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Classiques Garnier

Foreword

  • Publication type: Journal article
  • Journal: Revue d'Histoire littéraire de la France
    4 – 2022, 122e année, n° 4
    . varia
  • Author: Scepi (Henri)
  • Abstract: The conventional image of Jules Verne as an entertaining children’s author has gradually been replaced by that of a fully-fledged author whose work was created in collaboration with a publisher concerned with edification and didacticism. While recent criticism has privileged the study of Verne’s fictional universe in relation to the sociopolitical sphere, this dossier, resulting from a symposium, aims to refocus on the novelist’s “vision of the nineteenth century.”
  • Pages: 773 to 780
  • Journal: Journal of French Literary History
  • CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN: 9782406143284
  • ISBN: 978-2-406-14328-4
  • ISSN: 2105-2689
  • DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-14328-4.p.0005
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 11-16-2022
  • Periodicity: Quarterly
  • Language: French
  • Keyword: Jules Verne, symposium, research, fiction, posterity.
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Jules Verne, une vision du xixe siècle

Lensemble des textes réunis ici constituent les actes du colloque « Arts, sciences et techniques : Jules Verne, une vision du xixe siècle », qui sest tenu à la Fondation Singer Polignac les 5, 6 et 7 juillet 2021, à linitiative du CRP19 de la Sorbonne nouvelle.

AVANT-PROPOS

Henri Scepi1

Longtemps considéré comme un auteur imaginatif et récréatif, dont le premier mérite eût été, pour le plus grand émerveillement des jeunes lecteurs de son temps, danticiper un xxe siècle scientifique et technologique, Jules Verne apparaît comme un écrivain lisse et conciliateur, un vulgarisateur appliqué, docile aux idées libérales et républicaines de Jules Hetzel et de Jean Macé, et acceptant dêtre linvention géniale dun éditeur sûr de ses choix et de ses décisions. À lheure où – dans une époque marquée par lessor des individualités artistiques – le talent personnel saffiche et saffirme, parfois au prix de quelques excès, Verne sen remet sagement aux conseils de Pierre-Jules Hetzel, il se résout à entrer dans une espèce de norme – auctoriale et générique – conforme au cahier des charges de la série des Voyages extraordinaires et du Magasin déducation et de récréation qui en est le canal de diffusion régulier2. La relation auteur-éditeur se bâtit, dès 1863, sur le socle dun contrat particulier, qui 774place le romancier sous la direction dune volonté éclairée, censée lui garantir succès commercial et épanouissement personnel3. Typique du second xixe siècle, et de lessor de lédition moderne, le couple Hetzel-Verne doit être approché comme une association équilibrée, profondément complémentaire, solidaire des conditions délaboration, de publication, et de réception des œuvres de lécrivain4. Elle donne à une écriture une part de sa couleur en y imprimant un faisceau de valeurs – esthétiques, morales, idéologiques – qui gouverne sa visée.

Verne est le romancier des synthèses éloquentes et des reformulations mémorables : le genre du roman daventures dans lequel il excelle aussi bien que celui du roman géographique, quil contribue à créer, impose non seulement un code du romanesque – parfois même des recettes et des ficelles – mais aussi une certaine accommodation par rapport à la culture littéraire, scientifique et technique dune époque. Chaque roman de Verne est comme un condensé de roman et de science, dimagination et de description, démotion et de technique. Chaque aventure repose sur les ressorts dune intrigue que favorisent les apports objectifs autant que les potentialités du progrès. Cest là, sans doute, limpulsion première, létincelle motrice qui donne le branle au double mouvement de lécriture et de linvention, et qui commande la colonisation des espaces, la conquête des territoires les plus lointains, les grandes enjambées de laventure5. Fidèle au programme théorique que se propose daccomplir Le Magasin déducation et de récréation – qui est dopérer comme une totalisation des disciplines et des savoirs –, Jules Verne ambitionne certes de décrire « toute la surface de la terre6 », mais il aspire en outre à remodeler quelques-uns des grands profils héroïques qui hantent limaginaire romantique en leur conférant une puissance héritée des nouvelles machines et des nouvelles énergies : Nemo, Robur, Rodolphe de Gortz sont les artistes de lélectricité et des prouesses quelle permet. Les fables des Voyages extraordinaires réinventent autant quelles inventent, et Verne a bien conscience dêtre un écrivain qui 775récrit, lui qui ne cesse de raviver, à lhorizon de ses chantiers, les modèles de Dumas et de Hugo, de Nodier ou de Byron, autant doccasions propices à ces moments de « figuration » où le texte vernien prend un relief réflexif7. Des grilles de lisibilité – démarquées du répertoire de la grande littérature, située par delà le bien et le mal – se voient dès lors adaptées et réajustés à des univers romanesques modestes, pourvoyeurs de conduites et dexemples dignes dêtre suivis8. Cest pourquoi, si elles se proposent bien dinstruire et de distraire tout en exaltant les vertus moyennes conformes à lidéal déducation bourgeoise, ces fictions sapparentent à des cartographies maniables et assimilables, mais néanmoins précieuses et précises ; elles sont le reflet prismatique de la culture étendue dune époque ; elles font valoir, à un moment de la durée, une coupe possible du temps qui donne à percevoir, dans toute leur épaisseur, des formes de sensibilité et des modes dintelligibilité.

À sa manière historien et sociologue, Verne sintéresse moins aux événements saillants et aux doctrines linéaires du progrès (scientifique, technologique ou politique) quaux conditions ordinaires dans lesquelles un siècle sinvestit dans les scénarios de la conquête et les rituels de la réussite (voyages, découvertes géographiques, inventions savantes modifiant la perception des données de lespace et du temps et remodelant les formes usuelles de lexpérience individuelle et collective…). Il scrute les mille et une façons par lesquelles une « histoire du temps » se donne à lire en se projetant dans les situations, les objets et les projets qui dessinent, au revers des faits et des pratiques, comme les lignes de force dune histoire culturelle et laissent affleurer les linéaments dune anthropologie sociale. Fondés sur la notion dexpérience, les romans de Verne sont, dans la plupart des cas, des odyssées de la connaissance, où se déploie une pédagogie du faire et du savoir, vouée le plus souvent à exposer – sinon à expliciter – les règles qui régissent la vie sociale, à partir dune maîtrise raisonnée des passions et des désirs. Les travaux qui ont été nouvellement consacrés – depuis maintenant plus de deux décennies – à lœuvre de Jules Verne attestent quune réorientation marquée – comme un changement doptique – a eu lieu dans lapproche et le traitement du vaste corpus des Voyages extraordinaires. Aux options thématiques et mythologiques – qui ont prévalu dans les années 1970 et 1980, sous limpulsion notamment des travaux pionniers de Simone Vierne ou de lessai capital de Michel Serres9 –, aux questionnements idéologiques qui les ont prolongées, illustrés notamment par Jean Chesneaux10, ont succédé des attitudes critiques 776soucieuses de faire valoir des points de vue centrés plus spécifiquement sur le tissu complexe de relations (de convergence, de contrepoint ou de renversement) que lunivers fictionnel entretient avec la sphère socio-politique au sens large : une dimension historique dabord, incluant dans son champ de résonance interne des propositions et des valeurs venues de léconomie générale du xixe siècle, à commencer bien sûr par lensemble des données démarquées de léconomie restreinte et du monde du travail dans une société déterminée par la massification et lindustrialisation accélérées. Cest bien dans cette perspective attachée à lexamen des « dissymétries » et des « possibles » dune œuvre qui ne « ferme pas » quen 1988 sinscrivait le volume collectif dirigé par Jean Bessière11. Le colloque « Jules Verne, cent ans après », organisé en 2004 à Cerisy, a permis de dégager les lignes de fuite dune réception critique envisagée dans sa généalogie autant que dans sa configuration épistémologique : lhistoire sociale et politique y apparaît comme un moment de ressaisissement des enjeux propres à un romanesque du temps, auscultant les souffles de lépoque et les résonances du siècle12. Limaginaire des sciences se replie sur les usages du quotidien, les savoir-faire de tous et de chacun, ouvrant ainsi le champ de la réflexion à une histoire des expériences et à une économie du sensible. À Robert Pourvoyeur, qui naguère sinterrogeait sur les fondements de la pensée économique de Verne, et qui concluait au faible degré de curiosité du romancier en cette matière, Christophe Reffait fait écho, à distance, en apportant quelques utiles éléments de réponse dans les chapitres éclairants quil consacre à lauteur de LÎle mystérieuse dans son essai sur Les Lois de léconomie13. Si elle ne renonce pas à explorer les dessous initiatiques qui assurent à limaginaire son essor et sa puissance, lentreprise éditoriale de la « Bibliothèque de la Pléiade » a contribué pour sa part à cerner le concert des voix du siècle qui se donnent à entendre dans le roman vernien : voix « du reporter, du chroniqueur, de lhomme en contact avec les foules, les assemblées des meetings, vivant à lheure du télégramme, bientôt du téléphone et de lautomobile14 ». Une telle attention ne va pas sans modifier sensiblement les cadres évaluatifs des fictions elles-mêmes et de leur réception immédiate ou différée, ainsi que latteste par exemple létude approfondie que Sylvie Roques a récemment consacrée à Verne et au monde des spectacles de son temps15.

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Mais cette dimension historique, soutenue par une exigence réaffirmée de contextualisation, ne doit pas minorer la pertinence des interrogations quune situation actuelle est en droit de soulever : la notion même du siècle – que nous employons sans autre forme de procès dans lexpression banalisée « xixe siècle » – dépend du point de vue qui loriente et la détermine ; elle résulte dun présent qui vaut moins comme un fait dépoque constitué que comme une donnée toujours recommencée, toujours retentée, de lexpérience du temps16. Il se pourrait fort ainsi que le xixe siècle – dont le roman vernien nous offre la vision par coupes successives et synthèses combinées – soit également une expérience de cet ordre, décidant dun rapport spécifique au temps, au devenir et au progrès. Et si dans les fictions des Voyages extraordinaires une image du siècle se dégage et soffre à lobservation, cest en tant quelle dessine un réseau de relations ordonnées aux valeurs qui – selon les lignes fédératrices des arts, des sciences et des techniques – organisent laxiologie sociale et individuelle de laction. Si bien quimporte bien plus le type de rapport qui sinstaure entre présent, passé et futur que la figuration de lépoque proprement dite (selon le code du roman historique ou du roman réaliste), même si celle-ci possède sa pertinence contextuelle. Pour le dire autrement, cest à des « régimes dhistoricité17 » que nous exposent les romans de Jules Verne, comme le démontrerait au besoin, et a contrario, le premier roman écrit par Verne, et rejeté par Hetzel, Paris au xxe siècle18 (1860).

Certes, Verne est, comme on le dit couramment, de son temps, de son siècle : siècle de la vapeur et de lélectricité, siècle des inventions techniques et du progrès supposément infini, toutes questions par rapport auxquelles toujours, et non sans humour ni malice, le romancier sait adopter la bonne accommodation, ainsi que lattestent par exemple ces quelques confidences :

Jai vu naître les allumettes phosphoriques, les faux-cols, les manchettes, le papier à lettre, les timbres-poste, le pantalon à jambe libre, le paletot, le gibus, la bottine, le système métrique, les bateaux à vapeur de la Loire, dits « inexplosibles » parce quils sautaient un peu moins que les autres, les omnibus, les chemins de fer, les tramways, le gaz, lélectricité, le télégraphe, le téléphone, le phonographe ! Je suis de la génération comprise entre ces deux génies, Stephenson et Edison19 !

Ces deux bornes délimitent un pan générationnel qui pourrait reconduire au segment du temps historique. Mais le xixe siècle, sil peut toujours se décliner 778en un inventaire de découvertes, en des collections de faits ou des expositions dobjets, est dabord le fruit dune invention, le propre dune vision20.

Largement répandu dans le discours littéraire et le métadiscours critique du xixe siècle, commun à Balzac, Hugo et Baudelaire, le concept de vision voisine avec la notion distincte de vue, laquelle jouxte, sans les recouvrir nécessairement, les formes spontanées ou organisées de lexpérience optique : de la photographie au panorama, en passant par le diorama, la vue est révélatrice dune position particulière du regardeur autant que de la nature du spectacle regardé21. Si la vue prétend offrir du monde observé une espèce dextériorité objective, ou exposante, comme le calque ou lempreinte du réel, en revanche la vision procède par coupe ou raccourci, élongation ou resserrement. Elle engage une part active dimaginaire ; mais sa vertu première est sans doute de révéler une percée modificatrice du regard à travers lépaisseur ou lopacité du temps. Cest pourquoi en elle trois principes se conjuguent : la concentration, laccumulation et laccélération. Trois principes quil est aisé didentifier à la source de la plupart des romans de Jules Verne – de De la Terre à la Lune à La Jangada, en passant par LÎle à hélice – et qui incitent à orienter le propos dans le sens dune dynamique de la matière et dune énergétique de la représentation22.

On comprendra sans mal, dès lors, que les injonctions nombreuses et réitérées invitant à tout montrer, et surtout à tout voir, dans le roman vernien – à dérouler le spectacle du réel comme une carte dépliée ou un ruban panoramique – ressortissent moins à une stricte logique ostensive quà un travail concerté du visible, à une élaboration de la vision. « Il faut tout voir, ou du moins tenter de tout voir », dit Paulina Barnett dans Le Pays des fourrures23. À quoi fait écho la promesse de Yaquita à Cybèle dans La Jangada : « Tu verras des choses que tu nas jamais vues24 ». Ce « voir » est un mouvement ; il ouvre un espace en préparant les voies de la découverte. Dune certaine manière, le geste du xixe siècle sy résume, comme invite à le penser le rituel des expositions universelles – auxquelles Verne a été si attentif – ou comme le donne à percevoir la poésie visionnaire de Hugo à Rimbaud, facilitant le passage du temps des promesses à celui des prodiges.

Cest pourquoi le propos de ce dossier se recentre sur la « vision du xixe siècle » que le romancier rend sensible et invite à dégager. Il prend appui sur la représentation des arts, des sciences et des technologies – selon les formes diverses quelle revêt au gré des fictions et des périodes, selon aussi 779les relations de pouvoir et de domination quelle engendre et les discours dautorité, dinfléchissement critique ou dinsoumission quelle suscite. Mais au-delà de ces aspects, cest sans doute vers un horizon plus ouvert encore que se porte le regard puisque sindique de la sorte la ligne fuyante dune civilisation qui atteint son apogée et qui prévoit, dans une espèce de griserie jamais assouvie, son propre dépassement. Quelle histoire du temps – et quel rapport au temps – ressortent des récits des Voyages extraordinaires ? Quelle logique ordinaire et infra-ordinaire court sur lenvers et parfois à rebours de la grande fable humaine et culturelle dont le roman de Verne décline de façon parfois emphatique les exploits et les excès, les pouvoirs et les limites ?

Cest principalement à ces questions, solidaires à la fois dune histoire des représentations et dune histoire des sociétés, que les contributions réunies dans ce dossier « Arts, sciences et technique : Jules Verne, une vision du xixe siècle » voudraient répondre.

Un premier ensemble darticles sattachent à réinscrire lœuvre de Jules Verne dans lordre des représentations de son temps et empruntent la voie privilégiée de la « traversée » : traversée du temps et de lespace des expositions universelles, comme y invite Marie-Hélène Huet, mais aussi traversée scénique des représentations théâtrales des « mondes verniens » : Sylvie Roques introduit le lecteur dans la machinerie des féeries scientifiques conçues par Jules Verne et examine la savante alliance dimaginaire et de réel, de rêve et de technique, quexigent de tels spectacles. Cest la même logique qui préside aux discours sur la science, conçue moins comme un instrument que comme un objet, quabordent, en un contrepoint délibéré, larticle de Daniel Compère consacré à « lirrespect scientifique » et aux formes de la dérision quil inspire, ainsi que celui de Kevin Even, centré sur les échos dun autre savoir averti des désastres environnementaux que la course au progrès fait immanquablement peser sur lhumanité et la nature. Deux sous-discours donc, menés en parallèle, comme au revers des fictions modernes de lexploitation et du profit. Sans doute sagit-il encore, et par dautres voies, dun travail de neutralisation ou de détournement de la science et de ses pouvoirs que proposent daborder les trois articles qui suivent : celui dabord de Marie-Françoise Melmoux-Montaubin qui invite à une lecture politique dHector Servadac, la fantaisie scientifique du voyage dans le monde lunaire seffaçant devant lévocation du « rêve européen » de Jules Verne – celui dAndrea Masnari ensuite, qui se penche sur Robur-le-Conquérant, relu à la lumière dune hypothèse qui confère à la science et à ses extensions techniques une puissance de domination, écrasante autant qualiénante – enfin larticle de Laurence Sudret, portant sur La Chasse au météore, et plus particulièrement sur la façon dont, sous la plume de Jules Verne, lastronomie y apparaît moins comme un instrument de connaissance que comme le moyen, fantaisiste et occasionnellement bouffon, dune révélation : révélation de la vanité et de la vacuité des hommes – tandis que le même récit, 780repris par Michel Verne, se met en conformité avec une norme de la science dont la positivité est affichée et préservée. Létude que Jean-Michel Gouvard réserve au Château des Carpathes, approché ici sous langle dune tension entre science et légende, entre raison et mythe, révèle toutes les ambiguïtés du discours sur la science dans lœuvre de Verne et porte au jour, dans le même temps, lun des grands partages des savoirs au xixe siècle.

Un deuxième volet sorganise autour de quelques motifs ou mécanismes structurants de la poétique romanesque de Verne : Jacques Noiray se met à lécoute de lorgue de Nemo dont il semploie à retracer lhistoire, à la fois technique et secrète, et à analyser les fonctions variables quil remplit dans le cours de la fiction. Jacques-Remi Dahan revient sur la genèse dAutour de la Lune et examine les raisons qui justifient lhypothèse selon laquelle ce roman et De la Terre à la Lune forment un seul et unique livre, marqué par une « continuité de rédaction ». Reprenant sur nouveaux frais le thème de la catastrophe, souvent invoqué pour caractériser le dernier Verne, Philippe Mustière sattache à réinscrire lœuvre du romancier et son rapport à lépoque dans la perspective des grandes angoisses du siècle et des hantises dystopiques de la fin.

Un troisième et dernier temps rassemble des études et des réflexions qui privilégient les effets de distance réflexive et critique dans lœuvre de Verne. Daniel Sangsue aborde ainsi le genre du « voyage humoristique », quil réinsère dans la continuité dune tradition romantique pour mieux faire valoir son affiliation au modèle du « récit excentrique » ; Henri Scepi sinterroge sur les fonctions ambiguës – entre sérieux et ironie – imparties aux stratégies publicitaires dans certains romans de Verne, toujours prompts à réénoncer pour les mettre à distance les codes et les valeurs de son temps. Bertrand Marquer explore le croisement de lappétit du savoir et de lappétit tout court dans le roman daventures selon Verne, et y décèle les lignes de force idéologiques qui ordonnent un imaginaire dépoque. Christophe Reffait montre quon ne saurait jamais se satisfaire des équilibres et des limites imposés par les sciences dans lœuvre de Verne : une « physiologie burlesque » les déstabilise et les transgresse en engendrant un comique de la science toujours puissamment interrogatif. Jean-Luc Steinmetz sempare de la question de la fin dans les romans de Verne, leurs façons diverses de conclure sans apporter de réponse univoque, le romancier ne souhaitant pas offrir « un récit du monde qui rendrait transparente sa finalité ».

Piero Gondolo della Riva, collectionneur et spécialiste de lœuvre de Jules Verne, réunit enfin dans une courte note personnelle quelques-unes des découvertes que lui ont permis de faire sa grande connaissance du monde de Hetzel et sa fréquentation des héritiers de léditeur.

1. Université Sorbonne-nouvelle (CRP19)

2. Cette docilité conduit Verne à se plier à la clause dexclusivité, comme le rappelle léchange de lettres entre Louis-Jules Hetzel, Pierre-Jules Hetzel et Jules Verne lors de laffaire de la pièce Un Neveu dAmérique ou les deux Frontignac : « […] je ne veux point faire une chose qui vous soit désagréable », déclare Verne à Hetzel (lettre du 10 avril 1873, Correspondance inédite de Jules Verne et de Pierre-Jules Hetzel, éd. O. Dumas, P. Gondolo della Riva et V. Dehs, Genève, Slatkine, 1999, t. 1, p. 193.

3. À propos des textes de La Découverte de la terre, Hetzel écrit à Verne : « (…) je trouve que vous navez pas pris ces récits de façon à leur donner lintérêt des choses ayant vie. Cest de lhistoire racontée sagement, très abrégée […]. Cest bien, ce nest pas mal, cest ce que dautres auraient pu faire, mais ce nest pas absolument de vous ; votre faire, votre main, votre touche, votre personnalité nest plus là » (lettre du 26 mai 1870, ibid., p. 139-140).

4. Sur les relations Hetzel-Verne, voir Simone Vierne, « Hetzel et Jules Verne ou linvention dun auteur », Europe, nov.-déc. 1980, nos 619-620, p. 53-64 ; Masataka Ishibashi, Le projet Verne et le système Hetzel, Amiens, Encrage, 2015 ; William Butcher, Jules Verne inédit : les manuscrits déchiffrés, ÉNS Éditions-Institut dhistoire du livre, 2015, p. 46-56.

5. « Le roman daventure, note Jean-Yves Tadié à propos de Verne, retourne ici à lune des plus vieilles formes romanesques de lhumanité, celle du roman grec, le récit de voyage imaginaire (construit à partir de récits de voyages réels !). Les machines sont la marque de lépoque : comme le navire de Jason, ou de Théagène et Chariclée, elles sont linstrument de lexploration, non le but du récit… » (Le Roman daventures, Paris, Puf, 1982, p. 71).

6. « Vous savez, mon vœu est de dépeindre toute la surface de la terre, cest-à-dire de peindre la terre dans mes romans. Voilà mon plan » (« Jules Verne at home », Pall Mall Gazette, Londres, 10 déc. 1889, repris dans Entretiens avec Jules Verne (1873-1905), éd. D. Compère et J.-P. Picot, Genève, Slatkine, 1998, p. 60).

7. « Jappelle figuration, note Daniel Compère, ces moments où le texte prend distance par rapport à lui-même » (« Le monde est mon miroir », Les Voyages extraordinaires de Jules Verne : de la création à la réception, dir. F. Melmoux-Montaubin et C. Reffait, CERR, Encrage, 2012, p. 27). Voir en outre D. Compère, Jules Verne écrivain, Genève, Droz, 1991.

8. Voir le volume collectif présenté par Alain Schaffner et Christophe Reffait, Jules Verne ou les inventions romanesques, Amiens, Centre dÉtudes du Roman et du Romanesque, Encrage, 2007.

9. Simone Vierne, Jules Verne et le roman initiatique. Contribution à létude de limaginaire, Paris, Éditions du Sirac, 1973 ; Michel Serres, Jouvences sur Jules Verne, Paris, Éditions de Minuit, 1974.

10. Jean Chesneaux, Lecture politique de Jules Verne, Paris, Maspero, 1982.

11. Modernités de Jules Verne, dir. J. Bessière, CERR, Université dAmiens, Puf, 1988, p. 3.

12. Jules Verne cent ans après (actes du colloque de Cerisy, 2-12 août 2004), dir. Jean-Pierre Picot et Christian Robin, Rennes, Terre de Brume, 2005.

13. Christophe Reffait, Les Lois de léconomie selon les romanciers du xixe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2020, p. 348-365 et p. 459-486 ; Robert Pouvoyeur, « Jules Verne économiste », dans F. Raymond et S. Vierne (dir.), Jules Verne (actes du colloque de Cerisy, 11-21 juillet 1978), Paris, U.G.E., « 10/18 », 1979, p. 277-286.

14. Jean-Luc Steinmetz, « Introduction », Jules Verne, Voyages extraordinaires. Les Enfants du Capitaine Grant. Vingt mille lieues sous les mers, éd. J.-L. Steinmetz, M.-H. Huet et H. Scepi, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2012, p. xxxvi.

15. Voir Sylvie Roques, Jules Verne et linvention dun théâtre-monde, Paris, Classiques Garnier, 2018 ; voir également Les Voyages extraordinaires de Jules Verne : de la création à la réception, op. cit.

16. Je renvoie à ce sujet aux réflexions de Philippe Muray dans Le 19e siècle à travers les âges, Paris, Denoël, 1984, p. 311 et suivantes.

17. Voir là-dessus François Hartog, Régimes dhistoricité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil, « Points », 2012, p. 38 : « Formulée à partir de notre contemporain, lhypothèse du régime dhistoricité devrait permettre le déploiement dun questionnement historien sur nos rapports au temps. Historien, en ce sens quil joue sur plusieurs temps, en instaurant un va-et-vient entre le présent et le passé ou, mieux, des passés, éventuellement très éloignés, tant dans le temps que dans lespace. Ce mouvement est sa seule spécificité ».

18. Voir lappréciation de Hetzel, Correspondance inédite, éd. citée, p. 25-26.

19. Jules Verne, Souvenirs denfance et de jeunesse, dans Aventures du Capitaine Hatteras, éd. R. Borderie, Paris, Gallimard, « Folio », 2005, p. 693.

20. Voir Philippe Hamon, Expositions. Littérature et architecture au xixe siècle, Paris, J. Corti, 1989, p. 17.

21. Je renvoie à louvrage de référence de Jonathan Crary, LArt de lobservateur : vision et modernité au xixe siècle (1990), trad. F. Maurin, Nîmes, J. Chambon, 1994.

22. Voir Michel Butor, « Le point suprême et lâge dor à travers quelques romans de Jules Verne » (1949), Essais sur les modernes, Paris, Gallimard, Tel, 1992, p. 69 et suiv. ; Jean Perrot, « La politique des éléments dans lœuvre de Jules Verne », Modernités de Jules Verne, op. cit., p. 35-54.

23. Le Pays des fourrures. Le Canada de Jules Verne – I, éd. G. Pinson et M. Prévost, Paris, Classiques Garnier, 2020, p. 113.

24. La Jangada, Paris, Le Livre de Poche, 1967, p. 68.