La controverse des religions politiques et séculières
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuses
2019 – 4, 99e année, n° 4. varia - Auteur : Vazeux (Paul Israël)
- Pages : 491 à 515
- Revue : Revue d'Histoire et de Philosophie religieuses
La controverse des religions politiques et séculières
Paul Israël Vazeux
Faculté de Théologie Catholique
de l’Université de Strasbourg
Eric Voegelin et les religions politiques
Une dénomination qui soulève un problème linguistique
En 1938, le philosophe autrichien Eric Voegelin publie Die politischen Religionen, un brûlot philosophique dans lequel il s’en prend aux différentes formes de collectivisme politique et, plus particulièrement, au nazisme1. Comme le titre l’indique, Voegelin plaide dans cet ouvrage en faveur d’une interprétation religieuse des régimes totalitaires, qui seule permet, selon lui, d’en cerner la nature opaque et d’en mettre à jour les racines spirituelles. « Le collectivisme politique, écrit-il, n’est pas seulement un phénomène politique et moral ; sa composante religieuse me paraît beaucoup plus importante2. » Mais notre auteur a conscience que cette approche religieuse des totalitarismes soulève des réticences :
Parler de religions politiques et interpréter les mouvements de notre temps non seulement comme des faits politiques, mais encore et surtout comme des faits religieux, voilà qui ne va pas encore de soi aujourd’hui, alors que le contexte actuel devrait contraindre tout observateur attentif à adopter un tel discours. La raison de cette résistance réside dans l’usage symbolique de la langue, tel qu’il s’est établi durant les derniers siècles avec la dissolution de l’unité de l’Empire d’Occident et l’émergence des États modernes3.
492La dénomination « religion politique » pose un problème linguistique car elle semble confondre deux réalités distinctes, irréductibles l’une à l’autre : la religion et l’État. En effet,
qui dit « religion » pense à l’institution de l’Église, et qui dit « politique » pense à l’État. Ces organisations se font face, comme des unités claires et solides, mais l’esprit qui remplit ces deux corps n’est pas du même type. […] Par « religion » on désigne des phénomènes comme le christianisme et les autres grandes religions de salut ; par « État », les organisations politiques du type de l’État-nation moderne4.
Aussi, pour appréhender l’essence des États totalitaires, Voegelin se propose-t-il d’« élargir le concept du religieux de manière à pouvoir rendre compte non seulement des religions de salut, mais aussi d’autres manifestations que nous percevons comme religieuses dans le développement des États5 ». C’est pourquoi l’auteur prend une décision linguistique : il propose d’appeler « religions supramondaines » « les religions spirituelles qui trouvent le Realissimum dans le fondement du monde » et de désigner comme « religions intramondaines » « toutes les autres, qui logent le divin dans des éléments partiels du monde6 ».
Une réflexion anthropologique
Voegelin définit les religions politiques en les distinguant des religions traditionnelles. Il croit pouvoir discerner dans toute expérience humaine deux formes de religiosités latentes, lesquelles donnent naissance à deux types de religions diamétralement opposées. La première expérience religieuse, purement spirituelle, aurait pour objet un être ou une réalité transcendante (Dieu, l’immortalité de l’âme, l’au-delà), et elle se cristalliserait sous la forme des religions dites traditionnelles ou « supramondaines ». Dans la seconde forme de religiosité, en revanche, l’homme chercherait le divin au travers d’expériences « intramondaines » qui lui donnent l’illusion de se dépasser et de se transcender : dans le don de soi à la collectivité, par exemple, ou bien dans le sacrifice de sa vie pour la Patrie, dans l’exaltation de l’héroïsme guerrier, ou bien dans la célébration 493mystique de la race et du sang : autant d’expériences mystiques dans lesquelles l’être humain renonce à son individualité personnelle pour se fondre dans une entité impersonnelle et abstraite : la Race, la Classe ou la Nation. Celles-ci, érigées en « être le plus réel », c’est-à-dire en norme absolue, en valeur suprême de l’existence humaine, engendreraient les religions politiques modernes.
D’un point de vue anthropologique, les idéologies totalitaires dériveraient d’une expérience religieuse subvertie dans la mesure où elles décapitent l’ordre transcendant de la création (Dieu) pour mettre à la place l’État, ce Tout collectif qui aliène et dépersonnalise l’homme en en faisant un rouage de sa machinerie infernale7. Ainsi, ce qui se joue au travers de cette réflexion sur les religions politiques, ce n’est pas « la validité d’une définition », mais une « question de vie ou de mort » : « il s’agit de savoir si l’homme peut exister personnellement, ou s’il doit se dissoudre dans un Realissimum qui le dépasse8. »
Une analyse généalogique
et structurelle des religions politiques
Cette deuxième forme de religiosité « intramondaine », si elle a toujours existé comme une possibilité inscrite dans la structure même de l’existence humaine, a trouvé dans les religions politiques une effectuation concrète. C’est leur genèse que Voegelin se propose de retracer dans son ouvrage. Historiquement, il fait remonter la première ébauche de religion politique à la réforme religieuse d’Akhenaton vers 1350 avant notre ère. Celle-ci constitue, selon lui, une instrumentalisation de la religion au service du politique, une forme d’emprise totale de l’État sur la vie sociale et religieuse de ses membres qui préfigure la dérive totalitaire des États modernes.
Dans une perspective plus structurelle, Voegelin distingue quatre catégories de symboles politico-religieux constitutifs des religions politiques, à savoir les symboles de la hiérarchie ou de la médiation, le symbole de l’ecclesia, la distinction du spirituel et du temporel, et l’apocalypse9. Sans entrer ici dans l’analyse du contenu de ces 494symboles du sacré, notons que cette construction théologico-politique intègre à la fois un élément ecclésiologique (le souverain comme médiateur entre Dieu et les hommes, et l’ecclesia, conçue comme corpus mysticum) et un élément eschatologique. Ainsi, Voegelin reconnait dans le « troisième règne de l’Esprit-Saint », prophétisé par Joachim de Flore, le prototype des symboles apocalyptiques contemporains. Il voit dans l’abbé calabrais l’inspirateur des mouvements millénaristes révolutionnaires qui vont surgir à la fin du Moyen Âge, annonçant les bouleversements de la modernité politique. Il attribue notamment à sa théologie de l’histoire (division de l’histoire en trois âges attribués respectivement aux trois personnes divines), ainsi qu’à ses prophéties apocalyptico-millénaristes relatives à l’apparition d’un premier Antéchrist et à la venue du novo dux (le chef-guide religieux qui introduira l’ère nouvelle), un rôle charnière dans le processus de mondanisation ou de sécularisation de l’espérance judéo-chrétienne.
La sécularisation , ou le terreau des religions politiques
C’est sur ce terreau propice d’un Occident sécularisé que les religions politiques modernes viendraient éclore et prospérer :
Il est épouvantable – écrit Voegelin dans sa préface – d’entendre continuellement dire que le national-socialisme n’est qu’une régression vers la barbarie, vers le sombre Moyen Âge, vers des temps antérieurs aux progrès modernes de l’humanité, sans que ceux qui parlent ainsi se doutent un seul instant du fait que c’est précisément cette sécularisation de la vie, qui amena avec elle l’idée d’humanité, qui se trouve être le sol même sur lequel des mouvements religieux antichrétiens comme le national-socialisme ont pu naître et grandir10.
Le philosophe chrétien, qui cherche à identifier les causes spirituelles de la crise de la modernité, voit dans la sécularisation amorcée par les Lumières un processus de désintégration spirituelle qui débouche logiquement sur les crimes de masse du xxe siècle :
Ce monde se trouve dans une grave crise, dans un processus de dessèchement qui a sa source dans la sécularisation de l’esprit, dans la séparation d’un esprit devenu seulement mondain d’avec ses racines ancrées dans la religiosité11.
495La modernité occidentale, estime Voegelin, a sombré dans le nihilisme parce qu’elle s’est coupée volontairement de son origine transcendante. Hegel serait l’initiateur de cette « révolte égophanique » qui culmine dans le « Dieu est mort » de Zarathoustra et s’abîme dans les ténèbres de l’absurde et du non-sens12. On pourrait mentionner ici, en écho à cette lecture très pessimiste de la modernité, la réflexion qu’André Malraux met sous la plume du Chinois Ling, dans La tentation de l’Occident :
La réalité absolue a été pour vous Dieu puis l’homme ; mais l’homme est mort et vous cherchez avec angoisse à qui vous pourriez confier son étrange héritage13.
Son correspondant européen A. D. parvient à la même conclusion :
Pour détruire Dieu, et après l’avoir détruit, l’esprit européen a anéanti tout ce qui pouvait s’opposer à l’homme : parvenu au terme de ses efforts, comme Rancé devant le corps de sa maîtresse, il ne trouve que la mort. Avec son image enfin atteinte, il découvre qu’il ne peut plus se passionner pour elle. Et jamais il ne fit d’aussi inquiétante découverte14…
Selon Voegelin, seul un renouvellement religieux pourrait remédier à cette profonde crise civilisationnelle qui est avant tout une crise d’ordre spirituel dont les religions politiques sont le symptôme. Aussi, le vrai combat contre le nazisme est-il avant tout de nature religieuse :
Je ne veux donc pas dire par là que le combat contre le national-socialisme ne doive pas être mené également sur le plan éthique ; mais justement qu’il n’est pas mené assez radicalement, selon mon point de vue, car il lui manque un enracinement dans la religiosité15.
Une récidive gnostique ?
Quelques années après la guerre, émigré aux États-Unis, Voegelin publie La nouvelle science du politique, ouvrage dans lequel il reprend en les approfondissant ses premières réflexions sur les 496religions politiques. Il y ajoute cependant un élément important : il entrevoit dans la modernité et, plus particulièrement, dans les totalitarismes une résurgence de l’ancienne gnose. Voegelin repère, en effet, à l’œuvre dans les idéologies totalitaires du xxe siècle, une forme de dualisme gnostique, c’est-à-dire une doctrine qui substantifie le mal et l’identifie à une catégorie d’individus à éliminer. Cette doctrine dualiste, qui prétend séparer les “bons” des “méchants” comme on sépare le bon grain de l’ivraie, opère une bipartition manichéenne de l’humanité. De la même manière, le nazisme et le communisme auraient pour trait commun, gnostique,
de donner au mal une figure identifiable et « expulsable », celle d’une « race » (juive) ou d’une « classe » (bourgeoise) censée tenir les rênes du monde, et d’organiser une vision du monde autour du combat contre cet agent du mal16.
Mais cette interprétation voegelinienne des religions politiques en termes de « récidive gnostique », si elle a le mérite de mettre en relief la conception dualiste du mal qui les caractérise, pèche en ce qu’elle ne prend pas assez en compte la dynamique eschatologique, c’est-à-dire la vision de l’Histoire qui sous-tend ces idéologies meurtrières. En effet, malgré la diversité des formes qu’elle revêt, la gnose peut se définir, conformément à son étymologie, comme une doctrine de salut individuelle octroyée par la connaissance (gnosis). Le salut, pour le gnostique, réside dans un acte de connaissance atemporel qui brise la succession horizontale du temps, un acte grâce auquel il s’évade verticalement de l’histoire vers un au-delà purement spirituel. Le monde matériel étant l’œuvre d’un mauvais démiurge (conception manichéenne) et l’âme humaine, d’origine divine, ayant chuté dans un corps soumis à la fragmentation du temps, il s’agit, pour l’homme pneumatique, de s’arracher du corps-tombeau (soma-sema) dans lequel il est prisonnier et de se soustraire à la temporalité déchue pour retourner à l’unité du plérôme divin. D’où la nécessité, pour le fidèle gnostique, de se soumettre à une rude ascèse corporelle ainsi qu’à une initiation mystique individuelle, au terme desquelles son nous reçoit la visite du Verbe et parvient à l’Illumination.
Cette doctrine insiste ainsi sur la dimension individuelle et atemporelle du salut, tandis que les religions politiques se définissent avant tout comme des religions de salut collectif − un salut 497qu’elles prétendent réaliser dans l’histoire et incarner ici-bas. C’est pourquoi, nous semble-t-il, plus qu’une sotériologie gnostique, mystique et anhistorique, c’est surtout une eschatologie à coloration messianique et/ou millénariste qui fonde le projet totalitaire. Aussi, nous préférons parler d’eschatologies séculières plutôt que de récidive gnostique pour interpréter les différentes formes de religions politiques qui ont ensanglanté le xxe siècle.
Les religions séculières, selon Raymond Aron
Si Raymond Aron préfère la dénomination de « religions séculières » à celle, voisine, de « religions politiques », c’est certainement parce qu’elle permettrait de mieux rendre compte de l’élément de sécularisation inhérent à la modernité politique. Voici la définition qu’il en donnait dans un célèbre article de 1944, intitulé « L’avenir des religions séculières » :
Je propose d’appeler « religions séculières » les doctrines qui prennent dans les âmes de nos contemporains la place de la religion évanouie et situent ici-bas, dans le lointain de l’avenir, sous la forme d’un ordre social à créer, le salut de l’humanité17.
Cette définition met en relief deux traits saillants des totalitarismes. Ce qui caractérise avant tout les religions séculières, selon Aron, c’est qu’elles « situent ici-bas » « le salut de l’humanité ». Autrement dit, elles immanentisent l’eschaton, ou, pour reprendre la terminologie de Karl Löwith, elles « mondanisent » l’objet transcendant de l’eschatologie judéo-chrétienne ‒ à savoir l’espérance en la victoire définitive de Dieu sur les forces du mal à la fin des temps. Au fond, comme les millénarismes du Moyen Âge, les idéologies totalitaires modernes travaillent « ici et maintenant » à l’accomplissement des promesses messianiques. Elles mobilisent toutes les ressources pour réaliser, à même cette terre, l’ère de justice et de paix annoncée par les prophètes. Aussi prétendent-elles instaurer, par la violence révolutionnaire, le Royaume de Dieu sur terre, en supprimant toute forme d’injustice et en éliminant toute souffrance.
498Les hommes formeront une société qui aura pour but de prendre de la vie tout ce qu’elle peut donner, mais exclusivement pour le bonheur et le contentement de la vie terrestre. L’homme s’identifiera à Dieu et sera rempli de fierté divine et titanique. Seigneur souverain de la nature par la science et par sa volonté, l’homme ressentira à toute heure une satisfaction si grande qu’elle remplacera toutes les espérances d’un bonheur dans l’au-delà. Ainsi parle le diable à Ivan Karamazov. Ainsi se définit la tentation : situer ici-bas l’accomplissement de la vocation humaine, et du même coup se rendre coupable de la suprême impiété : se désintéresser de tout ce qui dépasse la vie terrestre. […] Le socialisme, que visent les propos du diable, pousse à son terme cette sécularisation de la pensée et de l’ambition humaines18.
Mais – et c’est le deuxième point – parce qu’elles situent ici-bas le salut de l’humanité, ces doctrines « prennent dans les âmes de nos contemporains la place de la religion évanouie ». Elles se substituent aux religions traditionnelles en prétendant apporter aux hommes un bonheur purement terrestre qui « remplacera toutes les espérances d’un bonheur dans l’au-delà. » Elles apparaissent donc, pour reprendre la terminologie des auteurs chrétiens antinazis des années 30-40, comme des « Ersatz-Religionen », des « religions de substitution » ou de « remplacement19 ». Voici ce qu’Henri de Lubac, par exemple, écrivait durant la guerre :
Tous deux [bolchevisme et nazisme] sont des systèmes complets, « totalitaires », non pas seulement en ce sens qu’ils prétendent régir pratiquement toute la vie des hommes en société, ou en ce sens qu’ils donnent un fondement métaphysique universel à leurs doctrines, mais encore en ce sens qu’ils se présentent comme une conception complète du monde et de l’existence et comme une formule complète de salut. Ce sont donc, à ce titre, de véritables « religions », quoique des « religions de remplacement ». On l’a noté bien souvent. « Le communisme d’aujourd’hui renferme une idée de fausse rédemption », déclare Pie XI dans l’encyclique Divini Redemptoris. Pour le nazisme, la chose est plus claire encore, et le nom de néopaganisme qu’on lui a donné la souligne20.
Pour Lubac et ses coreligionnaires qui jugent les idéologies totalitaires à l’aune de leur foi chrétienne, celles-ci apparaissent comme des formes dévoyées de religion dans la mesure où elles développent une forme de « statolâtrie païenne » qui détournent les 499hommes du « vrai Dieu ». Aussi n’offrent-elles à leurs fidèles que des ersatz ou des substituts de religiosité21.
C’est ici que Feuerbach, l’un des plus éminents critiques de la religion au xixe siècle, se révèle visionnaire lorsqu’il écrit, dans un bref texte de 1842 intitulé « Nécessité d’une réforme de la philosophie » :
L’incroyance a remplacé la foi, la raison la Bible, la politique la religion et l’Église, la terre a remplacé le ciel, le travail la prière, la misère matérielle l’Enfer, l’homme a remplacé le Chrétien22.
Mais plus intéressant encore que ce constat portant sur ce que l’on pourrait appeler le résultat du processus de sécularisation des sociétés modernes est la conclusion que le philosophe athée tire de ce constat : « il nous faut redevenir religieux, il faut que la politique devienne notre religion », il faut « un principe suprême capable de transformer la politique en religion23 ». On voit bien ici que la question est de savoir, une fois la religion critiquée et dissoute par la critique anthropologique, ce que l’on met à la place : la réponse est que c’est la politique qui doit remplacer la religion. Ce qui ne veut pas dire que la politique sera elle-même religieuse : il est très clair que non, puisque le principe suprême qui permet que la politique prenne la place de la religion n’est autre que l’athéisme : « ce principe, écrit Feuerbach, n’est rien d’autre que l’athéisme, l’abandon d’un Dieu distinct de l’homme24 ».
Retenons ici que la dénomination « religion séculière » désigne avant tout, chez Raymond Aron, la sécularisation de l’eschatologie judéo-chrétienne, c’est-à-dire le transfert dans l’immanence terrestre de l’espérance en l’au-delà – cette tentative de bâtir le Paradis sur terre dont Claudel disait qu’elle crée tout de suite « un Enfer très convenable25 ».
Avant de faire droit aux objections et d’écouter les critiques qui ont été adressées à cette interprétation religieuse du phénomène totalitaire, il nous faut mettre à jour les enjeux herméneutiques qui sous-tendent cette controverse en la resituant dans le cadre plus large de la querelle de la sécularisation.
500La querelle de la sécularisation
Dans Meaning in History, publié en 1949 aux États-Unis, Karl Löwith développait l’idée selon laquelle « l’homme moderne a imaginé une philosophie de l’histoire en sécularisant les principes théologiques dans le sens d’un progrès vers un accomplissement26 ». Quelques années auparavant, Carl Schmitt avait formulé, sur le plan de la philosophie politique, la thèse suivante : « Tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l’État sont des concepts théologiques sécularisés27. » Ces auteurs développent ainsi une interprétation de la modernité historique, politique et sociale comme transposition dans la sphère profane de schèmes théologiques judéo-chrétiens28. Mais cette vision des choses va faire débat.
Une querelle herméneutique émerge alors qui va mettre en lice deux écoles de pensées antagonistes : l’une, privilégiant une lecture de la modernité en continuité avec le passé (théorie de la sécularisation) ; l’autre, qui insiste sur la rupture radicale opérée par les temps modernes (et donc récuse cette théorie). En effet, l’histoire moderne et, qui plus est, la modernité politique peuvent être lues en discontinuité ou en continuité avec le passé selon que l’on met en avant le neuf, la nouveauté, l’originalité qu’elles représentent, ou selon que l’on insiste sur tout ce qu’elles doivent au passé et à la tradition. Ainsi, la même Révolution française peut être interprétée comme faisant « table rase du passé » ou bien, au contraire, comme s’inscrivant en continuité avec ce qui précède : « La Révolution française – écrit en ce sens Tocqueville – a été une révolution politique qui a procédé à la manière des révolutions religieuses29. »
Il s’agit au fond de savoir, si, selon son étymologie, la modernité désigne quelque chose d’absolument « neuf30 », si elle constitue un phénomène inédit qui opère une rupture complète avec le passé et la tradition, ou, si cette soi-disant « nouveauté » n’est autre que l’habillage profane et séculier que revêtent des éléments religieux traditionnels plus anciens. Le problème, c’est que si l’on soutient, 501avec les tenants de la théorie de la sécularisation, que les concepts fondamentaux de la modernité ne sont que des schèmes théologiques sécularisés, l’on dissout le novum, la « nouveauté » qu’elle représente et donc on abolit ce qui en fait la spécificité. En ramenant le caractère neuf et inédit de la modernité à un élément ancien et déjà connu, on vide ce concept de sa substance, de sorte que l’on n’a plus entre les mains qu’un mot creux, une coquille vide, privée de sens.
En fin de compte, c’est la « légitimité des temps modernes » à se définir comme tels qui est remise en cause à travers le théorème de la sécularisation, provoquant ainsi l’ire d’un Blumenberg. Celui-ci reproche à cette théorie de nier la spécificité de la modernité en la rapportant systématiquement à la tradition judéo-chrétienne. Avec d’autres « défenseurs » de la modernité, il rétorque que celle-ci ne se réduit pas à une reprise déguisée d’éléments religieux plus anciens, mais qu’elle constitue un phénomène non prévisible et absolument neuf, qui tranche radicalement avec le passé et la tradition. Aussi, demande-t-elle, pour être bien comprise, à être pensée selon sa logique et ses catégories propres, avec ses concepts et sa terminologie spécifiques31.
Pour être plus précis, les opposants à cette « catégorie de l’illégitimité historique », comme la dénomme Blumenberg, admettent bien un processus de sécularisation à l’œuvre dans la modernité, mais celui-ci est compris comme un retrait du religieux de la sphère publique (ou bien comme un désinvestissement du champ politique par les religions) et non dans le sens d’un réinvestissement séculier ou d’une transposition profane de schèmes théologiques judéo-chrétiens. Autrement dit, ils opposent à la thèse de la « sécularisation-transfert » la contre-thèse de la « sécularisation-rupture ». Comme le fait remarquer Hannah Arendt, tout le problème réside dans la signification que l’on donne à ce terme et dans l’usage que l’on en fait :
Si par « sécularisation » on entend l’essor du séculier et l’éclipse concomitante d’un monde transcendant, alors il est indéniable que la conscience historique moderne lui est intimement liée. Cela, pourtant, n’implique aucunement la transformation douteuse de catégories religieuses et transcendantes en buts et normes terrestres et immanents sur laquelle ont récemment insisté les historiens des idées. La sécularisation signifie en premier lieu simplement la séparation de la religion et de la politique, et cela affecta 502les deux si fondamentalement que rien n’est moins vraisemblable que cette transformation progressive de catégories religieuses en concepts séculiers que tentent d’établir les partisans d’une continuité sans rupture32.
Quoi qu’il en soit, c’est cette même problématique ‒ transposée sur le plan de la modernité politique ‒ que l’on retrouve dans la discussion sur les religions séculières. De manière analogue, on reproche à cette dénomination de nier la modernité du phénomène totalitaire en ramenant ce qui en fait la nouveauté et la spécificité au recyclage d’une structure religieuse plus ancienne. C’est pourquoi Arendt, qui cherche à penser le caractère absolument neuf et inédit de la modernité politique en général, et du phénomène totalitaire en particulier, lui refuse cette qualification. Elle trouve illégitime, voire scandaleux, de réduire le totalitarisme à une simple pseudomorphose d’éléments religieux traditionnels.
Après avoir dégagé l’enjeu herméneutique sous-jacent à la discussion sur les religions politiques et séculières, examinons plus en détail les contre-arguments qu’Hannah Arendt oppose aux tenants de cette dénomination controversée du phénomène totalitaire.
La critique arendtienne
des religions politiques et séculières
Une fonctionnalisation du concept de religion
Hannah Arendt reproche aux théoriciens des religions séculières de vider le concept de religion de son contenu en le réduisant à un usage purement fonctionnel. Elle déplore l’adoption, par ces intellectuels, de la perspective propre aux sciences sociales
qui traitent l’idéologie et la religion comme un seul et même phénomène, parce qu’elles pensent que le communisme – mais cela vaut également pour le nationalisme, l’impérialisme, etc. – remplit, pour ses tenants, la 503même « fonction » que celle dévolue aux confessions religieuses dans le monde libre33.
Cette « fonctionnalisation presque universelle de tous les concepts et de toutes les idées34 » qui serait un travers des sciences sociales, part du postulat que « tout ce qui remplit la même fonction peut recevoir le même nom35 » ; en l’occurrence, « que tout ce qui remplit la fonction d’une religion est une religion36 ». Aussi les sociologues en déduisent-ils que
le communisme est une « nouvelle religion », nonobstant son athéisme avoué, parce qu’il remplit socialement, psychologiquement et « émotionnellement » la même fonction que la religion traditionnelle remplissait et remplit encore dans le monde libre37.
Le problème, c’est que les sciences sociales
ne se soucient pas de savoir ce qu’est le bolchévisme comme idéologie ou comme forme de gouvernement, ni ce que peuvent dire ses porte-paroles pour eux-mêmes. […] Elles se soucient seulement des fonctions, et tout ce qui remplit la même fonction peut, dans cette perspective, recevoir le même nom38.
Avec l’ironie qui la caractérise, Arendt rétorque :
C’est comme si j’avais le droit de baptiser marteau le talon de ma chaussure parce que, comme la plupart des femmes, je m’en sers pour planter des clous dans le mur39.
Mais si l’on se penche sur la doctrine de ces prétendues « religions », on voit mal, d’après Arendt, en quoi leur contenu est religieux. En effet, si l’on définit une religion par son objet transcendant, à savoir sa divinité, il semble difficile de qualifier de religieuses des idéologies matérialistes et athées, qui évacuent toute dimension spirituelle, suppriment tout culte et nient toute transcendance40.
504Une religion sans Dieu ?
Dans son article sur les religions séculières, Raymond Aron avait anticipé l’objection d’Arendt :
À la formule « religions séculières », on ne manquera pas d’adresser une objection : est-il légitime de parler de religion séculière alors que manque l’objet transcendant ou du moins sacré vers quoi montent la prière et l’amour ? Nous ne nierons pas qu’au regard du chrétien ou même plus généralement aux yeux de quiconque définit la religion par l’intentionnalité propre du sentiment qu’elle inspire, les religions séculières méritent malaisément le titre de religion, à peine en seraient-elles des substituts ou des caricatures. Mais, de diverses manières, il paraît possible de justifier le rapprochement41.
Le sociologue français formule une réponse à trois temps. Il avance d’abord un argument d’ordre psychologique :
Le psychologue ou le sociologue vous diront : « On n’est pas religieux seulement quand on adore une divinité mais quand on met toutes les ressources de son esprit, toutes les soumissions de sa volonté, toutes les ardeurs du fanatisme au service d’une cause ou d’un être devenu le but et la fin des sentiments et des actions. » Or c’est un fait que les religions séculières sont susceptibles de convertir les âmes aux mêmes dévouements, à la même intransigeance, à la même ferveur inconditionnée que les croyances religieuses aux époques de leur plus impérieux et universel ascendant42.
Aron reconnait cependant, que, isolé, cet argument demeurerait sans grande portée car « dans cette direction, on finirait par appeler religion toute doctrine qui soulève des passions ardentes et, du même coup, nourrit l’intolérance et les violences de la foi43 ». Il lui semble pourtant que « certaines doctrines de notre temps méritent le qualificatif de religions séculières » pour deux raisons – morale et philosophique – plus profondes. La première c’est que
ces doctrines fixent le but dernier, quasiment sacré, par rapport auquel se définissent le bien et le mal. Quand un mouvement comme celui de la Deutsche Glaubensbewegung professe : « Tout ce qui est utile à Hitler et à la communauté allemande est bon, tout ce qui leur est nuisible est mauvais », il ne fait rien de plus qu’amener à la clarté brutale 505de l’expression articulée le fond commun des religions séculières et l’origine de leur impitoyable machiavélisme. Religions de salut collectif, elles ne connaissent rien – pas même les dix commandements, pas même les règles du catéchisme ou d’une morale formelle – qui soit supérieur, en dignité ou en autorité, à l’objectif de leur mouvement. Dès lors, les hommes et les choses, les pensées et les actes, sont rapportés à ce terme ultime et l’utilité par rapport à lui est la mesure de la valeur spirituelle. Le zélateur de ces religions, sans même que sa bonne conscience soit troublée, mettra en œuvre tous les moyens, si horribles soient-ils, puisque rien ne saurait compromettre la sanctification par le but. En d’autres termes, si la religion a pour fonction de poser les valeurs les plus hautes qui donnent à l’existence humaine son orientation, comment nier que les doctrines politiques de notre temps ne soient d’essence religieuse44 ?
La deuxième raison, plus philosophique, consiste à reconnaître que
dans leur structure même, ces doctrines reproduisent certains des traits caractéristiques des dogmes anciens. Elles aussi donnent une interprétation globale du monde (au moins du monde historique). Elles expliquent le sens des catastrophes que traverse l’humanité malheureuse, elles laissent apercevoir, au loin, l’aboutissement de ces tragiques épreuves. Dès maintenant elles assurent, dans la communauté fraternelle du parti, l’anticipation de la communauté future de l’humanité sauvée. Elles exigent des sacrifices qui, dans l’instant même, sont payés : elles arrachent l’individu à la solitude des foules sans âme et de la vie sans espoir45.
Une réponse plus factuelle à l’objection d’Hannah Arendt consiste à affirmer avec Jules Monnerot qu’il existe des religions sans Dieu, telles que le bouddhisme ou l’animisme. Autrement dit, toute religion n’inclut pas nécessairement un rapport à la transcendance46.
Brève mise au point sur le concept de religion
Il faudrait peut-être se mettre d’accord – si l’on veut éviter ce dialogue de sourds – sur ce que l’on entend par « religion ». Notons d’abord, avec Paul Ricœur, que la religion, avec article défini, n’existe pas ; ce qui existe, ce sont des religions ou bien des phénomènes religieux. D’un point de vue descriptif, ceux-ci se définissent comme des ensembles de rites et de croyances qui, pour reprendre l’étymologie de Lactance, relient les hommes verticalement à Dieu et horizontalement entre eux. Cette étymologie (religare) a le mérite, pour la question qui est la nôtre, de mettre en 506évidence le caractère structurant des religions établies, de mettre à jour leur dimension instituante, de montrer comment elles tissent et entretiennent le lien social. Or, comme Marcel Gauchet l’a bien mis en évidence, c’est surtout cette structuration religieuse des sociétés traditionnelles que les religions séculières ont l’ambition de faire revivre lorsqu’elles cherchent à renouer avec la figure sacrale de l’Un-hétéronome47, ou bien, pour le dire avec la terminologie de Claude Lefort, lorsqu’elles s’efforcent de recréer l’unité organique du corps politique sous la forme du peuple-Un48.
Cependant, on pourrait reprocher à cette définition latinisante d’exclure de son champ les religions non monothéistes (comme l’hindouisme et le bouddhisme), ou bien les religions dites « primitives » (comme l’animisme et le totémisme), qui n’impliquent pas un rapport à la transcendance, mais à l’immanence. Ce à quoi nous répondrons que ces religions africaines ou orientales, bien qu’elles n’admettent pas la croyance en un Dieu transcendant, comportent néanmoins toujours un rapport au sacré. Elles élaborent une vision du monde qui opère une délimitation entre le sacré et le profane, le pur et l’impur, avec ses règles alimentaires, ses interdits et ses tabous. Elles véhiculent une conception du monde et de la société qui est structurée hiérarchiquement, avec ses castes supérieures, ses intouchables et ses parias.
Or, dans La Structure psychologique du fascisme, Georges Bataille montre bien comment le fascisme est travaillé, lui aussi, par l’ambivalence du sacré, cet élément hétérogène, cette « part restante » du sacrifice qui suscite à la fois l’attraction et la répulsion des hommes, en étant tour à tour objet de vénération ou cause de souillure. La mobilisation de ces deux affects antinomiques explique le paradoxe d’un régime qui à la fois porte aux nues et sacralise la figure hétérogène du chef (cet être quasi divin, cet intouchable prestigieux qui exerce sur les foules une fascination hypnotique), en même temps qu’il prône la haine et la phobie de l’« autre » et de l’étranger et qu’il alimente le dégoût du juif ou du paria (c’est-à-dire au fond de l’élément hétérogène de la société). En effet, l’hétérogénéité du maître – qui par son charisme et son aura arrache les masses anonymes à l’homogénéité de la vie routinière, ennuyeuse et fade propre aux régimes démocratiques – suscite la 507vénération mystique des foules, tandis que la réputation d’infamie qui se rattache aux classes misérables et aux intouchables provoque leur rejet. De sorte que le fascisme débouche sur une « ré-homogénéisation » de la société autour du pouvoir unifié (incarné dans la figure sacrée du Führer ou du Duce), qui se solde par l’exclusion de tous les éléments hétérogènes de la société (juifs, tsiganes, homosexuels, handicapés physiques et mentaux), objets de la répugnance des « masses ».
Dès lors, on peut affirmer, avec les tenants des religions politiques et séculières, qu’Hannah Arendt semble aveugle au processus d’auto-sacralisation qui caractérise les régimes fascistes, nazis et bolchéviques : que ce soit au travers de la sacralisation du Parti et de la quasi-divinisation de son chef (Führer acclamé comme Rédempteur du peuple allemand, momification et vénération du corps de Lénine, portrait de Staline dans l’espace des isbas russes réservé aux icônes, etc.) ; ou bien au travers de mises en scènes théâtrales et religieuses, comme les rassemblements « océaniques » de Mussolini qui établissent un lien de communion mystique entre le Peuple et son Duce, ou comme les cérémonies nocturnes de Nuremberg avec leurs cathédrales de lumières qui captent la ferveur religieuse des foules en créant une atmosphère d’extase collective.
La position d’Arendt est pertinente toutefois, nous semble-t-il, si l’on considère les choses par un autre biais, en remontant à une étymologie plus originelle du concept de religion, celle donnée par Cicéron (relegere). Celle-ci renvoie au fait de « recueillir » scrupuleusement ou de « relire » avec discernement une tradition. Aussi ce qui démarquerait une croyance religieuse « authentique » de ses caricatures néfastes que sont la superstition et le fanatisme, c’est précisément cette dimension critique du rapport à la tradition et à son évènement fondateur qu’elle cultive et entretient. Or, dans la mesure où ils relèvent du formatage idéologique et alimentent le fanatisme, les totalitarismes représentent une forme de dévoiement de l’essence religieuse. La crainte de Hannah Arendt se trouve ainsi justifiée : les dénominations de « religion politique » ou de « religion séculière » risquent de jeter le discrédit sur les religions traditionnelles, en les assimilant au fanatisme et à la violence des idéologies totalitaires.
Il est très troublant de voir, comme l’a bien noté dans son journal clandestin le philologue juif allemand Victor Klemperer, comment 508la « LTI » (c’est-à-dire la langue du IIIᵉ Reich) a détourné la signification commune du mot « fanatisme » et de son adjectif, qui depuis les Lumières étaient employés de manière très péjorative, pour leur donner une connotation positive, voire exemplaire !
La LTI s’efforce par tous les moyens de faire perdre à l’individu son essence individuelle, d’anesthésier sa personnalité, de le transformer en tête de bétail, sans pensée ni volonté, dans un troupeau mené dans une certaine direction et traqué, de faire de lui un atome dans un bloc de pierre qui roule. La LTI est la langue du fanatisme de masse. Quand elle s’adresse à l’individu, et pas seulement à sa volonté mais aussi à sa pensée, quand elle est doctrine, elle enseigne les moyens de fanatiser et de pratiquer la suggestion de masse.
Les Lumières du xviiiᵉ siècle français ont deux expressions, deux thèmes et deux boucs émissaires favoris : l’imposture cléricale et le fanatisme. Elles ne croient pas à l’authenticité des convictions cléricales, elles voient en tout culte une tromperie inventée pour fanatiser une communauté et pour exploiter les fanatisés.
Jamais traité d’imposture cléricale – au lieu d’« imposture cléricale », la LTI dit « propagande » – n’aura été écrit avec une franchise plus impudente que le Mein Kampf de Hitler. Comment ce livre a-t-il pu être diffusé dans l’opinion publique, et comment, malgré cela, a-t-on pu en arriver au règne de Hitler […] : cela restera toujours pour moi le plus grand mystère du Troisième Reich. Et jamais au grand jamais, tout au long du xviiiᵉ siècle français, le mot fanatisme (avec son adjectif) n’a été aussi central et, dans un total renversement de valeurs, aussi fréquemment employé que pendant les douze années du Troisième Reich49.
Une anti-religion religieuse
Pourtant si, comme nous l’invite à le faire la philosophe américaine, on est attentif à ce que les porte-paroles du communisme disent d’eux-mêmes, si on écoute les discours officiels du numéro un ou si on lit les manuels doctrinaux diffusés par la propagande du Parti, comment ne pas admettre le caractère résolument athée et profondément antireligieux de l’idéologie communiste ? On se trouve donc face à une énigme : les religions séculières non seulement s’ignorent comme telles, mais elles nient farouchement qu’elles soient telles. Aussi s’insurgent-elles contre l’idée que l’on pourrait les assimiler à des religions :
Les partisans de mouvements qui se veulent hostiles à la religion et athées – écrit Voegelin – se dressent violemment contre l’idée que l’on 509puisse déceler des expériences religieuses aux racines de leur attitude fanatique, alors qu’ils vénèrent simplement autre chose que la religion contre laquelle ils se battent50.
Ainsi, comme le fait remarquer Raymond Aron dans L’opium des intellectuels,
les communistes, qui se veulent athées en toute quiétude d’âme, sont animés par une foi : ils ne visent pas seulement à organiser raisonnablement l’exploitation des ressources naturelles et la vie en commun, ils aspirent à la maîtrise sur les forces cosmiques et les sociétés, afin de résoudre le mystère de l’histoire et de détourner de la méditation sur la transcendance une humanité satisfaite d’elle-même51.
On touche ici à une contradiction inhérente à l’essence même des régimes totalitaires, que le sociologue français avait repérée à l’œuvre dans le communisme :
En un sens, le socialisme serait essentiellement antireligion. Dans les anticipations grandioses du jeune Marx, il était effectivement destiné à mettre fin aux « aliénations religieuses » comme à toutes les autres aliénations. Une fois qu’il sera devenu maître de ses œuvres, l’homme trouvera la pleine satisfaction dans la communauté réelle. Il n’inclinera plus à réaliser dans des images transcendantes l’objet de ses aspirations déçues. Mais, d’un autre côté, le socialisme est religion dans la mesure même où il est antireligion. S’il nie l’au-delà, il ramène sur la terre certaines espérances que, naguère, les croyances transcendantes avaient seules la vertu d’éveiller52.
Après lui, Marcel Gauchet qualifie le totalitarisme d’« anti-religion religieuse », mettant ainsi l’accent sur le caractère paradoxal du projet totalitaire dont rend si bien compte l’expression oxymorique « religion séculière » :
Religion séculière il y a, dans la rigueur de l’expression, quand la religiosité intrinsèque du but est soustraite à la conscience des acteurs, qui sont convaincus de poursuivre un projet de nature purement laïque ou séculière, voire d’essence antireligieuse. Une religion séculière est une religion qui, consubstantiellement, s’ignore pour telle ou, mieux encore, se nie pour telle. La définition la plus brève qu’on puisse en proposer est celle d’anti-religion religieuse53.
510Ce paradoxe s’éclaire, nous semble-t-il, si l’on comprend que le bolchévisme et le nazisme sont des religions de remplacement, comme on l’a noté précédemment. En effet, dans la mesure où, comme l’écrit Berdiaev, « il veut être une religion apte à remplacer le christianisme et les religions instituées », dans la mesure où « il prétend répondre aux aspirations religieuses de l’âme humaine et donner un sens à la vie54 », le totalitarisme entre nécessairement en collision avec les prétentions spirituelles des religions traditionnelles. « Les prétentions totales de l’État sur l’homme – écrit le théologien protestant Paul Tillich – se heurtent aux prétentions inconditionnées de Dieu sur l’homme55 », de sorte qu’il entre inéluctablement en conflit avec les Églises établies. Le totalitarisme moderne, écrit pour sa part Charles Journet,
veut être servi et aimé plus jalousement et plus absolument que le totalitarisme du monde antique. D’où cela vient-il ? Cela vient de ce que les communautés temporelles qui aspiraient à la prééminence se sont heurtées à une communauté d’un ordre supérieur, à une communauté spirituelle, surnaturelle, à l’Église. L’Église révélait aux hommes le prix de leur âme immortelle, par laquelle ils sont plus grands que toutes les cités temporelles ; elle prétendait les grouper par cette partie profonde et spirituelle d’eux-mêmes qui échappe aux groupements temporels ; elle versait, de la part de Dieu, dans le secret de leurs âmes des énergies et des ardeurs divines ; elle protestait de toute sa force contre les exigences tyranniques de la collectivité païenne. Dès lors, le totalitarisme ne pouvait plus demeurer ce qu’il avait été. Il devait entrer en lutte avec l’Église, et tenter de se substituer à elle. Il devait revendiquer à son profit, en le détournant de ses fins éternelles pour l’appliquer à des fins purement temporelles, l’amour spirituel, l’amour mystique, l’amour messianique avec lequel l’Église doit être aimée56.
La sécularisation comme déseschatologisation
de la sphère politique
Concernant la question du lien entre l’eschatologie et les totalitarismes, on comprendra mieux, là encore, la position d’Hannah Arendt si on la réfère à sa critique du théorème de la « sécularisation-transfert ». En effet, le refus, chez elle, de concevoir les totalitarismes rouges et bruns comme des formes d’eschatologies séculières découle directement de son interprétation du processus de sécularisation à l’œuvre dans la modernité politique comme 511opérant une rupture avec le passé et la tradition. Car si la sécularisation se distingue par « la séparation de la religion et de la politique57 » – c’est-à-dire par le retrait du religieux de la sphère publique58 –, alors il faut en conclure que la modernité politique et, plus particulièrement, les totalitarismes ne se caractérisent pas par le réinvestissement profane de l’eschatologie judéo-chrétienne (comme l’affirment les tenants des religions séculières) mais, au contraire, par une déseschatologisation du pouvoir politique :
Le fait est que la conséquence la plus importante de la sécularisation de l’époque moderne est peut-être bien l’élimination de la vie publique, avec la religion, du seul élément politique de la religion traditionnelle, à savoir la peur de l’enfer59.
Arendt constate la disparition, dans les sociétés occidentales, de la fonction politique coercitive de la doctrine de l’enfer. Elle estime que la croyance en l’au-delà a influencé les institutions étatiques médiévales, ou, plutôt, que les autorités spirituelles et temporelles des régimes théocratiques ont récupéré l’eschatologie judéo-chrétienne à des fins coercitives évidentes. La philosophe américaine fait remonter la première tentative d’une politisation de l’eschatologie aux mythes de l’au-delà que Platon insérait à la fin de ses dialogues socratiques. Selon elle, ces mythes auraient une fonction purement politique et coercitive : il s’agit de motiver la plèbe à bien agir via l’espoir des récompenses et la crainte des châtiments dans la vie future ; croyances auxquelles Platon ne croyait pourtant nullement lui-même. En effet, une fois Socrate mort,
Platon commença à négliger la persuasion parce qu’elle était insuffisante pour diriger les hommes et à chercher quelque chose susceptible de les contraindre sans user de moyens externes de violence. Très tôt dans sa recherche, il a dû découvrir que la vérité, en tout cas les vérités que l’on nomme évidentes, contraignent l’esprit, et que cette contrainte, bien qu’elle n’ait pas besoin de violence pour être effective, est plus forte que la persuasion et l’argumentation60.
Mais ce qui est problématique, dans cette coercition exercée par la raison,
512c’est que seulement un petit nombre y est soumis, si bien que surgit le problème de savoir comment s’assurer que le grand nombre, les gens qui dans leur grand nombre constituent le corps même de la vie politique, peuvent être soumis à la même vérité. Ici, assurément, il faut trouver d’autres moyens de coercition, et, ici encore, il faut éviter la contrainte par la violence si l’on ne veut pas détruire la vie politique telle que les Grecs la comprenaient61.
Arrivée à ce point de son raisonnement, Hannah Arendt précise :
c’est la difficulté centrale de la philosophie politique de Platon, et c’est resté une aporie de toutes les tentatives pour établir une tyrannie de la raison. Dans La République, le problème est résolu par le mythe final des récompenses et des châtiments dans l’au-delà, mythe auquel Platon lui-même manifestement ne croyait pas et qu’il ne voulait pas non plus faire croire aux philosophes. Ce que l’allégorie de la caverne, au milieu de La République, est, pour le petit nombre ou pour le philosophe, le mythe de l’enfer, à la fin, l’est pour la multitude qui n’est pas capable d’accéder à la vérité philosophique62.
S’il ne s’agissait, chez Platon, que de spéculations philosophiques, ces théories politiques trouvèrent de quoi s’incarner dans les différentes formes de césaro-papismes qui se sont manifestées durant le bas et le haut Moyen Âge. Cette première ébauche d’eschatologie politique trouva une traduction concrète dans le constantinisme et l’augustinisme politique : « la victoire séculière du Christianisme au ve siècle […] amena avec elle la consécration religieuse de la doctrine de l’enfer63 ». En effet, ajoute notre auteur, « aussi longtemps que le Christianisme demeura sans intérêts ni responsabilités séculiers, il laissa les croyances et les spéculations sur un au-delà aussi libres qu’elles avaient été dans l’Antiquité64 ». Mais lorsqu’il fut érigé en religion d’État, le christianisme fixa dogmatiquement la doctrine concernant les « fins dernières », notamment le dogme d’un enfer éternel, pour en faire un instrument dans le gouvernement des corps et des esprits : « L’introduction de l’enfer platonicien dans le corps de la dogmatique chrétienne renforça l’autorité religieuse à un point tel qu’elle pouvait espérer demeurer victorieuse dans tout conflit avec le pouvoir séculier65. » Or c’est précisément ce « seul élément politique présent dans la religion traditionnelle », à savoir 513« la crainte de l’enfer », qui, en même temps que la religion, a été éliminé de la vie publique comme « la conséquence politique de la sécularisation de l’ère moderne66 » :
La perte de la foi en des états futurs est politiquement, sinon certes spirituellement, la distinction la plus importante entre la période présente et les siècles antérieurs. Et cette perte est définitive. Car si religieux que notre monde puisse se révéler à nouveau, si grand que soit la foi authentique qui existe encore en lui, ou si profondément que nos valeurs morales puissent être enracinées dans nos systèmes religieux, la crainte de l’enfer ne compte plus parmi les motifs susceptibles d’empêcher ou de déclencher les actions d’une majorité67.
Toutefois, remarque Arendt, cette perte définitive de la fonction coercitive de la croyance en un châtiment éternel, qui caractérise notre société occidentale sécularisée, s’accompagne paradoxalement de la tentative de bâtir sur terre un enfer bien réel. S’adressant à Eric Voegelin, elle écrit :
Quand j’ai utilisé l’image de l’enfer, je ne l’entendais pas de façon allégorique mais littérale : il semble assez évident que des hommes qui ont perdu la foi dans le paradis ne seront pas capables de l’établir sur terre ; mais il n’est pas aussi certain que ceux qui ont perdu leur croyance dans l’enfer au sens religieux ne seront pas désireux et capables d’établir sur terre des imitations exactes de ce que les gens avaient coutume de croire à propos de l’enfer. En ce sens, je pense qu’une description des camps en tant qu’enfer sur la terre est plus « objective », c’est-à-dire qu’elle décrit plus adéquatement leur essence que des affirmations68.
La philosophe américaine compare analogiquement le rôle politique joué par la peur de l’enfer dans les théocraties médiévales à la terreur inspirée par l’enfer concentrationnaire dans les régimes totalitaires du xxe siècle :
Nous à qui il fut donné de voir comment, durant l’ère de Hitler et de Staline, une espèce de crime entièrement nouvelle et sans précédent, qui ne rencontra presque aucune protestation dans les pays concernés, envahit le domaine de la politique, serions les derniers à sous-estimer son influence « persuasive » sur le fonctionnement de la conscience69.
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1 Publié peu après la proclamation de l’Anschluss par Hitler, cet ouvrage lui vaudra son exil.
2 Voegelin, 1994, p. 24.
3 Ibid ., p. 29.
4 Ibid., p. 29-30.
5 Ibid., p. 30. ‒ Dans un second moment, Voegelin envisage d’« examiner le concept d’État, afin de savoir si celui-ci ne concerne vraiment rien d’autre que des rapports d’organisation mondains et humains, sans relation avec le domaine du religieux. » Ibid., p. 30-31.
6 Ibid., p. 38.
7 « L’ordre complètement désarticulé de la création se trouve pour ainsi dire décapité par elle, la tête divine est abattue et à la place du Dieu transcendant, le monde s’impose l’État comme l’ultime condition et l’origine de son propre être. » Ibid., p. 32.
8 Ibid., p. 33.
9 Pour une analyse plus approfondie et plus détaillée de la pensée de ces « symboles » en particulier et de la pensée de Voegelin en général, nous renvoyons aux articles de Thierry Gontier, le spécialiste universitaire français.
10 Ibid., p. 26.
11 « Et qui ne sache que la guérison ne peut être amenée qu’à travers un renouvellement religieux, que ce soit dans le cadre des Églises historiques ou en dehors d’elles ». Ibid., p. 25.
12 « Devant le Realissimum de l’État sombrent les hommes, et devant le Realissimum de l’esprit du monde, c’est le peuple comme l’État qui sombrent dans le néant impersonnel de leur instrumentalité. […] La gigantesque construction du système avec son ordre sévère se voûte sur un abîme de nihilisme humain, se nourrissant des désirs d’accomplissement dans une réalité collective. » Ibid., p. 34.
13 Malraux, 2016, p 110.
14 Ibid., p 132.
15 Voegelin, 1994, p. 24.
16 Monod, 2002, p. 172.
17 Aron, 1990, p. 926.
18 Ibid., p. 925.
19 On retrouve cette idée chez des penseurs chrétiens comme Luigi Sturzo, Charles Journet ou Nicolas Berdiaev.
20 Lubac, 2006, p. 239.
21 « Lénine fut un athée passionné et convaincu, et qui haïssait la religion. Je dis “athée”, bien que je ne crois pas à l’existence de purs “athées”. L’homme est un animal religieux, et lorsqu’il nie le Dieu véritable, c’est pour se créer des dieux, des idoles et des fétiches devant quoi il s’incline. » Berdiaev, 1951, p. 321.
22 Feuerbach, 1973, p. 99-100.
23 Ibid ., p. 100.
24 Ibid.
25 Claudel, 1984, p. 24.
26 Löwith, 2002, p. 41.
27 Schmitt, 1988, p. 46.
28 Pour une bonne synthèse du débat nous renvoyons à l’excellent ouvrage de Jean-Claude Monod.
29 Tocqueville, 1986, p. 958.
30 Du latin modernus, dérivé de l’adverbe modo : « récemment ».
31 Cf. Blumenberg, 1999. − Voir surtout la première partie intitulée : « Sécularisation − Critique d’une catégorie de l’illégitimité historique ».
32 Arendt, 2014, p. 94. ‒ Voir aussi p. 93 : « Cette insistance plus grande sur une continuité sans rupture, quelle que soit sa valeur, a un inconvénient : en essayant de combler l’abîme qui sépare une civilisation religieuse du monde séculier dans lequel nous vivons, elle évite plutôt qu’elle ne la résout la grande énigme de la naissance indéniable et soudaine du séculier. »
33 Arendt, 1990, p. 144.
34 Arendt, 1989, p. 134.
35 Ibid., p. 135.
36 Ibid., p. 136.
37 Ibid., p. 135.
38 Ibid., p. 134.
39 Ibid.
40 « C’est seulement à notre époque qu’on peut se permettre d’appeler le communisme une religion, sans jamais prendre en considération son contexte historique ni se demander ce qu’est réellement une religion et si elle conserve le moindre sens lorsqu’elle est une religion sans Dieu. » Arendt, 1990, p. 149.
41 Aron, 1990, p. 926.
42 Ibid.
43 Ibid., p. 927.
44 Ibid., p. 928.
45 Ibid.
46 Cf. Monnerot, 1949, p. 266.
47 Cf. Gauchet, 2017.
48 Cf. Lefort, 1994. − Voir surtout le chapitre 5 intitulé : « L’image du corps et le totalitarisme » (p. 159-176).
49 Klemperer, 1996, p. 49-50.
50 Voegelin, 1990, p. 38.
51 Aron, 1968, p. 131.
52 Aron, 1990, p. 925-926.
53 Gauchet, 2017, p. 135.
54 Berdiaev, 1951, p. 316.
55 Tillich, 1994, p. 205.
56 Journet, 1935, p. 17.
57 Arendt, 1989, p. 94.
58 Et non pas par « la transformation douteuse de catégories religieuses et transcendantes en buts et normes terrestres et immanents », « cette transformation progressive de catégories religieuses en concepts séculiers. » Ibid.
59 Ibid., p 174.
60 Ibid., p. 142.
61 Ibid.
62 Ibid., p. 142-143.
63 Ibid., p. 170.
64 Ibid., p. 173.
65 Ibid., p. 174.
66 Arendt, 1990, p. 161.
67 Arendt, 1989, p. 177.
68 Arendt, 2017, p. 282.
69 Arendt, 1989, p. 174.
- Thème CLIL : 4046 -- RELIGION -- Christianisme -- Théologie
- ISBN : 978-2-406-09894-2
- EAN : 9782406098942
- ISSN : 2269-479X
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09894-2.p.0027
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 10/12/2019
- Périodicité : Trimestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Religions politiques et séculières, totalitarismes, querelle de la sécularisation, eschatologie judéo-chrétienne, millénarismes, Eric Voegelin, Raymond Aron, Karl Löwith, Hans Blumenberg, Hannah Arendt