Revue des livres
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuses
2019 – 4, 99e année, n° 4. varia - Auteurs : Grappe (Christian), Hunziker-Rodewald (Régine), Gerber (Daniel), Arnold (Matthieu)
- Pages : 543 à 589
- Revue : Revue d'Histoire et de Philosophie religieuses
REVUE DES LIVRES
SCIENCES BIBLIQUES
Généralités
Jesper Høgenhaven, Jesper Tang Nielsen, Heike Omerzu (éd.), Rewriting and Reception in and of the Bible, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament » 396, 2018, ix + 411 pages, ISBN 978-3-16-155006-5, 159 €.
Volume édité en hommage à Mogens Müller, Professeur d’exégèse du Nouveau Testament à la Faculté de Théologie de l’Université de Copenhague, à l’occasion de son départ à la retraite, l’ouvrage rassemble dix-huit contributions et se consacre à un thème, la réécriture et la réception dans et de la Bible, qui constitue un des principaux champs de recherche du récipiendaire.
Il se divise en deux grandes parties qui illustrent chacune l’une des deux facettes du titre.
Il est tout d’abord question de la réécriture et de la réception dans la Bible, celle-ci prenant en l’occurrence des contours assez vastes puisqu’elle peut inclure les documentations qumranienne et samaritaine. J. Høgenhaven se penche sur 4QCommentaire de la Genèse A (4Q252) et y trouve un exemple fort intéressant où se conjuguent deux phénomènes, à savoir réécriture et réception d’un texte conçu comme revêtant une autorité que l’on pourrait qualifier de canonique, si ce n’était un anachronisme, le but étant de rendre ce texte plus à même de parler dans des circonstances nouvelles. I. Hjelm s’intéresse à la réception de la prophétie relative à la venue d’un prophète comme Moïse dans la Bible hébraïque (Dt 18,15), dans les sources samaritaines et dans le Nouveau Testament. Th. Thompson explore, sous l’angle d’une rhétorique de réitération, les passages 544de la Bible hébraïque, incluant la vigne de Noé, le chant de la vigne d’És 5,1-7, et même la vigne de Naboth, qui peuvent, selon lui, évoquer le jardin d’Éden. S. Kreuzer étudie les citations du Nouveau Testament et propose d’y voir, dans bien des cas, le témoin le plus ancien dont nous puissions disposer du texte de l’Ancient Testament grec. M. Labahn analyse le logion relatif à la reine du Midi et à son intervention à charge contre « cette génération » lors du Jugement et y voit un exemple symptomatique de la manière dont la source Q s’emploie à construire une identité pour ses lecteurs judéo-chrétiens qui se séparent de leurs frères juifs. T. Engberg-Pedersen propose que l’auteur du quatrième évangile se réapproprie le secret messianique de Marc pour faire valoir que l’identité du Jésus johannique en tant que Fils de Dieu doit demeurer incomprise jusqu’à la résurrection, à partir de laquelle l’Esprit fournit la clé de compréhension. J. T. Nielsen reprend à son compte la thèse de M. Müller, selon laquelle les évangiles relèveraient du genre littéraire de la bible réécrite, mais maintient, contrairement à ce dernier, l’antériorité de Luc par rapport à Jean. F. Paulsen s’intéresse à la réception d’Ésaïe en Luc-Actes et la comprend comme étant très globale, tant le temps de Jésus que celui des apôtres et de la mission universelle étant conçus comme l’accomplissement des prophéties isaïennes. M. Meiser étudie la façon dont Paul, en Galates, reçoit la compréhension de la Loi que l’on trouve dans la Septante pour promouvoir le commandement d’amour dans la vie des croyants.
La deuxième partie traite, quant à elle, de la réécriture et de la réception de la Bible. M. Karrer se penche sur la réception de l’Ancien Testament dans l’Apocalypse, plus particulièrement à partir des variantes que l’on peut observer quant aux références qui y sont faites, et ces variantes lui paraissent refléter un processus de réception aussi complexe que, malheureusement, négligé. H. Omerzu se demande si l’Évangile de Pierre peut être conçu comme un évangile réécrit et s’il n’est pas plus opportun de raisonner en termes de stratégie d’interprétation. T. B. Halvgaard étudie la réception du Logos johannique dans un écrit gnostique, la Prôtennoia Trimorphe, et y discerne une réception positive même si elle doit ultimement conduire au silence. F. Watson réexamine la controverse relative au véritable Évangile opposant Tertullien et Marcion et fait valoir que, contrairement à ce que postule Tertullien en affirmant que les quatre évangiles constituent une sorte de donné de base et d’origine, l’Évangile restait encore, aux deux premiers 545siècles, une entité anonyme qui pouvait être réécrite de différentes manières. Th. Hoffmann s’emploie à réhabiliter la réécriture de textes bibliques qu’opère le Coran en déployant des stratégies rhétoriques pour faire de figures prophétiques des modèles pour et de Muhammad. J. Strange s’intéresse à la façon dont des œuvres picturales ont pu, à travers les siècles, contribuer, de manière souvent originale et forte, au processus de réception et de réécriture de la Bible. Ch. Peterson s’emploie à montrer combien, au temps de Zinzendorf, la lecture et la prédication du Nouveau Testament ont façonné la production et la compréhension du genre et des relations sociales au sein des communautés moraves. H. Moxnes met en évidence la manière dont, dans la seconde moitié du xixe siècle, le philosophe suédois Pontus Wikner a compris le Christ comme l’ami idéal avec lequel il convient de nouer une relation personnelle et romantique. G. Buch-Hansen propose des réflexions exégétiques à partir du cas de réfugiés afghans convertis et de leur compréhension de l’Évangile au sein de l’Église luthérienne danoise aujourd’hui.
Un ensemble très riche, soigneusement édité et pourvu de deux index, des sources et des auteurs modernes cités.
Christian Grappe
Ancien Testament
Graham Davies, Robert Gordon (éd.), Studies on the Language and Literature of the Bible. Selected Works of J.A. Emerton, Leiden – Boston, Brill, coll. « Supplements to Vetus Testamentum » 165, 2015, xiii + 717 pages, ISBN 978-90-04-28340-4, 233 €.
Ce fort volume, qui comprend 48 articles publiés entre 1955 et 2005 par le regretté John A. Emerton, Professeur d’hébreu à l’Université de Cambridge de 1968 à 1995, a paru quelques mois seulement avant son décès. Les deux éditeurs sont d’anciens étudiants devenus plus tard ses collègues. Le spectre des intérêts et des compétences d’Emerton était large, ses travaux ayant porté non seulement sur la langue hébraïque mais aussi sur les textes bibliques, la philologie sémitique, l’épigraphie, la critique du Pentateuque et d’autres questions centrales en sciences bibliques, ce que reflète ce recueil, qui reprend les articles dans leur teneur originale.
546Ces derniers sont respectivement regroupés sous les chefs de la lexicographie et de la grammaire, de la critique textuelle de l’Ancien Testament, de l’épigraphie hébraïque et nord-ouest sémitique, des questions relatives à l’Ancien Testament, au Nouveau Testament et au christianisme ancien et, finalement, de la biographie de l’A. et de l’histoire de la recherche. Parmi les sujets qu’abordent les articles réunis dans ce recueil figurent : le Sheol, la locution « fils de Belial », l’expression imagée « fouler l’arc », la notion de Shibboleth, la montagne de Dieu en Ps 68,16, la date du décès de Terah, le Léviathan, les inscriptions de Kuntillet ʽAjrud, l’inscription ammonite de Tell Siran, Asherah, l’image du Fils de l’Homme, Juda et Tamar, la date de rédaction du Yahwiste.
L’article que John Emerton a publié en 1999 sur la découverte de l’inscription paléo-hébraïque « Yhwh et son A/asherah » dans un Khan au Negev, entre Gaza et Eilat, est révélateur de la rigueur scientifique du chercheur : cependant que « Yhwh et son asherah » est conforme aux usages connus de l’hébreu, « Yhwh et son Asherah » n’a pas d’analogie en hébreu biblique ; aux yeux de l’A., s’il n’est pas impossible qu’une inscription contienne un idiome non attesté dans la Bible hébraïque, la préférence doit cependant être donnée à une interprétation compatible avec l’hébreu biblique. Une telle option n’a depuis lors jamais été remise en question.
Il faut remercier les éditeurs d’avoir permis que certains articles de ce grand savant paraissent à nouveau.
Régine Hunziker-Rodewald
Gwanghyun D. Choi, Decoding Canaanite Pottery Paintings from the Late Bronze Age and Iron Age I. Classification and Analysis of Decorative Motifs and Design Structures – Statistics, Distribution Patterns – Cultural and Socio-Political Implications, Fribourg, Academic Press / Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, coll. « Orbis Biblicus et Orientalis. Series Archaeologica » 37, 2016, x + 272 pages, ISBN 978-3-7278-1804-2, 140 €.
Ce volume est la version révisée d’une thèse de doctorat soutenue en 2008 à l’Université hébraïque de Jérusalem sous la direction de Yosef Garfinkel, qui y dirige l’Institut d’archéologie et mène plusieurs projets de fouilles en Israël, entre autres à Khirbet Qeiyafa (Âge du Fer IIA).
547L’A. a analysé plus de 3000 pièces de peinture sur céramique, figurative, abstraite et géométrique, qui remontent au Bronze Récent (1500-1200 avant notre ère) et de l’Âge du Fer I (1200-1000 avant notre ère), période qu’il appelle « cananéenne », désignant par là, de manière traditionnelle, l’époque de la suprématie égyptienne. Ce matériau, dont une partie est inédite, n’a jamais été étudié à fond. Usant d’une approche statistique, l’A. élabore un système de classification typologique des motifs et des structures du dessin, en les situant dans le temps et l’espace. Tenant que cette iconographie est codée, il établit des codes de classification des motifs (sur 8 pages en grand format) et s’emploie, conformément au titre de l’ouvrage, à les décoder dans le but de reconstituer le « mind-set » des artisans et des utilisateurs des peintures sur céramique. Doutant cependant (à juste titre, selon nous) de la possibilité de déterminer toujours la valeur symbolique de ces assemblages de motifs spécifiques, il se propose de fournir une évaluation historico-culturelle de ces peintures dans le contexte sociopolitique qui était le leur entre le xve et le xie siècle avant notre ère.
Après avoir exposé sa méthode (chap. 1), l’A. fournit, dans le chapitre principal de l’ouvrage (chap. 2, 130 pages), un catalogue commenté élaboré à partir d’une typologie des motifs isolés ou combinés ; de nombreux dessins, qui pour la plupart sont repris de publications existantes, illustrent l’inventaire des motifs. Les chapitres suivants s’emploient à expliquer la structure des peintures (chap. 3, 40 pages), à les situer dans l’espace et le temps, à grand renfort de tableaux et de diagrammes (chap. 4, 22 pages), et à proposer des explications relatives à leurs soubassements culturels et socio-politiques (chap. 5, 6 pages). Le livre se clôt sur une brève conclusion (d’une page et demie), une bibliographie et un index des codes de classification.
La valeur principale de ce bel ouvrage tient à l’excellence de la typologie des motifs et des combinaisons de dessins qui y est établie. Des faiblesses sont cependant à déplorer, qui touchent surtout à l’interprétation du matériau iconographique étudié. Si les explications de l’A. concernant le remplacement de la plus ancienne céramique bichrome par la céramique cananéenne à la suite de la disparition des élites militaires locales au début de la domination égyptienne du Levant à partir du xve siècle avant notre ère sont assez convaincantes, les idées qu’il avance à propos de la signification symbolique et religieuse des motifs naturels le sont 548beaucoup moins. En traitant le motif « décoratif » de « l’arbre de la vie », sa très longue histoire et son lien supposé avec la déesse-mère Ashera/Elat/Astarte, le « désir religieux de fertilité » dont il tient qu’il était celui des producteurs et des utilisateurs de cette céramique peinte, un « culte de bénédiction » censé garantir la survie, l’A. oscille constamment entre prudence et rigueur scientifique d’une part, hypothèses et généralisations de l’autre.
En dépit de ces faiblesses, le livre offre une excellente présentation des céramiques peintes à l’époque considérée et peut servir d’ouvrage de référence et de source d’inspiration pour des recherches ultérieures.
Régine Hunziker-Rodewald
Klaus Bieberstein, A Brief History of Jerusalem. From the Earliest Settlement to the Destruction of the City in AD 70, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, coll. « Abhandlungen des Deutschen Palästina-Vereins » 47, 2017, x + 181 pages, ISBN 978-3-447-10782-2, 48 €.
L’A., professeur d’Ancien Testament à l’Université de Bamberg (Allemagne), présente dans ce livre la traduction anglaise, légèrement augmentée, d’un article qu’il a publié en 2016 au sujet de Jérusalem sur le site WiBiLex (Wissenschaftliches Bibellexikon), en libre accès sur Internet.
La présentation adoptée dans ce petit ouvrage se ressent de son origine : si l’on soustrait les index et la bibliographie du nombre total de pages (dont la typographie est des plus aérées), on arrive au nombre de 134, dont il faut encore défalquer quelque vingt pages occupées par des photographies et des dessins, chacun couvrant une demi-page, voire une page pleine, pour obtenir le nombre exact de pages proprement dévolues au texte.
Les notes de bas de page consistent uniquement en des références, certaines n’indiquant pas même les pages des textes auxquels un renvoi est fait ; on y chercherait en vain la discussion de travaux antérieurs.
Les sept chapitres du livre (dont le quatrième, portant sur les premières traces d’habitat à Jérusalem, ne compte que sept lignes) sont subdivisés en de nombreux sous-chapitres, certains se réduisant à deux ou trois phrases à peine.
549Dans la préface, l’A. annonce une révision de la vision d’ensemble communément adoptée de l’histoire de la construction de Jérusalem, en particulier de la période qui va de l’Âge du Bronze à l’époque perse, fondée sur les recherches menées par des chercheurs qui proviennent majoritairement de l’Université de Tel Aviv et qu’il cite abondamment dans les conclusions de chaque sous-chapitre. De fait, ce livre constitue un résumé (donc une répétition) de travaux entrepris par des tiers, à commencer par Israel Finkelstein : le lecteur soucieux de prendre connaissance de la fine argumentation que ce dernier déploie en faveur de la thèse selon laquelle Jérusalem n’est devenue une ville de quelque importance qu’à partir du viiie siècle avant notre ère aura meilleur temps de consulter directement ses travaux. L’A. avait, dans sa préface, annoncé une discussion critique de la position d’autres chercheurs : elle n’a jamais lieu. Le volume s’achève abruptement, sans qu’aucune conclusion d’ensemble ne soit fournie, avec un sous-chapitre consacré à la révolte juive qui se clôt sur une référence à Flavius Josèphe, placée entre parenthèses.
Ce petit livre, dont la facture et la concision font un ouvrage utile au grand public, ne contient aucun résultat que les chercheurs ne connaissent déjà.
Régine Hunziker-Rodewald
Stephanie Lynn Budin, Jean MacIntosh Turfa (éd.), Women in Antiquity. Real Women Across the Ancient World,London – New York, Routledge, coll. « Rewriting Antiquity »,2016, xxxvi + 1074 pages, ISBN 978-1-138-80836-2, 212 €.
Dirigé par une historienne de l’Université de Pennsylvania et une archéologue du Bryn Mawr College, ce volume aux dimensions impressionnantes comprend 74 contributions dues à des spécialistes de renommée internationale qui ont été invités à étudier la vie réelle des femmes dans l’Antiquité, par-delà les motifs littéraires et les fictions inventés par des hommes pour d’autres hommes. Les éditrices faisant remarquer que l’Antiquité ne s’est pas réduite à la Grèce et à Rome, neuf des dix parties que comporte l’ouvrage sont consacrées aux cultures de la Mésopotamie, de l’Égypte, de Chypre, du Levant, de l’Anatolie, de l’Égée et de l’Italie, mais aussi à celles des mondes ibérique, celte et scandinave, pour ne citer qu’eux.
550Chaque chapitre est introduit par de courtes mais utiles remarques générales qui brossent l’histoire de la région concernée et fournissent quelques indications relatives à la datation des données archéologiques exploitées. Les recherches des contributeurs portent sur la vie quotidienne des femmes, leurs expériences en tant que mères et femmes au foyer, prostituées et entrepreneuses, guerrières et gladiateurs, esclaves et princesses, prêtresses et participantes à des cultes et des rituels, pour ne mentionner que quelques sujets abordés par les contributeurs de ce précieux volume, hommes et femmes, dont les travaux s’inscrivent majoritairement dans les champs de l’histoire et de l’archéologie, rarement dans celui des sciences religieuses. La partie consacrée au sud du Levant ancien comprend des articles sur la vie des femmes en Canaan (J. Ebeling, auteur de Women’s Lives in Biblical Times, 2010), en Israël (C. Meyers, auteur de Rediscovering Eve, 2013) et en Philistie (A. Yasur-Landau, auteur de The Philistines and Aegean Migration in the Late Bronze Age, 2010).
Les éditrices entendent innover, dans la mesure où l’ouvrage contient également des contributions sur la vie des femmes étrusques et nuraghes (Sardaigne) et de celles ayant appartenu aux tribus italiennes en Apulie. Bien des recherches attendent encore d’être menées dans ce domaine, en particulier pour ce qui touche à l’activité et au rôle social des femmes en Europe, plusieurs sépultures étant à l’heure actuelle en cours d’excavation.
Ce volume, remarquable par sa valeur scientifique, est rehaussé par des photographies, des dessins, des cartes, des bibliographies et des index qui en facilitent la consultation.
Régine Hunziker-Rodewald
Judaïsme
John C. Reeves, Annette Yoshiko Reed, Enoch from Antiquity to the Middle Ages. Volume I :Sources from Judaism, Christianity, and Islam, Oxford, Oxford University Press, 2018, vii + 403 pages, ISBN 978-0-19-871841-3, £ 125.
L’ouvrage qui nous est proposé est le premier volet d’un diptyque et aussi le premier fruit d’une recherche entamée il y a vingt-cinq ans pour reconstituer la bibliothèque hénochique, cela, d’une part, 551en rassemblant les nombreuses citations ou références faites à des ouvrages attribués au patriarche antédiluvien dans les sources juives (1 Hénoch ; le Livre des Géants ; 2 Hénoch ; 3 Hénoch), chrétiennes (Vision d’Hénoch le juste) et musulmanes allant globalement du iiie siècle avant notre ère jusqu’au xive siècle de notre ère et, d’autre part, en analysant et en ordonnant ces sources de manière à faire apparaître l’ampleur de cette littérature et de sa réception. Il ne se limite pas à la documentation qui mentionne explicitement des livres hénochiques, se penchant également sur celle qui atteste une connaissance des motifs attachés à cette littérature dès le judaïsme du Second Temple et quelque peu au-delà. Sont ainsi pris en compte : au sein de la littérature juive, outre les écrits pseudépigraphes attribués à Hénoch, les données relatives au patriarche que l’on peut recueillir dans la littérature apocryphe, dans les manuscrits de la mer Morte, dans des midrashim… ; du côté chrétien, le Nouveau Testament, la littérature apocryphe, la bibliothèque de Nag Hammadi, les écrits des Pères de l’Église, les chroniques du Syncelle et de Michel le Syrien… ; du côté musulman, outre le Coran et son commentaire, le tafsīr, les histoires des prophètes (Qisas al-anbiyâ’), des textes ésotériques (comme le Umm al-Kitāb), la chronique de Ṭabarī… où l’on rencontre l’avatar d’Hénoch, Idrīs.
Dans ce premier volume sont passées en revue, au fil des sept chapitres, les traditions textuelles afférentes à la trajectoire narrative de la figure d’Hénoch : 1. les épithètes associées à son nom (le « Septième » ; le « Juste » ; « scribe de justice » ; « Messie du Seigneur », appellation attestée dans la recension orientale de la Caverne des Trésors) ; 2. son apport à la culture, à savoir ce qu’il est censé avoir découvert, appris, enseigné et écrit (pourvoyeur de la connaissance des étoiles, du mode de calcul adéquat du calendrier et des arcanes cosmologiques ; inventeur de l’écriture ou contributeur de la culture du livre ; expert en mercerie et en couture ; spécialiste des poids et mesures) ; 3. les rôles qui lui sont attribués au sein de la société humaine (maître d’enseignement ; prophète ; autorité en matière de religion et de pratiques religieuses ; législateur ; ainsi que, à un degré nettement moindre, bâtisseur, guerrier, légataire de son père Yared, ermite, ou encore apprenti sorcier ou ordonnateur de funérailles) ; 4. ses interactions avec le monde céleste (confident et apprenti des anges ; détenteur d’un pouvoir comparable à celui des anges ; témoin à charge contre les Veilleurs ; médiateur entre les anges célestes et les anges déchus ; personnage en relation avec 552l’ange du soleil ; sa rencontre, dans un pan de la tradition, avec l’ange de la mort) ; 5. sa destinée (il est emporté vivant au jardin d’Éden ou jusqu’aux extrémités orientales de la terre ; il est emporté vivant au ciel ou au paradis ; il est élevé au quatrième, au sixième ou au septième ciel ; il fait office, là, de témoin ou de secrétaire ; il administre les réservoirs ou les trésors célestes ; il est le chef des anges ; il revient à la fin des temps avec Élie) ; 6. son association ou son assimilation à d’autres personnages (l’ange Metatron ; l’Hermès/Thoth gréco-égyptien ; Idrīs ; Hoshang ; Adam, dont il est alors conçu comme la réincarnation ; le héros mésopotamien du déluge Utnapishtim, même si cela demeure hypothétique) : 7. la faveur dont ont joui ou non les livres hénochiques dans les milieux qui les ont lus, et qui les ont évalués de manière neutre ou positive ou, au contraire, de façon négative.
Dans chaque chapitre et dans chaque section, les textes topiques sont reproduits en langue originale, traduits, présentés et mis en perspective, ce qui fait que ce livre constitue une mine de renseignements aussi riche que bien ordonnée.
Une très abondante bibliographie et six index complètent l’ouvrage dont on pourra simplement regretter qu’il ne soit pas doté d’une table des matières plus détaillée, qui aurait permis au lecteur de se retrouver plus facilement dans cette somme du plus grand prix.
Christian Grappe
James H. Charlesworth, Daniel A. Machiela (éd.), The Dead Sea Scrolls. Hebrew, Aramaic, and Greek Texts with English Translations. Volume 8A :Genesis Apocryphon and Related Documents, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « The Princeton Theological Seminary Dead Sea Scrolls Project », 2018, xxvii + 354 pages, ISBN 978-3-16-156644-8, 189 €.
Avec le présent volume se poursuit la publication des manuscrits de la mer Morte dans une collection qui en est désormais à son huitième tome sur les douze prévus (pour le précédent volume, voir RHPR 92, 2012, p. 502-503).
L’attention se concentre sur l’Apocryphe de la Genèse(1Q20), dont l’édition et la traduction abondamment annotées occupent près de la moitié de l’ouvrage. Cette édition est elle-même, comme toutes 553les autres d’ailleurs, effectuée à frais nouveaux, Daniel Machiela révisant celle qu’il avait proposée auparavant en 2009, cela en s’appuyant notamment sur les suggestions de Moshe Bernstein et sur les remarques critiques de Takamitsu Muraoka dans une longue recension de cette édition de 2009. Le parti pris de présenter le document colonne par colonne et ligne par ligne en respectant toujours un espace minimum entre les lignes, même quand celles-ci n’ont pas été conservées, peut donner lieu à une présentation très aérée, le maximum étant atteint aux pages 70 et 71 où l’on ne trouve que les indications des lignes 12 à 37 de la colonne 9, malheureusement toutes perdues. Cela étant, pour toutes les lignes conservées, une acribie exceptionnelle est déployée, et l’annotation proposée inclut une discussion des options de déchiffrement différentes de celles adoptées par des éditeurs antérieurs, ce qui est tout particulièrement précieux.
S’ajoute l’édition de manuscrits, souvent extrêmement lacunaires, qui traitent ou font état de personnages, d’institutions ou de dispositions mentionnés dans la Genèse ou, plus largement, dans le Pentateuque (ainsi, 6Q22, un fragment dont le seul mot quasi complet est précisément le nom de Moïse). Parmi ces documents, nous mentionnerons ici : 3Q14, fragment 8, texte qui ne comporte que deux mots complets, mais qui pourrait être un vestige d’une copie de 1Q20 ; un Apocryphe de Joseph (Mas 1045-1350, 1375), texte retrouvé à Masada mais inclus dans la collection dès lors que l’hypothèse ici retenue, et fort vraisemblable, est que les manuscrits retrouvés à Masada y auraient été apportés par des Qumrâniens en fuite après la débâcle de la Première Guerre juive ; l’Apocryphe des fils de Jacob(5Q25) ; le Livre de Noé (1Q19a) ; la Naissance de Noé (4Q534-536), écrit partiellement conservé en trois exemplaires qui se recoupent si bien qu’une édition séparée de chacun des trois manuscrits est proposée avant qu’un texte composite ne soit présenté.
Pour chaque document, la minutie apportée au travail d’édition s’avère exemplaire et les notices introductives éminemment utiles.
On remerciera donc les éditeurs pour le travail, parfois ingrat mais toujours parfaitement rigoureux, qui a été le leur dans une collection qui s’impose comme un outil de référence pour quiconque travaille sur les manuscrits de la mer Morte.
Christian Grappe
554Kristen Marie Hartvigsen, Aseneth’s Transformation, Berlin – Boston, De Gruyter, coll. « Deuterocanonical and Cognate Literature Studies » 24, 2018, xii + 246 pages, ISBN 978-3-11-036337-1, 79,95 €.
L’A. se propose d’envisager ici non pas la question complexe du milieu que pourrait refléter le roman de Joseph et Aséneth, mais, à partir d’une triple perspective, la façon dont est dépeinte sur le plan littéraire la transformation profonde que connaît Aséneth. Il s’agit pour elle d’analyser : 1. comment la rencontre d’Aséneth avec Joseph et la transformation qui s’ensuit affectent différents aspects de son identité ; 2. comment les descriptions d’Aséneth, de son évolution et de sa demeure se rapportent à des métaphores et à d’autres traits et fonctions symboliques attestés dans la Septante, la Bible hébraïque et la littérature intertestamentaire, et comment ces interrelations ont pu être interprétées par les lecteurs ; 3. comment les composants rituels à travers lesquels se produit la transformation d’Aséneth fonctionnent dans le récit et pourquoi ils sont perçus comme étant efficaces.
Pour parvenir à ses fins, elle met en œuvre des approches résolument contemporaines : la théorie de l’intersectionalité, qui met en lumière différents éléments constitutifs de l’identité d’un personnage et la façon dont ils sont corrélés, le but étant ici de mettre en relation l’identité initiale d’Aséneth en tant que fille d’un prêtre égyptien polythéiste, la transformation qui s’opère de facettes de cette identité et sa nouvelle identité en tant que femme juive adoratrice du Dieu vivant et épouse de Joseph ; la théorie du mélange conceptuel et celle du mélange intertextuel, qui permettent de s’intéresser en l’occurrence à la manière dont les mélanges conceptuels, comme les métaphores et autres symboles tirés de la Septante ou de la Bible hébraïque, peuvent influencer les lecteurs dans leur interprétation du portrait littéraire d’Aséneth ; la théorie cognitive des rituels et de leur efficacité, qui rend compte de leur pouvoir de transformation.
L’étude fait apparaître que, dès lors que les récits fictifs génèrent souvent un effet de vraisemblance en dépeignant des personnages de manière similaire à des gens qui vivent dans le monde extérieur au texte, des composants de l’identité d’Aséneth ont pu être analysés d’une façon analogue à ceux d’une personne vivant dans le monde réel. Sur le plan de l’intersectionalité, la transformation subie par Aséneth est à comprendre comme un changement d’appartenance 555ethnique. Son attitude initiale de femme resplendissante et sûre d’elle-même ne correspond en aucune manière à l’humble rôle qu’assignent au genre féminin Joseph et le narrateur. Sa repentance lui permet d’intégrer des valeurs juives et de se soumettre au protagoniste mâle. Sur le plan du mélange conceptuel et intertextuel, la plupart des rôles associés au portrait d’Aséneth dans le roman peuvent être lus en fonction d’images présentes dans la Bible. Elle se transforme, dans le roman, de femme égyptienne adorant ses dieux en femme juive qui bénit le Dieu vivant, pour fournir une cité de refuge, un paradis (ou un jardin d’Éden) et un lieu de repos aux nations, à ceux qui se repentent et aux fils du Dieu vivant qui, par la consommation du rayon de miel céleste, deviennent des anges ou des justes menant, sur terre, de manière anticipée, une existence céleste. Enfin, sur le plan de la théorie cognitive des rituels et de leur efficacité, l’A. considère que les actions rituelles dépeintes dans le roman ne correspondent pas à des rites qui auraient existé dans le monde extérieur au texte et qu’elles ont été modifiées par rapport à des modèles réels pour incarner les coutumes en tension des personnages égyptiens et juifs. L’onction et l’ingestion d’aliments spécifiques (pain, vin, miel) auraient ainsi vocation à montrer que c’est l’essence même d’Aséneth qui se trouve ultimement transformée.
L’ensemble apparaît cohérent et atteint pleinement le but, limité mais tout à fait légitime, qu’il s’assigne avec méthode et clarté, tout en rendant bien compte des transformations qui s’opèrent au fil du récit et de leur enjeu.
Christian Grappe
Nouveau Testament
Ulrich Luz, Theologische Aufsätze,Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament » 414, 2018, xi + 516 pages, ISBN 978-3-16-156523-6, 159 €.
L’ouvrage regroupe vingt-deux contributions que l’A., décédé au mois d’octobre, a publiées entre 1974 et 2017 – parmi lesquelles dix-sept sont postérieures à l’an 2000 – et quatre textes demeurés inédits jusque-là. Deux de ces contributions font l’objet d’une reprise 556importante, voire d’une refonte complète de la part de l’A., qui s’en explique dans l’introduction dont il a tenu à pourvoir chacune des cinq grandes parties du volume.
Sont d’abord regroupées quatre études dévolues à la théologie du Nouveau Testament, dont la première, « La théologie de la croix comme centre de la théologie de Nouveau Testament ? » (1974), pourra illustrer tout l’intérêt de la démarche adoptée. Avec beaucoup de simplicité et d’humilité, l’A. précise d’emblée qu’il a été amené à reprendre totalement cette étude dès lors qu’il a évolué lui-même dans son positionnement et dans sa lecture des textes : pour lui désormais, la théologie de la croix ne peut plus être conçue comme le centre du Nouveau Testament mais comme un témoignage important parmi d’autres, ce qu’il lui paraît essentiel de prendre en compte dans le cadre du dialogue œcuménique ; il lui semble aussi avoir reconstruit initialement la théologie de Paul de manière trop systématique autour de ce concept majeur et l’avoir peut-être lue de manière trop réformée. Pareil aveu honore son auteur et manifeste encore sa grande lucidité et son aptitude à la rencontre et au dialogue. D’emblée, critique en elle-même, la deuxième contribution (2004) traite de la prétention à l’absolu et du potentiel d’agression au sein du christianisme primitif. La troisième a trait au rapport entre théologie et science des religions d’un point de vue théologique (2006), et la quatrième procède à une lecture du sermon sur la montagne dans une perspective œcuménique (2006).
Suivent huit études consacrées à l’ecclésiologie : « Charisme et institution dans une perspective néotestamentaire » (1989) ; « l’Église et son argent dans le Nouveau Testament » (1989) ; « Ecclésiologie et argent de l’Église » (2001) ; « Le problème de l’hospitalité eucharistique dans une perspective néotestamentaire » (2006) ; « Les étapes du prophétisme chrétien primitif » (2007) ; « La prophétie communautaire corinthienne dans le contexte de la prophétie chrétienne primitive » (2009) ; « Église locale et communauté dans le Nouveau Testament » (2010) ; « Le principe scripturaire et l’identité ecclésiale aujourd’hui. Une série de thèses » (2017). Dans l’introduction, l’A. indique lui-même qu’elles sont davantage liées à l’actualité et ne sont pas écrites avec la distance académique habituelle. C’est, explique-t-il, qu’il ne peut envisager ces questions indépendamment de tout engagement personnel et que l’abîme existant entre les communautés néotestamentaires et nos Églises actuelles ne saurait le laisser indifférent.
557Viennent ensuite six contributions consacrées à l’herméneutique, domaine dans lequel l’A. s’est particulièrement illustré avec la théorisation – dans le sillage de Gadamer – et la prise en compte de la Wirkungsgeschichte, l’histoire des effets du texte, notamment dans le monument que représente son commentaire, en quatre tomes, de l’Évangile selon Matthieu. Les études retenues sont les suivantes : « Réflexions sur une interprétation appropriée des textes néotestamentaires » (1982), qui est la reprise de sa leçon inaugurale à l’Université de Berne ; « La Bible peut-elle encore aujourd’hui constituer un fondement pour les Églises ? » (1998) ; « La signification des Pères de l’Église pour la lecture de la Bible » (2000) ; « Herméneutique inspirée par l’histoire des effets du texte et lecture en Église de l’Écriture » (2005) ; « Lecture du texte et iconographie » (2007) ; « Interprétation de la Bible postmoderne ? » (2009) ; « L’herméneutique théologique du Nouveau Testament en tant qu’aide pour parler de Dieu » (2012).
Attestant que l’intérêt pour les enjeux théologiques et les questions herméneutiques n’est jamais dissocié, chez l’A., de la prise en compte des données historiques, la quatrième partie est consacrée à deux études relatives à l’histoire des religions de l’Antiquité tardive : « Mise en perspective sur le plan réflexif et théologique des religions, des prétentions concurrentes à la vérité et des conflits dans l’Antiquité tardive » (2010) ; « La conversion dans le Nouveau Testament et dans l’Antiquité tardive » (2012).
La dernière partie regroupe cinq textes dévolus à des études à la fois biographiques et autobiographiques. Le premier est consacré à Eduard Schweizer, son maître envers lequel l’A. exprime une reconnaissance infinie (2008). Le deuxième, « Qu’as-tu donc que tu n’aies pas reçu ? » (2003), ouvre la section proprement autobiographique que prolongent une lecture contextuelle de Mt 18 dans le cadre des tensions internes à un synode de Bohème suite à la fin de la mainmise communiste (2009), une évocation de son engagement en faveur de la recherche néotestamentaire dans les pays de l’Est (2017) et un deuxième texte intitulé « Qu’as-tu donc que tu n’aies pas reçu ? » (2015), formule tirée d’1 Co 4,7, dont l’A. reconnaît que c’est sans doute le verset qui revêt à ses yeux la plus grande importance, comme cela était, semble-t-il, aussi le cas pour Rudolf Bultmann.
On referme l’ouvrage en se disant que l’on a le privilège d’avoir cheminé non seulement au côté d’un savant hors pair, mais encore 558d’un homme profondément engagé et généreux, dont la simplicité et la sincérité méritent le plus grand respect.
Christian Grappe
Ursula Ulrike Kaiser, Die Rede von « Wiedergeburt » im Neuen Testament. Ein metapherntheoretisch orientierter Neuansatz nach 100 Jahren Forschungsgeschichte, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament » 413, 2018, xv + 445 pages, ISBN 978-3-16-155340-0, 139 €.
Version retravaillée de la thèse d’habilitation soutenue par l’A. à l’Université de Hambourg durant le semestre d’hiver 2016-2017, l’ouvrage se propose d’étudier à frais nouveaux les passages du Nouveau Testament dans lesquels il est question de « nouvelle naissance », en recourant à une prise en compte approfondie de la métaphore et des théories modernes la concernant. L’A. estime en effet absolument nécessaire de clarifier un débat vicié par un manque de clarté dès lors que, sur ce sujet, on a, de manière récurrente, confondu « idée » et « objet », ce qui, sur le plan théorique, revient à mélanger « domaine cible » et « domaine source », cela en plaquant sur les sources, les textes néotestamentaires en l’occurrence, des concepts qui relèvent en fait du langage utilisé par l’interprète au moment où celui s’exprime et qui sont chargés d’une histoire qui ne saurait être confondue, sans risquer de graves méprises, avec le contexte d’énonciation initial. C’est que toute interprétation d’une métaphore encourt le risque, en négligeant l’aspect processuel qui est pourtant inhérent à toute métaphore vive, d’être comprise en fonction de ce qu’elle est devenue au cours de ce processus et d’être dépouillée ainsi de son dynamisme originel.
Ayant posé cela, l’A. se livre, dans la première partie de l’ouvrage, à une impressionnante histoire de la recherche, du début du xxe siècle à nos jours. Elle se propose ensuite, dans une deuxième partie, plus brève, de jeter les bases d’un nouveau questionnement qui tienne compte de l’indispensable distinction entre « domaine cible » et « domaine source ». Elle aborde alors, dans la troisième partie intitulée « Le discours métaphorique relatif à un renouvellement de la vie conçu en termes de naissance ou d’engendrement », les textes topiques du Nouveau Testament et les étudie les uns après les autres : Tt 3,5, qu’elle lit, en fonction d’un Sitz im Leben baptismal, 559non pas en termes de « nouvelle naissance » mais en fonction de l’expérience d’une possibilité de vie fondamentalement nouvelle, qu’opère l’Esprit et qui conduit le destinataire à la ferme espérance de devenir héritier de la vie éternelle ; Jn 1,13, Jn 3,1-12 et 1 Jn 3,9 ; 1 P 3,23 ; Jc 1,18. L’analyse minutieuse qu’elle effectue de tous ces textes la mène à la conclusion selon laquelle ils sont beaucoup plus intéressés à souligner la qualité particulière et le caractère complètement autre de l’existence croyante chrétienne qu’à déterminer un tournant précis et à inviter, à partir de ce tournant, à un regard rétrospectif et dépréciatif sur la vie antérieure.
Elle en conclut que c’est de nouveauté de vie et d’horizon qu’il est question, dans une perspective communautaire et non pas personnelle, nouveauté de vie à la fois productrice de sens et créatrice de potentialités nouvelles.
Christian Grappe
Simon Butticaz, Enrico Norelli (éd.), Memory and Memories in Early Christianity. Proceedings of the International Conference held at the Universities of Geneva and Lausanne (June 2-3, 2016), Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament » 398, 2018, x + 356 pages, ISBN 978-3-16-155729-3, 139 €.
Le concept de mémoire a connu une évolution profonde au sein des études néotestamentaires depuis le siècle dernier et, après une relative éclipse, est de nouveau présent, mais sous une autre forme aujourd’hui. Au xxe siècle, les tenants de l’histoire des formes l’avaient déjà mis en tension avec le concept de tradition pour faire valoir que ce qui est relaté à propos de Jésus dans les évangiles était passé par le filtre de la mémoire, conçue comme un élément plutôt fixe ou stable, et de la tradition, conçue comme beaucoup plus souple et comme le lieu d’un travail d’adaptation et d’actualisation. Par la suite, l’école scandinave a développé le concept de mémoire, dans une perspective encore plus stable, pour estimer qu’il y avait une profonde continuité entre l’enseignement de Jésus, sa mémorisation ou son apprentissage par ses disciples et sa mise par écrit ultérieure. Ce concept, tel qu’il est remis à l’honneur aujourd’hui, revêt un caractère beaucoup plus collectif, sociologique et évolutif, dans la mesure où il est désormais question de mémoire collective ou 560sociale, et non plus individuelle, opérant par réexamen et reconfiguration en fonction des nécessités de l’heure.
Le présent volume s’attelle à étudier ce phénomène et le fait en quatre temps et en treize contributions, dont sept sont en anglais, quatre en français et deux en allemand.
Une première partie intitulée « Études des phénomènes de mémoire et christianisme naissant : défis, approches et problèmes » permet à S. Huebenthal d’envisager le christianisme primitif à travers le prisme de la théorie de la mémoire sociale, à A. Destro et à M. Pesce de réfléchir aux différences substantielles entre mémoire et écriture, et à J. Schröter de mettre en tension mémoire et mémoires au sein du mouvement chrétien naissant à travers l’exemple de ce que l’on appelle, à la suite des travaux de J.D.G. Dunn, le Jesus Remembered.
La deuxième partie a pour titre « Mémoire, autorités et modalités (personnelles, rituelles, textuelles, etc.) ». S. Butticaz s’intéresse à la transformation de la « mémoire collective » au sein du christianisme primitif, telle qu’elle est reflétée au miroir du corpus paulinien et surtout des lettres deutéro- et trito-pauliniennes, dans lesquelles les lettres authentiques de Paul se transforment elles-mêmes en lieux de mémoire et où l’apôtre devient, quant à lui, objet de mémoire. J. Lieu considère à son tour les lettres comme un lieu important dans le processus de création et de transmission de la mémoire chrétienne. Ch. Markschies se penche sur la présentation qu’effectue Irénée des apôtres comme un groupe unifié dans lequel aucune individualité n’a sa place et fait valoir que cette construction de la mémoire est la réponse qu’il apporte aux polémiques des prétendus gnostiques contre l’unité du message proclamé par l’Église.
La troisième partie s’intitule « Mémoire, identité et construction des origines ». D. Marguerat retrace « De Jésus à Paul : l’invention du christianisme dans les Actes des Apôtres » et fait valoir que les Actes construisent une mémoire des origines chrétiennes qui relie pour la première fois explicitement la vie de Jésus et l’histoire des apôtres. Cl. Zamagni se penche sur la façon dont différents auteurs du iie siècle ont réinventé les origines chrétiennes en s’employant à projeter rétrospectivement sur la première communauté chrétienne des traits prévalant dans l’Église de leur temps. E. Norelli s’intéresse à « La construction polémique des origines chrétiennes par Marcion » et C. Antonelli à « La construction – consensuelle pour sa part – de la mémoire des “origines” par Hégésippe chez 561Eusèbe à travers deux pôles en dialogue : Jérusalem et la famille de Jésus ; Corinthe et Rome et ses apôtres et disciples ».
La dernière partie a pour titre « Christianisme primitif, mémoire et théologie ». J. Frey aborde le quatrième évangile en tant que mémoire narrative de Jésus, en tenant le plus grand compte de la façon dont l’œuvre elle-même souligne l’importance des phénomènes de mémoire et de commémoration. A. Dettwiler propose une réflexion sur la manière dont l’épître aux Colossiens et l’épître aux Éphésiens, qui en est une relecture, représentent chacune une théologie de la mémoire tout en s’inscrivant, dans un contexte respectivement polémique et non-polémique, au sein d’un processus dynamique d’interprétation de la tradition paulinienne. Enfin, J. Zumstein noue la gerbe en abordant la mémoire créatrice des premiers chrétiens et en faisant notamment valoir que ce travail de mémoire présente la grande originalité d’être orienté vers le futur.
L’ensemble est à la fois bien pensé, bien construit et très soigneusement édité, avec une introduction qui constitue une excellente mise en perspective et deux index (des sources et des auteurs modernes cités).
Christian Grappe
Jens Schröter, Jésus de Nazareth. À la recherche de l’homme de Galilée. Traduit de l’allemand par Marianne David-Bourion et Gilles Sosnowski. Avant-propos d’Andreas Dettwiler, Genève, Labor et Fides, coll. « Le monde de la Bible » 74, 2018, 317 pages, 20 illustrations, 4 cartes, ISBN 978-2-8309-1673-7, 24 €.
La traduction en français de l’ouvrage de Jens Schröter, dont la première édition date de 2006, mais qui a fait l’objet d’une importante refonte en 2017, s’avère tout à fait bienvenue.
Comme il s’en explique dans son ample introduction, l’A. s’y livre à une approche méthodique et historico-critique, ou plus précisément « historico-herméneutique » du « Jésus historique », qu’il prend bien soin de distinguer du « Jésus terrestre » dès lors que le « Jésus historique » est toujours le résultat d’une prise en compte des sources par un interprète donné, et donc un « Jésus remémoré », une figure du passé dépeinte à la lumière du présent. Le concept de mémoire collective ou sociale occupe d’ailleurs une 562grande place d’un point de vue méthodologique, mémoire à l’œuvre dès les origines de la tradition relative à Jésus et conçue comme « la réappropriation d’un passé considéré comme important pour une communauté, qui l’assimile et se le remémore sous forme de récits, de rituels, de fêtes ou autres » (p. 37).
L’A. s’attache à ancrer fortement le Jésus historique dans le judaïsme et dans la Palestine de son temps, tenant le plus grand compte des données archéologiques les plus récentes, dans la mesure où elles sont susceptibles d’éclairer le terreau dans lequel s’est déroulé son ministère, et de l’ensemble de la documentation disponible.
La majeure partie de l’ouvrage est consacrée à brosser un portrait de Jésus. L’A. évoque l’origine galiléenne de Jésus, sa naissance à Nazareth transformée dans la tradition en naissance à Bethléhem et relatée dans les récits de l’enfance de manière à faire apparaître que son ministère est placé « dès le début sous l’autorité de Dieu » (p. 73). Il fait valoir que, en fonction des données archéologiques récentes, « le mouvement créé par Jésus ne s’explique […] pas par un antagonisme brutal entre ville et campagne, même si des différences sociales ont dû exister et des tensions marquer les relations » (p. 91). Il souligne en revanche l’importance qu’a revêtue sa rencontre avec le Baptiste, réfugié au désert « pour prêcher le baptême et la conversion, les présentant comme une alternative au culte de Jérusalem » (p. 115), et se concevant lui-même comme le dernier prophète avant la venue imminente de Dieu et du Jugement. Il y a pour l’A. une profonde continuité entre la prédication des deux personnages, même si, dans la prédication de Jésus, qui pourrait cependant avoir mené une activité baptismale parallèle à celle de Jean pendant un certain temps, « le baptême est remplacé par l’annonce du Règne de Dieu » (p. 124). Il rejoint par ailleurs l’avis de ceux qui estiment qu’une expérience visionnaire, qui sous-tendrait Lc 10,18 (« Je voyais Satan tomber du ciel comme l’éclair »), pourrait avoir été le déclencheur de la prédication autonome de Jésus, rapprochant au passage cette vision du récit de la Tentation, qui met également en scène la déroute de Satan. Il accorde à cet égard la plus grande importance aux exorcismes de Jésus (Q 11,20) et fait valoir que le Nazaréen a exercé une « médecine salutogénique » qui était alors conçue comme complémentaire de la « médecine scientifique ». Ces exorcismes et les guérisons qu’il réalise signifient l’irruption 563du Royaume de Dieu, un Royaume qui concerne au premier chef, dans la compréhension qu’il en a, les douze tribus d’Israël, d’où le choix symbolique des Douze, mais aussi son activité itinérante qui a pour but de manifester que sa mission vise en fait l’ensemble du territoire et même, au-delà, des régions dont on considérait que Dieu les avait aussi données à Israël, ce qui l’a amené à s’adresser aussi occasionnellement à des païens. Dès lors que le Royaume était en marche, Jésus aurait ainsi mis en œuvre une conception non plus défensive mais contagieuse de la pureté, qui ne l’empêchait nullement de s’inscrire pleinement dans le judaïsme de son temps. L’A. distingue encore, quand il étudie l’éthos de Jésus, l’éthos, plus radical, qui aurait valu pour ses disciples et celui, plus souple, qu’il destinait à ceux qui recevaient positivement son message. Il aborde aussi l’idée que Jésus se fait de lui-même en tant que Fils de l’homme et la perception que ses contemporains ont pu avoir de lui en tant que messie et estime que la Passion a eu pour cause, outre sa revendication d’autorité, l’action qu’il a menée au Temple et qui visait non pas à le purifier, « mais à mettre en question l’institution en soi » (p. 242). Comme en d’autres endroits dans l’ouvrage, l’A. fait ici un rapprochement extrêmement suggestif, en mettant en parallèle en l’occurrence les attitudes respectives du Baptiste et de Jésus à l’endroit du sanctuaire.
Quant au procès lui-même, il estime que « la participation aussi bien juive que romaine aux événements peut être considérée comme historiquement probable » (p. 237), Jésus étant déféré à Pilate en tant que séditieux, motif auquel le gouverneur ne pouvait être que sensible.
Dès lors qu’il s’agit de se pencher sur les interprétations qui ont été proposées de la mort de Jésus, l’A. fait valoir que ce qui les structure toutes, c’est « la notion fondamentale de vie et de mort pour les autres » (p. 253), Pâques ne traçant pas de ligne de démarcation entre un Jésus prépascal et un Jésus postpascal. Selon lui, « les énoncés de la Résurrection servent à confirmer par Dieu l’action de Jésus et les énoncés connexes relatifs aux apparitions à légitimer les témoins et la continuité entre histoire pré- et postpascale » (p. 264-265), tandis que « ceux concernant l’Exaltation […] visent sa participation à l’autorité de Dieu » (p. 265), au même titre d’ailleurs que ceux qui ont trait à la préexistence et qui prolongent, quant à eux, à rebours et non plus a posteriori, l’affirmation de la présence de Dieu en lui.
564Une dernière partie, consacrée aux effets, vient illustrer, de manière à la fois stimulante et riche, que « la question “Qui était Jésus ?” est […] indissociable de la question “Qui est-il aujourd’hui ?” » (p. 301).
Le parcours proposé est aussi intelligent et stimulant qu’honnête. Les seuls regrets que l’on peut avoir est que l’A. n’aborde pas, ou de manière très collatérale, la question du pardon des péchés par le « Jésus historique » et que l’éditeur français n’a pas jugé utile d’accompagner cette traduction bienvenue d’un index des textes cités, qui fait également défaut à l’original allemand. Cela étant, il faut souhaiter à l’ouvrage, qui ne concède jamais rien au sensationnel pour s’en tenir à la seule rigueur, de connaître une large diffusion.
Christian Grappe
Joseph Verheyden, John S. Kloppenborg (éd.), The Gospels and Their Stories in Anthropological Perspective, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament » 409, 2018, viii + 331 pages, ISBN 978-3-16-156308-9, 139 €.
L’ouvrage est issu d’un colloque, consacré aux évangiles synoptiques et aux pratiques et croyances qu’ils attestent, qui a rassemblé des biblistes connaisseurs de l’ancienne religion gréco-romaine et intéressés par l’anthropologie historique. Il regroupe, outre une brève introduction due aux deux éditeurs qui ne comptent pas au nombre des contributeurs, douze études et une réponse de Simon Coleman, qui réagit à chacune de ces contributions de son point de vue d’anthropologue spécialisé dans l’analyse des phénomènes religieux contemporains.
Une première partie s’intitule « Corps, démons et magie » et réserve la part du lion à Marc. G. Bazzana se penche, à la lumière de la controverse relative à Belzébuth chez Marc et dans la source Q, sur la subjectivité exorciste de Jésus et sur l’attitude qui en résulte, de sa part et de celle de ses premiers disciples, vis-à-vis des phénomènes de possession par les esprits. L. Feldt s’intéresse à la façon dont Marc construit le personnage du démoniaque comme un monstre doté d’un pouvoir ambigu et capable de provoquer des émotions particulièrement marquantes. S. Rollens s’interroge, dans 565une contribution dont le sous-titre est « des douleurs de l’enfantement aux membres disloqués », sur l’anthropologie de la violence dans ce même évangile. B. Bell étudie la manière de discerner les faux prophètes chez Matthieu et dans la Didachè tout en la comparant aux pratiques attestées dans l’ancienne religion grecque et dans une communauté évangélique contemporaine aux États-Unis. W. Arnal consacre une étude très développée à la magie chez Marc et dans les Actes.
Deux contributions se penchent ensuite sur les pratiques. Z. Crook traite des prières coercitives, en les reliant, là encore, à la magie. Quant à M. Ebner, il aborde, dans ce qui constitue la seule étude en allemand du volume, la relation unissant, dans les différents évangiles, le prédicateur itinérant Jésus à ses disciples, cela en la comparant à des modèles de relation maître – disciple dans le monde romain, principalement dans le champ philosophique.
Deux autres études sont dévolues aux espaces. H. Moxnes creuse la notion de secret et de séparation telle qu’elle est développée en Mt 6,1-18 ; 11,25-27 ; 13 et y discerne une manière de façonner une identité et de créer, sur le plan spatial, une autre forme de contexte qui permet au groupe de se comprendre comme étant différent et, comme constituant, dès lors, une alternative à la société. D. Smith s’intéresse pour sa part de manière très concrète à la mission dans les synoptiques autour des concepts d’excursion, d’incursion et de conquête.
Enfin, une dernière partie est consacrée aux visions. S. Guijarro étudie celles de Jésus et des disciples en lien avec des états de conscience spécifiques. J. Bremmer et P. Craffert se penchent tous deux sur les récits de résurrection, le premier en se livrant à une étude comparée des fantômes, des résurrections et des tombeaux vides, dans les évangiles, le roman grec et la seconde sophistique, et le second en « re-visionnant » les récits relatifs à la résurrection de Jésus dans une perspective neuro-anthropologique.
Un index des textes anciens et des auteurs modernes cités complète ce volume qui présente l’avantage de faire connaître une palette d’approches novatrices en matière d’évaluation de l’anthropologie sous-jacente aux évangiles.
Christian Grappe
566John Granger Cook, Empty Tomb, Resurrection, Apotheosis, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament » 410, 2018, xvi + 717 pages, 37 illustrations, ISBN 978-3-16-156503-8, 164 €.
Véritable somme relative aux récits de résurrections et de phénomènes connexes dans le Bassin méditerranéen antique, l’ouvrage représente un extraordinaire tour de force et pourra constituer un outil de travail d’une grande utilité, dès lors que les limites de sa prétention à l’exhaustivité auront été prises en compte par ses lecteurs.
L’A. indique d’emblée, ce qui n’est ni très prudent ni très rassurant même si cela a le mérite de l’honnêteté, être parti de deux grandes hypothèses dont il estime que son enquête les a vérifiées, mais dont il laisse tout de même au lecteur le soin d’éprouver la validité : 1. « Il n’y a pas de différence fondamentale entre la conception de la résurrection des corps qu’a Paul et celle des évangiles » ; 2. « les récits de résurrection et de translation de l’Antiquité gréco-romaine contribuent probablement à expliquer la disposition des peuples méditerranéens à admettre progressivement l’Évangile d’un sauveur crucifié et ressuscité » (p. 3-4). Il ajoute qu’il espère que, en toute hypothèse, les matériaux ainsi réunis constitueront une ressource utile, et on peut d’emblée affirmer, sur ce point, que tel sera bien le cas.
Dans une longue introduction, il se défend d’abord de toute intention apologétique et traite les questions de vocabulaire et de sémantique hébraïque, grecque et latine afférentes au langage de la résurrection, tout en consacrant aussi quelques pages au zoroastrisme.
Il présente ensuite les fruits de son enquête en grands chapitres qui rassemblent chacun les données recueillies en fonction d’un thème précis, les textes étant systématiquement fournis à l’appui, en langue originale, mais également traduits et commentés, ce qui fait tout l’intérêt de l’ouvrage.
Il est d’abord question de la résurrection de divinités (Tammuz, Baal, Osiris, Adonis, Attis, Melqart/Héraclès, Dionysos, Aslepios/Eshmum, Mithra), et le parcours proposé conduit l’A. à la conclusion selon laquelle les données recueillies justifient l’usage de la catégorie de dieux mourant et ressuscitant dont la destinée n’est pas sans analogie avec celle de Jésus. On passe ensuite aux récits de résurrection conservés en grec et en latin, et l’A. n’a pas de mal à montrer que, s’il était classique d’affirmer l’impossibilité de 567la résurrection, on trouve, tant en grec qu’en latin, des récits de résurrection accomplis par des dieux comme Asclepios ou des héros comme Hercule. Suivent les récits de disparition d’individus ou de tombeaux, vides ou non, et d’apparitions subséquentes ou post-mortem, motif également attesté en différents endroits chez des auteurs grecs et latins. Puis sont prises en compte les relations de translations et d’apothéoses de héros, forcément nombreuses, que l’A. distingue toutefois des récits relatifs à Jésus en faisant étonnamment valoir que, chez Marc, Jésus apparaît en Galilée préalablement à son ascension (p. 411), cela alors même qu’il n’est pas question d’ascension chez Marc, sauf si l’on prend en compte la finale longue, manifestement secondaire, ce que l’A. reconnaît d’ailleurs (p. 596) ! On peut s’étonner aussi qu’il ne fasse pas intervenir ici, ni vraiment ailleurs dans son ouvrage, le quatrième évangile et le motif de l’élévation et de la glorification de Jésus en lien avec la croix, non plus que Lc 23,43. Un chapitre qui aurait pu être intégré au précédent traite ensuite des apothéoses d’empereurs, le rituel de leur consecratio et les visions quelques fois associées de l’empereur montant rejoindre les dieux apparaissant à l’A. comme des parallèles aux récits de l’ascension de Jésus en Luc-Actes. Les textes parlant de résurrection dans la Bible hébraïque et dans des textes juifs plus tardifs sont ensuite abordés, le dossier de sources littéraires étant complété par les fresques de la synagogue de Doura-Europos. L’A. se montre sans doute un peu rapide quand il affirme que la croyance en la résurrection corporelle est bien attestée dans la Bible hébraïque et quand il cite à l’appui Dn 12,2-3, qui reste pour le moins ambigu dès lors qu’il envisage que les justes resplendissent comme les étoiles du ciel.
Le dernier chapitre, consacré au tombeau vide, à la résurrection et à la translation dans le Nouveau Testament, s’attache surtout à démontrer le bien-fondé des deux hypothèses posées d’emblée et ne prend pas en compte, nous l’avons dit, l’ensemble des témoignages néotestamentaires.
L’A. aurait assurément gagné en fait à distinguer clairement les représentations liées à une eschatologie temporelle ou linéaire et celles qui ont trait à une eschatologie spatiale ou verticale, représentations qu’il mélange en fait tout en négligeant les textes néotestamentaires qui auraient pu conduire à présenter des conclusions plus nuancées que celles qui sont proposées comme allant finalement de soi.
568Il n’empêche que le dossier présenté est précieux. Il est complété par de très utiles index des textes anciens cités, des thèmes et des termes grecs et hébreux (translittérés) abordés, ainsi que des auteurs modernes cités. Ce dernier révèle toutefois que la bibliographie sélective proposée en fin d’ouvrage ne se limite pas aux ouvrages cités et a pu être dès lors artificiellement gonflée.
Christian Grappe
Louise A. Gosbell, « The Poor, the Crippled, the Blind, and the Lame ». Physical and Sensory Disability in the Gospels of the New Testament, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament. 2. Reihe » 469, 2018, xviii + 409 pages, ISBN 978-3-16-155132-1, 84 €.
Version révisée d’une thèse préparée sous la double direction de L. Welborn et de B. Nongbri et soutenue en 2015 à l’Université Macquarie de Sydney, l’ouvrage se propose d’étudier de manière cohérente la façon dont le handicap physique et sensoriel est considéré dans les évangiles en procédant à une comparaison avec la manière dont il l’était à la fois dans le monde gréco-romain et dans le monde juif.
L’introduction fait apparaître qu’une telle enquête n’a pas encore été menée à aussi large échelle et qu’elle vient donc combler un manque. La méthodologie adoptée est ensuite présentée. Trois modèles permettent d’aborder le handicap respectivement sur les plans médical, social et culturel. C’est ce dernier qui est ici privilégié dans la mesure où il se focalise sur l’analyse de la façon dont le langage relatif au handicap est utilisé pour décrire l’expérience phénoménologique qu’il représente et permet ainsi d’éviter l’entreprise éminemment risquée consistant à vouloir recréer les expériences vécues des personnes affectées de handicap dans la Palestine du ier siècle. C’est ensuite le « paysage » du handicap qui est exploré, en premier lieu dans le monde gréco-romain, sources littéraires à la fois médicales, historiques et mythologiques ainsi que représentations figurées à l’appui. Le handicap y est conçu non seulement comme devant être, dans la mesure du possible, évité ou prévenu à tout prix, mais encore comme traduisant un défaut de personnalité et de caractère. L’enquête menée ensuite au sein de la Bible 569hébraïque et du judaïsme du Second Temple conduit l’A. à dresser un bilan plus contrasté : si le handicap est connoté négativement dans les textes qui le conçoivent comme un châtiment divin ou comme restreignant la possibilité de participer au culte, des cas comme ceux de Moïse, ou même de Méphiboshet, laissent transparaître une attitude plus nuancée. La manière dont est considéré le handicap dans le Nouveau Testament est ensuite abordée à partir de trois études de cas. Le premier est la parabole des invités au festin (Lc 14,15-24), que l’A. lit comme une subversion par Luc du schéma prévalant alors selon lequel « les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux » étaient exclus des banquets, cela pour faire valoir qu’avec Jésus ils sont précisément invités à prendre part au banquet messianique. Le deuxième est le récit de la femme hémorroïsse (Mc 5,25-34), considéré non pas simplement sur le plan de la pureté comme c’est généralement le cas, mais aussi sur le plan de la prise en compte du handicap, la guérison de la femme en deux temps permettant de mettre en exergue qu’elle est guérie de son saignement et aussi réhabilitée socialement. Le troisième est constitué par les récits des guérisons respectives de l’infirme de la piscine de Bethesda (Jn 5,1-18) et de l’aveugle-né (Jn 9,1-41). Ces deux récits ont en commun la particularité de présenter non seulement la guérison du handicap en elle-même mais aussi la réponse de la personne préalablement atteinte après sa guérison, l’infirme ne parvenant pas à franchir le pas du croire alors que l’aveugle y parvient, obtenant plus encore qu’une restauration sociale dès lors que, dans la perspective johannique, il accède par ce croire à la vie.
Cette étude intelligente et bien menée se recommande par son sérieux, son originalité et sa finesse.
Christian Grappe
Paul-Gerhard Klumbies, Das Markusevangelium als Erzählung, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament » 408, 2018, vii + 252 pages, ISBN 978-3-16-154857-4, 109 €.
L’ouvrage rassemble quatorze études, dont deux inédites, rédigées pour la plupart entre 2006 et 2017. Son introduction, intitulée « De l’auteur source au rédacteur et narrateur en passant par le 570collecteur et le traditeur », permet un survol de l’évolution de la recherche menée depuis le xixe siècle jusqu’à nos jours. Elle permet à l’A. d’évoquer la façon dont Marc s’est mué, durant cette période, d’auteur source de matériaux avérés en vue de la recherche sur le Jésus historique en collecteur de matériaux traditionnels, à la suite des travaux des promoteurs de l’histoire des formes, puis, sous l’impulsion des tenants de l’histoire de la rédaction relayés par les défenseurs de l’analyse narrative, en rédacteur et en narrateur. Il situe ses propres travaux sur cette trajectoire et souligne qu’ils adoptent une perspective à la fois théologique et sotériologique, s’efforçant de montrer que la christologie marcienne cherche à présenter le Fils comme celui qui a ramené les hommes dans une relation salutaire avec Dieu, que l’on croyait perdue, et qui continue d’instruire les croyants dans cette relation.
Les études se succèdent dans l’ordre suivant. « Le récit de Jésus selon Marc en tant qu’œuvre des années 70 à 80 de notre ère » met d’abord en exergue les différences entre le temps du ministère de Jésus et les exigences théologiques de l’heure au moment de la rédaction. « Le plus ancien évangile en tant que récit étiologique » fait ensuite valoir que Marc n’est pas centré d’abord sur le Jésus historique mais sur la communauté chrétienne, créative sur le plan théologique, des années 70. « Le concept d’“espace mythique” dans l’Évangile selon Marc » propose que les directions que l’on suit, au sein de l’écrit, soient conçues selon une « géographie » qui revêt la forme d’une croix et soient ainsi une expression de la théologie de la Croix. « Le fondement étiologico-narratif de normes en vigueur en Marc 2,1-3,6 » suggère que les cinq récits de controverse qui se succèdent ici illustrent, chacun à sa manière, que la relation avec Dieu rendue possible par Jésus requiert un engagement éthique cohérent et responsable. « La théologie narrative de la Croix chez Marc et Luc » s’emploie à montrer comment chacun des deux évangiles met, dans la description qu’il propose de la mort de Jésus, le langage mythique au service de son intention théologique. « La frontière entre critique des formes et critique de la rédaction dans l’exégèse des récits de miracles » souligne que la critique des formes montre ses limites précisément à propos des récits de miracles, qui expriment en fait une christologie qui traverse l’évangile et qui présente Jésus comme celui qui place l’homme dans une relation thérapeutique avec Dieu. « La guérison du paralytique en Mc 2,1-12 et // » montre que le récit, qui apparaît manquer d’unité au prisme de l’histoire de la tradition et de l’histoire 571de la rédaction, est en fait pleinement cohérent dès lors qu’il illustre précisément comment Jésus parvient à conduire quelqu’un dans une relation de guérison avec Dieu. « Les guérisons lors du sabbat selon Marc et Luc » illustrent aussi qu’une analyse narrative permet de montrer que Luc relit Mc 3,1-6 de manière originale et personnelle en trois endroits (Lc 6,6-11 ; 13,10-17 ; 14,6), là où l’histoire des formes concluait à l’usage de sources distinctes. Par la suite, le récit mythique de la guérison en deux étapes de l’aveugle de Bethsaïda en Mc 8,22-26 est lu à la lumière de Mc 6–8 et de Mc 8,27-33 comme soulignant que la reconnaissance de Jésus en tant que messie peut être progressive ; le processus de « démonisation » de l’épilepsie est envisagé à partir de Mc 9,14-29 ; la théorie du secret messianique de W. Wrede est expliquée à la lumière de l’idéologie impériale de la fin du xixe siècle ; l’interprétation théologique et sotériologique de Marc proposée par W. Marxsen est réhabilitée ; le rôle que peut jouer Marc, avec sa tension constante entre humiliation et élévation, dans l’éducation religieuse est envisagé.
Un ensemble éclectique par certains aspects, mais finalement tout à fait cohérent, complété par une bibliographie et de très utiles index. Il est toutefois dommage que l’A., qui se cite abondamment lui-même, néglige la littérature francophone ou n’y accède pas. On ne trouve en effet aucun titre français dans sa bibliographie et tant les travaux de Jean Delorme et de Benoît Standaert que ceux de Camille Focant et d’Yvan Bourquin, pour ne citer que ces quatre auteurs, sont ignorés, ce qui constitue en l’occurrence un manque réel.
Christian Grappe
Albert Hogeterp, Adelbert Denaux, Semitisms in Luke’s Greek. A Descriptive Analysis of Lexical and Syntactical Domains of Semitic Language Influence in Luke’s Gospel, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament » 401, 2018, xxvii + 656 pages, ISBN 978-3-16-155336-3, 189 €.
Fruit d’un projet de recherche initié en 2008, l’ouvrage représente une somme considérable et déploie une érudition impressionnante.
Les deux A. sont partis de l’étude du grec de Luc pour y détecter des influences sémitiques et ils ne se sont pas employés, comme 572d’autres l’ont fait avant eux, à rechercher, à l’arrière-plan de Luc, des sources qui auraient un caractère sémitique ou bien à proposer des rétroversions sémitiques de son évangile. Les influences sémitiques qu’ils diagnostiquent ont trait à la fois au vocabulaire et à la syntaxe. Elles sont repérées en fonction de critères à la fois quantitatifs (nombre d’occurrences de tel terme et de telle expression dans des textes topiques grecs, hébreux et araméens) et qualitatifs (comparaison des contextes d’usage et interprétation des différences sémantiques entre l’emploi d’un langage à coloration sémitique et un langage proprement grec).
Après un historique de la recherche, les A. présentent les théories qui s’efforcent de rendre compte de l’existence de sémitismes chez Luc (usage de sources sémitiques ; recours à la Septante ; bilinguisme…) avant de présenter en détail la démarche et la méthodologie qui seront les leurs. Ils partent successivement en quête des sémitismes dans le vocabulaire (noms isolés ; groupes de noms ; verbes ; expressions idiomatiques ; usages stylistiques ; prétendus sémitismes qui en fait n’en sont pas et sont donc écartés) et dans la syntaxe de Luc. Un long chapitre est dévolu ensuite à une évaluation des résultats et aux conclusions que l’on peut en tirer.
Les A. retiennent finalement quatre catégories pertinentes pour rendre compte des sémitismes de Luc : les hébraïsmes bibliques en provenance de la Septante ; le langage hébraïque en provenance de la tradition biblique ; les aramaïsmes ; les sémitismes qui ont des arrière-plans mixtes parce qu’ils proviennent de textes sémitiques non bibliques. Ils rejettent ainsi toute explication simpliste de la présence de sémitismes chez Luc, comme par exemple la seule imitation de la Septante. Ils considèrent encore que, du fait de sa bonne maîtrise du grec de la koinè, Luc a dû recevoir une éducation telle qu’elle pouvait être proposée dans le monde hellénistique de son temps, mais qu’il pourrait avoir fréquenté aussi des milieux dans lesquels se retrouvaient des gens de langue maternelle sémitique. Le bilinguisme qui était de mise dans le domaine syro-palestinien leur paraît dès lors plaider en faveur d’une origine de l’œuvre à Antioche de Syrie tandis que les différents types de sémitismes que l’on peut repérer dans son évangile les amènent à penser que, s’il a souhaité, de fait, imiter la Septante, il a dû recourir aussi à des sources de coloration sémitique. Un milieu synagogal leur paraît dès lors le plus vraisemblable.
Ces considérations pleines de bon sens viennent conclure fort à propos ce volume, que complètent des index qui rendront d’éminents 573services puisqu’ils répertorient les textes anciens cités (sur plus de 80 pages !), les sémitismes pris en compte, les auteurs modernes cités et les sujets traités. Ils achèvent de faire de cet ouvrage de référence une mine de renseignements aisément exploitable.
Il faudrait souhaiter que le travail ainsi mené puisse être étendu à l’ensemble des livres du Nouveau Testament, mais cela représente une tâche colossale ! En toute hypothèse, il faut déjà savoir gré aux deux A. de l’immense labeur qu’ils ont accompli et du grand service qu’ils ont ainsi rendu à la recherche lucanienne.
Christian Grappe
Bincy Mathew, The Johannine Footwashing as the Sign of Perfect Love. An Exegetical Study of John 13:1-20, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament. 2. Reihe » 464, 2018, xxiii + 516 pages, ISBN 978-3-16-155145-1, 114 €.
Fruit d’une thèse préparée sous la direction de Reimund Bieringer à l’Université catholique de Leuven, l’ouvrage s’attache à montrer que le lavement des pieds est en fait une préfiguration symbolique de la mort de Jésus ayant vocation à illustrer l’amour parfait de Jésus pour les siens, comme le suggère le verset liminaire de Jn 13,1. L’acte d’amour de Jésus symboliserait en fait le don qu’il fait de sa vie au bénéfice de ceux qui se soumettent eux-mêmes à ce geste, qui ont ainsi part avec lui (Jn 13,8), et le pratiquent à leur tour envers d’autres, de manière inconditionnelle (Jn 13,14-15), devenant porteurs, diffuseurs et acteurs du message d’amour du Fils dans et pour le monde tout en recevant le Père en même temps que le Fils (Jn 13,20).
L’enquête est conduite en neuf étapes dont cinq sont conçues comme autant de préliminaires.
La première propose un état de la recherche. La deuxième aborde le problème de critique textuelle que pose le verset 10 pour le résoudre de manière classique. La troisième s’interroge sur la signification que revêtait le lavement des pieds dans les littératures juive, grecque et latine anciennes et en déduit une série de spécificités de Jn 13, parmi lesquelles le fait que ce soit un supérieur qui lave les pieds d’un inférieur, que l’acte se voit conférer une 574telle importance, qu’il soit conçu comme ayant valeur exemplaire, qu’il donne part à celui qui agit, qu’il soit présenté comme un acte d’amour parfait, et que Jésus assume le rôle d’un esclave et fasse accéder du même coup ceux dont il lave les pieds au statut d’amis. La quatrième envisage la structure et le rôle de Jn 13,1-20 dans son contexte. L’A. propose que le passage présente une construction chiastique : A. Identité et passion de Jésus en relation avec ses disciples (13,1) ; B. Reniement de l’amour (13,2) ; C. L’autorité de Jésus (13,3) ; D. L’exemple de Jésus (13,4-11) ; D’. L’exemple doit être suivi (13,12-15) ; C’. L’autorité du maître qui est aussi celui qui a envoyé (13,18-19) ; B’. Affirmation de l’amour ; A’. Identité et mission des disciples en relation avec Jésus (13,20). La dénomination des diverses sections montre pourtant, nous semble-t-il, que cette structuration, pour intéressante qu’elle puisse être, n’a rien d’évident. Elle est en toute hypothèse moins importante que le constat que l’A. fait pour finir : inscrits dans leur contexte, le geste de Jésus et son interprétation constituent finalement à la fois la source, le fondement et la norme de la communauté johannique. La cinquième étape donne lieu à une analyse de Jn 13,1-20 relevant de la critique littéraire, au terme de laquelle l’A. suggère que le récit du lavement des pieds est une création de Jean fondée sur les évangiles synoptiques.
Le reste de l’ouvrage se consacre à l’analyse des parties qui se correspondent dans le chiasme décrit lors de la quatrième étape. Les titres donnés à chaque chapitre illustrent le type de correspondances que valorise l’A. de la périphérie vers le centre : « “Il les a aimés parfaitement”. L’identité et la mission de Jésus et des disciples » ; « “Je connais ceux que j’ai choisis”. Judas et Jésus. Violation et rétablissement du code de la communauté de table » ; « “Si vous savez… Si vous faites”. L’autorité de celui qui lave les pieds » ; « “Je vous ai donné un signe”. L’exemple de Jésus : le don et la tâche des disciples ».
Parmi les conclusions que propose l’A., la dernière et la plus importante, préparée déjà par la troisième étape du parcours et corroborée par la suite, est que l’exemple donné par Jésus devient la pierre angulaire de l’amour qui a pouvoir de transformer. Il ajoute encore : « L’amour de Jésus apparaît finalement multidimensionnel ; christologique ; sotériologique ; eschatologique ; ecclésial et, dans son application, il peut même être appelé l’impératif éthique de l’Évangile » (p. 428).
575Il y a là une analyse extrêmement pénétrante d’une scène qui occupe effectivement une place essentielle à la charnière du quatrième évangile, et, que l’on retienne ou non la structure chiastique qui est proposée, il nous semble que les conclusions de l’A. s’accordent pleinement avec la dynamique linéaire du quatrième évangile.
Christian Grappe
Jörg Frey, The Glory of the Crucified One. Christology and Theology in the Gospel of John. Translated by Wayne Coppins and Christoph Heilig, Waco, Baylor University Press / Tübingen, Mohr Siebeck, 2018, xxxi + 455 pages, ISBN 978-3-16-156540-3, 64 €.
L’ouvrage est, pour une large part, une traduction anglaise de son homologue paru en allemand, Die Herrlichkeit des Gekreuzigten, publié en 2013 et recensé dans la présente revue (RHPR 94, 2014, p. 363-364). Il reprend 7 des 18 contributions publiées dans ce précédent volume et en ajoute quatre autres – en l’occurrence les troisième, huitième, neuvième et dixième études dans l’ordre de leur numérotation – qui ne sont pas non plus inédites mais sont parues dans un autre cadre et feront ici l’objet d’une présentation spécifique. L’ensemble se déploie en cinq parties faisant suite à une introduction qui met, de manière très claire, l’ensemble en perspective : « Interpréter le quatrième évangile » ; « Le caractère du quatrième évangile » ; « Mort, résurrection et gloire », « christologie et théologie » ; « Jean et la théologie du Nouveau Testament ».
La première des études ajoutées a trait à la fusion des horizons temporels dans le quatrième évangile et constitue une synthèse du deuxième tome de la somme de l’A., Die johanneische Eschatologie. Elle montre comment les trois dimensions du passé, du présent et du futur sont liées chez Jean et ordonnées autour du présent dans lequel le passé du ministère de Jésus et le futur eschatologique prennent leur sens. L’horizon post-pascal et l’horizon pré-pascal se trouvent en fait fusionnés dès lors qu’une relecture du ministère de Jésus est opérée à partir du présent pour mieux en affronter les défis.
Les trois autres études qui ne figuraient pas dans le volume allemand sont rassemblées dans une partie intitulée « Théologie et christologie », formulation que l’on retrouve dans le sous-titre de l’ouvrage. Il est question d’abord de l’incarnation du Logos et de 576l’inhabitation de Dieu en Jésus Christ dans une contribution qui souligne l’originalité de Jn 1,14a sur le plan de l’histoire des religions tout en l’éclairant à partir de textes comme Si 24 et Ap 21,1-5 pour faire valoir que la tradition relative à la Shekinah constitue la clé de compréhension du motif de l’incarnation et de l’unité entre le Père et le Fils. C’est Jésus en tant qu’image de Dieu dans le quatrième évangile qui est abordé ensuite à partir de Jn 1,18 et 14,7.9. L’A. fait valoir que la christologie basse de l’œuvre (messie, prophète…) doit être comprise à la lumière de la christologie haute (Dieu, Fils) et que Jésus révèle en fait le Père durant l’ensemble de son ministère, et cela jusqu’à la croix où il manifeste l’amour salvateur de Dieu, si bien que le contempler en tant que Crucifié glorieux revient à contempler l’intention dernière de Dieu envers l’humanité. Il est enfin question de Dieu dans le quatrième évangile et de la façon dont l’envoi et le ministère du Christ, culminant avec la Croix et la résurrection, affectent précisément la perception que l’on peut avoir de Dieu.
Ce fort bel ensemble est complété par une abondante bibliographie et par deux index, des sources et des auteurs cités.
Christian Grappe
Yves-Marie Blanchard, Signes et sacrements dans le quatrième évangile, Paris – Perpignan, Artège-Lethielleux, 2018, coll. « Théologie biblique », ISBN 978-2-249-62631-9, 19,90 €.
L’ouvrage se propose de « mettre en dialogue signes et sacrements, au travers des écrits johanniques et à la lumière de la théologie sacramentaire, telle que formulée et vécue dans la tradition catholique » (p. 9).
Il procède en neuf temps. Il s’agit d’abord de préciser la notion johannique de signe en comparant ces signes johanniques avec les actes de puissances (dunameis) des évangiles synoptiques. Il s’agit ensuite de distinguer les signes johanniques des symboles en faisant apparaître, face à la simplicité des symboles, la spécificité des métaphores johanniques du salut qui restent précisément soumises à ce que l’A. appelle l’arbitraire ou encore l’ambivalence des signes. Une comparaison est entreprise alors entre signes, qui s’appliquent d’abord au Fils et à sa mission propre, et œuvres, qui impliquent tout autant le Père. Puis sont articulés signes et rencontres 577qui, conjoignant actes et dialogues, permettent à la notion de signe de se déployer aussi dans les dialogues et les discours. Les signes sont envisagés encore en tant que prolepses, en l’occurrence en tant qu’anticipations de la Croix, l’A. faisant valoir que la section des signes (Jn 1–11) se prolonge (Jn 12) par une section qui jette un pont en direction du récit de la Passion. Fort de ces approches préliminaires, l’A. examine la relation établie entre signes et rites dans le dialogue avec Nicodème, dans le discours sur le pain de vie et dans le récit du lavement des pieds pour conclure à l’existence d’une « exemplarité rituelle et liturgique ». Il analyse dès lors les signes en tant que modèles, à l’aune notamment du parcours de l’aveugle-né et de l’onction à Béthanie. Il étend ensuite l’analyse aux « paraboles » ou énigmes prononcées par le Jésus johannique et y découvre la même logique binaire que dans les signes. Il discerne enfin, dans les apparitions du Ressuscité en Jn 20, des « parcours de reconnaissance structurés à la façon des signes du temps de la vie publique » et sujets, comme eux, à ambivalence dès lors qu’il est toujours possible de s’arrêter au signifiant visible alors qu’il convient de se projeter jusqu’au signifié spirituel et invisible.
La démarche suivie est à la fois progressive, cohérente et probante, et elle pourra convaincre en dehors de la tradition pour laquelle elle semble conçue. On peut toutefois regretter que l’ouvrage soit quasiment dépourvu de notes, ne comporte pas de bibliographie et ne renvoie, sauf omission de notre part, qu’à deux auteurs, Oscar Cullmann et Xavier Léon-Dufour.
Christian Grappe
Dany Christopher, The Appropriation of Passover in Luke-Acts, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament. 2. Reihe » 476, 2018, xiii + 253 pages, ISBN 978-3-16-155148-2, 69 €.
Version révisée d’une thèse préparée à l’Université de Durham sous la direction de Lutz Doering, l’ouvrage, qui se réclame principalement de l’analyse narrative tout en convoquant aussi les sources littéraires permettant de préciser la manière dont était comprise la Pâque dans le judaïsme au tournant de notre ère, se propose, comme le titre l’indique, d’étudier la manière dont l’auteur de Luc-Actes 578s’approprie le motif de la Pâque, explicitement présent en Lc 2,41 ; 22,1 et en Ac 12,4, tout au long de son œuvre double.
Il commence par étudier les références à la Pâque dans la littérature juive composée entre le deuxième siècle avant notre ère et le premier siècle de notre ère et en infère qu’émergent essentiellement trois motifs : la Pâque en tant que marqueur temporel ; la victime pascale ; le repas pascal. Au passage, l’A. évoque la relecture du cantique de Déborah qu’effectue le Livres des Antiquités bibliques (32,16-17) en annonçant, sur fond de renouveau de la Création, une nuit semblable à celle où Dieu frappa les premiers-nés des Égyptiens à cause de son premier-né. Il la rapproche du poème des quatre nuits (Targum Ex 12,42) qui, à partir de la nuit de veille dont il est question en Ex 12,42, relit l’ensemble de l’histoire d’Israël autour de quatre nuits (pascales) pour la faire culminer avec la quatrième nuit de la venue du Roi messie. Toutefois, il ne retient pas pour autant l’espérance eschatologique liée à la fête comme l’un de ses aspects majeurs alors même qu’un passage de Flavius Josèphe, qui n’est pas cité, indique que cette espérance devait être importante puisqu’il précise que, lors de la Pâque, les prêtres avaient coutume d’ouvrir les portes du Temple après minuit. Et l’on voit mal pourquoi ils l’auraient fait s’ils n’avaient pas précisément attendu la venue du Seigneur ou du messie à ce moment précis (Antiquités juives XVIII,29). Contrairement à certains de ses devanciers comme A. Strobel et R. Le Déaut, l’A. minimise ainsi dans un premier temps la dimension eschatologique de la fête, alors même qu’il va souligner par la suite son aspect sotériologique et les liens qu’elle entretient avec la parousie.
Il lit ensuite le récit de la Passion, et plus particulièrement Lc 22,1-20, à la lumière du motif pascal, en mettant en exergue : les références explicites à la Pâque et aux Azymes ; la présence d’un ennemi au pouvoir destructeur, représenté en l’occurrence par la figure de Satan (Lc 22,3) ; la place réservée au dernier repas, composé précisément de pain et de vin et qui se voit accorder une valeur mémorielle, avant l’acte salvateur proprement dit. Il insiste, sans que cela nous paraisse forcément convaincant, sur le fait que, pour Luc, le cadre pascal permet de souligner la dimension sacrificielle de la mort de Jésus, cette dernière s’avérant nécessaire dans le cadre du scénario de salut retenu.
L’A. aborde alors la place de la Pâque dans le récit de l’enfance. Il signale la présence de motifs pascaux dans l’hymne de Zacharie (Lc 1,67-79). Il met en parallèle la hâte manifestée par les bergers pour se rendre de nuit auprès de l’enfant Jésus et la hâte qui caractérise la 579consommation nocturne du repas pascal conçu comme anticipation de l’expérience salutaire de la sortie d’Égypte. Il tient encore, de manière fort suggestive et convaincante, le récit de la venue pascale de Jésus au Temple (Lc 2,41-52), où il reste trois jours avant que ses parents le retrouvent et qu’il leur explique qu’il lui faut être chez son Père, pour une prolepse des récits de la Passion et de la Résurrection.
Un chapitre est consacré ensuite à la question des liens éventuels de la Pâque avec la parousie, liens dont nous avons déjà indiqué qu’ils auraient pu être affirmés d’emblée. L’A. lit en fait, à la suite notamment d’A. Strobel, la parabole de l’attente du retour du maître des noces (Lc 12,35-40) et la section consacrée à l’attente déplacée de la parousie (Lc 17,20-37) à la lumière d’une attente eschatologique pascale à laquelle sont empruntés certains motifs, même si, sur le fond, Luc invite, en vue de la parousie, à une vigilance non pas simplement pascale, mais de tous les instants.
Enfin, un dernier chapitre se concentre sur les récits de libération de Pierre (Ac 12) et de Paul (Ac 27) en les envisageant fort judicieusement, à la suite notamment de D. Marguerat, sous l’angle d’une synkrisis permettant de mettre en parallèle les destinées respectives de Jésus et des deux apôtres si bien que « tant la Pâque que la Passion sont inscrites dans la délivrance de Pierre et de Paul » (p. 198), cette dernière étant précisément située un quatorzième jour dont il y a toutes les raisons de penser que le lecteur est invité à le mettre en lien avec la Pâque.
Le parcours proposé est à la fois cohérent et convaincant, même si, comme nous l’avons indiqué, il nous semble que l’espérance eschatologique liée à la Pâque dans des sources juives aurait gagné à être mise d’emblée en exergue.
Christian Grappe
Karl Olav Sandnes, Paul Perceived. An Interactionist Perspective on Paul and the Law,Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament » 412,2018, ix + 260 pages, ISBN 978-3-16-156101-6, 124 €.
Convaincu que ce point de vue est par trop négligé par la recherche contemporaine, l’A. se propose ici d’étudier comment Paul était perçu par d’autres qui ont commenté sa prédication, plus particulièrement 580en lien avec la Loi et avec ce qui pouvait relever de son domaine. Il se concentre en fait sur les voix d’autres que Paul qui sont incorporées au sein de ses propres lettres et sur le témoignage des Actes des Apôtres.
Pour ce qui est des témoignages rapportés par l’apôtre des Gentils, il en trouve d’abord en Galates (1,23 ; 2,17 ; 3,21 ; 5,11). Il en infère que les adversaires de Paul estimaient que l’usage qu’il faisait de la figure d’Abraham en mettant en tension Loi et promesses conduisait à les opposer, à dépouiller la Loi de son rôle d’antidote contre le péché et à entrer en contradiction tant avec les récits relatifs à Abraham conçus comme un tout qu’avec le sommaire de la Loi réputée conduire à la vie, consigné en Lv 18,5. Il découvre en substance le même argument-clé des adversaires de Paul en Rm 3,8, verset qu’il analyse dans le contexte de Rm 3,1-8 et en lien avec Rm 9–11. Il en conclut que trois points étaient particulièrement sensibles aux yeux des adversaires du Tarsiote : la nécessité de la circoncision ; le rôle de la Loi en tant qu’antidote contre le péché ; la biographie d’Abraham. L’examen des Actes auquel se livre encore l’A. le conforte dans l’idée que Paul a bien eu à faire face à des contestations et à des troubles en raison de son attitude par rapport à la Loi. Il se serait trouvé confronté ainsi au reproche de ne pas fournir, notamment aux païens convertis, l’antidote de la Loi en vue de les prémunir du péché, ce à quoi il aurait répondu en martelant que la vie renouvelée, rendue possible et régie par l’Esprit, manifeste en fait l’idéal de la Loi parmi les croyants.
Sans être profondément originale, cette étude a le mérite d’aborder un aspect, qui est effectivement le plus souvent négligé, de la toute première réception de Paul et de nourrir ainsi la réflexion en apportant des considérations intéressantes au débat relatif à Paul et la Loi.
Christian Grappe
Jill E. Marshall, Women Praying and Prophesying in Corinth. Gender and Inspired Speech in First Corinthians, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament. 2. Reihe » 448, 2017, xiii + 255 pages, ISBN 978-3-16-155503-9, 79 €.
Dans cette thèse de doctorat présentée en mai 2015 à l’Université Emory et révisée en vue de sa publication, l’A. tente d’expliquer ce qui lui paraît être une tension entre l’autorisation conditionnelle 581pour une femme de prier et de prophétiser dans l’assemblée en 1 Co 11,2-16 et l’interdiction pure et simple pour elle de prendre la parole en ce même lieu selon 1 Co 14,34-35. Convaincue avec raison que les frères et les sœurs corinthiens d’origine polythéiste n’ont pas fait table rase de leur passé mais se sont essayés aux idées nouvelles de l’Évangile paulinien en s’appuyant sur ce qui leur était familier, elle a jugé opportun de mener une enquête sur les lieux possibles où des femmes étaient susceptibles de prendre la parole dans l’Antiquité – à Corinthe ou ailleurs – et, surtout, sur l’image que les auteurs anciens donnaient des figures féminines inspirées comme, notamment, la Pythie ou la Sibylle.
En guise d’entrée en matière, l’A. revisite quelques essais de reconstitution de la vie ecclésiale à Corinthe qui ont marqué la recherche, en prêtant attention à la manière dont ils abordent et présentent les diverses prises de parole de femmes dont il est fait état en 1 Co (chap. 1). Du très rapide examen, mené au chap. 2, du dossier archéologique et des textes anciens qui nous renseignent sur le paysage religieux de la cité isthmique au ier siècle de notre ère, elle retient principalement deux lieux où des femmes ont eu l’occasion de s’exprimer sur un mode religieux et/ou inspiré : le sanctuaire de Déméter et Coré, ainsi que les festivités en l’honneur d’Isis. C’est vers Tite-Live, Philon et Plutarque que l’A. se tourne ensuite au chap. 3 pour relever que chacun de ces trois auteurs témoigne à sa manière de la possibilité qu’avaient les femmes de prendre la parole en certaines occasions et en certains endroits seulement, preuve pour elle que cette tension entre l’acceptation et la limitation du discours féminin était un lieu commun dans le contexte méditerranéen d’alors et que la problématique abordée par Paul en 1 Co n’avait rien de bien spécifique. Le détour par quelques traités philosophiques, poèmes épiques ou pages anciennes consacrées à la mantique (chap. 4) est l’occasion de faire un point sur les stéréotypes de la prophétesse diffusés par ces canaux : des images se révélant être parfois frénétiques, sexualisées ou violentes et qui, du point de vue de l’A., ont pu interférer dans les consignes données par Paul en 1 Co 11–14. C’est à dégager la logique de ce qu’elle tient pour un mouvement argumentatif de la lettre qu’elle s’essaie alors (chap. 5 et 6). Il lui semble en effet que Paul ne dit pas son dernier mot en 1 Co 11,2-16 mais qu’il prépare patiemment, en 1 Co 11,17–14,25, la réponse définitive donnée en 1 Co 14,33b-35, des versets que l’A. tient pour authentiques.
582La thèse, qui a le mérite d’avoir été avancée, ne nous a pas vraiment convaincu. Dans sa forme actuelle, l’analyse d’1 Co 11,17–14,25 reste trop à la surface du texte et n’apporte guère d’arguments décisifs. Il nous paraît entre autres délicat de conclure à une fonction de ce passage analogue à celle d’1 Co 9,1–10,13, à savoir établir un pont entre un point de vue relatif (1 Co 8,1-13/11,2-16) et la solution privilégiée au final (1 Co 10,14–11,1/1 Co 14,33b-35). L’indéniable apport de cet ouvrage est cependant de resituer la prise de parole religieuse et/ou inspirée des femmes dans son contexte historique et multiculturel et d’avoir cherché à exploiter les données des fouilles archéologiques menées dans la Colonia Laus Julia Corinthiensis pour éclairer le passage étudié.
Daniel Gerber
Albert Vanhoye, A Perfect Priest. Studies in the Letter to the Hebrews. Edited and translated by Nicholas J. Moore and Richard J. Ounsworth, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament. 2. Reihe » 477, 2018, x + 330 pages, ISBN 978-3-16-154289-3, 84 €.
Albert Vanhoye, éminent spécialiste de l’épître aux Hébreux âgé aujourd’hui de 96 ans, se voit ici honoré pour la première fois par la traduction en anglais d’une série d’articles représentatifs, au nombre de seize, qu’il a publiés au fil de sa brillante carrière, étant entendu que la plupart de ses monographies ont déjà été publiées dans cette langue.
Les études ici reprises ont toutes été traduites à partir du français, à l’exception d’une seule, initialement publiée en italien, ce qui n’a rien d’étonnant puisque l’A. a été professeur à l’Institut biblique pontifical et a par ailleurs exercé longtemps la responsabilité de secrétaire de la Commission biblique pontificale.
Après une excellente introduction qui évoque l’itinéraire et la carrière de l’A., les traits majeurs de son œuvre ainsi que la raison de la publication de l’ouvrage – l’ignorance du français par un nombre toujours croissant d’exégètes anglophones – et son contenu, l’ensemble se divise en trois parties.
La première, qui est la plus développée, a pour thème « prêtrise et sacrifice » et évoque ces deux motifs à travers les contributions suivantes : « Le Christ, grand-prêtre selon Hébreux 2,17-18 », passage 583décisif pour l’interprétation que propose l’A. de l’écrit ; « Situation et signification de Hébreux 5,1-10 » ; « La “Teleiôsis” du Christ : point capital de la christologie sacerdotale d’Hébreux », contribution qui plaide vigoureusement en faveur d’une interprétation à la fois cultuelle, existentielle et relationnelle du motif de la teleiôsis ; « Par la tente plus grande et plus parfaite (He 9,11) », expression dont le sens est très discuté et que l’A. interprète en fonction du corps ressuscité et glorifié du Christ ; « Esprit éternel et feu du sacrifice en He 9,14 », article qui propose que l’Esprit éternel soit l’Esprit Saint par lequel le sacrifice du Christ monte jusqu’à Dieu ; « Sanctuaire terrestre et sanctuaire céleste dans la lettre aux Hébreux », qui complète et précise ce qui a été dit précédemment de la tente ; « Anamnèse historique et créativité théologique dans la lettre aux Hébreux », qui récapitule le propos en faisant valoir qu’une compréhension existentielle de la prêtrise et du sacrifice a été atteinte à travers la contemplation de la mort du Christ.
La deuxième partie regroupe des études thématiques : « La Loi dans l’épître aux Hébreux » ; « Le Dieu de la Nouvelle Alliance dans l’épître aux Hébreux » ; « Salut universel par le Christ et validité de l’Ancienne Alliance » ; « Le Christ recréateur de l’homme et restaurateur de ses droits ».
Enfin, la dernière partie rassemble cinq études exégétiques : « L’oikounenè dans la lettre aux Hébreux » ; « Longue marche ou accès tout proche : le contexte biblique d’He 3,7–4,11 » ; « He 6,7-8 et le mashal rabbinique » ; « La foi de Jésus ? À propos d’He 12,2 : Jésus initiateur et “accomplisseur” de la foi » ; « La question littéraire de He 13,1-6 ».
L’ensemble est complété par des différents index, des sources anciennes et des auteurs modernes cités, mais aussi thématique, ce qui est particulièrement bienvenu pour un volume de ce type.
Christian Grappe
Phillip A. Davies, Jr., The Place of Paideia in Hebrew’s Moral Thought,Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament. 2. Reihe » 475, 2018, xii + 291 pages, ISBN 978-3-16-156003-3, 89 €.
Version révisée d’une thèse qui a été préparée sous la direction de Hermut Löhr à la Faculté de Théologie protestante de l’Université de 584Münster avant d’être soutenue en 2016, l’ouvrage se concentre sur l’étude d’He 12,1-17 et se démarque de la thèse majoritaire selon laquelle la discipline (paideia) envisagée dans ce passage serait non punitive.
Après la classique introduction, l’A. consacre un long chapitre à la pensée morale d’He et fait valoir que l’argument théologique porte sur la question du péché, et non sur celle de l’apostasie qui consiste en fait à retourner volontairement dans le péché, l’exhortation visant à promouvoir une vie droite dans la durée, vie droite se traduisant par des actes concrets et excluant précisément ledit péché dès lors qu’une seconde repentance n’est pas envisageable.
Il aborde ensuite la place importante qui revenait aux châtiments corporels dans l’éducation traditionnelle et regrette qu’elle soit généralement occultée par les interprètes d’He 12.
Il examine alors Pr 3,1-12 et 4,20-27 en lien avec He 12, dès lors que Pr 3,11-12 est cité en He 12,5-6, et relève que de nombreux motifs tels que la paix, le fruit de justice, la vie et la guérison sont communs aux deux textes. Il fait valoir encore que Pr 3,11-12 n’a trait ni dans son contexte littéraire ni en He 12 à une punition consécutive à une mauvaise action mais exprime plutôt la conviction selon laquelle, même en cas d’événements contraires par lesquels il les fait passer, Dieu peut manifester son amour et son accueil pour les croyants. Il trouve d’ailleurs en Jb 5,17 et en Dt 8,5 des appuis à la lecture qu’il propose ainsi d’He 12.
Il consacre enfin un dernier chapitre à placer cette lecture en cohérence avec le reste de l’écrit, dans la mesure où l’auteur ne cesse d’exhorter les destinataires à repousser le péché et à « endurer », tout en recherchant la paix et la sainteté. He 12,1-17 apparaît ainsi comme l’illustration même du fait qu’une vie dans le péché entre en contradiction avec ce qui constitue le but même de la paideia divine.
L’ouvrage, dont l’A. signale qu’il entre sur plusieurs points en tension avec les positions de son directeur de thèse qu’il remercie vivement de l’avoir laissé défendre des points de vue qui s’éloignaient des siens, est à la fois bien construit et bien argumenté. Il invite à se souvenir que, sur des questions comme celles de l’éducation, les critères prévalant aujourd’hui sont fort différents de ceux qui étaient de mise dans l’Antiquité et qu’il convient de les prendre en compte pour faire justice à une argumentation susceptible de se trouver en décalage avec celle que nous pourrions spontanément tenir.
Christian Grappe
585Lukas Stolz, Der Höhepunkt des Hebräerbriefs. Hebräer 12,18-29 und seine Bedeutung für die Struktur und die Theologie des Hebräerbriefs,Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament. 2. Reihe » 463, 2018, xxiv + 527 pages, ISBN 978-3-16-155754-5, 109 €.
Version révisée d’une thèse préparée sous la direction de Jakob Thiessen et soutenue en 2017 à la Theologische Hochschule de Bâle, l’ouvrage procède en trois grandes étapes.
Tout d’abord sont traitées les questions générales d’introduction, l’A. situant la rédaction d’Hébreux, qu’il considère comme une forme de sermon, avant 70 et présentant différents modèles d’organisation de l’écrit.
Suit une exégèse méthodique, conduite verset par verset, d’He 12,18-29 et occupant près des trois quarts de l’ouvrage, les versets 18-21, 22-24 et 25-29 étant envisagés comme autant de sections au sein de cet ensemble.
Vient enfin une évaluation globale qui propose de voir en He 12,18-29 le sommet de l’écrit en fonction des correspondances frappantes de contenu que l’on peut relever avec He 1,1-4 (du fait notamment de la mise en œuvre du motif du Dieu qui parle et du caractère théocentrique des deux passages), de l’opposition entre montagne de Sion et Jérusalem céleste (qui fait écho à la mise en tension des deux alliances), de l’importance que revêt le motif du Dieu qui parle au sein de l’écrit et de la place accordée tant au thème de la promesse qu’à l’horizon eschatologique. He 12,22-24 est dès lors présenté comme le résumé théologique et le climax rhétorique de l’œuvre, et He 12,25-29 comme son résumé parénétique, aussi concis qu’incisif, He 12,18-29 étant conçu globalement comme la peroratio d’une prédication qui, comme Backhaus et Lincoln l’ont proposé avant l’A., aurait été dotée d’une finale épistolaire qui couvrirait l’ensemble du chapitre 13.
L’ensemble se caractérise par le sérieux et l’acribie des analyses, même si le plan suivi s’avère un peu scolaire pour un travail qui relève a priori du genre littéraire de la thèse. L’absence de sections dévolues à des motifs spécifiques est toutefois palliée par l’existence d’un index thématique particulièrement bienvenu.
Christian Grappe
586Christopher T. Holmes, The Function of the Sublime Rhetoric in Hebrews. A Study in Hebrews 12:18-29, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament. 2. Reihe » 465, 2018, xviii + 234 pages, ISBN 978-3-16-155752-1, 79 €.
Version révisée d’une thèse qui a été préparée sous la direction de Luke Timothy Johnson à Emory University et qui a été soutenue en 2015, l’ouvrage, beaucoup plus court que le précédent, traite du même passage que lui mais s’avère beaucoup plus profilé dès lors qu’il s’attache, quant à lui, à déceler, dans le passage considéré, trace de la rhétorique du sublime telle qu’elle est codifiée dans le traité De sublimitate de Caecilius de Calè-Actè, rhéteur sicilien contemporain d’Auguste et s’inscrivant dans la lignée des grands orateurs attiques.
L’A., se situant dans le sillage de travaux comme ceux de Kennedy qui décelait dans le Nouveau Testament la présence d’une rhétorique particulière de la religion au cœur de laquelle on trouve une proclamation ayant vocation à faire autorité plutôt qu’une persuasion rationnelle, cherche à expliciter He 12,18-29 précisément par le recours à la rhétorique du sublime qui assigne au langage la capacité de conduire par-delà la raison et la logique pour produire de puissantes émotions et proposer de saisissants portraits de la réalité générant quelque chose qui ressemble aux effets de l’expérience religieuse.
Il présente au passage le traité de Caecilius, qui revêt notamment la particularité de suggérer que la rhétorique du sublime a le pouvoir d’éveiller des auditeurs apathiques, de les conduire à lever les yeux pour prendre en considération des réalités extérieures à ce monde et de les inciter à progresser dans le domaine de la vertu.
Il éclaire ensuite He 12,18-29 à partir de l’analyse, qu’il vient d’effectuer, du De sublimitate, tout en prolongeant une intuition de Martha Nussbaum selon laquelle il y a un lien essentiel entre l’expression ou le style d’un texte et les conceptions ou les idées qu’il véhicule. La lecture qu’il propose fait apparaître que tout, de la construction des phrases au choix des mots, du recours au langage imagé à l’appel aux émotions, vise à affecter le sens de la vie (sense of life) des destinataires. C’est ainsi qu’He chercherait à remédier à l’apathie et au manque d’endurance des destinataires en leur adressant un discours qui a vocation à orienter durablement leur vie dans une perspective croyante.
587Cette étude à la fois originale et stimulante intéressera non seulement les spécialistes d’Hébreux mais aussi ceux du Nouveau Testament en général, dès lors qu’elle ouvre de nouvelles perspectives pour son étude sur le plan rhétorique en invitant à considérer que ses auteurs aient pu s’inspirer d’un autre modèle encore que celui qu’illustrent les traités d’Aristote, de Quintilien, d’Hérennius ou de Cicéron.
Christian Grappe
Jonathon Lookadoo, The High Priest and the Temple. Metaphorical Depictions of Jesus in the Letters of Ignatius of Antioch,Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament. 2. Reihe » 473, 2018, xvi + 355 pages, ISBN 978-3-16-156071-2, 89 €.
L’ouvrage est le fruit d’une thèse qui a été préparée sous la direction de Paul Treblinco et de James Harding à l’Université d’Otago (Nouvelle-Zélande).
L’A. commence par proposer un état de la question organisé autour de la prise en compte de l’appariement de la métaphore du grand prêtre, appliquée à la figure du Christ, et de celle du temple, qui a trait au cadre de la relation existant entre l’église locale et son évêque ou entre Dieu et son peuple, chez Ignace. Il dessine ensuite le profil des opposants auxquels ce dernier fait face, cela en prônant l’unité face au péril de la division, dans les trois lettres où apparaissent les deux métaphores étudiées, à savoir celles adressées aux Philadelphiens, aux Éphésiens et aux Magnésiens, qui sont alors abordées dans cet ordre.
Les analyses méticuleuses qui sont menées conduisent au constat d’une réelle cohérence même si chaque lettre présente une accentuation spécifique. Si, dans l’ensemble, le Christ fonctionne, en tant que grand prêtre, comme intermédiaire entre Dieu le Père et les églises, qui ont vocation à être unies comme temple de Dieu, la métaphore du temple fait l’objet de variations : le culte peut être orienté selon les cas vers Dieu ou vers Jésus, appelé dieu en Éphésiens 9,1 ; les destinataires peuvent être considérés comme une entité active (appelée à un engagement éthique responsable pour se trouver en conformité avec sa vocation d’être temple) ou passive 588(les pierres désignant alors les bénéficiaire de l’œuvre de salut) ; ils peuvent être envisagés collectivement ou individuellement en tant que temple.
L’étude à la fois fouillée, nuancée et claire est bien menée. Elle se recommande aussi du fait que les développements d’Ignace sont régulièrement comparés avec d’autres représentations, plus ou moins proches, que l’on trouve à la fois dans la littérature juive intertestamentaire, dans le Nouveau Testament et dans la littérature chrétienne ancienne.
Christian Grappe
VIENT DE PARAÎTRE
Matthieu Arnold, Albert Schweitzer. Seine Jahre im Elsass (1875-1913). Übersetzt von Gerhard Philipp Wolf, Leipzig, Evangelische Verlagsanstalt, 2019, 367 pages, ISBN 978-3-374-06103-7, 25 €.
Le présent ouvrage consiste en la traduction allemande de notre essai Albert Schweitzer. Les années alsaciennes 1875-1913 (Strasbourg, La Nuée Bleue, 2013).
Ce livre présente l’enfance et la jeunesse de Schweitzer à Gunsbach, à Munster et à Mulhouse. Il examine de manière détaillée les années strasbourgeoises du futur prix Nobel de la paix : ses études en théologie puis sa carrière de Privatdozent en Nouveau Testament ; son ministère de vicaire à l’église Saint-Nicolas et ses nombreuses activités musicales. Il expose ensuite le lent mûrissement de la décision, prise par Schweitzer, de partir en tant que médecin-missionnaire pour l’Afrique, en mettant en lumière le rôle capital joué par Hélène Bresslau dans cette décision ; il montre combien les études de médecine et les tractations avec la Mission de Paris ont été éprouvantes pour le candidat au départ à Lambaréné.
Nous avons mis à profit cette traduction pour réviser l’édition de 2013. Les travaux parus depuis lors ont été pris en compte, et nous 589avons consulté le dossier de Schweitzer, étudiant en médecine, qui était inaccessible entre 2011 et 2013 en raison du déménagement des Archives départementales du Bas-Rhin. Une préface inédite (p. 9-11) est destinée aux lecteurs germanophones.
Matthieu Arnold
- Thème CLIL : 4046 -- RELIGION -- Christianisme -- Théologie
- ISBN : 978-2-406-09894-2
- EAN : 9782406098942
- ISSN : 2269-479X
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09894-2.p.0079
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 10/12/2019
- Périodicité : Trimestrielle
- Langue : Français