de la pensée économique de Verne, et qui concluait au faible degré de curiosité du romancier en cette matière, Christophe Reffait fait écho, à distance, en apportant quelques utiles éléments de réponse dans les chapitres éclairants qu’il consacre à l’auteur de L’Île mystérieuse dans son essai sur Les Lois de l’économie13. Si elle ne renonce pas à explorer les dessous initiatiques qui assurent à l’imaginaire son essor et sa puissance, l’entreprise éditoriale de la « Bibliothèque de la Pléiade » a contribué pour sa part à cerner le concert des voix du siècle qui se donnent à entendre dans le roman vernien : voix « du reporter, du chroniqueur, de l’homme en contact avec les foules, les assemblées des meetings, vivant à l’heure du télégramme, bientôt du téléphone et de l’automobile14 ». Une telle attention ne va pas sans modifier sensiblement les cadres évaluatifs des fictions elles-mêmes et de leur réception immédiate ou différée, ainsi que l’atteste par exemple l’étude approfondie que Sylvie Roques a récemment consacrée à Verne et au monde des spectacles de son temps15.
777Mais cette dimension historique, soutenue par une exigence réaffirmée de contextualisation, ne doit pas minorer la pertinence des interrogations qu’une situation actuelle est en droit de soulever : la notion même du siècle – que nous employons sans autre forme de procès dans l’expression banalisée « xixe siècle » – dépend du point de vue qui l’oriente et la détermine ; elle résulte d’un présent qui vaut moins comme un fait d’époque constitué que comme une donnée toujours recommencée, toujours retentée, de l’expérience du temps16. Il se pourrait fort ainsi que le xixe siècle – dont le roman vernien nous offre la vision par coupes successives et synthèses combinées – soit également une expérience de cet ordre, décidant d’un rapport spécifique au temps, au devenir et au progrès. Et si dans les fictions des Voyages extraordinaires une image du siècle se dégage et s’offre à l’observation, c’est en tant qu’elle dessine un réseau de relations ordonnées aux valeurs qui – selon les lignes fédératrices des arts, des sciences et des techniques – organisent l’axiologie sociale et individuelle de l’action. Si bien qu’importe bien plus le type de rapport qui s’instaure entre présent, passé et futur que la figuration de l’époque proprement dite (selon le code du roman historique ou du roman réaliste), même si celle-ci possède sa pertinence contextuelle. Pour le dire autrement, c’est à des « régimes d’historicité17 » que nous exposent les romans de Jules Verne, comme le démontrerait au besoin, et a contrario, le premier roman écrit par Verne, et rejeté par Hetzel, Paris au xxe siècle18 (1860).
Certes, Verne est, comme on le dit couramment, de son temps, de son siècle : siècle de la vapeur et de l’électricité, siècle des inventions techniques et du progrès supposément infini, toutes questions par rapport auxquelles toujours, et non sans humour ni malice, le romancier sait adopter la bonne accommodation, ainsi que l’attestent par exemple ces quelques confidences :
J’ai vu naître les allumettes phosphoriques, les faux-cols, les manchettes, le papier à lettre, les timbres-poste, le pantalon à jambe libre, le paletot, le gibus, la bottine, le système métrique, les bateaux à vapeur de la Loire, dits « inexplosibles » parce qu’ils sautaient un peu moins que les autres, les omnibus, les chemins de fer, les tramways, le gaz, l’électricité, le télégraphe, le téléphone, le phonographe ! Je suis de la génération comprise entre ces deux génies, Stephenson et Edison19 !
Ces deux bornes délimitent un pan générationnel qui pourrait reconduire au segment du temps historique. Mais le xixe siècle, s’il peut toujours se décliner 778en un inventaire de découvertes, en des collections de faits ou des expositions d’objets, est d’abord le fruit d’une invention, le propre d’une vision20.
Largement répandu dans le discours littéraire et le métadiscours critique du xixe siècle, commun à Balzac, Hugo et Baudelaire, le concept de vision voisine avec la notion distincte de vue, laquelle jouxte, sans les recouvrir nécessairement, les formes spontanées ou organisées de l’expérience optique : de la photographie au panorama, en passant par le diorama, la vue est révélatrice d’une position particulière du regardeur autant que de la nature du spectacle regardé21. Si la vue prétend offrir du monde observé une espèce d’extériorité objective, ou exposante, comme le calque ou l’empreinte du réel, en revanche la vision procède par coupe ou raccourci, élongation ou resserrement. Elle engage une part active d’imaginaire ; mais sa vertu première est sans doute de révéler une percée modificatrice du regard à travers l’épaisseur ou l’opacité du temps. C’est pourquoi en elle trois principes se conjuguent : la concentration, l’accumulation et l’accélération. Trois principes qu’il est aisé d’identifier à la source de la plupart des romans de Jules Verne – de De la Terre à la Lune à La Jangada, en passant par L’Île à hélice – et qui incitent à orienter le propos dans le sens d’une dynamique de la matière et d’une énergétique de la représentation22.
On comprendra sans mal, dès lors, que les injonctions nombreuses et réitérées invitant à tout montrer, et surtout à tout voir, dans le roman vernien – à dérouler le spectacle du réel comme une carte dépliée ou un ruban panoramique – ressortissent moins à une stricte logique ostensive qu’à un travail concerté du visible, à une élaboration de la vision. « Il faut tout voir, ou du moins tenter de tout voir », dit Paulina Barnett dans Le Pays des fourrures23. À quoi fait écho la promesse de Yaquita à Cybèle dans La Jangada : « Tu verras des choses que tu n’as jamais vues24 ». Ce « voir » est un mouvement ; il ouvre un espace en préparant les voies de la découverte. D’une certaine manière, le geste du xixe siècle s’y résume, comme invite à le penser le rituel des expositions universelles – auxquelles Verne a été si attentif – ou comme le donne à percevoir la poésie visionnaire de Hugo à Rimbaud, facilitant le passage du temps des promesses à celui des prodiges.
C’est pourquoi le propos de ce dossier se recentre sur la « vision du xixe siècle » que le romancier rend sensible et invite à dégager. Il prend appui sur la représentation des arts, des sciences et des technologies – selon les formes diverses qu’elle revêt au gré des fictions et des périodes, selon aussi 779les relations de pouvoir et de domination qu’elle engendre et les discours d’autorité, d’infléchissement critique ou d’insoumission qu’elle suscite. Mais au-delà de ces aspects, c’est sans doute vers un horizon plus ouvert encore que se porte le regard puisque s’indique de la sorte la ligne fuyante d’une civilisation qui atteint son apogée et qui prévoit, dans une espèce de griserie jamais assouvie, son propre dépassement. Quelle histoire du temps – et quel rapport au temps – ressortent des récits des Voyages extraordinaires ? Quelle logique ordinaire et infra-ordinaire court sur l’envers et parfois à rebours de la grande fable humaine et culturelle dont le roman de Verne décline de façon parfois emphatique les exploits et les excès, les pouvoirs et les limites ?
C’est principalement à ces questions, solidaires à la fois d’une histoire des représentations et d’une histoire des sociétés, que les contributions réunies dans ce dossier « Arts, sciences et technique : Jules Verne, une vision du xixe siècle » voudraient répondre.
Un premier ensemble d’articles s’attachent à réinscrire l’œuvre de Jules Verne dans l’ordre des représentations de son temps et empruntent la voie privilégiée de la « traversée » : traversée du temps et de l’espace des expositions universelles, comme y invite Marie-Hélène Huet, mais aussi traversée scénique des représentations théâtrales des « mondes verniens » : Sylvie Roques introduit le lecteur dans la machinerie des féeries scientifiques conçues par Jules Verne et examine la savante alliance d’imaginaire et de réel, de rêve et de technique, qu’exigent de tels spectacles. C’est la même logique qui préside aux discours sur la science, conçue moins comme un instrument que comme un objet, qu’abordent, en un contrepoint délibéré, l’article de Daniel Compère consacré à « l’irrespect scientifique » et aux formes de la dérision qu’il inspire, ainsi que celui de Kevin Even, centré sur les échos d’un autre savoir averti des désastres environnementaux que la course au progrès fait immanquablement peser sur l’humanité et la nature. Deux sous-discours donc, menés en parallèle, comme au revers des fictions modernes de l’exploitation et du profit. Sans doute s’agit-il encore, et par d’autres voies, d’un travail de neutralisation ou de détournement de la science et de ses pouvoirs que proposent d’aborder les trois articles qui suivent : celui d’abord de Marie-Françoise Melmoux-Montaubin qui invite à une lecture politique d’Hector Servadac, la fantaisie scientifique du voyage dans le monde lunaire s’effaçant devant l’évocation du « rêve européen » de Jules Verne – celui d’Andrea Masnari ensuite, qui se penche sur Robur-le-Conquérant, relu à la lumière d’une hypothèse qui confère à la science et à ses extensions techniques une puissance de domination, écrasante autant qu’aliénante – enfin l’article de Laurence Sudret, portant sur La Chasse au météore, et plus particulièrement sur la façon dont, sous la plume de Jules Verne, l’astronomie y apparaît moins comme un instrument de connaissance que comme le moyen, fantaisiste et occasionnellement bouffon, d’une révélation : révélation de la vanité et de la vacuité des hommes – tandis que le même récit, 780repris par Michel Verne, se met en conformité avec une norme de la science dont la positivité est affichée et préservée. L’étude que Jean-Michel Gouvard réserve au Château des Carpathes, approché ici sous l’angle d’une tension entre science et légende, entre raison et mythe, révèle toutes les ambiguïtés du discours sur la science dans l’œuvre de Verne et porte au jour, dans le même temps, l’un des grands partages des savoirs au xixe siècle.
Un deuxième volet s’organise autour de quelques motifs ou mécanismes structurants de la poétique romanesque de Verne : Jacques Noiray se met à l’écoute de l’orgue de Nemo dont il s’emploie à retracer l’histoire, à la fois technique et secrète, et à analyser les fonctions variables qu’il remplit dans le cours de la fiction. Jacques-Remi Dahan revient sur la genèse d’Autour de la Lune et examine les raisons qui justifient l’hypothèse selon laquelle ce roman et De la Terre à la Lune forment un seul et unique livre, marqué par une « continuité de rédaction ». Reprenant sur nouveaux frais le thème de la catastrophe, souvent invoqué pour caractériser le dernier Verne, Philippe Mustière s’attache à réinscrire l’œuvre du romancier et son rapport à l’époque dans la perspective des grandes angoisses du siècle et des hantises dystopiques de la fin.
Un troisième et dernier temps rassemble des études et des réflexions qui privilégient les effets de distance réflexive et critique dans l’œuvre de Verne. Daniel Sangsue aborde ainsi le genre du « voyage humoristique », qu’il réinsère dans la continuité d’une tradition romantique pour mieux faire valoir son affiliation au modèle du « récit excentrique » ; Henri Scepi s’interroge sur les fonctions ambiguës – entre sérieux et ironie – imparties aux stratégies publicitaires dans certains romans de Verne, toujours prompts à réénoncer pour les mettre à distance les codes et les valeurs de son temps. Bertrand Marquer explore le croisement de l’appétit du savoir et de l’appétit tout court dans le roman d’aventures selon Verne, et y décèle les lignes de force idéologiques qui ordonnent un imaginaire d’époque. Christophe Reffait montre qu’on ne saurait jamais se satisfaire des équilibres et des limites imposés par les sciences dans l’œuvre de Verne : une « physiologie burlesque » les déstabilise et les transgresse en engendrant un comique de la science toujours puissamment interrogatif. Jean-Luc Steinmetz s’empare de la question de la fin dans les romans de Verne, leurs façons diverses de conclure sans apporter de réponse univoque, le romancier ne souhaitant pas offrir « un récit du monde qui rendrait transparente sa finalité ».
Piero Gondolo della Riva, collectionneur et spécialiste de l’œuvre de Jules Verne, réunit enfin dans une courte note personnelle quelques-unes des découvertes que lui ont permis de faire sa grande connaissance du monde de Hetzel et sa fréquentation des héritiers de l’éditeur.
1. Université Sorbonne-nouvelle (CRP19)
2. Cette docilité conduit Verne à se plier à la clause d’exclusivité, comme le rappelle l’échange de lettres entre Louis-Jules Hetzel, Pierre-Jules Hetzel et Jules Verne lors de l’affaire de la pièce Un Neveu d’Amérique ou les deux Frontignac : « […] je ne veux point faire une chose qui vous soit désagréable », déclare Verne à Hetzel (lettre du 10 avril 1873, Correspondance inédite de Jules Verne et de Pierre-Jules Hetzel, éd. O. Dumas, P. Gondolo della Riva et V. Dehs, Genève, Slatkine, 1999, t. 1, p. 193.
3. À propos des textes de La Découverte de la terre, Hetzel écrit à Verne : « (…) je trouve que vous n’avez pas pris ces récits de façon à leur donner l’intérêt des choses ayant vie. C’est de l’histoire racontée sagement, très abrégée […]. C’est bien, ce n’est pas mal, c’est ce que d’autres auraient pu faire, mais ce n’est pas absolument de vous ; votre faire, votre main, votre touche, votre personnalité n’est plus là » (lettre du 26 mai 1870, ibid., p. 139-140).
4. Sur les relations Hetzel-Verne, voir Simone Vierne, « Hetzel et Jules Verne ou l’invention d’un auteur », Europe, nov.-déc. 1980, nos 619-620, p. 53-64 ; Masataka Ishibashi, Le projet Verne et le système Hetzel, Amiens, Encrage, 2015 ; William Butcher, Jules Verne inédit : les manuscrits déchiffrés, ÉNS Éditions-Institut d’histoire du livre, 2015, p. 46-56.
5. « Le roman d’aventure, note Jean-Yves Tadié à propos de Verne, retourne ici à l’une des plus vieilles formes romanesques de l’humanité, celle du roman grec, le récit de voyage imaginaire (construit à partir de récits de voyages réels !). Les machines sont la marque de l’époque : comme le navire de Jason, ou de Théagène et Chariclée, elles sont l’instrument de l’exploration, non le but du récit… » (Le Roman d’aventures, Paris, Puf, 1982, p. 71).
6. « Vous savez, mon vœu est de dépeindre toute la surface de la terre, c’est-à-dire de peindre la terre dans mes romans. Voilà mon plan » (« Jules Verne at home », Pall Mall Gazette, Londres, 10 déc. 1889, repris dans Entretiens avec Jules Verne (1873-1905), éd. D. Compère et J.-P. Picot, Genève, Slatkine, 1998, p. 60).
7. « J’appelle figuration, note Daniel Compère, ces moments où le texte prend distance par rapport à lui-même » (« Le monde est mon miroir », Les Voyages extraordinaires de Jules Verne : de la création à la réception, dir. F. Melmoux-Montaubin et C. Reffait, CERR, Encrage, 2012, p. 27). Voir en outre D. Compère, Jules Verne écrivain, Genève, Droz, 1991.
8. Voir le volume collectif présenté par Alain Schaffner et Christophe Reffait, Jules Verne ou les inventions romanesques, Amiens, Centre d’Études du Roman et du Romanesque, Encrage, 2007.
9. Simone Vierne, Jules Verne et le roman initiatique. Contribution à l’étude de l’imaginaire, Paris, Éditions du Sirac, 1973 ; Michel Serres, Jouvences sur Jules Verne, Paris, Éditions de Minuit, 1974.
10. Jean Chesneaux, Lecture politique de Jules Verne, Paris, Maspero, 1982.
11. Modernités de Jules Verne, dir. J. Bessière, CERR, Université d’Amiens, Puf, 1988, p. 3.
12. Jules Verne cent ans après (actes du colloque de Cerisy, 2-12 août 2004), dir. Jean-Pierre Picot et Christian Robin, Rennes, Terre de Brume, 2005.
13. Christophe Reffait, Les Lois de l’économie selon les romanciers du xixe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2020, p. 348-365 et p. 459-486 ; Robert Pouvoyeur, « Jules Verne économiste », dans F. Raymond et S. Vierne (dir.), Jules Verne (actes du colloque de Cerisy, 11-21 juillet 1978), Paris, U.G.E., « 10/18 », 1979, p. 277-286.
14. Jean-Luc Steinmetz, « Introduction », Jules Verne, Voyages extraordinaires. Les Enfants du Capitaine Grant. Vingt mille lieues sous les mers, éd. J.-L. Steinmetz, M.-H. Huet et H. Scepi, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2012, p. xxxvi.
15. Voir Sylvie Roques, Jules Verne et l’invention d’un théâtre-monde, Paris, Classiques Garnier, 2018 ; voir également Les Voyages extraordinaires de Jules Verne : de la création à la réception, op. cit.
16. Je renvoie à ce sujet aux réflexions de Philippe Muray dans Le 19e siècle à travers les âges, Paris, Denoël, 1984, p. 311 et suivantes.
17. Voir là-dessus François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil, « Points », 2012, p. 38 : « Formulée à partir de notre contemporain, l’hypothèse du régime d’historicité devrait permettre le déploiement d’un questionnement historien sur nos rapports au temps. Historien, en ce sens qu’il joue sur plusieurs temps, en instaurant un va-et-vient entre le présent et le passé ou, mieux, des passés, éventuellement très éloignés, tant dans le temps que dans l’espace. Ce mouvement est sa seule spécificité ».
18. Voir l’appréciation de Hetzel, Correspondance inédite, éd. citée, p. 25-26.
19. Jules Verne, Souvenirs d’enfance et de jeunesse, dans Aventures du Capitaine Hatteras, éd. R. Borderie, Paris, Gallimard, « Folio », 2005, p. 693.
20. Voir Philippe Hamon, Expositions. Littérature et architecture au xixe siècle, Paris, J. Corti, 1989, p. 17.
21. Je renvoie à l’ouvrage de référence de Jonathan Crary, L’Art de l’observateur : vision et modernité au xixe siècle (1990), trad. F. Maurin, Nîmes, J. Chambon, 1994.
22. Voir Michel Butor, « Le point suprême et l’âge d’or à travers quelques romans de Jules Verne » (1949), Essais sur les modernes, Paris, Gallimard, Tel, 1992, p. 69 et suiv. ; Jean Perrot, « La politique des éléments dans l’œuvre de Jules Verne », Modernités de Jules Verne, op. cit., p. 35-54.
23. Le Pays des fourrures. Le Canada de Jules Verne – I, éd. G. Pinson et M. Prévost, Paris, Classiques Garnier, 2020, p. 113.
24. La Jangada, Paris, Le Livre de Poche, 1967, p. 68.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-14328-4
- EAN : 9782406143284
- ISSN : 2105-2689
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14328-4.p.0005
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 16/11/2022
- Périodicité : Trimestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Jules Verne, colloque, rechercher, fiction, postérité.