Une interprétation historico-littéraire du Psaume 110 par Jean Masson à l’orée du XVIIIe siècle
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue d’histoire et de philosophie religieuses
2020 – 4, 100e année, n° 4. varia - Auteur : Vincent (Jean Marcel)
- Pages : 487 à 512
- Revue : Revue d'Histoire et de Philosophie religieuses
Une interprétation
historico-littéraire du Psaume 110 par Jean Masson à l’orÉe du XVIIIe siècle
Jean Marcel Vincent
Professeur d’Ancien Testament retraité
Introduction
En 1712, six ans après la mort de Pierre Bayle (1647-1706), paraît à Utrecht le premier tome d’une revue intitulée Histoire critique de la République des Lettres, tant Ancienne que Moderne1 (= Histoire critique ou HCRL). Cette revue, qui n’a connu que quinze tomes (de 1712 à 1718), a été en son temps fort appréciée parce qu’elle offrait des articles originaux et critiques sur divers sujets qui intéressaient les érudits contemporains et contenait des recensions de livres nouveaux ainsi que des “Nouvelles de littérature” par des collaborateurs de Londres, de France, d’Allemagne, des Provinces Unies, etc. Ainsi Gisbert Cuper (1644-1716), érudit et commissaire d’État de la République des Pays-Bas, écrit à son ami Mathurin Veyssière de La Croze (1661-1739), orientaliste à Berlin :
Cette Histoire [Critique] me plaît beaucoup, l’Auteur en est Samuel Masson, frere de Jean, & Ministre à Dort [= Dordrecht] dans l’Eglise Anglicane, leur cousin Germain est Philippe, qui se tient à Utrecht2.
Le fondateur-directeur de cette revue est en effet Samuel Masson, pasteur français réfugié dans les Provinces Unies après la révocation 488de l’édit de Nantes (1685) et devenu ministre d’une église anglicane à Dordrecht de 1700 à sa mort en 1742. Dans l’Avertissement du premier tome (HCLR I, 1712, p. 3), le fondateur-directeur de la revue précise qu’il ne s’agit en aucun cas « de prendre la place de quelqu’un des Journaux, qui viennent de cesser ». Il faut entendre les Nouvelles de la République des Lettres, revue littéraire créée en 1684 par Pierre Bayle, suspendue pendant dix ans (1689-1699) et reprise par le pasteur calviniste Jacques Bernard jusqu’en 17103. Cependant, on retrouve, du moins parmi les collaborateurs de la rubrique “Nouvelles littéraires” dans l’Histoire Critique, des collaborateurs de la revue de Jacques Bernard, tel Pierre Des Maizeaux (1673-1745), fils d’un pasteur huguenot réfugié à Genève, éditeur consciencieux d’œuvres, de lettres et d’une vie de Pierre Bayle, membre de la Société royale de Londres4.
C’est dans les trois premiers volumes de cette Histoire critique qu’a été publiée anonymement une dissertation très développée sur le Psaume 1105. L’anonymat est fort relatif, puisque l’auteur fait, dès la première page de son Essai, une allusion à une Vie d’Horace « par Mr. J. Masson » (p. 42), qu’il juge particulièrement éclairante pour comprendre les œuvres du poète latin. Or, c’est précisément cette méthode d’une interprétation d’un texte poétique par la vie de son auteur que le critique veut employer dans son explication d’un célèbre psaume de David. Jean Masson (né vers 1680, † 1750), frère cadet de Samuel, n’est pas un inconnu de la respublica erudita puisqu’en 1712 il a déjà publié un nombre impressionnant d’ouvrages savants de philologie classique6, mais aussi hébraïque7. Il se présente comme ministre anglican (M. A. ou A. M.) ou ecclesiae anglicanae presbyter, mais dans les années 1710, vu ses voyages, pour des recherches numismatiques, d’Italie à Londres en passant par Genève, Berlin et Utrecht il n’a guère pu avoir la charge d’une paroisse. Dans les années 1711-1715 il était 489en fait engagé par le comte Lord John Hervey (1665-1751), « un des Seigneurs de la Chambre du Prince de Galles » (Masson, 1715b, p. 462), comme tuteur et accompagnateur de son fils ainé Lord Carr Hervey (1691-1723) dans son “Grand Tour” de l’Europe8, avec passage obligé à Hanovre pour y saluer et prêter allégeance à Georg Ludwig, le fils d’Ernst-August de Hanovre qui deviendra en 1714 roi de Grande-Bretagne sous le nom de George Ier.
L’interprétation du Ps 110 par Jean Masson
Le contexte
Le geste subversif de Masson a été d’aborder l’étude de ce psaume9 en faisant abstraction de son usage dans le Nouveau Testament – un geste qui aujourd’hui coule de source, à savoir celui qui consiste à chercher le sens qu’a eu le psaume à l’époque de sa production (selon son contexte historique et son Sitz im Leben), avant d’aborder la question de l’usage qui a été fait de ce psaume et du sens qui lui a été donné (ce qui appartient à la Rezeptionsgeschichte).
Dans la lecture traditionnelle (chrétienne10) du Ps 110, c’est inversement sa réception dans les divers écrits du Nouveau Testament qui conditionne et dicte le sens vrai, premier et unique qu’on estime devoir donner au psaume. Les citations du Ps 110 dans le Nouveau Testament ont pour fonction, d’une part, de mettre en évidence la divinité de Jésus Christ11 qui, son ministère terrestre achevé, s’est « assis à la droite de Dieu12 », d’autre part, de démontrer le remplacement définitif du sacerdoce aaronide centré sur la Loi par le sacerdoce inaliénable de Melkisédek13. Le sens authentique du psaume, celui qui a été inspiré par l’Esprit Saint lui-même, ne 490concerne-t-il alors pas Jésus-Christ ? Sa visée originaire n’est-elle pas l’événement christique ?
Au xviie siècle, chez les protestants, la Bible dite de Calvin ou de Genève fait autorité. Elle résume le contenu du psaume en ces termes :
Prophetie tres excellente touchant la manifestation de Iesus Christ, le Roy & Sacrificateur eternel de l’Eglise, lequel doit à la fin triompher de tous ses ennemis, pour regner à tousiours avec ses eslus14.
Cette exégèse christocentrique du Ps 110 est particulièrement argumentée par Edwards Reynolds15 (1599-1676), André Rivet16 (1572-1651) et Antoine Bynæus17 (1654-1698). Même interprétation globale du psaume chez les catholiques, comme on l’observe de Robert Bellarmin18 (1542-1621) à Augustin Calmet (1672-1757) dans son par ailleurs riche commentaire sur ce psaume :
Le Pere Eternel a dit à son Fils, qui est Seigneur de David, de s’asseoir à sa droite. Il lui parle aprés sa Résurrection, & son Ascension, et il lui donne une parfaite égalité de gloire, & de puissance ; il veut que toute créature fléchisse le genou devant lui19.
Masson avait démontré dans ses études sur les odes d’Horace que pour bien les interpréter il fallait au contraire en cerner « les occasions particulières », celles qui ont conduit à leur conception. Il en va de même, ajoute-t-il, concernant les odes de David. Il est nécessaire de trouver le « sens particulier, qui se rapporte à la circonstance des temps où David et son peuple se trouvoient » (Masson, 1712, p. 46). Ce psaume 110 aurait été écrit la 8e année du règne de David20 (à Juda) (p. 49), après la mort d’Ish-Bosheth, le fils de Saül (2 S 4), lorsqu’il a été établi comme « roi d’Israël » 491(2 S 5), après avoir été désigné sept ans auparavant comme « roi de Juda » (2 S 2,1-7). L’Esprit de Dieu a fait connaître à David sa grandeur future et prochaine. Il compose alors cet hymne « qu’il fit ensuite chanter à Hebron dans une des saintes Assemblées, en sa présence même » (p. 50) – à Hébron, puisque David n’avait pas encore conquis Jérusalem. Comme pour la poésie classique il faut en spécifier le genre poétique. Selon l’essayiste le Ps 110 est de nature dramatique, en l’occurrence deux personnes chantent par antiphonie les quatre premiers versets. Ensuite le chœur se réunit et chante tout d’une voix, en acclamant, les trois derniers versets (p. 50-51) ! Masson note que tant l’expression ledawid en hébreu que tô Dauid en grec peut signifier que le psaume est chanté « pour David », en sa faveur (p. 93). Même si David est l’auteur du psaume, d’autres le déclament puisqu’il s’agit d’un poème dramatique.
L’oracle divin adressé au roi (v. 1)
Plus précisément, une première personne prononce le v. 1 en se tournant vers le peuple à qui il annonce, sous la forme d’un oracle céleste, que le roi de Juda est maintenant devenu roi d’Israël : « Oracle de Yhwh à/concernant mon seigneur (le roi David) : “Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis ton marchepied” ». « S’asseoir à la droite » est une métaphore pour dire « Prends les rênes de mon empire » (p. 63). La dextre indique la protection : « Règne en Israël sous les ailes, sous ma protection, par ma force, &c. » (p. 65-72). « Jusqu’à ce que [‘ad / ‘eôs] » n’est pas à entendre au sens temporel comme c’est le cas en 1 Co 15,25-28, mais au sens final : « afin que, ou pour que, je te rende le maître absolu de tes ennemis » (p. 75). Et Masson de citer un exemple de cet emploi de ‘eôs au sens final chez Homère. Occasion de souligner que le commentaire de Masson regorge de citations d’auteurs classiques ; ce qui implique de nombreuses digressions, et un étalage d’érudition qui peut lasser et dont se moqueront certains lecteurs21, mais qui provient de la profonde conviction de Masson que la philologie classique est d’un grand secours pour l’intelligence de l’Écriture et que « les Auteurs sacrez & profanes très souvent se 492communiquent mutuellement un beau jour » (ibidem). Masson relève judicieusement que les Israélites ont eu connaissance de cet oracle (ne’ûm Yhwh) puisqu’ils disent à David, pour justifier leur choix : « Yhwh t’a dit : “C’est toi qui feras paître Israël, mon peuple…” » (2 S 5,2). D’où la question : comment David a-t-il eu la révélation de cet oracle divin cité en Ps 110,1 ? David n’étant pas prophète, à la mort d’Ish-Bosheth, il a dû consulter l’oracle divin par la voie de l’éphod comme il l’avait fait peu de temps auparavant après que Tsiqlag eut été pillée par des Amalécites. On lit en effet :
[David] dit à Abiathar (le prêtre) : « Apporte-moi l’éphod, je te prie ! » Abiathar apporta l’éphod à David. David interrogea Yhwh : « Si je poursuis cette troupe (de pilleurs) la rattraperai-je ? » Il lui répondit : « Poursuis, tu rattraperas et prendras. » (1 S 30,7-8.)
La promesse faite au roi (v. 2-4)
Verset 2
Une deuxième personne déclame maintenant les v. 2-4 en s’adressant au roi. Le vocabulaire et le sujet changent. Au v. 2, le bâton est le sceptre royal et l’hébreu « le bâton de ta force » ne signifie rien d’autre que « ton puissant sceptre » (Masson, 1713a, p. 16). Au v. 2a le verbe yishlah / exapostelei n’implique nullement que le sceptre sera transféré hors de Sion. Il restera à Sion, mais c’est de Sion que David ira à la conquête victorieuse de ses ennemis et les soumettra. D’où la paraphrase :
L’Eternel, ô Grand Roi ! établira ton throne dans Sion, où les Jébuséens sont à présent ; Ce sera là le siège de ton empire ; C’est là où tu manieras le sceptre ; C’est de là qu’émaneront tes ordres & tes statuts ; C’est de là que tu sortiras, le sceptre à la main, pour dompter tes ennemis, & pour dominer sur eux. (Masson, 1713a, p. 22-23.)
Projet que David exécutera immédiatement après son onction par les anciens d’Israël à Hébron (cf. 2 S 5,6-10).
Verset 3
Le v. 3 pose des problèmes particuliers d’une part à cause de profondes divergences entre l’hébreu et le grec, d’autre part à cause du caractère elliptique à la limite de l’incompréhension tant de l’hébreu que du grec. Masson consacre quarante pages à l’étude de 493ce v. 3 (Masson, 1713a, p. 24-64). Sa traduction du premier segment (hébreu : « ton peuple [est] volontaire » ; grec : « avec toi [est] le principat ») correspond à l’hébreu tel qu’il est traduit par Jérôme (populi tui spontanei erunt) et son interprétation fait sens : « Dieu promet ici à David un Peuple entiérement soumis à ses ordres, tout-à-fait porté & zélé pour ses interêts » (p. 25). D’autres comme Pezron22 (1639-1706) privilégient le grec à cause d’une application plus aisée à la primauté de Christ.
Dans le deuxième segment, l’hébreu (« au jour de ton armée ») et le grec (« au jour de ta puissance ») divergent moins fortement puisque l’hébreu ḥayil signifie tantôt « force, vigueur » tantôt « capacité, valeur » tantôt « armée23 ». Masson a raison de choisir « armée » et de compléter mentalement : « au jour où/lorsque tu assembleras ton armée » (p. 27). L’interprétation classique, c’est-à-dire christologique, d’un Pezron privilégie le grec « au jour de votre puissance ».
Le troisième segment est plus controversé (hébreu : « dans des vêtements/ornements de sainteté (behaderê-qodèsh) » ; grec : « dans les splendeurs des saints » ; Jérôme : « dans les saintes montagnes (in montibus sanctis)24 »). Avec l’appui de l’usage de cette expression en Ex 3,5 (’ademat-qodésh) ; Ps 29,2 (behaderat-qodèsh) et 68,25 (baqqodésh) Masson peut avancer qu’en Ps 110,3 la traduction « le sanctuaire magnifique » est la plus adaptée, la préposition be ayant peut-être le sens de « vers » ou « autour ». Et de montrer avec moult digressions sur d’autres passages de l’Ancien Testament que chez les Grecs comme chez les Romains les armées se rassemblaient aussi autour d’un sanctuaire (Masson, 1713a, p. 33-47). Ici encore le Père Pezron choisissait la Septante : « environné de la splendeur des Saints » – en pensant à des passages comme 1 Th 3,13 (« … à l’avènement de notre Seigneur Jésus avec tous ses saints »).
Le quatrième segment est jusqu’à aujourd’hui une crux interpretum : hébreu mérèhèm mishehar, Septante ek gastros pro heôsphorou (du sein avant l’étoile du matin), Vulgate quasi de vulva orietur. Verdict de Masson :
494Voici un passage si étrangement corrompu & defiguré dans toutes les Versions, qu’il n’est pas possible d’y trouver un sens raisonnable. (Masson, 1713a, p. 48.)
La solution qu’il envisage pour résoudre la difficulté est de lire le reste du v. 3 comme une seule phrase et de conjecturer en tête de l’ensemble le mot tal « la rosée » : « (comme) la rosée (sort) du sein de l’aurore […] ». Ce mot « rosée » se trouve dans le cinquième segment (« pour toi une rosée… »). Masson observe correctement que le style (poétique) hébreu est souvent très abrégé et coupé et qu’il est parfois nécessaire de suppléer un mot ou de le répéter si ce mot attendu se trouve dans la suite de la période (p. 49). Il se serait ensuite aperçu que Louis Cappel, dans ses Critica sacra, p. 358, propose un sens similaire à la phrase hébraïque25. Masson relie donc immédiatement ce quatrième segment au cinquième : hébreu lekâ tal yaledûkâ ; Septante [sans équivalent pour lekâ tal] exegennèsa se (je t’ai engendré26) ; Vulgate : tibi ros adulescentiae tuae. Il traduit : « comme la rosée du sein de l’aurore, ainsi pour toi ou vers toi (vient) la rosée de ta jeunesse. » En comparaison le Père Pezron, en disant se fonder sur la Septante, traduit d’une manière fantaisiste, mais conforme à son interprétation christologique : « car vous êtes le Fils que j’ai engendré de ma propre substance, avant l’aurore, & avant tous les temps » (Pezron, 1691, p. 203) ! Masson entend par rosée « une grande abondance », voire « une vaste multitude » (p. 51). « Ta jeunesse, ton enfance » est une traduction correcte de yaledûkâ (cf. Qo 11,9s). Il s’agit en effet d’un collectif qui peut tout-à-fait signifier les jeunes hommes, ceux qui dans de nombreux passages sont nommés les jeunes guerriers d’Israël (behûrê yisrâ’él) – avec de nombreux exemples dans l’Antiquité (p. 54-62). Bref, le sens du v. 3, si on prend en compte le « stile Asiatique fort enflé & plein d’hyperboles » (p. 53) est finalement limpide :
Ton Peuple sera un Peuple obéïssant et plein de bonne volonté ; sur-tout lorsque tu assembleras ton armée autour du sanctuaire magnifique ; alors la jeunesse de ton Peuple viendra à toi aussi nombreuse, aussi abondante qu’est la rosée, lorsqu’elle sort du sein de l’aurore. (Masson, 1713a, p. 62.)
495Verset 4
Au v. 4 se termine la promesse de la personne ou du groupe qui intervient depuis le v. 2. Masson, qui cherche à offrir une interprétation qui mette entre parenthèses le sens “mystique” donné par le Nouveau Testament, est assez embarrassé par la mention de « prêtre » appliqué à David et par la référence à Malki-Tsédeq. Avant d’expliquer l’introduction solennelle « Yhwh a juré, et il ne se rétractera pas » (Masson, 1713b, p. 163-168), Masson s’attaque directement au sens que peut avoir ici la déclaration « tu es prêtre (’attâ’ kohén) » ainsi qu’au lien qui a pu exister entre fonctions royales et sacerdotales tant dans l’histoire d’Israël que dans le monde gréco-romain (Masson, 1713b, p. 108-144). Le lecteur de 2 Samuel apprend en effet que les fils de David étaient prêtres (2 S 8,18) – dans quel sens ? – et que lors du transfert de l’arche de l’alliance de la maison d’Obed-Edom à Jérusalem, David portait un éphod de lin (une prérogative sacerdotale ?), qu’il offrait des holocaustes et des sacrifices de paix (2 S 6,13.17) et qu’une fois la cérémonie achevée, « il bénit le peuple au nom de Yhwh (v. 18). Certes sans être effectivement “sacrificateur” Moïse est aussi appelé à l’occasion “prêtre” » (cf. Ps 99,6 : « Moïse et Aaron parmi ses prêtres ») alors qu’il est parfaitement clair qu’il n’en est un qu’au sens second de personne qui préside à l’organisation religieuse.
C’est cette piste que Masson choisit dans son exposé. Le terme kohén aurait quatre sens : 1o le sacrificateur, au sens strict, la personne établie pour le culte divin, selon les prescriptions du livre du Lévitique ; 2o le Prince, grand seigneur, c’est à ce titre que les fils de David seraient nommés « prêtres » en 1 S 8,18 ; 3o la « personne pieuse, qui a la Religion & la vertu veritablement à cœur27 » (ainsi clairement en Ex 19,6 : « Quant à vous vous serez pour moi un royaume de prêtres et une nation sainte ») ; et 4o un prince, un roi, pour autant qu’il soit en relation avec la religion. « C’est-à-dire, pour un Prince qui aime la pieté, qui est attaché à la Religion, qui la favorise, qui s’applique à la maintenir & à la rendre florissante ; qui gouverne & regle avec une autorité supréme les affaires qui la regardent » (p. 112). C’est précisément dans ce sens qu’il faudrait 496entendre l’attribution du titre de « prêtre du Dieu Très-Haut » au roi de Salem, le fameux Malki-Tsédeq, en Gn 14,18. « Il etoit si ardent pour le service du Dieu d’Abraham, si attaché à sa Religion, qu’il pouvoit à juste titre être appelé son Sacrificateur » (p. 113). Le fait qu’il implore la bénédiction de Dieu sur Abraham (Gn 14,19s) et qu’il bénisse ce Dieu pour la victoire obtenue par Abraham est l’attitude d’un roi pieux sans que cela fasse de lui un sacrificateur dans la première acception du terme. C’est à un roi, dont il est probablement le sujet ou le vassal, hypothèse de Masson, qu’Abraham apporte la dîme du butin (Gn 14,21). En outre, que le roi de Salem aille à la rencontre du vainqueur avec du pain et du vin est une coutume de l’Orient attestée par de nombreux témoignages dans la littérature biblique et classique28. Bref,
David [en Ps 110] n’étoit pas plus Sacrificateur que Moïse [en Ps 99,6] ni que Melchisedec ; & ils ne peuvent tous trois être ainsi appellez, que parce qu’ils présidoient sur les choses Divines […] (Masson, 1713b, p. 123.)
Ce n’est qu’à l’époque des Maccabées que les fonctions de grand-prêtre et de roi furent effectivement réunies dans la personne de Jonathan. Dans la deuxième ode des Pythiques de Pindare, Cinyras, un roi chypriote à qui l’on attribuait la construction d’un temple d’Aphrodite, est appelé ierea ktilon Aphroditas (« prêtre cher à Aphrodite »). Masson comprend ktilon au sens, assez inhabituel, de « chef, conducteur ». Cinyras serait donc un « prince-sacrificateur », ainsi désigné pour avoir favorisé le culte de la déesse (p. 125-129). Dans la littérature gréco-romaine, le titre de pontifex est un titre d’honneur, comme par exemple chez Ovide :
À ses titres innombrables César [Auguste] a joint le titre de grand pontife (accessit titulis pontaficalis honos), et c’est celui dont il s’enorgueillit davantage ; César, dieu éternel, veille sur le feu éternel, et les deux génies tutélaires de l’empire sont maintenant réunis dans un même sanctuaire. (Ovide, Fastes, III, 419-420.)
L’ajout de le‘ôlâm « à toujours » (p. 144-147) n’implique pas en hébreu une durée infinie, l’éternité, mais plus simplement la durée de la vie 497d’un homme : « tu seras Prince-Sacrificateur toute ta vie ». Même usage là encore dans la poésie gréco-latine (di’ aiôn, aeternum). Le v. 4 se termine par ‘al dibrâtî malkî-tsèdèq. La Septante porte kata tèn taxin Melchisedek (« selon l’ordre de Melchisédek »), traduction retenue dans les citations du psaume dans la Nouveau Testament. Est-ce le sens de l’hébreu ? Hugo Grotius traduit l’hébreu par secundum meam constitutionem, ô rex mi juste29 (« selon ma constitution, ô mon roi juste »), alors que Richard Simon30 note que le yod à la fin de dibrâtî n’est pas le pronom personnel suffixe (mea) mais un yod dit paragogique (qui ne se traduit pas) sur l’état construit de dibrâh, tout en reconnaissant cependant que la traduction de dibrâh par constitutio est correcte31. Masson, qui s’attache à l’hébreu, a sans doute raison de suivre Grotius puisque les Massorètes ont placé un accent disjonctif sur dibrâtî. Il rapproche dibrâh du verbe dâbar au hiphil avec le sens de « placer, ranger » en Ps 18,48 et 47,4 (p. 150). Une hypothèse osée, ingénieuse, dont le lecteur ne perçoit pas vraiment l’avantage puisque que finalement Masson aboutit à une paraphrase qui reste assez proche du sens repéré par Grotius de constitutio : « Tu seras Roi Sacrificateur à toûjours dans la même Station, ou dans le même lieu, dans le même rang dans lequel j’avois autrefois placé & mis Melchisedec ; & tu seras semblable à lui » (p. 151). En clair : de même que Malki-Tsédeq a été roi de Salem, David deviendra dans la même ville et avec la même autorité « roi de Jérusalem ». Suit un long excursus hasardeux sur le passage de Salem (du temps de Melchisédek) à Jérusalem qui signifierait « terrible Salem » (ou « craignez Salem ») en passant par un hypothétique Jebu-salem (la Salem des Jébusites) (p. 151-158). Masson n’a pas tort de remarquer que le grec taxis, s’il ne s’agit pas de classe sacerdotale comme on l’entend dans le Nouveau Testament (par exemple en Lc 1,8), désigne aussi le poste, le rang, la condition, la place d’une personne.
Quant à l’introduction de ce v. 4 (nishba‘ yhwh welo’ yinnaḥém « Le Seigneur l’a juré, il ne se repentira pas ») (p. 163-168), il s’agit d’une accommodation au langage humain pour dire que la décision divine est irrévocable, qu’il n’y aura aucun changement 498dans sa promesse. Concrètement : David règnera toute sa vie sans aucune interruption et Dieu ne le détrônera pas, comme il l’a fait avec Saül. Et l’érudit ici encore de citer de nombreux exemples dans la littérature à commencer par la parole de Zeus à Thétis : « irrévocable et véridique est ma promesse, et rien ne saurait plus l’écarter de son terme32 ». Il insiste sur le fait que « cette belle & magnifique promesse faite à David » au v. 4 « a eu aussi son parfait accomplissement » (p. 167) – dans la vie même du roi, comme en témoigne la piété sincère et solide du roi, son repentir vif et amer, son zèle ardent pour la religion de son Dieu, son constant attachement pour son culte qui alla jusqu’à inventer des instruments de musique pour le service divin (allusion à Am 6,5 : « comme David ils se sont inventé des instruments de musique » et 1 Ch 23,5 : « pour louer Yhwh avec les instruments que j’ai faits pour la louange »).
La prière du chœur (v. 5-7)
Masson consacre beaucoup moins d’espace à l’explication des trois derniers versets (Masson, 1713b, p. 168-197), sans doute parce que leur contenu suscite moins de controverses (ils ne sont pas cités dans le Nouveau Testament33), mais aussi parce que la dissertation occupe déjà un espace disproportionné dans les trois premiers tomes de la revue littéraire. Son interprétation n’en est pas moins également nouvelle, originale. Déjà par le fait qu’il présuppose un changement d’orateurs. Alors que le groupe qui a chanté les v. 2-4 répondait à celui qui déclamait le v. 1 sous le mode antiphonique, c’est maintenant le chœur tout entier qui adresse à Dieu sa prière.
Verset 5
Le début du v. 5 pose un problème : « Le Seigneur (’adonây) est à ta droite ». Le Seigneur désigne-t-il le roi (qui selon le v. 1 est bien assis à la droite de Yhwh) ou, comme on l’entend généralement, à cause de l’-ây final, Dieu ? Dans ce cas il y aurait une inversion des positions. Une minorité des commentateurs (mais non des moindres, Augustin, Tarnovius, Glassius, Coccejus) estime que « Le Seigneur » désigne le roi David. Masson partage ce dernier 499avis et, note, outre la position des personnages, que l’auteur du psaume utilise le tétragramme pour parler de Dieu et non ’adonây (le v. 5a serait une exception) et surtout que c’est le même sujet qui régit les verbes des v. 5 à 7 : écraser des rois, exercer le jugement, écraser le chef d’un vaste pays, boire au torrent et relever la tête. S’il n’y a en effet pas de changement de sujet le dernier verbe « boire » implique clairement qu’il s’agit d’un être humain, à savoir le roi David. Le titre Seigneur (’adon) est réservé à David aux v. 1 et 534. Si le chœur adresse sa prière à Yhwh, ne faudrait-il pas un vocatif, ô Dieu ou ô Yhwh ? À l’appui de divers exemples (ainsi Ps 24,6) Masson défend que ce vocatif, dans les circonstances d’une cérémonie cultuelle, est sous-entendu. Il paraphrase donc : « Le Roi est à ta droite, ô ! Eternel, & par elle il froissera les Rois de la terre » (p. 171) – le verbe « froisser » vient du latin vulgaire frustiare « mettre en pièces ». L’interprétation se tient. Il est aussi tout-à-fait exact que l’usage du temps accompli (mâhats) dans la poésie hébraïque n’exige pas une traduction au passé, et que le présent ou le futur est plus adapté au contexte. Un petit paragraphe est consacré à l’expression beyôm ’appô « au jour de son nez », le siège de la colère, tant dans la Bible que dans la littérature classique35.
Verset 6
Le v. 6 (p. 174-181) ne pose pas de grands problèmes, mais fidèle à sa méthode, Masson cherche à cerner le sens précis des expressions dans le contexte du psaume en ayant recours aux passages parallèles dans les textes littéraires hébraïques et gréco-latins. Ainsi il observe très correctement que yâdîn, dans un contexte guerrier, ne veut pas dire « juger » mais « punir très-sevérement, ou même détruire & exterminer » (p. 174) comme en Gn 15,14 (« je jugerai/punirai la nation dont ils ont été esclaves »). Que le roi (sous l’autorité et avec l’aide de Yhwh) « remplira de cadavres », c’est-à-dire jonchera le champ de bataille de corps morts, laissés sans sépulture, 500fait aussi partie du répertoire martial36. De même que « il froissera/écrasera la tête/le chef d’un vaste pays37 », allusion possible au sort des Ammonites après la prise de Rabba (2 S 12,29-31). Ainsi, « il n’y a rien de difficile dans ces deux versets [v. 5s]. C’est une claire prediction des victoires, des conquêtes futures & prochaines du Roi-Prophéte ; laquelle eut son parfait accomplissement » (p. 181).
Verset 7
« En chemin il boit au torrent : c’est pourquoi il relève la tête » (p. 181-189). On se représente aisément qu’en poursuivant ses ennemis le roi ait besoin de se désaltérer pour retrouver sa vigueur. Masson donne un sens plus violent au texte : David devait « faire un grand carnage de ses ennemis » et « il versera tant de sang […] qu’il en pourra boire comme d’un Ruisseau comme d’un Torrent » (p. 182). Le langage est hyperbolique et il s’agit de figures poétiques, comme on en trouve à la fois dans la Bible et dans la littérature classique. Ainsi en Nb 23, la bénédiction d’Israël par le devin Balaam, entre autres passages :
C’est un peuple qui se lève comme une lionne, il se dresse comme un lion ; il ne se couche pas avant d’avoir dévoré sa proie et bu le sang de ses victimes. (Nb 23,24.)
Leur sang fait fondre les montagnes. (És 34,3.)
Le juste se réjouira, car il a vu la vengeance ; il se lavera les pieds dans le sang des méchants. (Ps 58,11.)
Mais des parallèles se trouvent aussi dans l’antiquité gréco-latine :
Les flots de sang se font un passage à travers la campagne et viennent grossir les ondes amoncelées. […] Enfin se précipitant avec violence dans la mer de Tyrrhène, il fend les eaux par un torrent de sang (sanguine cæruleum Torrenti dividit æquor). (Lucain, Pharsale, II, 200.)
Là Rome ne comptait ses pertes que par le nombre des soldats ; ici, elle compte par le nombre des peuples ; là c’était la mort des citoyens ; ici, c’est la mort d’une nation entière. Au lieu du sang de quelques provinces, Achaïe, Pont, Assyrie, c’est tout le sang des nations qui coule, et celui 501des Romains, se mêlant à ses flots (campisque vetat consistere torrens), les grossit et presse leur cours. (Lucain, Pharsale, VII, 635-637.)
Je lui ferai goûter à mon épée agile. L’Érinye, de carnage assouvie, boira, pur, la troisième gorgée des offrandes sanglantes. (Eschyle, Les Choéphores, 577.)
Le chant du chœur se termine par « à cause de cela il lèvera la tête », un hébraïsme pour dire que « David sera vainqueur & triomphant ; il règnera » (p. 186). Expression fréquente dans les psaumes de David : « Mais toi, Yhwh, […] tu es ma gloire, tu relèves ma tête » (Ps 3,4) ; « Maintenant ma tête s’élève au-dessus de mes ennemis qui m’entouraient » (Ps 27,6).
La conclusion de l’essai
avec une apologie préventive de Masson
L’essai se termine par une citation latine tout-à-fait appropriée d’Horace, à la fin de sa lettre à Numicius (p. 197) :
Vive : vale ; si quid novisti rectius istis,
Candidus imperti : Si non, his utere mecum
« Adieu, porte-toi bien. Si tu as quelques préceptes préférables à ceux-ci
fais-m’en part avec franchise ; sinon, suis mon exemple. »
Seulement l’essayiste a eu vent des critiques qui ont été faites de ces deux premiers articles – son explication est considérée comme « impie » – et il se croit obligé d’insérer dans sa conclusion une vive protestation de son orthodoxie dans un style ou un ton qui peut faire douter le lecteur de son entière sincérité.
Ainsi, alors que, dans la ligne d’un Richard Simon38 ou d’un Jean Le Clerc (1657-1736)39 – malgré leurs divergences –, Masson réclame le droit d’expliquer les textes de l’Ancien Testament d’un point de vue littéraire et historique, ce qui ne va pas sans une 502nécessaire distance critique envers la tradition interprétative qui peut aller jusqu’à son rejet, il se sent obligé de disqualifier avec une véhémence, une violence surprenante l’approche similaire de Pierre Bayle dans le fameux article « David40 ». Bayle y blâme en particulier la manière dont le roi David a réalisé ses conquêtes militaires (p. 928-930). Outre qu’une guerre non défensive, une agression, a quelque chose d’injuste, écrit le philosophe, « il n’y a guere de ruses qu’il n’ait mises en usage contre les Rois infidelles qu’il subjugua » (p. 928). La manière dont il traita les vaincus ammonites (2 S 12,31), moabites (2 S 8,2) et iduméens (1 R 11,15) est révoltante :
Les Turcs & les Tartares n’ont-ils pas un peu plus d’humanité ? Et si une infinité de petits livrets crient tous les jours contre des executions militaires de nôtre tems, dures à la vérité & fort blâmables, mais douces en comparaison de celles de David, que ne diroient aujourd’hui les Auteurs de ces petits livres, s’ils avoient à reprocher les scies, les herses, les fourneaux de David, & la tuerie generale de tous les mâles grands & petits41.
Dans un style contraire à celui qu’emploient d’ordinaire les érudits dans la République des Lettres, Masson porte contre Bayle de lourdes accusations. Il parle de lui comme d’un « homme qui n’etoit animé que de ce malheureux Esprit d’irreligion, qui de nos jours regne si fort dans plusieurs Etats de l’Europe, au grand deshonneur de la Raison & à la honte du nom Chrêtien » (p. 189-190). Il aurait inséré dans son Dictionnaire son article sur David « pour chercher l’occasion de donner quelque nouvel assaut à la Religion » (p. 190). Sur le fond Masson a certes raison de souligner 503que le jugement moral de Bayle sur les actions cruelles de David est en partie anachronique. On ne peut évidemment pas faire de la morale évangélique la règle des actions de David. Masson se sent tout de même obligé de prendre la défense de David (aussi au nom d’une morale “naturelle”) : « ses troupes peuvent avoir commis plusieurs desordres, & exercé diverses crüautez, auxquelles ce Prince n’avoit aucune part » (p. 192) ; certains supplices ne sont pas à comprendre comme on l’entend ordinairement (ainsi concernant les scies), d’autres n’ont rien d’exceptionnels et ont été pratiquées par d’autres nations. Masson et Bayle ont tout de même en commun de chercher à cerner le David historique et d’égratigner le portrait idyllique traditionnel d’un « homme selon le cœur de Dieu » (1 S 13,14). Est-ce bien sage et honnête de se défendre du reproche d’impiété en en accusant Bayle ?
Masson est assuré du bien-fondé de l’explication littérale, critique et historique qu’il a élaborée après beaucoup de recherches42. « Néanmoins », ajoute-t-il p. 193, « je suis aussi pleinement convaincu d’un autre côté, qu’on ne doit jamais se départir du sens Mystique, si clairement fondé sur l’Autorite divine de Jesus-Christ & de ses Apôtres. » Il est clair qu’ici l’essayiste cherche à faire taire ses détracteurs en affirmant qu’il n’y a pas de tension réelle entre le sens littéral et le sens mystique.
Ce divin Esprit avait deux sens, ou deux choses en vuë. 1. De faire parler David suivant l’occurrence des tems où il se trouvoit alors. 2. De lui faire faire en même tems une naïve peinture de ce qui devoit arriver dans les siécles futurs. (P. 194.).
Il va même jusqu’à reconnaître :
Les paroles du premier Verset, par exemple, sont conçuës d’une telle manière, qu’elles paroissent plus litteralement applicables à Jesus-Christ, qu’à David. (P. 194.)
La même chose se doit dire du quatriéme Verset. Cohen, Prince pieux, &. doit être appliqué à David : Mais Cohen, réellement & veritablement Sacrificateur, n’est appliquable qu’à Jesus-Christ, à cause de son veritable Sacerdoce. (P. 195.)
504De sorte que pour le sens mystique Masson renvoie « à l’explication claire, judicieuse, & sçavante » d’un Bynæus, d’un Rivet ou d’un Reynolds (voir plus haut) qui est pourtant foncièrement incompatible avec son approche puisqu’il ne s’agit nullement pour ces « personnes doctes & pieuses » d’un sens mystique qui s’ajouterait à un sens historique. L’appel à un « sens mystique » cherche maladroitement à enfumer les contradicteurs, dirait-on aujourd’hui, car l’érudit Masson n’ignore pas que dans l’histoire de l’exégèse le « sens mystique » s’entend par rapport au « sens littéral » non par rapport au sens historique43. Les interprètes cités parlent d’ailleurs plutôt de sens spirituel, le sens voulu par l’Esprit saint qui a dicté les paroles.
Autre élément de défense : Masson aurait été encouragé à publier cette dissertation par le Baron Ézéchiel Spanheim (1629-1710) lui-même – en 1702-1710 en service diplomatique à Londres –, un érudit éminent et apprécié de la République des lettres connu pourtant pour avoir exprimé (avec courtoisie) sa perplexité concernant la méthode historique pratiquée par Richard Simon dans son Histoire critique44. Un ami de l’auteur aurait montré au Baron une courte « Analyse de son explication littérale » qu’il n’aurait pas désapprouvée. Spanheim l’aurait même exhorté « à continuer sur ce pied-là » (p. 196-197). Dernier élément apologétique qui pourrait avoir été emprunté aux écrits d’un Père Pezron ou d’un pasteur Reynolds : Masson se dit persuadé que sa méthode « est la voye la plus courte & la plus sûre pour ramener les Juifs, & pour mettre les anciennes Prophéties à couvert des atteintes des Impies & des Esprits Forts » (p. 197). Là encore une remarque malhabile qui suscitera l’ironie des adversaires, puisqu’en rapportant le Ps 110 à la royauté de David il prend en quelque sorte la défense de l’interprétation juive d’un David Kimchi.
505La désapprobation des lecteurs contemporains
L’approche du Ps 110 par Masson est, en son temps, si subversive et étonnante, qu’elle a suscité une désapprobation quasi générale45, comme cela se laisse aisément illustrer côté catholique par une recension dans le Journal de Trévoux, côté ecclésial protestant par la condamnation des synodes wallon et hollandais, côté respublica erudita par Gisbert Cuper, côté exégétique par le déboulonnage en règle de la dissertation par le pasteur David Martin.
Le Journal de Trévoux d’avril 1713 rend compte de la dissertation de Masson sur le Ps 11046. Le critique anonyme (en fait le directeur du Journal, le Père jésuite René-Joseph Tournemine47 1661-1739) est sans appel :
S’il est un Pseaume prophetique, c’est ce Pseaume : nôtre Auteur cependant se donne la torture, répand l’érudition à pleines mains, hazarde des conjectures les moins soutenables, pour le réduire à un sens historique. (P. 647.)
En particulier le nouvel interprète entend « sieds à ma droite » comme un ordre donné à David de monter sur le trône d’Israël sous la protection de Dieu, alors que le sens véritable est « l’égalité [du Fils] avec Dieu ».
On voit assez que l’Interprete inconnu [il faut entendre « anonyme » car le recenseur connaissait sans doute ses écrits], qui veut paroître Chrétien, doit être embarrassé de l’autorité de Jesus-Christ. (P. 649.)
Dans quelles absurditez ne se jette-t’on point quand on veut favoriser l’impieté ? (P. 650.)
506Deux pasteurs ont dénoncé la dissertation sur le Ps 110 en mai 1713 au Synode réformé de Bois-le-Duc, mais les Synodaux ne l’ayant pas lue, l’examen en a été reporté en septembre 1713 à Breda. Devant la « hardiesse si criminelle, qui tend à sapper les fondemens de la Religion Chrétienne » en attribuant à David (et non à Christ) tout ce qui est dit dans ce psaume, la Compagnie des pasteurs a déclaré qu’elle regarde ladite explication « comme impie, & tout à fait contraire à la Révélation, & aux déclarations expresses de J. Christ, & de ses Apostres48 ». L’auteur anonyme n’étant plus membre de la Compagnie wallone des pasteurs49 – il est devenu ministre anglican –, il ne peut être question de discipline ecclésiastique50. Des pasteurs de la Compagnie wallone ont ensuite dénoncé la dissertation auprès de leurs collèges hollandais lors d’un Synode qui s’est tenu à Gorcum en juillet 1714. Ce Synode ne pouvait faire plus que de déclarer impie cet écrit « licencieux » et souhaiter « qu’il ne continue plus à être débité51 ».
Dans sa lettre du 22 novembre 1713 à Veyssière de La Croze (citée plus haut), Cuper ajoute :
Il y a assurément dans ce Journal beaucoup de scavoir, mais beaucoup de gens n’approuvent pas tout ce qu’on y a mis, l’explication du Pseaume CX. fait beaucoup de bruit ; & quant à moi je n’y puis trouver David en aucune maniere, & je suis bien fortement persuadé après un mûr examen, que le Prophète n’y parle que du Messie tout seul, où de notre Seigneur Jesus Christ ; & je n’approuve pas ce qu’il avance de Melchisedec, qui n’a pas offert des Sacrifices à Dieu, mais qu’il est appellé Sacrificateur, à cause qu’il étoit un Roi juste, ayant soin du culte du vrai Dieu ; car il me semble que le type ne répond pas […] à l’Antitype, & que nécessairement Melchisedec a dû sacrifier, par ce que Jesus Christ a offert son divin corps sur la croix, comme sur un Autel à Dieu pour nos pechez. / Je ne dirai rien des autres explications, dont il y en a bien de forçées, mais j’y ajouterai, que Melchisedec est à cette heure-ci à la mode, & que deux Ministres d’Amsterdam s’emploient à illustrer. L’un s’appelle Van den Hoonart, l’autre d’Outrain, tous deux bien sçavants & versez dans la Belle Litérature52.
507David Martin53 (1631-1721), pasteur de l’église wallone d’Utrecht et exégète de référence dans les églises réformées, ne consacre pas moins de 378 pages pour démonter et contredire jusqu’aux moindres détails la dissertation de Jean Masson : Le Vrai sens du Pseaume CX54. Lorsque Martin, qui est savant, signale des inexactitudes dans telle ou telle citation d’un texte classique ou biblique ou remet en question des hypothèses de Masson sur la base d’arguments philologiques, historiques ou géographiques (par exemple sur l’identification de Salem avec Jérusalem ou sur la double fonction royale et sacerdotale dans l’Antiquité), ses remarques et objections méritent réflexion. Mais lorsque, pour justifier la condamnation d’impiété portée par le Synode wallon contre Masson – et c’est là le gros du livre, avec beaucoup de répétitions inutiles –, il s’attaque au projet même d’une approche littéraire et historique du Ps 110, Martin verse dans le libelle diffamatoire. De fait le pasteur d’Utrecht part d’une conception préconçue sur le sens que doit avoir le psaume qui rend inutile et interdit toute recherche de type littéraire et historique. Il connaît « le vrai sens » du Ps 110 :
[David] ne regarde le Messie que comme son Roi & son Seigneur, tout Roi pourtant qu’il étoit lui-même, & quoi que le Messie dût être son fils55.
Et « ce qui acheve de mettre le comble à l’exposition que nous venons de voir », écrit-il, est que ce sens si évident est confirmé par les citations du Nouveau Testament56 ! Il ne perçoit pas qu’en réalité ce sont ces citations (et la tradition interprétative) qui ont conditionné sa lecture du psaume.
On comprend qu’un dialogue constructif entre Masson et les tenants de l’interprétation christologique du Ps 110 est d’emblée voué à l’échec. Sa recherche d’une situation historique où le psaume faisait sens pour les contemporains de David, ses hypothèses (car il est vrai que l’historien quitte le domaine du dogme intangible) 508sur la vie de David, en particulier sur son accession au trône57, ses recherches comparatives avec la littérature gréco-latine (Masson ne pouvait évidemment pas avoir encore accès à la littérature et à l’iconographie égyptiennes et mésopotamiennes), son effort pour déterminer le genre littéraire du psaume et le style hébraïque, tout ce qui fait de Masson un pionnier dans l’histoire de l’exégèse historico-critique, tout cela est perçu comme perte de temps et recherche de sa propre gloire58.
Conclusion
Les réponses de Masson à ses critiques ne nous apprennent rien de plus sur sa compréhension littérale et historique du Ps 110. Elles font l’apologie, une apologie malhabile, nous l’avons déjà suggéré, de son orthodoxie en pourfendant les dénonciateurs de sa dissertation aux Synodes wallon et hollandais59 et en cherchant à prouver que les 509Réformateurs ont préconisé un double sens historique et mystique60, ce qui prête à des malentendus et qui ne fait guère avancer la question herméneutique importante sur le rapport entre le sens historique et littéral d’un texte de la Bible hébraïque et sa réception, au regard de l’événement christique, dans la littérature néotestamentaire. Ceci dit, la méthode historico-littéraire pionnière de Jean Masson représente assurément un jalon important dans l’histoire de l’exégèse de l’Ancien Testament et du Ps 110 en particulier.
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1 Cf. Samuel Masson, 1712-1718. Sur cette revue voir récemment Drouin, 2017.
2 Cuper, 1742, lettre xliv à Mr. La Croze du 22 novembre 1713, p. 143.
3 Elle sera reprise par le pasteur Bernard de janvier 1716 à juin 1718.
4 Samuel Masson écrit à Des Maizeaux en 1712 : « La méthode que vous avez suivie ci-devant, dans les Journaux de Mr. Bernard a ete trop bonne, pour n’être pas du gout de tous ceux qui aiment les Lettres. Ainsi je n’ai garde d’en choisir d’autre ; outre que je ne suis pas assez vain pour me croire en état de vous rien prescrire la-dessus. » Cité par Almagor, 1989, p. 80. Sur Des Maizeaux et l’Histoire Critique, cf. ibid., p. 79-153.
5 Cf. Masson, 1712, 1713a, 1713b.
6 En particulier sur les traditions concernant le temple de Janus à Rome (Masson, 1700), sur la vie et l’œuvre d’Ovide (Masson, 1708a), d’Horace (Masson, 1708b), et de Pline le Jeune (Masson, 1709).
7 En collaboration avec Bernhard de Marolles, cf. Masson – Marolles, 1705.
8 En font foi le journal de J. Hervey (Hervey, 1894a), ainsi que sa correspondance (Hervey, 1894b), avec plusieurs lettres adressées à Jean Masson. En 1715 Carr Hervey entra au service du prince de Galles.
9 La numérotation des psaumes diverge selon les versions. Le Ps 110 de la Bible hébraïque correspond au Ps 109 dans la Septante et la Vulgate.
10 Ce n’est évidemment pas le cas dans la lecture rabbinique du Ps 110 que Masson n’ignore pas. Il reconnaît au contraire que les « Commentateurs Juifs […] sont ordinairement d’assès bons guides pour le sens litteral » (Masson, 1712, p. 72).
11 Ainsi l’usage de Ps 110,1 en Mc 12,35-37// ; Ac 2,34s ; He 1,13.
12 Cf. Mc 14,62// ; 16,19 ; He 8,1 ; 10,12 ; 12,2 ; etc.
13 Ainsi le rôle de Ps 110,4 en He 7.
14 Cf. Bible, 1647. N’oublions pas que dans les cultes des églises réformées les psaumes étaient chantés. La versification du Ps cx par Clément Marot présuppose cette compréhension du texte et dicte aussi la lecture du psaume.
15 Cf. Reynolds, 1642, avec de multiples rééditions encore un bestseller dans les milieux fondamentalistes.
16 Cf. Rivet, 1645, p. 575-652.
17 Cf. Bynæus, 1692.
18 Cf. Bellarmin, 1675, p. 833, résume ainsi l’argument du psaume : « Hic Psalmus celeberrimus est, tum magnitudine mysteriorum, tum obscuritate sententiarum. Sed quamuis excæcati Iudæi multa fabulentur, tamen apud Christianos nulla dubitatio est, quin hic Psalmus de Christi Regno, & sacerdotio intelligatur, ita explicante Spiritu sancto in multis locis sanctarum Scripturarum, Matth. 22. Act. 2. 1 Corinth. 15. ad Hebr. 1.5.7. & 10. »
19 Calmet, 1734, p. 398, en résumé de Ps 110,1.
20 Masson est féru de chronologie comme en font foi ses diverses publications.
21 Chaudon, 1822 [1766], p. 257, estime que « Masson écrivait en pédant » et que « L’auteur du Mathanasius l’a eu en vue dans plusieurs de ses remarques ». Chrisostôme Mathanasius = Thémiseul de Saint-Hyacinthe = Hyacinthe Cordonnier (1684-1746), est l’auteur d’une satire des doctes de son temps qui a connu un franc succès : Le chef-d’œuvre d’un Inconnu, 1714. Cf. Gaillard, 1998, et Bessire, 2008, avec une abondante bibliographie.
22 Cf. Pezron, 1691, p. 202-207 sur le Ps 110, v. 3-4.
23 Il est vrai que la racine ḥayil s’emploie aussi pour les douleurs de la femme qui accouche, de sorte qu’on pourrait comprendre « au jour de ton enfantement / de ta naissance », mais cette possibilité n’est pas exploitée par les commentaires avant le xxe siècle.
24 Au lieu de la racine behaderê « dans les splendeurs de » certains manuscrits hébreux lisent en effet beharereî « dans les montagnes de ».
25 En réalité Cappel, 1650, p. 358, aboutit au même résultat sans reprendre le mot rosée (tal) au début : « in delectu quem facies militum tuorum, iuuenes tui electi subolescent veluti & subnascentur tibi eâ copiâ & multitudine, quâ roris guttulæ manè apparent vnius noctis spatio quasi prognatæ, & veluti ex auroræ vulua proseminatæ. »
26 La Septante a lu un verbe : yeladtîkâ « je t’ai enfanté ».
27 Masson, 1713b, p. 109. Et de citer, entre autres, Diodore de Sicile, II, 47, qui loue le zèle des Hyperboréens pour le culte d’Apollon : « sans cesse ils chantoient ses loüanges & lui rendoient leurs hommages, de sorte qu’ils etoient regardez comme ses sacrificateurs » (p. 111-112).
28 Josèphe dans les Antiquités juives, I, 180-181, écrit concernant le nom Malki-Tsédeq : « Ce nom signifie “roi juste” ; telle était aussi sa réputation, et c’est pour cette raison qu’il était devenu prêtre de Dieu […] Melchisédech, donc, traita avec hospitalité l’armée d’Abraham, pourvut abondamment à tous leurs besoins et pendant le festin, il se mit à faire l’éloge d’Abraham et à louer Dieu d’avoir livré ses ennemis entre ses mains. »
29 Cf. Grotius, 1644, ad locum, I, p. 484.
30 Cf. Simon, 1685, p. 230-231.
31 Pourtant le substantif divrâh (à la différence de dâvâr) est rare et son sens assez flou. Il ne se rencontre, en dehors de Ps 110,4, que quatre fois : Jb 5,8 (« ma cause, mon affaire juridique »), Qo 3,18 ; 7,14 ; 8,2, trois fois dans le sens de « à cause de, eu égard à ».
32 Homère, Iliade, I, vers 526.
33 Certains cependant, qui présupposent une lecture messianique, voient mal l’application au Christ et estiment que « [le] texte [est] obscur et [la] traduction incertaine jusqu’à la fin » (ainsi encore la NBS) !
34 Je ne lis pas chez Masson d’explication sur la terminaison -ây, réservé normalement au qeré du tétragramme. Il faudrait conjecturer « mon seigneur (roi) » comme au v. 1 (’adonî), ce qui préserve le texte consonantique.
35 Ainsi dans l’Amphitryon de Plaute, IV, 3, vers 40 : Vetu’st adagium : Fames et mora Bilem in nasum conciunt (« il y a un vieux proverbe qui dit que la faim et l’impatience provoquent le nez/la colère »).
36 Cf. És 34,3 : « Les victimes sont jetées, leurs cadavres exhalent leur puanteur », et Euripide, Les Troyennes, vers 1082ss : « Cher et malheureux époux, ton corps, privé de sépulture et des ablutions funèbres (athaptos anudros), erre sans asile ».
37 La Septante porte : « il brisera les têtes sur la terre à un grand nombre/en grand nombre ».
38 Cf. Twining, 2018, et Fleyfel, 2008.
39 Ainsi Le Clerc, 1697, II, p. 538, explicite la règle de la critique historique dans son Ars Critica : « ut quidquid habet exigerem ad severas Historiae leges & veri immutabilem normam » ; plus développé dans la quatrième édition, 1712, II, p. 396 : « Omnium Scriptorum libri expendi possunt & debent ad regulas Artis, quam privatim profitentur, legésque rectæ Rationis, quibus homines omnes, sine ullo gentium ac sæculorum, quibus vivimus, discrimine tenemur. (Les livres de tous les écrivains peuvent et doivent être appréciés en fonction des règles de l’Art, que nous reconnaissons à titre privé, et des lois de la droite raison, qui nous régissent tous, nous les humains, sans aucune différence, quelles que soient les nations et les époques dans lesquelles nous vivons.) »
40 Cf. Bayle, 1697, II, p. 923-932 Sur cet article, cf. entre autres Rex, 1962 ; de Robert, 1999, et plus globalement Bost, 2006.
41 Bayle, 1697, II, p. 928. Il ajoute, p. 929s : « Ceux qui trouveront étrange que je dise mon sentiment sur quelques actions de David, comparées avec la Morale naturelle, sont priez de considerer trois choses. 1. Qu’ils sont eux-mêmes obligez de confesser que la conduite de ce Prince envers Urie est un des plus grands crimes qu’on puisse commettre […] 2. […] Si l’Ecriture en raportant une action la blâme ou la louë, il n’est permis à personne d’apeller de ce jugement […] les faits sur lesquels j’ai avancé mon petit avis, sont raportez dans l’Histoire sainte, sans l’attâche du Saint Esprit, sans aucun caractere d’aprobation. 3. Qu’on feroit un très-grand tort aux lois éternelles, & par consequent à la vraye Religion, si on donnoit lieu aux profanes de nous objecter, que dès qu’un homme a eu part aux inspirations de Dieu, nous regardons sa conduite comme la regle des mœurs ; de sorte que nous n’oserions condamner les actions du monde les plus opposées aux notions d’équité, quand c’est lui qui les a commises. »
42 Le nombre d’auteurs convoqués dans les notes est tout-à-fait impressionnant. Des traductions et des commentaires du psaume dans toutes les langues disponibles, ainsi que des ouvrages généraux sur les mœurs et coutumes de l’Antiquité, ont été consultés.
43 Ainsi dans l’interprétation traditionnelle du Cantique des Cantiques le sens littéral serait proprement « monstrueux » puisqu’il faudrait admettre que se trouvent dans les Saintes Écritures des chants érotiques. La lettre inspirée certes par l’Esprit renvoie au seul sens mystique ou spirituel.
44 Comme nous l’apprend Simon lui-même, 1687, p. 5. Spannheim « prétend que c’est exposer ces Livres à la même destinée que les Ouvrages profanes, en ne reconnoissant aucun effet de la providence divine dans leur conservation ; qu’on les fait dependre des regles de la Critique, de la même maniere que les Livres d’Homere & d’Aristote, & qu’ainsi on les reduit à ne pouvoir faire de preuves solides en matiere de Religion ». L’argument se retrouve dans les critiques de la dissertation de Masson sur le Ps 110. Sur la controverse entre Spanheim et Simon cf. Danneberg, 2003.
45 Avec deux exceptions. Jacques Lenfant (1661-1728), pasteur renommé à Berlin, historien, se prononce sur la nécessité de rechercher le sens littéral des prophéties : « il n’y a aucune Prophétie de l’Ancien Testament qui n’ait dû avoir un accomplissement Litteral ; & que si on ne l’apperçoit pas dans quelques-unes, c’est la faute de l’Histoire […] Dieu étant le Chef de la Republique d’Israël, il est naturel de penser, que tout ce qu’il disoit […] avoit un rapport direct & immédiat à cette Republique. » (Lenfant, 1714, p. 43-44.) Alphonse des Vignolles (1649-1744), membre de l’Académie des sciences de Berlin, ami de Leibniz, partagé entre les recherches historiques et les charges pastorales à Berlin-Köpenick, appuie qu’il n’y a pas de prophétie « qui ne doive avoir un sens Litteral, qui se rapporte au tems même que la prophétie désigne […]. » (Des Vignolles, 1714, p. 51.)
46 Cf. Tournemine, 1713, p. 646-651.
47 Dont on disait, selon Voltaire : « C’est notre père Tournemine / Qui croit tout ce qu’il imagine ».
48 Cité par David Martin, 1715, p. 19-20.
49 Le Synode wallon avait accepté Jean Masson comme proposant, première étape qui conduit au ministère pastoral.
50 Masson proteste contre cette accusation d’impiété dans un « Avertissement » à la fin du tome II de l’Histoire critique, HCRL, dans sa deuxième édition de 1714, 6 pages non paginées.
51 Cité par Martin, 1715, p. 111.
52 Cuper, 1742, lettre xliv à Mr. La Croze, p. 143. Le premier de ces ministres est Van den Honert (1635-1740), cf. Van den Honert, 1712 (sur Malki-Tsédeq) et 1714 (un ouvrage de 864 pages sur le Ps 110). Le second est Johan d’Outrein (1662-1722), cf. Outrein, 1713 – recension dans Le Journal des Sçavans pour l’année 1714, p. 51-54. Johann Jakob Quandt, 1735, présente les controverses de son temps sur le personnage de Melchisedek. La position de Masson y est exposée § V, p. 8-12.
53 Martin avait publié en 1707 à Amsterdam (chez Henri Desbordes, Pierre Mortier & Pierre Bruel) une traduction de La Sainte Bible, etc. en deux volumes. Cf. Calvet, 2010, avec une riche bibliographie.
54 Cf. Martin, 1715.
55 Ibid., p. 3.
56 Ibid., p. 5-6.
57 Cette piste apparaît aujourd’hui encore comme la plus solide pour interpréter le psaume, en lien avec la traduction du v. 1 proposée par Masson : « Oracle de Yhwh à mon maître : “Siège (comme roi) à ma droite” ». Sur l’état actuel de la recherche voir par exemple Corley, 2007. Il va sans dire qu’il reste encore bien des aspects controversés dans l’exégèse du psaume.
58 Ainsi Martin, 1715, p. 3 de la Préface : « La grande profusion de Litterature jettée comme à tas dans cette Dissertation, sans qu’il en réjaillisse la moindre lumiere sur le sens du Pseaume, ne marque que trop le génie de ces Litterateurs ambitieux, qui veulent que leur savoir se montre par tout, & qui ne croiroient pas qu’un Ouvrage fût digne d’eux, si les citations des Auteurs Grecs et Latins n’y étoient à chaque page enchassés, comme de riches pierreries. […] une érudition, qui comme un torrent débordé ramasse & entraîne tout ce qui se trouve sur son chemin, est fort fatigante, & donne moins l’idée d’un véritable Savant, que d’un homme qui veut le paroitre. »
59 Cf. Masson, 1715b. Il demande à ses lecteurs de considérer si la conduite de M. Martin et des rapporteurs au Synode « ne péche point contre les devoirs attachez à leur vocation, les devoirs de la justice, de la charité, &c. & si cette indifference [à l’égard de la justice et de la charité] ne donne point de prise aux ennemis de la Religion en général, & de la Reformation en particulier. » C’est presque la fin de cette controverse, mais Masson y reviendra une dernière fois dans une recension de la traduction de la Bible par le Maître de Saci. On y trouve une pique contre le synode wallon qui a « condamné comme impie une Explication Litterale d’un Pseaume, jointe avec une interpretation Mystique & Prophetique » (Masson, 1717, p. 323). Une « extravagance » contraire aux Réformateurs ! Il fait l’éloge de la traduction de Lemaistre de Saci, alors que celle de Martin est pleine de fautes contre l’original.
60 Cf. Masson, 1714a, 1714b, 1715a, 1715b.
- Thème CLIL : 4046 -- RELIGION -- Christianisme -- Théologie
- ISBN : 978-2-406-11279-2
- EAN : 9782406112792
- ISSN : 2269-479X
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-11279-2.p.0025
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 21/12/2020
- Périodicité : Trimestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Jean Masson (circa 1680-1750), Ps 110, histoire de l’exégèse biblique au début du XVIIIe siècle, revue Histoire critique de la République des Lettres (1712-1718)