Marie-Claire Bancquart
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue d’Histoire littéraire de la France
1 – 2020, 120e année, n° 1. « Petites revues », grande presse et édition à la fin du xixe siècle - Auteur : Préta-de Beaufort (Aude)
- Pages : 243 à 246
- Revue : Revue d'Histoire littéraire de la France
In Memoriam
Marie-Claire Bancquart
Aude Préta de Beaufort
Le 19 février 2019 disparaissait Marie-Claire Bancquart, grande universitaire, critique et poète, Chevalier de la Légion d’Honneur, Commandeur des Palmes académiques, Officier de l’Ordre national du mérite, Chevalier des Arts et Lettres.
Née Chauvet le 21 juillet 1932 à Aubin (Aveyron), issue d’une famille maternelle aveyronnaise et d’une famille paternelle du Nord de la France, elle vivait à Paris, ville à laquelle elle était profondément attachée.
L’expérience de la maladie a été déterminante pour Marie-Claire Bancquart qui y a vu l’origine, tant de son amour des livres et de la littérature, que de son univers poétique.
De cinq à neuf ans, une tuberculose osseuse tient en effet l’enfant immobilisée à l’hôpital dans un corset de plâtre. Une rechute aura lieu à seize ans. Marie-Claire Bancquart confie que si elle n’a pu fréquenter l’école primaire, elle s’est passionnément adonnée à la lecture et que sa longue station allongée a développé chez elle une perception et une sensibilité particulières. Confrontée à la mort et à l’intime étrangeté du corps, elle a été amenée à porter un regard original sur les choses et à se faire attentive aux réalités les plus menues, éprouvant à travers elles le sentiment d’une continuité du vivant. Agnostique après avoir été élevée dans le protestantisme puis le catholicisme, elle refuse aussi l’idée d’une quelconque supériorité de l’homme sur le vivant et cherche à saisir, sans réduire l’énigme et les questions, une forme de partage.
De 1943 à 1950, elle fait ses études secondaires au Lycée Camille-Sée. Elle a quinze-seize ans quand elle commence à écrire de la poésie et des textes en prose.
244En 1950, elle rencontre Alain Bancquart, qui vient d’entrer au Conservatoire de Musique de Paris. C’est le début d’un long parcours commun et d’un intense dialogue des pensées et des œuvres. Les exemples d’un tel compagnonnage amoureux, intellectuel et artistique ne sont pas si nombreux. Une dizaine d’œuvres en collaborations en sera le fruit.
À l’issue de ses classes préparatoires au Lycée Fénelon, Marie-Claire Bancquart est admise en 1952 à l’École Normale Supérieure. Elle obtient l’Agrégation de Lettres classiques en 1955, année de son mariage avec Alain Bancquart, qui, entré au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris en 1952, en classe de violon, et en 1953 en alto, premier prix en 1954, poursuit ses études de musique (musique de chambre, contrepoint et fugue, et composition dans la classe de Darius Milhaud).
Marie-Claire Bancquart choisit de consacrer sa thèse à Anatole France, sous la direction de Marie-Jeanne Durry. Elle est par la suite l’auteur de plusieurs essais de référence sur cet écrivain, dont elle édite l’œuvre chez Gallimard, en quatre volumes, dans la « Bibliothèque de la Pléiade ». Ses travaux s’étendent progressivement à Maupassant, à Paris au tournant du xixe et du xxe siècles, aux Surréalistes, et, de façon remarquable, à la poésie moderne et contemporaine qu’elle aborde tout à la fois avec exigence et grande ouverture d’esprit. Michaux et André Frénaud sont pour elle des poètes de référence. Elle organise à Cerisy-la-Salle un important colloque Frénaud (André Frénaud, la négation exigeante, dir. Marie-Claire Bancquart, Cognac, Le Temps qu’il fait, 2004). Mais ses prédilections ne m’empêchent pas de s’intéresser aux formes poétiques les plus diverses et ses amitiés poétiques, comme celles d’Alain Bancquart en musique, traversent les limites des générations.
Après avoir été maître assistant à l’Université de Clermont-Ferrand, elle est professeur de littérature française successivement aux universités de Brest, Rouen, Créteil, Nanterre, et, à partir de 1984, à la Sorbonne (Paris IV), dont elle devient professeur émérite en 1994. Derrière l’apparence assez intimidante, ses étudiants découvraient un professeur passionné, stimulant et attentif. Certains d’entre eux se souviendront peut-être d’un séminaire de DEA consacré, en 1985-1986, à « L’année 1956 ». Aragon, Butor et Camus y avaient leur place, mais aussi la musique contemporaine. C’est encore pendant qu’elle dirigeait à la Sorbonne le centre de recherche « Poésie, politique et spiritualité » que Marie-Claire Bancquart a coordonné les travaux qui devaient aboutir à l’essai collectif de référence Poésie de langue française, 1945-1960 (Paris, Puf, « Écriture », 1995).
Alain Bancquart, sera, lui, membre puis directeur de l’Orchestre National, inspecteur de la musique au Ministère, producteur de « Perspectives du xxe siècle » à Radio-France, professeur de composition au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, tout en développant sa propre création : savant et musicien, cependant que Marie-Claire Bancquart parvient à mener 245de front une carrière d’universitaire de haut niveau et une œuvre personnelle de premier plan sur laquelle il faut insister.
Paraissent d’abord deux romans, Le Temps immobile, en 1960, et Sève, en 1961, puis un premier recueil de poésie, Mais, en 1967. Il y aura encore six autres romans entre 1981 et 1999, ainsi que des nouvelles en 2007, et surtout vingt-huit recueils de poésie entre 1967 et 2017. Rituel d’emportement, importante anthologie personnelle de poèmes accompagnée d’un long inédit, Qui voyage le soir (Cognac-Sens, Le Temps qu’il fait-Obsidiane, « Les analectes », 2002) réunit les recueils parus depuis Mais en 1967 jusqu’à La Paix saignée, précédé de Contrées du corps natal (Sens, Obsidiane, « Les solitudes », 1999, réed. 2004), en passant par Mémoire d’abolie (Paris, Belfond, 1978), Habiter le sel (Paris, Pierre Dalle Nogare, 1979), Partition (Paris, Belfond, 1981), Votre visage jusqu’à l’os (Paris, Temps Actuels, 1983, Opportunité des oiseaux (Paris, Belfond, 1986), Opéra des limites (Paris, José Corti, 1988), Sans lieu sinon l’attente (Sens, Obsidiane, 1991), Dans le feuilletage de la terre (Paris, Belfond, 1993), Énigmatiques (Sens, Obsidiane, 1995 ; traduit en anglais par Peter Broome, Halifax, Éd. VVV, 2004), La Vie, lieu-dit (Sens-Montréal, Obsidiane-Le Noroît, 1997).
Loin de marquer un achèvement, l’anthologie personnelle de 2002 est suivie de onze recueils jusqu’en 2017 : Anamorphoses (Trois-Rivières, Québec, Écrits des Forges, 2003), Avec la mort, quartier d’orange entre les dents (Sens, Obsidiane, 2005), Verticale du secret (Sens, Obsidiane, 2007), Terre énergumène (Bègles, Le Castor Astral, 2009), Entre marge et présence (Montreuil-sur-Mer, Écrits du Nord-Henry, 2009), Explorer l’incertain (Coaraze, L’Amourier, 2010), Violente Vie (Bègles, Le Castor Astral, 2012), Mots de passe (Bègles, Le Castor Astral, 2014), Qui vient de loin (Bègles, Le Castor Astral, 2016), Tracé du vivant (Paris-Orbey, Arfuyen, 2016), Figures de la terre (après-dire par Jean Portante, Esch-sur-Alzette, Phi, « Graphiti », 2017).
Les ultimes poèmes de Marie-Claire Bancquart, écrits quelques semaines avant sa mort, se trouvent dans la précieuse anthologie préparée fin 2018-début 2019 par Claude Ber avec l’auteur et éditée en juin 2019 par le Castor Astral sous le beau titre Toute minute est première. Un autre ensemble de poèmes de la fin de l’année 2018, réuni avec l’aide d’Alain Bancquart et de Gérard Pfister, doit également paraître, accompagné d’une étude, chez Arfuyen. Enfin, Marie-Claire Bancquart a pu voir la sortie en « Poésie/Gallimard » de Terre énergumène et autres poèmes (Marie-Claire Bancquart, Terre énergumène et autres poèmes, préface d’Aude Préta de Beaufort, 2019). Son entrée dans cette collection rendait enfin justice à l’importance d’un poète salué par des prix nombreux et prestigieux, invité à donner des lectures et des conférences en France et à travers le monde, et dont l’œuvre a fait l’objet de plusieurs études, et notamment d’un colloque international à Cerisy-la-Salle, Marie-Claire Bancquart : l’invention de vivre, dont les actes ont été publiés en 2012 246(dir. Béatrice Bonhomme, Jacques Moulin et Aude Préta de Beaufort, Marie-Claire Bancquart. Dans le feuilletage de la terre, Berne, Peter Lang, 2012). On doit aussi à Jacques Bonnafé un Qui vive ? – Marie-Claire Bancquart sur France Culture, avec quatre lectures, en 2016.
Ce fut une vie dans l’inquiétude et l’amitié du monde sensible. Avec les livres, la poésie… et le musicien, jusqu’au bout.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-10071-3
- EAN : 9782406100713
- ISSN : 2105-2689
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10071-3.p.0243
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 03/02/2020
- Périodicité : Trimestrielle
- Langue : Français