The General Theory, Keynes et les économistes français de sa traduction à l’immédiat après-guerre
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
2021 – 2, n° 12. varia - Auteur : Tortajada (Ramón)
- Pages : 137 à 179
- Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
THE GENERAL THEORY, KEYNES ET LES ÉCONOMISTES FRANÇAIS DE SA TRADUCTION À L’IMMÉDIAT APRÈS-GUERRE
Ramón Tortajada
Université Grenoble Alpes
CREG – EA 4625
[J]amais un acte n’est décisif par lui-même ; ce qui compte, c’est la connaissance de cet acte, et ses conséquences.
Stefan Zweig, Amerigo.
Introduction
Avant d’analyser un ouvrage, promouvoir les thèses qu’il défend, en faire la critique, ou en assumer la traduction en français, encore faut-il en disposer. Un premier travail est donc de savoir comment un ouvrage a pu être porté à la connaissance de ses lecteurs1. Cela implique que 138l’on s’interroge sur le contexte politique, social, universitaire et aussi économique qui fait qu’un ouvrage est lu et un autre oublié.
Le cas de The General Theory est exemplaire. Avant que l’ouvrage ne soit traduit en français peu d’économistes universitaires ou inscrits dans les cercles du pouvoir et de la politique économique y ont eu accès, mais il y en eut. Le déclic se fit lorsque, traduit en 1939 par l’inspecteur des Finances Jean Rioust de Largentaye, il fut publié en 1942 chez Payot. L’enjeu de cet article est d’essayer de retracer le parcours de la Théorie générale, en tant qu’ouvrage, ce qui va de pair, faut-il le souligner, avec la diffusion des thèses qui y furent défendues.
Les rapports entre les économistes français et Keynes furent complexes. On le sait, ils n’ont cessé d’évoluer. On peut signaler, toutefois, l’existence d’une constante : la condescendance de celui-ci à l’égard de ceux-là2. Les économistes, en France avant la seconde guerre mondiale, ne constituaient pas un ensemble homogène, les relations entre les « professeurs d’économie » et les « économistes de l’administration », alors, n’étaient pas simples. Ils demeurent compliqués, si l’on en croit le témoignage de Raymond Barre. Celui-ci fut, longtemps, professeur d’économie, auteur d’un manuel d’initiation à l’économie, par la suite il occupa des fonctions administratives et politiques où il eut en charge la politique économique française. Il en conclut à la dualité qui perdure encore :
Je pense que les économistes français [par ce terme, Raymond Barre, semble-t-il, désigne les professeurs d’économie, RT] ont peu influencé, directement, la politique économique de leur pays. Cela ne veut pas dire qu’ils n’avaient pas eu une influence par les doctrines qu’ils ont soutenues, par les attitudes qu’ils ont prises face aux divers problèmes qui se posaient. Mais cela m’a toujours frappé – jusqu’à ces dernières décennies, la France était une économie administrée par la haute administration qui considérait la plupart du temps que les économistes étaient là pour enseigner dans les Facultés ou les grandes écoles, mais qu’ils ne pouvaient pas apporter de contribution concrète à la solution des problèmes rencontrés (Barre, 2000, p, 18).
139L’accueil de la Théorie générale, en France, a fait l’objet de nombreuses recherches. Les plus significatives nous paraissent être celles de : Rosanvallon (1987) ; Arena & Maricic (1989) ; Abraham-Frois & Larbre (1998) ; Arena & Schmidt (1999) ; Renaud (2000). Ces travaux ont considéré sa traduction en français comme un acquis, une traduction de plus, dans des conditions un tant soit peu exceptionnelles certes, mais une traduction comme tant d’autres en dernière analyse.
Un premier éclairage sur les conditions de l’édition française de The General Theory a été apporté par Hélène de Largentaye lors de sa communication, « The French Edition of The General Theory by J.M. Keynes » au colloque qui s’est tenu à Cambridge le 8 octobre 2016. Les articles ci-dessus d’Armand et d’Hélène de Largentaye renouvellent profondément l’approche. Des sources nouvelles ont été mises à contribution : l’ensemble des lettres échangées entre le traducteur, l’auteur et l’éditeur sont reprises ci-après. La traduction, la réception, la diffusion de The General Theory fut loin d’être à l’image d’un long fleuve tranquille.
L’enjeu de l’article est de contribuer à éclairer le contexte de la réception de The General Theory. L’ensemble du contexte politique, social, académique fut déterminant pour cette diffusion. C’est beaucoup pour un article. Aussi nous aborderons tour à tour deux instances : les économistes de l’administration, des partis politiques et des organisations syndicales, d’une part, et, d’autre part, les économistes universitaires ainsi que la formation des hauts fonctionnaires.
Deux précisions doivent être apportées sans tarder. La première est que s’il existait une frontière entre le monde des économistes universitaires et l’administration, celle-ci n’était pas aussi étanche que le disait R. Barre. Nombre d’enseignants d’économie ont participé aux instances politiques et administratives et aux processus de décision à un titre ou à un autre. Entre 1900 et 1939, sur 88 enseignants d’économie politique, 11 furent députés, 7 ministres3 ou bien ont occupé des fonctions à titre « d’experts ». Charles Rist, par exemple, fut toujours très proche des instances gouvernementales. Il fut nommé sous-gouverneur de la Banque de France de 1926 à 1929 (Le Van-Lemesle, 2004, p. 544). Antonelli, 140l’un de ceux qui popularisa la théorie de l’équilibre général de Walras en France, participa activement à la commission qui prépara la nationalisation de la Banque de France. La seconde précision est que ces deux ensembles n’étaient pas homogènes. Ils ne le sont pas plus aujourd’hui.
I. L’administration, les syndicats, les partis et Keynes
I.1. L’administration, les syndicats, les partis et Keynes
avant que ne paraisse The General Theory
Par « administration », nous visons les instances chargées de la politique économique et monétaire. Les débats en matière de politique économique avaient forcément des échos dans ces instances. Lorsque parut The General Theory, en février 1936, Keynes n’était pas inconnu des Français du fait essentiellement de ses écrits pamphlétaires (comme l’a rappelé un des rapporteurs, de 1921 à 1929 Keynes ne publia pas moins de 23 articles sur les « Réparations »). Ces ouvrages furent rapidement traduits en français tant à son instigation qu’à celle des éditeurs car les débats sur la question des « Réparations » faisaient rage. Ils faisaient vendre !
Pour Rosanvallon (1987, p. 24) : « Keynes était surtout connu en France comme un essayiste, presque un journaliste ou un pamphlétaire : il n’avait aucun statut de théoricien auprès des économistes des Facultés encore que ses publications aient donné lieu à recensions et commentaires dans les revues d’économie ». La publication du pamphlet The Economic Consequences of the Peace, en 1919, (traduit en 1920) puis des A Revision of the Treaty, en 1921 (traduit en 1922 sous le titre Nouvelles considérations sur les conséquences de la paix) avaient fait grand bruit4. Selon Arena et Schmidt :
141Deux livres seulement de Keynes ont provoqué des réactions fortes et variées en France Les Conséquences économiques de la paix [1919] à un extrême et la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie [1936] à l’autre (Arena & Schmidt, 1999, p. 3).
Il convient, cependant de relativiser ces affirmations (nous y reviendrons ci-dessous), les économistes français n’ignoraient pas les travaux des économistes anglo-saxons. On peut citer, entre autres, l’avant-propos de Charles Rist à la traduction de l’ouvrage d’Hawtrey (1919) :
Dans la pléiade de remarquables économistes qui aujourd’hui forment en Angleterre ce qu’on pourrait appeler « l’école de Cambridge » laquelle s’oppose sur bien des points à une autre école qui est celle de Londres, le nom d’Hawtrey est l’un de ceux qui méritent le plus d’être retenus. Moins connu que M. Keynes, M. Hawtrey a peut-être exercé sur la politique monétaire anglaise une action plus décisive (Rist in Hawtrey, 1919, p. v).
L’approbation par Keynes de la politique économique menée par F.D. Roosevelt aux États-Unis trouva des échos dans l’hebdomadaire La Lumière de Georges Boris. Au retour d’un voyage aux États-Unis, ce dernier publia, en 1934, chez Gallimard un opuscule, La révolution Roosevelt. Ce fut, également, le thème de sa conférence dans le cadre des séminaires de X-Crise, en avril 19345. X-Crise joua un rôle important dans la diffusion des thèses non-libérales en France surtout auprès de ceux qui avaient en charge la politique économique.
Le groupe X-Crise est né d’une idée lancée à l’automne 1931 par Gérard Bardet, André Loisillon et John Nicolétis. Robert Boris (frère de Georges, l’ami et le conseiller de Léon Blum) en fut le secrétaire. Rapidement un Bulletin du centre polytechnicien d’études économiques publia 142les conférences qui étaient données. Jean Coutrot6, qui fut membre du cabinet de Charles Spinasse, ministre de l’économie du gouvernement de Léon Blum rejoignit ce groupe dès ses débuts. Dans la postface de « De la récurrence des crises économiques » par Thierry de Montbrial on peut lire :
Bien que le nom de Keynes ne soit pas cité dans les textes d’X-Crise inclus dans le volume, on revit, en le lisant la naissance de l’économie keynésienne,
puis, en note, il est souligné :
C’est en effet, à X-Crise qu’ont été présentées pour la première fois en France les thèses de Keynes exposées dans les deux interventions de John Nicoletis en juin 1933 (X-Crise, 1982, p. 290).
Les « thèses » présentées en 1933, ne sauraient en aucune façon concerner The General Theory. Elle n’avait été ni publiée ni même écrite ! Thierry de Montbrial reconstruit une influence rétrospective.
La politique économique menée par Roosevelt fut l’objet d’études de toutes parts : à la CGT avec les articles de Georges Lefranc ; dans l’organe de la SFIO, Le Populaire, avec les articles de Marc Joubert (pseudonyme de Robert Marjolin qui revenait des États-Unis) ; à l’École pratique des hautes études avec les séminaires de Gaëtan Pirou qui portaient sur les Nouveaux courants économiques aux États-Unis. Les propositions de Keynes, pour sortir de la crise, firent l’objet d’une conférence de John Nicoletis, nous l’avons vu. Ces propositions ne se démarquaient pas de la politique mise en œuvre par Roosevelt : réforme du système bancaire, soutien du secteur agricole, politique de grands travaux, réduction du temps de travail et dévaluation de la monnaie. Ce sont les mesures prises par le gouvernement du Front populaire !
Qu’en est-il de The General Theory ?
Rien.
Bien évidemment, rien. Elle n’était pas encore parue et aucun économiste français ne faisait partie du cercle dans lequel Keynes avait donné ses thèses à discuter.
143La campagne qui allait mener à la victoire électorale du Rassemblement populaire, le 3 mai 1936 se caractérisait par trois traits. Le premier est une démarche unitaire. Le second trait est une intense préparation de mesures alternatives à la politique économique menée jusqu’alors. Le troisième, est que tout ce processus s’est déroulé dans un contexte de tensions, de luttes et de violents conflits sociaux et politiques. Ici, nous porterons toute notre attention sur le second trait.
Parmi les groupes et comités qui préparaient les mesures à venir, l’Union des techniciens socialistes (UTS) occupait une place centrale. L’UTS fut créée par Jules Moch à partir du groupe polytechnicien d’études collectivistes ou « Anti-Colson » avec l’assentiment, si ce n’est l’appui, de Léon Blum. L’UTS se trouvait à la croisée de courants et d’influences : on y trouvait des membres de X-Crise, de la Révolution constructive (partisans du mouvement planiste), des professeurs d’université, comme Étienne Antonelli. L’objectif de l’UTS était :
–de mettre en forme les projets de lois et les décrets à venir :
C’est ainsi que nous avons pu remettre à Vincent Auriol, lorsqu’il a été désigné comme ministre des Finances, un projet de loi assez complet de nationalisation de la Banque de France que nous avions étudié en 1934 et 1935 à l’UTS. Vincent Auriol a modifié le projet, mais les lignes générales étaient établies. De même un certain nombre d’autres projets ont été rédigés avant l’arrivée au pouvoir (Moch, 1967, p. 282).
–de veiller à l’application de la semaine de quarante heures dans l’industrie française.
La majorité à la Chambre des députés fut acquise le 3 mai 1936.
Léon Blum fut désigné par le Président Lebrun le 4 juin7. Il présenta son programme de gouvernement le 6 juin 1936. Son cadre général était issu des travaux antérieurs et du contexte. Les grèves avec occupation d’usine commencèrent avant que Léon Blum ne soit désigné. Si le mois de mai fut un mois de luttes ouvrières, le changement de société n’était cependant pas à l’ordre du jour. Léon Blum fut très explicite lorsqu’il exposa à la Chambre son projet de gouvernement :
144Notre but n’est pas de transformer le régime social, ce n’est même pas d’appliquer le programme socialiste, c’est d’exécuter le programme du Front populaire (Journal officiel, Chambre des députés, 7 juin 1936).
La semaine de quarante heures ne figurait pas initialement dans le programme, elle s’imposa dans les luttes du mois de mai 1936. Dans l’exposé de Léon Blum devant la Chambre, les mesures pour faire face à la crise prirent l’aspect d’un catalogue loin de toute logique planificatrice :
Dès le début de la semaine prochaine, nous déposerons sur le bureau de la Chambre un ensemble de projets de loi dont nous demanderons aux deux Assemblées d’assurer le vote avant leur séparation.
Ces projets de loi concerneront :
– L’amnistie,
– La semaine de quarante heures,
– Les contrats collectifs,
– Les congés payés,
– Un plan de grands travaux, c’est-à-dire d’outillage économique, d’équipement sanitaire, scientifique, sportif et touristique,
– La nationalisation de la fabrication des armes de guerre,
– L’office du blé qui servira d’exemple pour la revalorisation des autres denrées agricoles, comme le vin, la viande,
– La prolongation de la scolarité,
– Une réforme du statut de la Banque de France, garantissant dans sa gestion la prépondérance des intérêts nationaux,
– Une première révision des décrets-lois en faveur des catégories les plus sévèrement atteintes des agents des services publics et des services concédés, ainsi que des anciens combattants.
On a donc trois chapitres. 1) Les mesures sociales : amnistie, semaine des quarante heures8, contrats collectifs, congés payés, prolongation de la scolarité, révision des décrets-lois en faveur des agents des services publics touchés par les mesures du gouvernement Laval ; 2) les mesures bancaires et financières : réforme du statut de la Banque de France ; 3) les mesures économiques : un plan de grands travaux, l’organisation des marchés agricoles, nationalisation des industries de guerre. Cette nationalisation ne participait pas des mesures de relance, elle résultait de la prise de conscience par le gouvernement du Front populaire de la nécessité 145d’une industrie de l’armement face à des conflits à venir. Ces mesures ne constituaient pas tout à fait une surprise, elles étaient constitutives du :
[P]rogramme commun souscrit par tous les partis de la majorité et l’unique problème qui se pose [au Gouvernement] sera de le résoudre en actes. Ces actes se succéderont à une cadence rapide, car c’est de la convergence de leurs effets que le Gouvernement attend le changement moral et matériel réclamé par le pays. Dès le début de la semaine prochaine nous déposerons sur le bureau de la Chambre un ensemble de projets de loi dont nous demanderons aux deux Assemblées d’assurer le vote avant leur séparation (Journal officiel, Débats à la Chambre des députés, 6 juin 1936).
Ce qui fut.
L’ensemble des lois sociales qui marquèrent l’histoire du Front populaire fut adopté avant le mois de juillet 1936. Ces mesures avaient un double fondement. Elles s’inspiraient d’une part, de l’expérience menée par Roosevelt, celle-ci fut mentionnée plusieurs fois au cours des débats tant par Léon Blum que par son opposant, Paul Reynaud et, d’autre part, des travaux menés dans l’UTS et aussi des idées véhiculées par le « mouvement planiste ».
L’épargne préalable demeurait l’élément central du financement des investissements publics. Léon Blum n’entendait pas faire appel ni à la création monétaire ni au crédit mais à la mobilisation de « la thésaurisation locale ». La « défense » du franc fut affichée comme volonté gouvernementale (ce qui assura une critique facile aux opposants au Front populaire lorsque le franc fut dévalué en septembre 1936). Face à la politique de « déflation » du gouvernement antérieur, le gouvernement de Léon Blum n’avança pas une politique « d’inflation » mais de « reflation », il convenait de ne pas effaroucher l’opinion9. L’enjeu était, si les mots ont un sens, de revenir à des prix relativement stables voir même orientés à la hausse.
146Cette politique était interventionniste certes mais elle ne participait pas d’une logique « planiste » et elle ne s’inscrivait pas dans un cadre « keynésien ». Somme toute, le programme économique du Front populaire était étranger à la logique de The General Theory.
L’affirmation d’Alfred Sauvy (1984, vol. 1, p. 240) selon laquelle, « [l]a parenté [du programme du Front populaire] avec la doctrine de Keynes, qui commence à se répandre, est d’ailleurs évidente » ne semble justifiée que par une reconstruction mémorielle des événements passés. Elle ne saurait être la conclusion d’une analyse des fondements de ce programme.
I.2. L’administration, les syndicats, les partis et Keynes
après la parution de The General Theory
Il n’en fut pas de même du programme du second gouvernement de Léon Blum. On peut y lire : la reconnaissance du rôle du multiplicateur de la dépense publique même orientée vers les dépenses d’armement ; le lien entre un taux d’intérêt bas et l’abondance de liquidités ; la présence du circuit financier et la défense de l’efficacité de la planification pour la relance économique. Le texte soumis au vote le 5 avril 1938 se composait d’un seul article demandant :
[D]’autoriser le Gouvernement jusqu’au 1er juillet 1938 à prendre par décret les mesures qu’il juge indispensables pour faire face aux nécessités de la défense nationale, protéger l’encaisse de la Banque de France, redresser les finances et l’économie nationale (Journal officiel, Débats à la Chambre des députés, 5 avril 1938).
Le 6 avril 1938, il obtint à la Chambre des députés une nette majorité, 311 voix pour et 250 voix contre. Le 8 avril, le Sénat se prononça contre par une majorité non moins nette, 49 voix pour et 223 voix contre.
Le programme était mort-né avec le gouvernement.
L’utilisation de The General Theory comme cadre de la politique économique du gouvernement français en resta au niveau des intentions. Cependant, si l’on veut comprendre comment fut accueillie The General Theory, il convient de s’intéresser de plus près à ce programme et à sa conception.
Le jeu des influences, en matière de politique économique surtout, est complexe, toujours difficile à démêler. La reconnaissance de l’importance 147de The General Theory pour la politique économique, si l’on suit Gaston Cusin, résulta de trois processus relativement autonomes. Citons-le :
Une dernière réflexion en ce qui concerne la politique économique concertée dont André Philip a dit quelle influence elle avait déjà, non pas dans l’opinion publique mais dans les cabinets ministériels et plus précisément dans les milieux d’experts. La première personne qui se soit préoccupée de lire Keynes, en dehors de Georges Boris, était mon ami Jean Saltet10, alors sous-directeur du Mouvement des Fonds. À ses instants de loisir, il diffusait la traduction du livre de Keynes faite par l’un de ses amis de l’Inspection M. de Largentaye. Il nous passait les bonnes feuilles au fur et à mesure qu’elles sortaient. Nous avions d’ailleurs eu les yeux ouverts sur ces théories par des gens comme Stafford Cripps, comme Gaitskell que nous rencontrions à Genève et ailleurs. Après la chute du premier gouvernement Blum, nous avions préparé un plan cohérent, en forme de décrets, que le Gouvernement n’a pas jugé opportun de publier et dont j’ai conservé les bleus (Cusin, 1967, p. 294).
Ce n’est pas le souvenir qu’en a gardé Saltes qui déclarait n’avoir lu Keynes qu’en 1943-1945 lors de sa captivité11. Gaston Cusin, néanmoins, fut l’un des acteurs et témoins de cette période. Aussi nous le suivrons.
I.2.1. La logique gouvernementale
Concevoir les déterminants d’une logique gouvernementale est tout sauf simple. Les influences viennent de tout bord. Les plus manifestes furent celle de Georges Boris et celle des « planistes ».
–Georges Boris et le programme du second gouvernement
de Léon Blum
Boris revendiqua l’intégration des thèses de The General Theory de Keynes dans le programme de Léon Blum. Attentif aux travaux de Keynes, il en avait pris connaissance au cours de l’été 1937 (Boris, 1963, 148p. 203). L’affirmation est confirmée par Pierre Mendès France, qui fut le sous-secrétaire d’État au Trésor de ce gouvernement :
Ce document [l’exposé des motifs de la loi sollicitant les pleins pouvoirs] est le premier texte gouvernemental français qui s’inspire des idées de la Théorie générale de Keynes et de la théorie du circuit monétaire […] Georges Boris avait été l’un des premiers à lire le livre de Keynes dans son texte anglais, il en avait été impressionné et en avait souvent parlé à Léon Blum (Mendès France, 1967, p. 239).
–Le « plan » et The General Theory !
La seconde voie par laquelle les thèses de Keynes influencèrent le programme de gouvernement de 1938, fut le « mouvement planiste ». Trois traits le caractérisent. Le premier est que ce mouvement a priori n’a rien de keynésien. Dans The General Theory on ne trouve aucune prescription d’une quelconque planification. Le second est son opposition au marxisme, il se revendique du réformisme. La dernière caractéristique est sa dimension internationale.
Henri De Man, dans Au-delà du marxisme, affirma la possibilité d’une alternative à Marx mais sans aucune référence à un processus de planification. L’enjeu était de montrer que le socialisme pouvait être établi sans « révolution », par des réformes en accord avec un esprit chrétien. L’enjeu n’était pas tant le « marxisme » que le processus : surtout pas de « révolution », pas de « bolchévisme » ! Le socialisme d’Henri De Man, ce n’était pas un état de la société mais un état d’esprit, « une tendance de la volonté vers un ordre social véritable » (De Man, 1929, p. 399)12.
Henri De Man intervint régulièrement aux rencontres de Paul Desjardins à l’abbaye de Pontigny, il y présentait l’état d’avancement de ses travaux. À partir des années 1930, en réponse à la crise, il publia coup sur coup deux ouvrages, Réflexions pour une économie dirigée (1932) puis Le socialisme constructif (1933). Le Parti ouvrier belge adopta à son Congrès de Noël 1933 le Plan du travail d’Henri De Man13. Le « mouvement 149planiste » était lancé. Il offrait une alternative à la planification centralisée de l’Union soviétique qui excluait le marché. Ce n’était pas un phénomène isolé. L’année 1934 connut un foisonnement de publications sur le thème du « plan ». Le plan était partout14. Tous les partis, tous les syndicats avaient leur plan, en France comme au Royaume-Uni15.
Léon Blum consacra plusieurs articles du Populaire, du 4 au 26 janvier 1934 à l’analyse du « Plan du travail » d’Henri De Man. Ils s’intitulaient Au-delà du réformisme, un clin d’œil ironique au titre de l’ouvrage fondateur du courant « planiste ». Il conclut au rejet de la démarche « planiste » qui, parce qu’elle était « corporatiste », ne répondait pas aux problèmes que rencontrait la France. Ce fut confirmé au congrès de Toulouse du Parti socialiste-SFIO. Pour Lefranc :
L’hostilité des guesdistes, Léon Blum et en définitive de la majorité du Parti socialiste-SFIO ne fut pas la seule à laquelle se soient heurtés les planistes acquis aux idées d’Henri de Man, il faut y ajouter celle des Communistes, des Syndicalistes révolutionnaires et de Georges Valois, de sorte que : … vainement Jouhaux et ses amis tentent d’obtenir que le Plan de la CGT devienne le plan du Front populaire (Lefranc, 1974a, p. 160).
Somme toute, dans le programme du premier gouvernement de Léon Blum, en 1936-1937, la planification n’était pas à l’ordre du jour. Il n’en fut pas de même dans le programme d’avril 1938. Les temps avaient changé.
I.2.2. Les Conférences internationales, la planification et Keynes
De 1934 à 1937 se sont tenues trois conférences internationales des plans. La première eut lieu à l’abbaye de Pontigny les 14, 15 et 16 septembre 1934 ; la seconde les 17, 18 et 19 avril 1936 à Genève, à cause de la campagne électorale qui battait son plein en France16 ; la troisième à Pontigny, de nouveau, les 23 et 24 octobre 1937.
150Les travaux du New Fabian Research Bureau vinrent à la connaissance des syndicalistes de la CGT et des socialistes lors de ces rencontres. À la première conférence en septembre 1934, il y avait un représentant britannique, à la seconde en 1936, il y en eut huit. Parmi ceux-ci, Lefranc cite : G.D.H. Cole, Colin Clark, Hugh Gaitskell, Mitchison (député aux Communes) et le fils de Sir Stafford Cripps (qui représentait la Ligue socialiste) (Lefranc, 1974b, p. 191)17. Le New Fabian Research Bureau (NFRB) avait été créé en mars 1931 ; il fut intégré dans le Parti travailliste en 1938. H. Gaitskell et Evan Durbin y jouèrent un rôle important en organisant les divers comités économiques auxquels participèrent Colin Clark, Roy Harrod, James Meade, Richard Kahn, Joan Robinson, Léonard Woolf, entre autres (Thomson, 1996, p. 92 ; Dostaler, 2005, p. 215)18.
Trois caractéristiques des travaux du NFRB peuvent être relevées. La première est la reconnaissance que les mécanismes du marché ne pouvaient pas conduire à un auto-ajustement. La seconde est qu’en matière planification la référence n’était pas Rathenau (avec De Man) mais l’Union soviétique :
La planification socialiste était également perçue comme quelque chose de fondamental pour le progrès économique dont bénéficiait l’Union soviétique, bien évidemment dans sa capacité à éviter le chômage massif dont souffraient les économies occidentales. Des membres du NFRB ont fait leur pèlerinage en Union soviétique en 1932 et sont revenus très impressionnés de ce qu’ils avaient vu. Et certainement comme Toye l’a bien montré, « ce n’est pas vrai […] que cet intérêt pour la planification de style soviétique se soit limité à l’aile gauche du Parti travailliste » (Thomson, 1996, p. 108-109).
La troisième est que le NFRB adhéra rapidement aux thèses de The General Theory. Les « jeunes keynésiens », Meade et Robinson les propagèrent. 151Les autres membres furent aisément convaincus de la portée de cette théorie, même s’ils ne partageaient pas les positions politiques de Keynes, comme Gaitskell et Durbin.
Pour la question qui est la nôtre ici, l’accueil de The General Theory en France, il semble que cela se soit déroulé ainsi. Les représentants britanniques vinrent à Genève en avril 1936 à la conférence organisée sur le thème du « plan ». Là, selon Cusin, lors des débats ils firent connaître l’intérêt de la problématique de The General Theory de Keynes, qui venait de paraître, pour établir le cadre général d’une planification.
Jean Coutrot, qui fut le chef de Cabinet de Charles Spinasse ministre de l’économie du premier gouvernement Blum, créateur du Centre d’étude des problèmes humains19, célébra « l’effort de Keynes pour lutter contre la dépression cyclique qui suivrait fatalement le retour au libéralisme » et il parlait d’une « civilisation Nord-Atlantique » (Margairaz, 1991a, p. 387).
Si l’on suit Gaston Cusin et Jean Coutrot la portée de The General Theory (pas encore traduite !) comme source d’inspiration de la politique économique était pleinement reconnue. Lorsque Georges Boris avec Mendès France entreprirent d’inscrire les thèses de Keynes dans le programme du second gouvernement de Léon Blum, ils se plaçaient sur un terrain assuré. L’ouvrage était connu des « planistes », son intérêt reconnu par les tenants d’une politique interventionniste. Lorsqu’il rendit compte de l’ouvrage de Barbara Wootton, Gaston Leduc, avec la volonté d’ironiser, ne déclara-t-il pas que la logique planificatrice allait de pair avec celle de Keynes : « L’œuvre de Keynes fait échec à celle de Robbins. La conception du plan doit être substituée aux inconséquences du laisser-faire » (Leduc, 1938, p. 1037).
À quoi bon le traduire ?
I.3. La traduction de The General Theory par Jean de Largentaye
La traduction de The General Theory et sa publication présentent des bizarreries qui sont autant d’indices sur les particularités de sa réalisation. Keynes a daté sa « préface pour l’édition française » du 20 février 1939. La « Note du traducteur » (bien que rédigée dès 152juin) est datée d’août 1939. La traduction était achevée à cette date. La publication eut lieu en 1942, en pleine seconde guerre mondiale, pendant l’Occupation.
Armand et Hélène de Largentaye font une analyse minutieuse du contexte personnel qui amena leur père à proposer à Keynes de traduire l’intégralité de The General Theory et des modalités de cette traduction et de sa publication. Ici, seules les lignes générales requises pour la logique de cet article seront reprises.
I.3.1. L’origine de la traduction ?
Une initiative personnelle de Jean de Largentaye !
La traduction ne s’inscrivait ni dans un dialogue avec les « planistes », ni avec les professeurs d’université attentifs à ce qui se faisait au Royaume-Uni, ni avec le monde de l’inspection des Finances, ni même avec Georges Boris. Elle fut la conséquence indirecte d’une demande de rédaction urgentissime d’une Note pour le ministre des Finances afin que celui-ci réponde à une mise en cause de la politique monétaire du gouvernement de Front populaire. L’interpellation de Gaston Bergery était du 7 mai 1937. La Note pour le ministre, rédigée par Largentaye mais signée du directeur du Mouvement des fonds, Jacques Rueff, est datée du 27 mai 1937.
20 jours, tout compris !
Le délai est bien court pour répondre à la question : la stagnation des prix avec son effet sur l’emploi provenait-elle d’une insuffisance de la quantité de monnaie ? Le gouvernement du Front populaire pliait-il devant les puissances d’argent en refusant de créer la monnaie nécessaire ? Lors d’une rencontre avec son condisciple de Polytechnique, Stéphane Leven, Largentaye apprit l’existence de l’ouvrage de Keynes, The General Theory, et que celui-ci pouvait lui être utile.
Stéphane Leven (X23) fut le condisciple de Largentaye à l’École polytechnique. À la sortie de l’École, les deux « pantouflèrent » mais dans des directions différentes. Largentaye s’orienta vers l’industrie avant d’intégrer l’Inspection des Finances, Leven porta son intérêt sur les questions économiques et financières. Si, l’on suit la notice que rédigea Jean Ullmo au décès de celui-ci, on lit :
153[F]ils de polytechnicien, il appartenait à une famille d’agents de change […]
Il a fondé, peu après 1930, une des premières sociétés spécialisées dans la gestion de portefeuille. Après la guerre, il a appartenu à une grande banque d’affaires, puis est devenu une des têtes du groupe Perrier. Sa pratique de la Bourse, de la Gestion, de la Banque et de l’Entreprise constitue une expérience inégalée (Ullmo, 1973, p. 23).
Bien que cela n’apparaisse pas dans la notice, Leven fut très impliqué dans la démarche de Georges et Édouard Guillaume qui ne visaient pas moins qu’à promouvoir une nouvelle économie, l’économique rationnelle20. Soutenus par Jean Coutrot, ils présentèrent plusieurs communications dans le cadre de X-Crise. Elles donnèrent lieu à la publication d’un ouvrage en 1937. Aucun des fascicules composant l’ouvrage n’est attribué à Leven, cependant dans l’annexe intitulée, « Fondements mathématiques de l’économique rationnelle », on lit :
L’extension que nous faisons [du modèle présenté en 1932] ainsi résulte des recherches remarquables que M. Stéphane Leven a entreprises pour dresser a priori une courbe dont la marche s’est révélée parallèle à celle des cours des valeurs à revenu variable, qu’elle précède (Guillaume, 1937, p. 246. L’italique nous appartient, RT).
Le condisciple21 de Largentaye, de par son implication dans le Centre d’analyse économique des frères Guillaume, pouvait être au fait de l’intérêt de The General Theory pour l’étude de la dimension monétaire des relations économiques. Toujours est-il qu’il en conseilla la lecture à Largentaye22.
154I.3.2. Une Note pour le ministre éloignée
de The General Theory de Keynes
De la longue interpellation de Gaston Bergery qui visait « la politique financière telle qu’elle fut définie par le communiqué officiel du 5 mars 1937 et sur les conséquences que cela impliquait en ce qui concerne la politique générale du Gouvernement23 » Vincent Auriol ne retint que l’allusion au Cartel des gauches qui s’était heurté sans succès au « mur de l’argent ». Selon l’interpellation :
Les puissances financières, elles, ont été en même temps épargnées et inquiétées …
Parmi les « facteurs » qui contribuèrent à épargner « les puissances financières » Bergery cita nommément Charles Rist et Jacques Rueff :
Épargnées, car M. Rist et M. Rueff sont au ministère des Finances, et c’est eux, ce sont les organisations économiques dont je parle [administrateurs des chemins de fer, l’Assemblée générale de la Banque de France, l’Agence Havas-trust de la publicité] qui ont imposé au Gouvernement, plusieurs mois après la dévaluation de prendre l’or au cours nouveau, de réaliser ce que je vous dis qu’il eût dû se réaliser au moment de la dévaluation car c’eût été tout autre chose de faire cela comme un acte prémédité du Gouvernement, destiné à obtenir un résultat économique, ou d’attendre que les puissances financières vous l’imposent six mois plus tard (ibid.).
Vincent Auriol considéra que le cœur du raisonnement économique tenait en deux lignes, elles furent l’objet de la Note :
C’est un fait incontesté : nous vivons une époque d’asphyxie monétaire, c’est-à-dire, d’insuffisance de monnaie (Note pour le ministre, voir infra).
La rédaction de la Note s’est réalisée sous les contraintes propres à ce type de travail. Ce sont des contraintes de tous ordres, de temps, de forme, de pertinence : il fallait tenir compte d’une demande expresse du ministre. En introduction à la Note ne lit-on pas :
155Le Ministre a demandé que la valeur de cette assertion fût appréciée par la comparaison des principaux postes du bilan de la Banque de France en 1913, en 1929, en 1935 et en 1937 (ibid.).
La Note s’articule en deux temps.
D’abord l’examen de l’affirmation selon laquelle il y aurait une « insuffisance monétaire » puis celle d’une « asphyxie monétaire ». On ne trouve aucune référence aux conceptions développées dans The General Theory dans cette première partie de la Note ni explicite, ni implicite. C’est simplement la mise en évidence statistique que la quantité de monnaie disponible n’avait pas été réduite.
Dans la seconde partie de la Note, Largentaye montra que puisque l’« asphyxie monétaire » ne tenait pas à la quantité de monnaie disponible, à son offre donc, elle ne pouvait résulter que d’un manque de « demande de monnaie. La quantité de monnaie n’est pas donnée, elle dépend de l’état des affaires24 :
En réalité ce n’est pas l’offre mais la demande de monnaie qui apparaît insuffisante (ibid.).
Si « asphyxie monétaire » il y a (mais est-ce le terme adéquat en la circonstance ?), c’est du côté de la demande de monnaie qu’il faut la trouver, il en résulte qu’une politique de création monétaire serait erronée et néfaste pour l’économie : « L’injection de monnaie fiduciaire même judicieusement conduite constituerait pour la création de monnaie un moyen aléatoire et dangereux » (ibid.), pouvant induire, en bout de course, une fuite devant la monnaie analogue à celle de 1922 en Allemagne.
Il restait à proposer une politique monétaire alternative.
Dans un système économique de forme capitaliste fondé sur la liberté de produire et d’acheter, c’est l’espoir de réaliser des bénéfices qui constitue le 156moteur de l’activité économique. Lorsque cet espoir est affaibli, il importe avant tout de le restaurer. Certaines réformes des institutions juridiques fiscales et même monétaires pourraient y contribuer (ibid.).
L’affirmation se place sur deux plans différents bien qu’ils soient liés.
D’abord, c’est l’expression d’une personne qui connaît le processus de décision propre aux entreprises. Une entreprise capitaliste n’investit (donc ne demande des crédits !) que si elle espère des bénéfices. Ensuite, c’est une toute autre affaire, c’est la suggestion de réformes institutionnelles (donc éminemment politique !). Aussi il n’est pas surprenant qu’en marge de la remarque concernant « certaines réformes des institutions juridiques, fiscales et même monétaires », on lise une interrogation manuscrite du directeur du Mouvement des fonds, Rueff, signataire et donc en dernier ressort responsable de la Note pour le ministre : « Lesquelles » !
Concluons.
Si Largentaye a découvert The General Theory à l’occasion de la rédaction de cette Note pour le ministre, les arguments qu’il avança pour répondre à l’interpellation de Gaston Bergery ne nous semblent pas participer de la logique keynésienne. Lorsqu’il écrivit à Keynes le 31 janvier 1938 pour se proposer comme traducteur, Largentaye avança une argumentation différente de sa Note sur l’« asphyxie monétaire » : c’était une interrogation sur l’inflation.
Entre temps il avait lu The General Theory.
L’édition chez Payot suivit un long chemin que décrit Hélène de Largentaye. La traduction de The General Theory commencée dans les premiers jours de 1938 était achevée à la fin du premier semestre de 1939.
La traduction, proprement dite ne se fit pas dans le recueillement d’un cabinet de travail, elle circula. Reprenons la citation ci-dessus de Gaston Cusin :
[M]on ami Jean Saltes, […] diffusait la traduction du livre de Keynes faite par l’un de ses amis de l’Inspection M. de Largentaye. Il nous passait les bonnes feuilles au fur et à mesure qu’elles sortaient. Nous avions d’ailleurs eu les yeux ouverts sur ces théories par des gens comme Stafford Cripps, comme Gaitskell que nous rencontrions à Genève et ailleurs (cf. ci-dessus, RT)25.
157Les membres du petit groupe d’experts chargés de préparer un plan de relance au sein même du gouvernement de Camille Chautemps, qui avait succédé à celui de Léon Blum (il en était vice-président) étaient donc au fait de The General Theory. Cela signifie que les thèses de Keynes étaient connues, indépendamment de Georges Boris. La rédaction du programme de mars 1938 par Boris et Mendès France se fit sur un terrain prêt à l’accueillir.
Largentaye retrouva Keynes, en 1944, à la conférence de Bretton Woods (1er-22 juillet 1944). Il faisait partie de la délégation, pas encore de la France mais du Comité français de libération nationale26. Les travaux sur les accords de Bretton Woods ne manquent pas, il suffit de rappeler que la tâche de la délégation française ne fut pas aisée, un des conseillers économiques de Harry White en a gardé le souvenir d’un Mendès France écumant de rage27.
En tout état de cause, en 1942, la Théorie générale était disponible en français. Elle fit l’objet d’études, de travaux et de thèses de doctorat, elle infusa les enseignements mais pas tout de suite. Il fallait lire, analyser, comprendre, donner du temps au temps.
II. Keynes, la ThÉorie gÉnÉrale
et sa diffusion en france
II.1. La lecture de Keynes avant la publication
de The General Theory et de sa traduction
Keynes tenait à ce que ses travaux soient largement diffusés. Cela se manifesta dans le délai fort court entre la publication en Grande-Bretagne, la traduction et la publication en France de ses pamphlets et aussi de ses travaux plus théoriques. On peut, entre autres, prendre l’exemple du Tract 158on Monetary Reform publié en anglais 1923, traduit et publié en français en 1924 sous le titre La réforme monétaire. Bref, Keynes n’était pas un inconnu des économistes en France, qu’ils soient de l’université ou non. Dès sa traduction, en 1924, La réforme monétaire fut l’objet de recensions. On peut noter celle de Simiand dans l’Année sociologique, en 1925 ou bien la longue recension de Marc de Valette dans la Revue d’économie politique en 1924.
La recension de Simiand a ceci de particulier que le sociologue, affirme ne s’intéresser qu’à la partie théorique de l’ouvrage :
Nous n’avons pas ici à traiter ni à discuter de cette partie pratique mais les fondements théoriques et surtout la méthode qui est employée à les établir sont de notre cadre et paraissent justement assez représentatifs de l’école [conceptuelle anglaise] pour appeler un utile examen (Simiand, 1925, p. 778)28.
Le compte rendu fut critique en ce qui concerne la partie théorique de Simiand conclut, cependant, que l’ouvrage de Keynes avait pris en considérations les faits et que cela constituait « la partie la plus estimable et la plus durable et l’apport le plus utile à constater dans cette œuvre » (id., p. 784).
La longue recension de l’ouvrage dans la Revue d’économie politique fut évidemment critique, si dans les développements il est montré que l’on peut se passer d’un étalon-or, la brève conclusion se compose de cinq affirmations à l’encontre de la théorie de Keynes qui rendent compte de la sensibilité alors dominante parmi les économistes français :
Le projet de Keynes ne peut être adopté que comme un pis-aller. Il soulève des objections formidables : 1o il restitue au pouvoir politique le droit exclusif de battre monnaie ; il supprime, en fait, la banque d’émission… ; 2o les nombres indices [Keynes renvoyait à l’indice construit par I. Fisher] sont toujours inexacts … ; 3o les États-Unis ont trop d’or pour se prêter à une telle réforme … ; 4o la monnaie cessant d’avoir une valeur en soi perd une de ses qualités essentielles ; 5o les fluctuations de la valeur de l’or ne sont pas assez brusques et assez violentes pour être inacceptables. La valeur intrinsèque du métal jaune est assez stable pour conserver son rôle d’étalon. En fait on n’a encore rien trouvé de mieux comme étalon monétaire29.
159Le Treatise était également connu. Il avait été l’objet d’une thèse de doctorat soutenue le 30 mai 1933 à Paris, par Gérard Blondot, devant un jury composé de Gaëtan Pirou, Albert Aftalion et Jean Lescure. L’objet de la thèse fut nettement affiché, il ne s’agissait ni de politique économique ni de pamphlets mais de « théorie pure » :
Dans les pages qui suivent, nous analyserons le Traité de Keynes sur la monnaie. Cet ouvrage est composé de deux parties bien différentes. Nous nous occuperons surtout de la première qui traite de la théorie pure (Blondot, 1933, p. 18),
une éventuelle traduction du Treatise fut aussi évoquée par Blondot :
Ce Traité n’a pas encore été traduit en langue française. Son format et sa composition ne s’y prêtent guère : il comprend en effet deux volumes d’environ 400 pages couvertes de statistiques et de notes abondantes. D’autre part l’auteur, comme il nous l’a écrit, compose en ce moment un nouvel ouvrage qui traitera de certaines questions que son Traité n’a pas complétement éclaircies. Il nous paraît donc peu probable qu’une traduction de ce dernier paraisse d’ici quelque temps (ibid.).
En doctorant sérieux, Blondot ne manqua pas de citer la réponse que lui fit Keynes sur le devenir du Treatise :
J’en suis venu à penser que l’étude de cette matière dans mon Treatise on Money laisse fort à désirer. Dans un nouvel ouvrage auquel je travaille, je révise cette étude d’une façon assez complète. Je crains cependant qu’il ne s’écoule quelque temps avant que je ne sois en mesure de publier quelque chose (id., p. 80).
La traduction du Treatise ne fut publiée qu’en 201930.
Bien qu’une majorité des économistes des facultés manifestait une certaine distance à l’égard des thèses de Keynes, ses travaux n’en étaient pas moins suivis avec attention. La Revue d’économie politique publiait régulièrement des communications sur les travaux de ceux qu’elle considérait être les économistes étrangers les plus représentatifs et Keynes en était.
160II.2. Les Économistes en France et The General Theory
Qu’en était-il des économistes alors dominants en France ? Les enseignements en théorie économique étaient marqués du sceau du libéralisme mais la politique économique effective était marquée par un souci d’interventionnisme (voir de protectionnisme) notamment en temps de crise :
Chez les économistes officiels, seule la génération des années 1930, celle qui n’avait jamais interprété Keynes comme un simple polémiste anti-réparations s’y intéresse. En revanche la crise [celle de 1929] n’a pas ébranlé les économistes officiels ceux qui avaient vraiment le pouvoir d’agir sur les décisions de leur temps : l’interventionnisme peut être utile exceptionnellement pour restaurer le fonctionnement normal. La crise a permis que les interventions ne se limitent plus au domaine monétaire (Le Van-Lemesle, 2004, p. 629).
L’affirmation est connue. Examinons-la de plus près, d’autant que les débats suscités par les thèses de Keynes ne se limitèrent pas au monde universitaire.
II.2.1. Les économistes, The General Theory, les revues et la recherche
Ci-dessus, nous avons cité Rosanvallon pour qui Keynes était connu des économistes français surtout comme « essayiste, ou pamphlétaire » (Rosanvallon, 1987, p. 54). Les théories de Keynes ne faisaient pas partie des enseignements en économie dans ces cours fondamentaux que sont les cours de premier cycle. C’est le souvenir qu’en a gardé Pierre Gallière :
La pensée économique développée par la plupart des maîtres de l’Université en ce début de 1944 se caractérisait à la fois par un conservatisme mémorable fort respectable, mais quelque peu poussiéreux et un goût académique des beaux équilibres […]
À peine un cours était consacré à Marx dont les idées à peine effleurées étaient tout bonnement qualifiées d’hétérodoxes sans intérêt.
Quant à Keynes et à sa General Theory, ils ne soulevaient pas davantage de curiosité ; paresse intellectuelle ou plutôt dogmatisme académique, le classement en hétérodoxie était considéré comme suffisant à clore l’étude. […]
Keynes cet inconnu, c’est ce que l’on aurait pu écrire sur le fronton de nos facultés en cette fin de guerre. Il avait fallu attendre mai 1942 pour qu’une traduction de la General Theory of Employment, Interest and Money en français fasse son apparition dans nos bibliothèques sous la signature de Jean de Largentaye ; mais elle avait suscité si peu d’intérêt qu’en 1944 dans les 161cours de Doctorat économique, en dehors de celui d’Émile James, la pensée du maître de Cambridge valait tout au plus quelques lignes pour signaler l’existence de son hérésie31.
L’affirmation de Gallière trouve des échos dans les souvenirs d’Henri Guitton :
En 1936, nous n’étions pas sans connaître l’existence du maître de Cambridge, mais presque uniquement par l’ouvrage, The Economic Consequences of the Peace (1919) […] Nous avons été rapidement frappés par une certaine résistance de la pensée française, il faudrait dire un étonnement, une difficulté à comprendre un livre qui correspond si mal à la méthode que l’on nous transmettait dans les leçons d’agrégation (Guitton, 1988, p. 11).
Ces affirmations se transformèrent, en « connaissance commune » : les économistes français « ignoraient », pour la plupart, The General Theory de Keynes. Dans son avant-propos de Théorie économique et impulsion keynésienne, Barrère n’écrivait-il pas :
L’écho de ce livre [The General Theory] fut assez tardif en France. N’est-il pas significatif que de 1936 à 1940, la Revue d’économie politique ne lui consacra qu’un compte-rendu (de M. Gaston Leduc)32 et un article critique (de M. Étienne Mantoux) ? (Barrère, 1952, p. 3).
Il convient de relativiser ces affirmations non pas en matière d’enseignement mais en ce qui concerne la recherche universitaire qui s’exprime à travers des séminaires, des articles, thèses et recensions.
Dans le cadre de la Fondation française pour l’étude des problèmes humains (ou Fondation Carrel) François Perroux dirigeait le département VI de « bio-sociologie ». Il mit en place, en janvier 1943, un « Centre d’échanges de théorie économique » à la charge du professeur Henri Denis avec l’assistance de Jean Bénard. Les réunions et échanges se résumèrent à :
[U]ne [il n’y en eut pas d’autre – RT] réunion d’échanges sur la pensée de John Maynard Keynes le 3 avril 1943. Après l’exposé de la pensée de Keynes fait 162par François Perroux, la discussion s’engagea entre MM. Goetze, Hornbostel, Villey et Denis ainsi que MM. Vergeot et Dalemenont de la Fondation. MM. Guilbaud et Guitton avaient envoyé une communication sur le sujet (Drouard, 1992, p. 218)33.
Selon Antonin Cohen (2006), cette référence à François Perroux et au corporatisme constituerait la singularité du « contexte national d’importation français » des idées keynésiennes. Précisons d’emblée, nous y reviendrons ci-dessous, que les rapports entre Keynes et Perroux furent complexes, d’une part, il s’en revendiqua mais, d’autre part, il ne cessa de s’appuyer sur les « classiques », son cours à l’IEP en est l’illustration.
La guerre finie, dès le renouveau de sa parution la Théorie générale de Keynes fut à l’honneur dans la Revue d’économie politique. Le premier numéro de 1945 ne compta pas moins de trois articles, l’un de Hicks, « La théorie de Keynes après neuf ans », un de G. Létinier, « Sur la détermination de l’équilibre économique en l’absence de plein emploi », un autre de Pierre Dervaux « Réflexions sur l’Intérêt, l’épargne et l’investissement. À propos de la “Théorie générale de JM Keynes” ». Cette même année elle publia également un article de P. T. Bauer « Remarques sur la Théorie générale de Lord Keynes », celui-ci insista pour qu’en note figurât la mention : « Ces pages ont été écrites au début de 1939 ». Au sortir de la guerre Keynes, pour les économistes français, n’était donc plus un inconnu !
Si Keynes n’avait pas fait école en France la connaissance de ses travaux ne se cantonnait pas à sa critique du traité de Versailles, ses travaux en matière monétaire étaient connus, cités et critiqués. Le milieu des économistes fut sensible à la place croissante de la théorie dans les travaux de Keynes. Celle-ci serait le résultat de la difficulté de Keynes à convaincre de la pertinence de ses propositions de politique économique :
Cette impuissance relative explique sans doute que, pour mieux persuader, il ait ressenti le besoin de mieux expliquer : la discussion, l’élaboration de théories économiques tiennent dans son œuvre une place croissante (Jeanneney, 1936, p. 359).
Jean-Marcel Jeanneney défendit la méthodologie de Keynes, « l’intime liaison de la théorie et de la pratique » avec les précautions préconisées 163en matière de statistique. La seconde remarque concerne la théorie de la monnaie. Jeanneney approuva pleinement la définition de la valeur de la monnaie par son pouvoir d’achat en biens de consommation :
[L]a véritable valeur de la monnaie est, à l’évidence, faite du pouvoir qu’elle a de satisfaire les besoins humains (id., p. 361).
Définir la monnaie par rapport à son pouvoir d’achat et non par rapport à une marchandise donnée ouvrait le chemin d’une indépendance de la monnaie par rapport à l’or, sur le plan national comme sur le plan international. Jeanneney ne manqua pas d’en indiquer les conséquences quant à l’organisation du système monétaire. On en trouve, d’ailleurs, des résonances dans les propositions de Keynes à la conférence de Bretton Woods :
Pour mener à bien cette politique monétaire [un système de monnaies nationales avec un accord sur les variations de change], Keynes conclut à la nécessité de fonder une banque internationale qui, jouant vis-à-vis des banques nationales le rôle que jouent celles-ci vis-à-vis des banques privées, régulariserait le rythme des investissements (id., p. 387).
Enfin, dans son commentaire en fin d’article, Jeanneney fit état des critiques de Simiand et rappela celles de Charles Rist. Selon le Treatise, en fin de compte, la banque d’émission, par sa capacité à créer de la monnaie, pouvait réguler le niveau du taux d’intérêt. Le rapport entre le taux d’intérêt « naturel » et le taux d’intérêt financier, dans une logique toute wicksellienne, gouvernerait le mouvement des prix.
Sur la base d’un accord initial : – la non-neutralité de la monnaie – Rist s’opposa à la démarche de Keynes sur deux points. Le premier, repris en 1947 par Rueff dans sa critique de la Théorie générale, est que la banque centrale ne détermine pas la quantité de monnaie créée. Cette création est déterminée par la demande du public et, nous l’avons vu ci-dessus, cette conception est explicite dans la Note de Largentaye au ministre. Le second point concerne les prix, selon Rist, puisque Keynes accepte :
« [L]’élasticité infinie » du crédit de Knut Wicksell. En fait cela aboutit à reconnaître que la seule action dont nous puissions disposer sur les prix est celle qui consiste à multiplier les moyens de paiement en vue non d’avances mais d’achats directs (Rist, 1935, p. 1529).
164Une des procédures des plus commodes pour défricher de nouveaux domaines de recherche en économie comme dans d’autres disciplines, ce sont les thèses doctorales.
La première thèse doctorale qui aborda explicitement The General Theory fut celle de Robert Marjolin en 1941. La thèse portait sur les mouvements de longue durée, cependant l’auteur estima indispensable de rendre compte de The General Theory. Marjolin (1941, p. 86-88, p. 108-117) retint deux points : la « marginal efficiency of capital » et la détermination du taux d’intérêt comme « phénomène monétaire ». Dans une thèse soutenue à Paris, en français, il convenait de rendre compte des concepts de Keynes, sans commettre d’erreur de traduction. Ce fut le cas. Marjolin ne commit pas d’erreurs, il cita dans la langue d’origine. Le résultat en fut une écriture quelque peu originale :
Qu’est-ce que la marginal efficiency of capital chez Keynes ? C’est le rapport entre le prospective yield d’un bien de capital et le supply price de ce bien. Le prospective yield c’est le rendement attendu d’une unité supplémentaire d’un bien capital […] Le supply price, c’est le prix minimum qui inciterait un entrepreneur à produire une nouvelle unité de capital ; c’est donc le coût de remplacement (id., p. 87).
Ce sont les concepts avec lesquels Largentaye dut s’affronter lors de sa traduction. Il n’y eut aucun rapport entre Marjolin et Largentaye : la traduction était achevée depuis deux ans déjà mais non publiée lorsque Marjolin soutint sa thèse34.
La thèse de doctorat de Jean Domarchi, La pensée économique de John Maynard Keynes et son influence en Angleterre, fut soutenue le 17 décembre 1943. Le jury se composait de François Perroux, président, Gaëtan Pirou, Émile James, suffragants. Elle fut achevée en novembre 1942 comme l’indique son avant-propos. Elle visait :
[À] fournir un exposé introductif à la pensée de l’économiste anglais John Maynard Keynes dont l’œuvre occupe à juste titre une place considérable dans l’ensemble de l’économie politique pure et appliquée,
165et
[A]ussi de mettre en lumière les points contre lesquels la critique de Keynes s’est exercée (Domarchi, 1943, p. 7).
Cette thèse appelle plusieurs remarques susceptibles d’éclairer la façon dont les économistes universitaires ont rendu compte de la Théorie générale.
L’auteur, dans son avant-propos, tint à remercier François Perroux de sa « vigilante tutorship », d’autant, ajouta-t-il, que « [n]ous avons eu la grande fierté et l’extrême plaisir d’avoir été deux ans durant son collaborateur direct » (id., p. 8). Cela signifie, sans doute aucun, que François Perroux était au fait de l’importance de Keynes et que la thèse ouvrait le chemin. Un point attire l’attention du lecteur : l’impressionnante bibliographie de la thèse, pourtant courte, (182 pages)35, est pratiquement toute en anglais. Les quelques travaux en français cités sont ceux de Perroux et ils ne portent pas sur Keynes. La thèse ignora les travaux des économistes français sur Keynes, la thèse de Blondot, l’article de Jeanneney comme celui de Mantoux, elle ignora également le compte rendu du colloque d’économétrie d’Oxford que Georges Lutfalla publia en 1937. Seules les publications en anglais et en allemand furent prises en compte. Il n’y eut aucune mention de la traduction en français. Or Domarchi connaissait son existence. En effet à propos du taux d’intérêt et de la monnaie il écrivit en note (id., p. 174) : « cf. aussi Montesquieu, cité par Keynes (préface à l’édition française) ». Peut-être que ses travaux étaient déjà trop avancés lorsque la traduction parut pour qu’il pût l’utiliser ?
Dès 1937, l’ensemble des modèles issus de The General Theory, notamment celui de Hicks, était à la portée des économistes français, universitaires ou non. Ils avaient été présentés de façon détaillée par Georges Lutfalla, dans son compte rendu de la réunion de la Société d’économétrie des 25 et 29 septembre 193636 dont une session était consacrée à l’examen 166de The General Theory. Il n’est pas surprenant que l’attention de Lutfalla ait été attirée par les thèses défendues par Keynes37. En effet, il fut attentif aux démarches nouvelles en économie qui se faisaient jour au travers de l’économétrie. Entre autres, il fut à l’origine de la publication de la communication de Michal Kalecki lors de la IIIe réunion européenne de la Société d’économétrie en 1933 : « Essai d’une théorie du mouvement cyclique des affaires » où l’on peut lire l’affirmation qui rendit célèbre sa démarche : « [L]es capitalistes, considérés dans leur ensemble, déterminent donc eux-mêmes leurs bénéfices par leur consommation et leurs investissements » (Kalecki, 1935, p. 297).
Ces analyses, critiques et comptes rendus de colloques n’étaient pas publiés dans d’obscures et confidentielles revues ou dans des ouvrages à tirage limité mais dans LA revue académique par excellence, la Revue d’économie politique. Ils ne pouvaient pas être ignorés si ce n’est par un effet de volonté.
Bien entendu, la démarche de Keynes souleva bien des critiques chez les économistes. La plus nette paraît être celle de Rist38. Le titre du second volume de l’Histoire des doctrines économiques. De l’école historique à John Maynard Keynes de Gide et Rist, publié en 1947, est trompeur. Le chapitre qui clôt l’ouvrage, « Le conflit des théories de crises », ne s’arrêta pas aux travaux de Keynes (§ 5) mais à ceux d’Haberler, Fisher, Mitchell, Divisia (§ 6) puis Simiand (§ 7). La conclusion de Rist39 fut profondément négative : rien de neuf dans les ouvrages de Keynes. Le Treatise comme la Théorie générale ne seraient que la répétition de conceptions déjà bien établies et oubliées. L’épargne comme « malédiction » du Treatise (Gide & Rist, 1947, p. 847) ne serait pas chose nouvelle, loin de là. Dupont de Nemours le disait déjà : l’épargne des propriétaires est un empêchement à la bonne reproduction de l’économie. Rien de neuf donc en ce qui concerne 167Keynes et sa « parabole des bananes ». Ce ne serait que l’expression d’une confusion entre l’épargne (toujours réinvestie) et la thésaurisation qui est une abstention de consommation. La Théorie générale n’est pas plus acceptable. Toute la démarche se ramène à la crainte de voir disparaître les investissements productifs, les seuls à pouvoir réduire le chômage et conduire au plein emploi et à la nécessité d’y substituer des investissements publics.
En somme le remède pratique proposé par M. Keynes comme autrefois par Malthus c’est essentiellement l’établissement de travaux publics, et il a construit, pour en calculer les effets sur la réduction du chômage, toute une théorie, celle du « multiplicateur », qui n’a réussi à convaincre ni le Gouvernement britannique ni la plupart des économistes (Gide & Rist, 1947, p. 858),
et plus loin, Rist en appela aux critiques anglais,
La Théorie générale comme les livres antérieurs de M. Keynes, a soulevé des controverses extrêmement vives. Les économistes anglais les plus connus, M. Pigou, M. Hawtrey, ont tenu à prendre position à l’égard de tel ou tel des aspects de cette théorie. On ne saurait dire que des idées vraiment nouvelles soient sorties de cette polémique (ibid.).
Pour Rist, rien de nouveau et d’important ne pouvait être tiré des travaux de Keynes tant en matière de théorie que de politique économique.
II.2.2. Les cours à l’Institut d’études politiques
Si la Théorie générale ne fut l’objet d’aucun enseignement spécifique dans les facultés de droit dans les toutes premières années d’après-guerre, il n’en fut pas de même à l’Institut d’études politiques qui succéda le 9 octobre 1945 à l’École libre des sciences politiques. C’était un « entre-deux » : une formation universitaire qui ne participait pas du monde des facultés de droit et préparait aux concours administratifs, tel le concours d’entrée à l’ÉNA.
Le cours de François Perroux, Histoire des doctrines économiques contemporaines, s’ouvrait sur une déclaration explicite : « L’objet de tout ce cours est une confrontation ample et détaillée entre la théorie néoclassique et la théorie keynésienne40 » (Perroux, 1947, p. 6). Le polycopié 168du cours de 1946-1947 (101 pages) se composait de deux parties égales : Keynes (47 pages) et les « néoclassiques » (45 pages).
Dans la première partie Perroux présenta une analyse détaillée de la Théorie générale, avec des graphiques et des formules de calcul. Cependant le cours n’avait pas comme objet la Théorie générale, mais The General Theory. La traduction française ne fut pas mentionnée. À chaque concept keynésien l’anglais servit de référence. Les expressions « effective demand », « inducement to invest », « aggregate income of equilibrium », « liquidity preference » furent données avec leur équivalent en français directement par Perroux : « demande effective », « incitation à investir », « revenu global d’équilibre », « préférence pour la liquidité », comme si ce rendu était de son fait. Cette volonté de Perroux d’ignorer la traduction était-elle là pour souligner son souci de montrer qu’il avait un « accès direct » aux ouvrages ? Une autre interprétation est cependant concevable. Perroux ne cita que des auteurs anglo-saxons et ses propres travaux (s’il cita Rueff en passant ce fut à propos de statistiques et non comme critique de Keynes). La lecture du cours s’achève avec le sentiment qu’en matière de connaissance de la théorie keynésienne les travaux des autres auteurs français ne sont d’aucun apport. Ils n’ont pas à être mentionnés. En somme, pour le lecteur de ce cours, le seul économiste en France connaisseur de Keynes, serait François Perroux.
Le cours s’ouvrait sur une apologie de Keynes et de la « révolution keynésienne » mais les développements ont conclu à la possibilité de dessiner « une théorie, […] beaucoup plus générale que la General Theory et dont cette dernière apparaît comme une application particulière » (id., p. 52).
II.2.3. La Théorie générale et l’administration
Deux volets sont à considérer, la pratique en matière de politique économique et la formation dans la toute nouvelle École nationale d’administration
Qu’en était-il des hauts fonctionnaires chargés de la politique économique dans cette période compliquée que furent les années qui suivirent la mise sur le marché de la Théorie générale, surtout à la fin de la guerre où la reconstruction était à l’ordre du jour ?
Nous ne reviendrons pas sur l’opposition de Jacques Rueff aux thèses de Keynes, ni sur la réponse en défense que fit Gabriel Ardant dans les colonnes de la Revue d’économie politique en 1947. Les inspecteurs des 169Finances connaissaient les thèses de Keynes, certes, mais la « pratique » les amenait à considérer avec une distance certaine des vues trop théoriques41. Voici ce qu’en disait Roger Goetze qui fut directeur général des Finances de l’Algérie (novembre 1942-septembre 1944) lors de son entretien avec Nathalie Carré de Malberg. L’entretien portait sur l’établissement du budget de l’Algérie :
– Précisément, aviez-vous lu Keynes à l’époque ?
Cela ne m’avait pas convaincu. J’avais trouvé qu’il y avait beaucoup de théorie, que c’était très bien mais cela ne m’avait pas convaincu. Et puis je m’étais dit qu’ensuite il fallait appliquer ce qu’il était possible d’appliquer et puis voilà, on verrait après. Oui, j’ai lu Keynes. Il y avait le grand homme de Keynes, un Inspecteur des Finances, qui est mort maintenant.
– Largentaye ?
Oui, exactement, c’était Largentaye. Il était keyniste (sic). Il était keyniste au maximum, mais il était à Fromentin42.
– Avez-vous été plus séduit par les théories de Keynes en 1942-1943 ?
Je n’en avais pas besoin à ce moment-là, mon Algérie se portait bien, elle se portait très bien
[…]
Ensuite R. Goetz devint le directeur du budget au sein du ministère des Finances
– Avez-vous été plus séduit par les théories de Keynes par la suite ?
Oui, certainement. On m’a toujours demandé si j’avais pendant que j’étais directeur du budget en France, appliqué les thèses de Keynes. J’ai dû convenir que non, je n’ai pas appliqué de théorie […] ce n’est pas les théories qui l’auraient équilibré, c’était l’aide américaine, la fameuse impasse de 700 milliards, etc. cela interdisait les théories économiques, tout au moins à mon avis (Carré de Malberg, 1997, p. 121 et p. 262).
De la « pratique » passons à la formation.
Après la seconde guerre mondiale les hauts fonctionnaires furent formés à l’École nationale d’administration. Dans cette école existaient (et existent encore) des « cours communs » et des cours liés aux spécialités. À chaque session les cours ne sont pas systématiquement reconduits. Certains ne figurent que pour une seule session ; c’est notamment le cas des enseignements de théorie économique. Qu’en était-il donc de la théorie keynésienne ?
170Cela dépendait. Certaines années elle était enseignée d’autres non43.
Lors de la première session (1946-1947) deux cours étaient susceptibles de faire état de la démarche de Keynes, sans que ce soit leur objet à titre principal : Robert Marjolin, « Les grands problèmes de l’économie contemporaine » et Jean Ullmo « Les aspects récents de la science économique ».
Lors de la seconde session (1947-1948), il n’y eut pas de cours portant explicitement sur la théorie de Keynes.
À la troisième session (1947-1949), le cours de Jean Marchal porta explicitement sur la théorie de Keynes, « Les théories keynésiennes ». Comme Jean Marchal s’en expliqua dans la préface à l’ouvrage d’Alain Barrère, Théorie économique et impulsion keynésienne, son enseignement s’appuyait sur les notes qu’Alain Barrère avait rédigées dans son Oflag44. Cet ouvrage parut en 1952 et pour beaucoup il ouvrait la porte à l’enseignement de la Théorie générale dans les universités. Il se compose de deux parties bien distinctes. La première, issue de notes de lecture présentant la Théorie générale, servit de base au cours de Marchal. La seconde partie est un essai visant à dynamiser la problématique de Keynes (l’impulsion).
Lors de la quatrième session ce thème ne figura pas dans les enseignements.
À la cinquième session (1949-1951) et à la sixième session (1950-1952), de nouveau, la problématique keynésienne fut enseignée par l’un de ceux qui à Bretton-Woods d’abord, puis à Savannah en 1946, participèrent à la mise en place des institutions monétaires internationales et qui dialogua avec Keynes45 : Pierre Mendès France. Son cours s’intitulait « Les problèmes économiques et financiers que pose la politique des 171investissements et de la Reconstruction de la France ». Michel Hollard (2008) a mis en évidence, que les cours de Mendès France portaient non pas sur la théorie économique, mais sur les politiques économiques qui s’appuyaient sur la logique keynésienne. L’ouvrage de référence de Mendès France n’était pas la Théorie générale de Keynes mais l’Introduction to The Theory of Employment de Joan Robinson46.
En marge des débats universitaires, sur la place publique, Keynes n’était pas ignoré. Ses thèses donnèrent lieu à des articles et à de violentes diatribes, lorsque certains s’avisèrent d’affirmer la possibilité de lier la problématique de Marx et celle de Keynes. Ce fut notamment le cas en France.
II.2.4. Les débats sur la place publique
Les thèses de la Théorie générale furent débattues en dehors du champ clos de l’université, au sein même des divers courants politiques. Le cas le plus notable me semble être celui qui eut lieu, entre Domarchi et les économistes de la Nouvelle critique.
Jean Domarchi (dont la thèse, nous l’avons vu, portait sur Keynes), publia en octobre 1946 un article dans les Temps modernes47 où il concluait par l’affirmation selon laquelle : « Cette théorie [celle de Keynes] est très proche de celle que Marx enseignait dans le volume II du Capital et il aisé de saisir les analogies qui existent entre elles » et plus loin « [i]l n’y a pas […] de conflit entre théorie keynésienne et marxisme » (Domarchi, 1946, p. 99 et p. 101). Cet appel à une conception qui unirait les thèses de Marx et de Keynes n’était pas acceptable par les tenants de « l’orthodoxie marxiste » d’alors. La Nouvelle critique, revue du marxisme militant, sous l’égide de Jean Kanapa de février à juillet-août 1949, dans plusieurs numéros publia un « Dossier Keynes » pour dénoncer les thèses de Keynes. C’était d’autant plus nécessaire que certains marxistes pensaient qu’il était possible de lier les thèses de Marx et de Keynes, en Amérique, en Grande-Bretagne, en France (Domarchi fut nommément cité). Le ton fut donné d’emblée dès la présentation du dossier : cela ne pouvait pas être accepté car « L’économie politique de Keynes et de 172ses disciples, c’est l’économie politique faite un mythe. Les fondements économiques de la doctrine de Keynes sont une construction imaginaire qui n’explique rien, ne démontre rien » (Kanapa, fév. 1949, p. 104).
L’étude de ces diatribes n’est pas l’objet de cet article, ce bref rappel ne vise qu’à préciser que la connaissance de la Théorie générale de Keynes ne s’est pas limitée aux cercles universitaires, rapidement elle fut intégrée dans les conflits politiques de la France d’après-guerre.
Conclusion
Très tôt donc, même si ce n’était pas encore intégré dans les cours d’économie les plus importants, ceux des premières années du cycle universitaire, la Théorie générale de Keynes n’était plus une inconnue tant de ceux qui étaient à l’Université (même critiques, comme Rist) que de ceux qui suivaient les enseignements de la toute nouvelle École nationale d’administration. En matière de politique économique et monétaire, il ne s’agissait plus de retrouver un système qui assurait la stabilité des prix donc l’ordre économique (comme le déclarait l’accord signé à Gênes en 1922) mais de favoriser le plein-emploi. Le paradis n’était pas perdu, il était à construire.
Les accords signés en 1944, à Bretton Woods, ont mis en place des procédures visant à « faciliter l’expansion et l’accroissement harmonieux du commerce international et contribuer ainsi à l’instauration et au maintien de niveaux élevés d’emploi et de revenu réel et au développement des ressources productives de tous les États membres, objectifs premiers de la politique économique48. »
La planification, différente selon les pays, était présente partout (ce n’est plus le cas à l’heure présente !). On ne discutait pas de sa nécessité mais de savoir quelle planification serait la plus adéquate au contexte politique, économique et social. C’est la lecture qui se fit du chapitre 24 de la Théorie générale où Keynes affirmait sans pourtant préconiser une quelconque planification :
173Aussi pensons-nous qu’une assez large socialisation de l’investissement s’avérera le seul moyen d’assurer approximativement le plein emploi, ce qui ne veut pas dire qu’il faille exclure tous les genres d’arrangements et de compromis permettant à l’État de coopérer avec l’initiative privée (Keynes, 1936, p. 371).
Les développements de Keynes se sont transformés49.
Ils ont donné lieu à des approfondissements de toute nature. Keynésiens, post-keynésiens, néo-keynésiens en débattent et en disputent. Ce n’est plus le silence. La théorie économique est d’abord une affaire de monnaie, l’épargne n’est pas première en matière d’investissements. Tous concluent en la justification intellectuelle d’une présence de l’État dans la gestion normale des activités économiques. Ils s’opposent à une affirmation, toute aussi intellectuelle, sur « l’efficacité des marchés » surtout des marchés financiers, affirmation qui en dépit des crises récurrentes est maintenue comme assurée par ses tenants.
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1 Cet article a eu une longue genèse. La communication initiale a été présentée en 2006 lors d’une rencontre organisée par Marco Luigi Guidi à Paris, les questions des intervenants m’ont été d’une grande utilité. Lorsqu’elle fut reprise elle a bénéficié des remarques de Michel Hollard. Je dois particulièrement remercier Mme Hélène de Largentaye et MM. Armand et Bertrand de Largentaye d’entretiens qu’ils m’ont très aimablement accordés et de la communication de la Note pour le ministre, rédigée par Jean de Largentaye et signée de Jacques Rueff. Si le lecteur y trouve moins d’à-peu-près il doit en remercier Alain Béraud. Enfin le texte a tant circulé que je ne saurai remercier tous les lecteurs notamment les rapporteurs de la Revue, ils se reconnaîtront. Si malgré toutes ces lectures, des erreurs et malentendus demeurent la responsabilité n’en incombe qu’à son auteur qui n’a pas toujours fait cas des remarques qui lui ont été faites.
2 Keynes ne félicita-t-il pas le traducteur de The General Theory pour son « lexique », indispensable à un lecteur français car « peut-être cinquante ans se sont écoulés depuis qu’un ouvrage moderne d’économie a été rédigé en français » (cf. la lettre du 3 avril 1939, de Keynes à Largentaye).
3 On peut citer, entre autres, Louis Germain-Martin, professeur d’économie, directeur du Journal des économistes, libéral convaincu et ministre des Finances en 1934 dans le gouvernement de Pierre-Étienne Flandin.
4 Crouzet (1972) a montré que ce « bruit » était contrasté. Dans les revues académiques, telle la Revue d’économie politique, les positions de Keynes en matière de réparations furent souvent approuvées. Voilà ce qu’en disait Rist, en 1947, (pourtant hostile aux conceptions monétaires de Keynes) lors de la recension de l’ouvrage d’Étienne Mantoux, La Paix calomniée : « MM. Klotz et Loucheur ont […] empoisonné l’opinion française par des évaluations absurdes. Keynes en rappelant à ces hommes politiques qui n’y avaient jamais réfléchi, qu’à défaut de crédit, les réparations ne pouvaient se payer qu’en nature a rendu un grand service ». La presse et les hebdomadaires pour le grand public ne firent que des allusions à ces travaux. Par contre dans les revues à tonalité politique, les positions de Keynes furent vilipendées. Pour Clémenceau les interventions de Keynes n’étaient que la défense de la position britannique : « M. Keynes, qui, devant l’échec de la thèse britannique, avait, en juin 1919, donné sa démission, publiait l’année suivante un livre à grand tapage, The Economic Consequences of the Peace, où il prétendait établir que la prospérité mondiale était subordonnée à la prospérité allemande et que l’Europe connaîtrait un désastreux déséquilibre économique, tant que l’Allemagne aurait à remplir des obligations dépassant sa capacité de paiement […] Lloyd George, très impressionné, par le livre de M. Keynes, n’eut pas de peine à gagner à la thèse du forfait notre président du Conseil, M. Millerand » (Clémenceau, 1930, p. 262-263).
5 « Pour Boris, les événements d’outre-Atlantique sont la confirmation de la possibilité d’appliquer une politique s’inspirant des théories keynésiennes. Politique socialiste ? Non, politique démocratique à caractère social » (Nouschi, 1981, p. 62). C’est là un télescopage temporel de premier ordre. La politique de Roosevelt fut menée avant et indépendamment des thèses que Keynes développa dans The General Theory.
6 Par la suite, il vota les pleins pouvoirs à Pétain et participa au gouvernement de Vichy (cf., Dard, 1999 ; Margairaz, 1991).
7 Les élections eurent lieu le 26 avril et le 3 mai 1936. Le premier gouvernement de Léon Blum dura du 4 juin 1936 au 21 juin 1937, celui de Camille Chautemps, qui lui succéda, du 29 juin 1937 au 10 mars 1938. La durée du second gouvernement Blum fut brève, du 13 mars 1938 au 10 avril 1938.
8 La revendication d’une réduction du temps de travail était profonde. Elle a marqué les mouvements ouvriers. Elle eut aussi des échos dans la sphère universitaire (Leduc, 1933), bien entendu c’était pour la déplorer !
9 Question de vocabulaire. L’« hyperinflation » allemande de 1922-1923 avait marqué au rouge les esprits en Europe, le terme honnis était « inflation ». Pour qualifier une politique économique alternative à la « déflation » du gouvernement Laval (7 juin 1935-22 janvier 1936), le néologisme « reflation » (grammaticalement l’inverse de « déflation ») s’imposa. Ce fut d’autant plus aisé que dès le début des années 30 le terme faisait partie de la littérature économique même en Amérique. Un article d’Irving Fisher publié en 1934 s’intitulait : « Reflation and Stabilization » (The Annals of the American Academy of Political and social Science, vol. 171, p. 127-131).
10 Il s’agit une coquille, il convient de lire Saltes et non Saltet.
11 « Quelques-uns, rares, ont développé leur curiosité et leurs connaissances une fois à la Banque, comme Saltes, également polytechnicien, sous-gouverneur de 1945 à 1960 [de la Banque de France]. S’il dit avoir été influencé dans les années trente par l’économiste planiste belge de Man et avoir compris que le libéralisme pur n’existe pas, il ne découvre (comme Baumgartner) Keynes qu’au cours de sa captivité, en 1943-1945, sans devenir keynésien pour autant. Une fois à la Banque de France, il se fera progressivement l’avocat d’un retour à un étalon de change fixe et le procureur de l’économie d’endettement » (Carré de Malberg, 2011, ch. xii, « Les inspecteurs à la Banque de France »).
12 L’ouvrage parut en 1926, en allemand sous le titre Zur Psychologie des Sozialismus. Il fut traduit en français et publié en Belgique, aux éditions l’Églantine en 1927. L’édition française fut révisée par A. Philip qui, en 1928, en publia un résumé. Les positions de De Man ne cessèrent d’évoluer vers la droite la plus extrême. Pour une analyse de De Man pour promouvoir le « corporatisme », cf., Sternhell, 1983, p. 369-407.
13 Les travaux de De Man sur le « plan » s’inspiraient de W. Rathenau, Die neue Wirtschaft (1918), et de la Commission de socialisation désignée par le Parlement allemand en 1919 (Dauphin-Meunier, 1974, p. 103-120).
14 Il n’y eut pas de débat théorique sur la possibilité d’une planification. La discussion porta sur le « plan » comme instrument de politique économique. La Revue d’économie politique consacra un numéro spécial, en 1934, à la question de « planification » : L’Économie dirigée. Expériences et plans. Il s’agissait, comme l’indiquait Gaëtan Pirou dans sa préface, de présenter les expériences allemandes, américaines, anglaises afin que des enseignements puissent en être éventuellement tirés pour la France.
15 Il nous suffit de renvoyer à l’ouvrage de Barbara Wootton publié en 1934.
16 Ce qui explique la remarque ci-dessus de Gaston Cusin.
17 Il y avait 65 participants à cette seconde conférence : 26 pour la Suisse, 18 pour la France, 8 pour la Grande-Bretagne, 8 pour la Belgique, 2 pour les Pays-Bas et 1 pour la Tchécoslovaquie. Deux hauts fonctionnaires du Bureau International du Travail avaient été invités.
18 Selon Thomson (1996, p. 92-93) trois organismes furent à l’origine du renouvellement du programme du Parti travailliste : le NFRB, le Club XYZ et la Society for Socialist Inquiry and Propaganda (SSIP). Le Club XYZ, créé en 1932, regroupait les quelques financiers de la City, sympathisants du Parti travailliste. La SSIP avait deux objectifs : remédier à l’absence d’idées socialistes dans le Parti et populariser celles-ci. Créée en 1931, la Société fut dissoute en 1932.
19 Cet organisme, qui rassemblait des spécialistes des sciences humaines et des acteurs sociaux, se réunissait périodiquement à l’abbaye de Pontigny.
20 Les termes étaient à la mode. En 1928, François Divisia publia un ouvrage avec ce titre, préfacé par Clément Colson. Les frères Guillaume reprirent les termes mais avec un tout autre contenu. Leur « économique rationnelle » les conduisit à la création de modèles matriciels susceptibles de calculs prévisionnels qui ne sont pas sans rappeler le modèle établit par Leontief (voir Fischman & Lendjel, 2000). Constant (1937), Dieterlen (1938) en firent éloge et Divisia (1938) une féroce critique.
21 Leven publia peu. On trouve une note aux Archives nationales : Note de S. Leven sur le budget, l’épargne et le marché noir, août 1945 (AG/3(4)29. Son ouvrage publié en 1971, traitait de l’instabilité monétaire, il s’y revendiqua à de très nombreuses reprises du Treatise et de The General Theory mais sans renvoyer à la traduction française de ce dernier ouvrage.
22 Les conceptions des frères Guillaume en matière de monnaie étaient fort éloignées de celles de Keynes : « Avec M. Rueff, disaient-ils, nous pouvons conclure en disant que l’édifice monétaire repose tout entier sur le stock de monnaie légale en circulation et que ralentir ou limiter l’augmentation de ce stock, c’est ralentir ou limiter la création de la monnaie sous ses différentes formes. Il en résulte, en définitive, que la monnaie endettement est à peu près proportionnelle à la circulation, et […] celle-ci, en moyenne, doit croître en proportion de la réserve d’or de la Banque » (Guillaume, 1937, p. 265).
23 Journal officiel, Chambre des députés, séance du vendredi 7 mai 1937, p. 1443. Ce fut une intervention de trois quarts d’heure, sa transcription occupe 7 pages du Journal officiel (p. 1443 à 1450).
24 Rueff reprit cet argument, en 1947, pour sa critique de la Théorie générale, ni la quantité de monnaie dans un pays ne saurait être une quantité donnée, ni la Banque d’émission pouvait en contrôler la création : « J’ai connu, comme directeur du Mouvement général des fonds, des périodes d’égal déficit où la circulation augmentait, d’autres où elle diminuait, sans que les autorités monétaires se soient préoccupées en rien de susciter ces mouvements, et malgré tout ce qu’elles pouvaient tenter pour les contrecarrer. J’ai passé tout mon temps, comme sous-gouverneur de la Banque de France, à assister aux vains efforts de la Banque centrale pour résister à l’augmentation de l’émission » (Rueff, 1947, p. 22-23).
25 « Gaston Cusin [fut] placé dans le Cabinet de René Brunet [sous-secrétaire d’État aux Finances du gouvernement Chautemps] – sans apparaître dans l’organigramme officiel – afin de renseigner l’équipe de Vincent Auriol » (Margairaz, 1991b, chap. xii).
26 Proceedings (vol. 1, p. 757). La délégation, présidée par Pierre Mendès France, se composait de : André Istel, Jean de Largentaye, Robert Mossé, Raoul Aglion, André Paul Maury.
27 « Morgenthau explained that President Roosevelt had promised China its quota would rank fourth, whereupon Mendes-France went into a rage, speaking unintelligibly, half in French, half in English. Morgenthau calmed him by agreeing that he and other members of the U.S. delegation would meet with Mendes-France privately. I quietly withdrew and went for a walk on the lawn but continued to shake for much of the rest of the day » (Mikesell, 1994, p. 37).
28 L’étude par Simiand de « la récente littérature monétaire » (près de 40 pages) se compose de six recensions d’ouvrages (Nogaro, Elster, Rist, Keynes, Cassel & Lachapelle), suivies de onze courtes notices.
29 Valette (1924, p. 547) publia cet article avec un exposé du système d’Irving Fisher dans une publication spécifique.
30 La traduction fut assurée par Marc Laudet et publiée par les Classiques Garnier.
31 Gallière, 1990, p. 189. Comme Perroux, Gallière n’utilisa que le titre anglais : The General Theory. Son souvenir des dates est aussi un peu approximatif : « La Théorie générale ne fut publiée qu’à l’automne 1942 ».
32 Selon Jean Weiler, Barrère renverrait au compte rendu de l’ouvrage de Barbara Wootton par Gaston Leduc (1938).
33 Cette affirmation a été reprise du rapport sur ses activités que rédigea François Perroux lorsqu’il fut démis de ses fonctions le 4 décembre 1943.
34 Le souvenir qu’il en garda est mitigé : « Je ne parlerai pas davantage du contenu de ce livre que je n’ai pour ainsi dire pas rouvert depuis 1945. La validité scientifique de certaines thèses que j’y défendais m’apparaît aujourd’hui contestable. Publié par les Presses universitaires de France, il obtint un certain succès auprès de jeunes économistes qui y trouvaient l’analyse des doctrines anglo-saxonnes encore inconnues ou mal connues en France » (Marjolin, 1986, p. 52)
35 Ici on doit noter une certaine bizarrerie. Dans le volume publié aux pages 108, 110, 142, 143, 163, il est fait état en note d’un volume II où seraient menées des études plus approfondies des conceptions de Hayek et de Strigle ainsi que de l’intérêt et de la liquidité. Nous n’avons pas eu accès à ce volume II. La publication chez Domat-Montchrestien n’en fait pas état, pas plus que le catalogue de la bibliothèque Cujas.
36 Comme l’a fait remarquer Alain Béraud, Georges Lutfalla ne figure pas dans la liste des présents au colloque d’Oxford. Le seul français qui y figure est R. Gibrat (Econometrica, 1937, vol. 5, No 2, p. 198). L’article est-il une reconstruction par Lutfalla du colloque sur la base des contributions ou bien est-ce un oubli dans la liste des participants ? Le compte rendu de Lutfalla présentait les modèles de Harrod, de Hicks (en utilisant ses graphiques) et de Meade ; celui de Phelps Brown publié dans la revue Econometrica (1937, vol. 5, No 4, p. 361-383) ne fit état que de la contribution de Meade avec sa discussion, pour les contributions de Harrod et de Hicks, il renvoya à leur publication.
37 Pour une présentation du compte rendu de Georges Lutfalla, cf. Tortajada, 2009. Je dois remercier Michel Lutfalla de son accueil chaleureux à une première étape de cette recherche et de ses informations éclairantes quant aux rapports entre François Perroux et son père, Georges Lutfalla.
38 Rist cependant partageait avec Keynes, les critiques au traité de Versailles, cf. note 5 ci-dessus.
39 En 1947, Charles Gide avait disparu.
40 Cf. Cohen (2006) pour l’étude de mainmise de Perroux sur ce cours au détriment de Pierre Uri.
41 Cf. ci-dessus, note 5.
42 Bureaux du commissariat aux Finances du gouvernement provisoire de la République française.
43 Ces informations m’ont été très aimablement communiquées par Lydiane Chabin, de la cellule archives de l’ÉNA.
44 « Alain Barrère, prisonnier à l’OFLAG XVII-A depuis mai 1940 ne connaissait pas la traduction que Jean de Largentaye avait effectuée. Il reçut clandestinement une édition anglaise par l’intermédiaire de son ami et futur collègue Robert Goetze » (Barrère, 1996, p. 11).
45 Keynes garda le souvenir suivant de ses rapports avec Mendès France : « I would particularly mention the happiness of our relations with the French under M. Mendés-France (whom at Bretton Woods we had found difficult). In spite of the imminence of his Government’s negotiations with the United States Treasury, M. Mendés-France, with whom we were in unvarying agreement on all matters under discussion, adopted throughout a noticeably courageous and highly independent line » (Keynes, 1946, p. 231).
46 Traduit sous le titre Introduction à la théorie de l’emploi par Jacques Delons (INSEE), Paris, PUF, 1948.
47 La revue avait alors une forte diffusion et une large audience.
48 Statuts du Fonds monétaire international, art. 1, al. 2.
49 Pour une analyse des courants se revendiquant de Keynes cf. King (2002) et Marc Lavoie (2014) dont les ouvrages sont toujours actuels.
- Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
- ISBN : 978-2-406-12615-7
- EAN : 9782406126157
- ISSN : 2495-8670
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12615-7.p.0137
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 08/12/2021
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : The General Theory, Keynes, Boris, Rueff, Largentaye, Leven, De Man, Mendès France, Barrère, Perroux