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Action économique et lucidité politique L’Économie en République chez Gabriel Ardant et Pierre Mendès France – 1954 et 1973
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
2021 – 2, n° 12. varia - Auteur : Frobert (Ludovic)
- Pages : 273 à 297
- Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
Action Économique
et luciditÉ politique
L’Économie en République chez Gabriel Ardant
et Pierre Mendès France – 1954 et 1973
Ludovic Frobert
TRIANGLE – UMR CNRS 5206
ENS-Lyon
Dans La Science économique et l’action, Gabriel Ardant (1906-1977) et Pierre Mendès France (1907-1982) expliquent qu’ils vont traiter dans cet ouvrage de la « rencontre de la théorie et de l’action » (Ardant & Mendès France, 1954, p. 8). La thématique est intéressante sur le plan de la méthode dans la mesure où se pose ici sur un cas topique la question du rôle/impact des analyses économiques dans la vie et la pratique politique : comment les idées agissent en politique ? Et ici, bien sûr, s’exprime la défense, républicaine, du rôle des idées et de la raison contre une certaine vulgate matérialiste marxiste1. Mais le cas Mendès France/Ardant est également intéressant car dans ce cas précis s’observe, sur le cas français, l’une des articulations, dans la pensée et la pratique, entre économie et république2. Et si aujourd’hui, au temps des gouvernements Hollande puis Macron, le seul horizon des experts paraît être le néo-libéralisme, dans l’immédiat après-guerre le paysage 274est bien différent. C’est le moment où quelques hommes politiques entourés de grands administrateurs d’État vont avoir une culture économique, compatible avec le keynésianisme, expliquant que cette culture économique réformiste/interventionniste doit constituer un ingrédient majeur d’une république moderne. Pierre Mendès France et les mendésistes (George Boris, Gabriel Ardant, Simon Nora, Claude Gruson, François Bloch-Lainé, etc.) sont ici exemplaires de républicains solidement dotés en connaissances économiques. Et cet « économisme » marque une évolution, presque un tournant pour la Gauche, notamment républicaine, comme l’a souligné Jacques Julliard, dans ses portraits croisés de François Mitterrand et Mendès France. Julliard souligne le dédain de Mitterrand pour la chose économique alors que Mendès France,
[N]e cessera de plaider pour une morale de l’économie, voir pour une économie de la morale. L’absence de rigueur dans le domaine économique se fait toujours au détriment des plus faibles : voilà l’un des axiomes, nouveaux, on en conviendra, dans l’univers mental de la gauche, qui constituera l’un des fondements intellectuels de ce que l’on nommera plus tard la deuxième gauche… Mendès France a fait de l’économie politique, cette science sociale de droite, un instrument de modernisation de la France et de la gauche (Julliard, 2012, p. 837 puis 853).
Bien sûr, cette perspective ouvre un chantier immense car il y a déjà une littérature plus qu’abondante sur nombre des aspects de la question : sur Mendès France, sur le milieu des hauts fonctionnaires et ingénieurs économistes qui vont faire la planification française, la comptabilité nationale et la réforme de l’État après 1945, et même sur la réception du keynésianisme dans le contexte de renouvellement de l’analyse économique en France après 1945. Je limite donc l’étude à un problème précis : les deux éditions de l’ouvrage d’Ardant & Mendès France, ouvrage considéré comme un jalon dans la réception des idées keynésiennes en France, mais aussi comme un condensé du mendésisme : 1954, La Science économique et l’action ; 1973, Science économique et lucidité politique.
Dans la préface à 1973, les auteurs notent que cet ouvrage « prend la suite » du petit volume de 1954, mais ajoutent qu’en raison de l’évolution des faits et de leurs propres opinions, c’est aussi « un texte pratiquement nouveau » (Ardant & Mendès France, 1973, p. 12). La formule est assez ambiguë – le même et l’autre – et cette ambiguïté ressort plus 275encore lorsqu’on étudie les commentaires sur ces deux ouvrages (voir notamment les contributions dans Margairaz, 1989). Schématiquement, deux interprétations ressortent. Pour les uns, il y aurait effectivement une très nette différence entre 1954, où dominerait sur la question de l’articulation économie/politique la logique libérale – ici non pas tant expression de l’esprit de la Société du Mont-Pèlerin que rappel de la racine libérale et individualiste du radicalisme –, et 1973 qui présenterait la défense du socialisme démocratique ; et naturellement, dans les deux cas, cela ne serait pas le même Keynes qui serait sollicité. Et la comparaison des deux ouvrages signalerait donc l’évolution et peut-être le flottement voire l’indécision de la pensée de Mendès France en matière d’économie politique. Pour les autres, si effectivement 1954 paraît détonner par ses accents néo-libéraux affirmés, il faut retenir plutôt la continuité de l’inspiration de Mendès France et d’Ardant et faire la part du poids du contexte de publication des deux ouvrages ; ce qui ne signifie pas que certaines évolutions théoriques ne soient perceptibles, cela signalant simplement que les auteurs ont adapté leur interprétation à l’évolution des faits sur une période couvrant, approximativement les Trente Glorieuses. L’interprétation développée ici se situera plutôt dans la proximité de cette seconde interprétation.
I. 1954. La science Économique et l’action
La Science économique et l’action est le premier volume de la collection « Science et société » lancée sous les auspices de l’UNESCO ; une collection « qui entend montrer que les recherches poursuivies dans les différents domaines des sciences sociales ont d’ores et déjà abouti à des résultats pratiques importants » en permettant notamment « de fonder une action rationnelle, d’indiquer une ligne de conduite logique pour les individus ou les sociétés ». Il s’agit donc d’un essai didactique, un ouvrage de haute vulgarisation en résonnance avec la dimension démopédique de la pensée et de l’action de Mendès France. Une exigence qu’ont manifestée, par exemple, ses fameuses allocutions radiophoniques de 1944-1945 ou, une dizaine d’années plus tard, ses « causeries du samedi ». 276Or, en 1954, que faut-il annoncer et enseigner aux Français ? Sinon « du sang et des larmes », du moins, sur la base d’une connaissance partagée de l’intelligence économique moderne, qu’il y a encore des efforts à accomplir. Et qu’au présent, en France, il faut moderniser ce qui signifie d’abord et avant tout, pour une nation en retard et indolente, dans une situation de reconstruction et carences de l’offre, souffrant d’une répartition inique des richesses, mettre fin aux habitudes corporatistes et immobilistes, retrouver efficacité et productivité, ne pas favoriser le clientélisme, enfin en matière d’administration casser les pesanteurs. Continuer à donner des gages démagogiques à ces privilèges aura un coût, celui de l’inflation, un coût que paieront d’abord les plus faibles.
Quelques mots trop brefs sur le contexte et les deux hommes : pour Mendès France3, 1954-1955 marque son zénith sur le plan politique : « jeune turc » du parti radical, spécialiste des questions monétaires et financières, député dès 1932, il a été en 1938 associé (avec George Boris) à l’éphémère second gouvernement Léon Blum4 où fut projeté un plan de relance d’inspiration keynésienne5. En 1944 il sera un court moment ministre de l’économie nationale du gouvernement provisoire du général de Gaulle, rédigeant un rigoureux Plan d’Alger concernant le redressement national, plan qui ne sera pas suivi et qui le conduira à démissionner avec fracas en avril 1945. À Bretton Woods, il se rangera aux côtés de John Maynard Keynes, puis il participe à l’assemblée inaugurale du FMI et en sera gouverneur au nom de la France, travaillant aussi à la direction de la BIRD. Hostile aux institutions de la IVe République, à l’instabilité chronique qu’elles instaurent et à l’impossibilité d’agir qu’elles occasionnent, il sera néanmoins président du Conseil pendant 7 mois à partir de juin 1954. Il a prononcé un an plus tôt devant l’Assemblée nationale, à l’occasion d’une investiture finalement rejetée, le fameux 277discours « Gouverner c’est choisir ». Il répète les arguments de ce discours dans nombre de ses textes de l’époque, dont la préface qu’il rédige au volume de Gabriel Ardant, Problèmes financiers contemporains (Ardant, 1949). Mendès France collabore avec Gabriel Ardant (inspecteur des Finances qui, dès 1938 avait participé auprès de Jean de Largentaye à la traduction française de The General Theory6) depuis son séjour à Londres en 1942-1943. Là a débuté une longue collaboration entre l’expert que demeurera Ardant et le politique que fut d’abord Mendès France. Le volume que publie Ardant en 1949 porte sur les règles de choix et rigueur financière en matière de gestion publique et Ardant, inspecteur des Finances qui a pris en 1946 la direction du Comité central d’enquête sur le coût et les rendements des services publics et qui de 1954 à 1959 dirigera le Commissariat général à la productivité, a d’ailleurs publié aussi Techniques de l’État (Ardant, 1953)7. Dans sa préface, Mendès France souligne qu’il a particulièrement apprécié le chapitre d’Ardant sur « l’idée du choix » et il ajoute, « tout problème financier est un problème de choix, d’arbitrage, c’est-à-dire, dans le sens le plus large, un problème politique » (Mendès France, 1984-1985, p. 233). Or, au lendemain de la guerre, le problème économique en France, notent Ardant et Mendès France, n’est pas celui du sous-emploi, mais celui de l’inflation dans un contexte d’insuffisance de l’offre. Contre les pans de l’opinion et de la classe politique favorable à une politique économique laxiste interprétant faussement le message keynésien (trait commun des chefs des gouvernements qui se sont succédé depuis 1947, dont René Pleven ou Joseph Laniel), les deux hommes prônent une attitude courageuse et non démagogique en matière de choix financiers et budgétaires8. Cette conjoncture, pouvant d’ailleurs évoluer (se pose la question en 1949 de la réapparition simultanée d’un chômage involontaire), impacte nettement l’ouvrage de 1954 et en explique les nuances.
278Car l’ignorance économique a un prix politique exorbitant, et notamment pour une république. Telle est la constante leçon de l’histoire, cruellement vérifiée dans le passé récent. L’analyse économique et ses progrès constituent donc un enjeu crucial, tout autant que sa compréhension et son application par les hommes politiques mais aussi son intelligence par le public, par les citoyens. Or, l’analyse moderne comprend deux grands problèmes, celui de l’équilibre global et celui du choix. Dans l’introduction de La Science économique et l’action, les auteurs écrivent pour préciser les termes des deux problèmes, mais aussi signifier leurs dynamiques récentes et leur situation au présent :
Le problème du choix […] : comment les hommes, individuellement et collectivement, peuvent-ils tirer parti de ressources limitées, constitue la préoccupation essentielle de l’économie classique. Celle-ci eut tendance, par contre, à négliger le problème de l’équilibre global – comment éviter la pénurie et la surproduction – ou du moins à croire qu’il ne se posait même pas. Ce problème est passé au premier plan de l’actualité depuis trente ans. On commence à se rendre compte que le problème du choix a été trop négligé. Dans la mesure où certains régimes ont résolu le problème du plan complet, ils doivent s’appliquer plus encore qu’ils ne l’ont fait au problème du meilleur emploi (1954, p. 12).
En 1954, les auteurs estiment donc nécessaire, au sein de la connaissance économique, et après des avancées nettes sur la question de « l’équilibre global » de faire progresser la question du « choix ». Mais comment définissent-ils les deux problèmes et leurs dynamiques ?
I.1. L’Équilibre global
L’équilibre global définit une situation où une économie progresse harmonieusement, sans crises et sans sous-emploi. La condition de cet équilibre, ont répondu les Classiques, est de laisser jouer librement les « mécanismes naturels » du marché ; la réponse, selon Mendès France & Ardant a constitué historiquement un progrès par rapport au mercantilisme, a permis effectivement la découverte de nombres de mécanismes économiques, et donc fait progresser la connaissance. Tout au long du xixe siècle et jusqu’à 1929, cette solution au problème de l’équilibre global signale toutefois des insuffisances croissantes révélées par les crises, le paupérisme et le chômage. Est-ce l’indice d’un problème de « structure » trouvant sa source dans l’inégalité, la propriété et le profit 279comme vont le pointer les traditions socialistes signalant le risque endémique de sous-consommation ? Oui, mais seulement en partie signalera Keynes au tournant 1930 en insistant bien sûr sur l’inégalité capitaliste, mais en soulignant aussi et surtout le rôle de la monnaie. L’analyse keynésienne conduit alors, à une « révolution intellectuelle » sur le chapitre de l’équilibre global en normalisant l’intervention de l’État et son contrôle sur le budget et la monnaie. Mais Keynes, comme le retiennent significativement Ardant et Mendès France, « n’a pas tiré de ses études la conclusion qu’il était impossible de réaliser le plein emploi sans changer complétement la structure de la société9 ». Keynes prône « une action positive de l’État sur l’économie », mais l’État continue à laisser agir librement le producteur (et le consommateur)10. Sur ce chapitre, les auteurs estiment qu’en raison précisément de l’analyse que fait Keynes de la volatilité et versatilité du comportement de l’entrepreneur, une intervention plus nette de l’État sur la « politique des investissements » basée sur un « plan général d’investissement » serait judicieuse. Le message keynésien ouvre donc, en matière d’économie mixte à différentes options possibles, plus ou moins ambitieuses.
L’étude des événements de l’entre-deux-guerres signale alors les conséquences économiques, sociales et politiques du choix accordé à une bonne politique économique. Alors que les expériences inspirées des enseignements classiques avortent, toutes les expériences mobilisant les outils keynésiens obtiennent des résultats probants. Ce test valide donc la pertinence supérieure de ce paradigme, la théorie de l’emploi, qu’il faut donc absolument, jugent Ardant & Mendès France, mobiliser dans le contexte de l’immédiat après-guerre : un contexte où les problèmes se renversent puisque le fléau majeur n’est pas l’insuffisance de la demande, mais celle de l’offre dans le contexte d’une économie de pénurie expérimentant les problèmes de reconstruction. Il ne faut donc pas ici méconnaître le vrai enseignement du message keynésien : la nécessité de réguler les désajustements entre offre et demande globales 280en jouant d’abord sur le niveau de la demande globale et cela grâce aux leviers de la politique monétaire et surtout budgétaire. Mais la situation est donc ici inversée, car « l’inflation est un déséquilibre… c’est le type du déséquilibre, l’inverse de cette baisse continue des prix qui accompagne la dépression et le sous-emploi » (1954, p. 96). Il faut, en toute logique, contrôler et contraindre la demande globale, prévoir par exemple un « suréquilibre budgétaire » fait de rationnements, épargne forcée, d’imposition sur les fortunes, etc.11
Si l’État, par la monnaie et le budget, est désormais un acteur majeur dans l’établissement de l’équilibre global – enseignement de la théorie de l’emploi –, son souci premier est d’avoir l’information et l’intelligence la plus précise possible des conjonctures économiques, de « l’état de l’équilibre ». Car suivant la conjoncture, plein emploi ou sous-emploi, les logiques d’intervention s’inversent, on assiste, « à une sorte de renversement de l’échelle des valeurs. Le bien et le mal n’ont plus le même sens » (1954, p. 115). L’ajustement entre offre globale et demande globale se réalise toujours, mais en cas de non intervention, ou d’intervention malencontreuse, elle se fait au prix de phénomènes funestes sur le plan économique, mais surtout social et politique : inflation dans un cas, chute de la production dans l’autre. C’est pour éviter ces ajustements brutaux que l’État doit intervenir et de façon informée. Il lui faut pour cela une administration s’appuyant sur la théorie de l’emploi et sur une information économique sérieuse pour élaborer un « plan d’ensemble… préparer une politique d’ensemble en vue de réaliser l’équilibre de l’économie » (1954, p. 121). C’est là, dans le texte de 1954, l’une des rares mentions du plan. À l’heure présente, notent Ardant & Mendès France, une telle information est surtout contenue dans le « budget économique » (l’Economic Survey de 1953 aux États-Unis est cité en exemple), véritable « état de prévision » constituant « la traduction chiffrée de la théorie de l’emploi ». Quant à la coordination d’ensemble, la mise au point d’innovations tel le modèle de Wassily Leontief permet de progresser sur ce chapitre.
281Il y a donc un bilan positif de l’approche de l’équilibre global grâce à la théorie de l’emploi et ses applications : en atteste le fait que le droit au travail, considéré comme une utopie en 1848, est inscrit dans les textes refondateurs des démocraties modernes après 1945, ainsi le Livre blanc britannique en 1944. Toutefois, ces progrès objectifs car appuyés sur la raison, sont constamment menacés par les inerties et les résistances. Le recul du sous-emploi dans la conjoncture particulière des années 1945-1950 (demande globale excédentaire) a pourtant vu s’affirmer les critiques à l’encontre de la théorie du plein emploi : critiques socialistes dénonçant la tiédeur d’une politique ne questionnant pas les structures, critique libérale dénonçant les intrusions de l’État et les risques dès lors encourus concernant la stabilité de la monnaie ou le fonctionnement des échanges internationaux. Il faut alors, jugent Ardant & Mendès France, maintenir le cap consistant à perfectionner et affiner la théorie de l’emploi, mais demeurent en suspens, esquivés par les auteurs, les arguments de la première critique que les auteurs résument ainsi :
Il existe une technique permettant d’atteindre le plein emploi total, du moins de s’en rapprocher et d’éviter les dépressions accentuées que le monde a connu dans un passé récent. Mais toutes ces techniques reposent sur une certaine réduction du profit capitaliste… la question donc se pose de savoir si les puissances capitalistes, et notamment les classes économiques les plus puissantes, accepteront cette réduction de leurs profits (1954, p. 154).
I.2. Le choix
Le problème du choix, tel que le posent au départ Ardant et Mendès France est classiquement celui que précise la célèbre définition de Lionel Robbins. Fondamental, ce problème ne peut, tant au niveau individuel que surtout collectif, autoriser un traitement approximatif. La première grande réponse au problème du choix est venue des économistes marginalistes investiguant là encore sur les mécanismes de marché : en environnement concurrentiel, l’égalisation des utilités marginales définit le « mécanisme naturel du choix ». Toutefois, qu’en est-il du problème du choix hors environnement concurrentiel : il faut là définir des « mécanismes réfléchis ». Or, le périmètre hors environnement concurrentiel d’une économie moderne est beaucoup plus large qu’on ne croit.
282En effet, si le « mécanisme naturel du choix » est efficace, il n’empêche qu’il dépend du maintien d’un environnement concurrentiel qui ne va pas de soi : d’abord parce que des obstacles existent au fonctionnement des mécanismes naturels ; ensuite parce qu’en matière de choix, ces mécanismes naturels présentent des défauts. Sur le chapitre des obstacles, Ardant et Mendès France expliquent que c’est là l’un des grands enseignements de l’économie moderne : la concurrence n’est en rien une situation normale, les monopoles et oligopoles, toutes les situations de concurrence imparfaite, constituent en revanche l’état normal de la vie économique moderne, et enfin, ces formes intermédiaires ne constituent pas, automatiquement, un mal. Face à la montée des concentrations, deux réactions sont donc possibles : soit rétablir la concurrence, soit si le monopole/oligopole signale des avantages par rapport à la situation concurrentielle, prévoir un contrôle, une réglementation par l’État pouvant aller jusqu’à la nationalisation. Les mécanismes naturels du choix révèlent également des lacunes dans le sens où l’intérêt individuel ne conduit pas automatiquement à l’intérêt général : les gains ne récompensent pas automatiquement la contribution et peuvent provenir de rentes diverses, la rentabilité n’étant pas automatiquement efficacité, enfin le comportement rationnel n’est pas toujours vérifié.
Au fil du temps, les obstacles et lacunes relatifs au fonctionnement des mécanismes naturels, et notamment concernant la non « coïncidence entre la recherche du profit et l’utilité générale » ont nourri les « fondements idéologiques de l’économie dirigée » (1954, p. 206). Mais comment donc en environnement non concurrentiel se solutionne le problème du choix ? Les deux auteurs n’évoquent pas ici la question des finalités sociales, laissées au domaine du politique, mais se posent la question des moyens : celle de l’organisation de l’État économique, entreprises et services publics. Or la réponse qu’ils donnent, appuyée ici sur les travaux d’Ardant est nette : non pas tant l’option collectiviste que, « la solution libérale – néo-libérale pourrait-on dire – (qui) consiste à essayer de faire coïncider la recherche du profit et celle de l’utilité ». Si le double problème à régler est « celui des conditions de fonctionnement du secteur public d’un pays non collectiviste et celui des meilleures conditions de sélection des dépenses publiques » alors, il faut croiser les avantages des deux formes générales d’intervention de l’État envisageables : celles qui « respectent le mécanisme du marché ou 283visent à en assurer le fonctionnement » et celles qui « visent à substituer au critère du profit un critère d’utilité » (1954, p. 211). La solution au problème est alors la suivante :
[L]a ligne directrice de toutes les solutions à envisager consiste à monter des mécanismes réfléchis qui soient la transposition et, si l’on peut dire, l’imitation des mécanismes naturels, ou du moins de ce qu’ils devraient être s’ils fonctionnaient parfaitement (1954, p. 214).
C’est cet enseignement qui doit conduire à la réforme tant des entreprises publiques12 que des services publics.
« La science économique montre la possibilité du progrès dans l’ordre ». Telle est, en 1954, la conclusion de La Science économique et l’action. Elle résume les progrès constatés de l’analyse économique, la capacité de convertir la théorie en technique, et la possibilité de grouper ces techniques pour en faire une politique. Elle souligne la mission des économistes, la responsabilité des politiques, mais aussi le rôle des citoyens car, phrase conclusive du volume, « dans un monde démocratique, on ne peut convaincre les chefs si l’on ne persuade pas d’abord ceux dont ils dépendent » (1954, p. 230). Généraliste, vulgarisateur, le texte de 1954 fournit toutefois une définition du progrès et de l’ordre nettement calibrée par les enjeux conjoncturels : au présent et au plus pressé, il faut régler la question de la modernisation de l’économie française : c’est ce que disent, autour de La Science économique et l’action, tous les autres textes de Mendès France mais aussi ceux de ses collaborateurs. Gabriel Ardant bien sûr, mais aussi Claude Gruson qui publie dans Le Monde des 6-9 juin 1953 des articles titrés significativement « L’économie française : prospérité ou décadence ? ». L’inflation est signalée comme le fléau majeur au présent, et l’amélioration de production/productivité, tant du privé que du public, une priorité. Or, ce sont les mécanismes de marché, spontanés ou non, qui, au présent, se révèlent encore les plus efficaces. Le plan dans sa réalisation présente, celle du plan Monnet, est encore trop balbutiant et aléatoire, peu démocratique et enfin permissif 284en matière d’inflation. En outre, Mendès France depuis le tournant turbulent des années 1950 marqué par des menaces intérieures et surtout extérieures (le problème colonial, la Tunisie et, en urgence la question indochinoise) apparaît comme l’espoir d’un radicalisme modernisé. Un radicalisme dont de jeunes forces – mentionnons l’équipe de L’Express lancé par Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud en mai 1953 – assurent la promotion. Leur champion accédera donc au pouvoir en juin 1954 prononçant un discours d’investiture (reprenant celui de juin 1953) tranchant sur quelques points d’avec celui de ses prédécesseurs de la Troisième Force – qui tente d’écarter les menaces symétriques du communisme et du gaullisme mais ménageant également de larges concessions aux idées communes de ce même radicalisme, notamment par la défense du libéralisme et de l’individualisme.
II. 1973. Science Économique et luciditÉ politique
La seconde édition paraît donc au tournant 1970. La conjoncture est naturellement toute autre que celle ayant entourée l’édition de 1954. On est au lendemain de mai 1968 et du départ du général de Gaulle ; aux conflits de la décolonisation ont succédé les tensions d’un échange inégal impactant les pays du tiers-monde (selon le terme à succès lancé par Alfred Sauvy en 1952) ; les premières alarmes sur les risques écologiques majeurs et les limites de la croissance sont lancées ; enfin sur le chapitre de la théorie économique, comme le soulignera par exemple Paul Krugman (2008), la révolution conservatrice partie des États-Unis bousculera décisivement l’interventionnisme keynésien pour redonner naissance à un nouvel âge des inégalités.
En 1973, la situation de Mendès France est également bien différente. La Présidence du Conseil, en 1954, devait marquer l’envol du destin politique de l’homme ; elle sera, on le sait, son chant du cygne. Il échoue dans la reprise en main et rénovation du parti Radical puis son hostilité à Charles de Gaulle et aux principes et institutions de la Ve République, le voient lentement glisser vers le socialisme, osciller entre plusieurs formations dont le PSU, travailler son panthéon intellectuel socialiste (Jean 285Jaurès et Léon Blum), enfin tenter, dans La République moderne (1962) dont l’un des chapitres les plus importants concerne la planification de mieux définir son socialisme démocratique. Temps de marginalisation politique (sous la Ve République il ne sera que deux ans député, Grenoble (1967-1968) où il devient surtout caution des candidatures socialistes à la présidentielle de François Mitterrand (1965, 1974 et finalement 1981) et Gaston Defferre (1969), c’est aussi une période d’investissement théorique et idéologique, marquée par exemple par la création et l’animation des Cahiers de la République (dès 1956), par une rencontre et des débats cruciaux avec les socialistes démocratiques européens, Pietro Nenni et Ameurin Beva (Rencontres, 1959) ou la clarification et synthèse de sa trajectoire et de ses options (Choisir. Une certaine idée de la Gauche, 1974). Concernant Gabriel Ardant13, il y a également un recul de l’action politique et un recentrement sur la production intellectuelle. Son investissement est ici dominé par des recherches sur la fiscalité, principe et histoire, et ressortent ici les publications de Théorie sociologique de l’impôt (1965) ou sa monumentale Histoire de l’impôt (1972). Mais Ardant publie également ses travaux sur la question du développement (dont Le Monde en friche, 1963 et Plan de lutte contre la faim, 1967) ou sur la social-démocratie suédoise (La Révolution suédoise, 1976).
Comme le signalent donc les auteurs, Science économique et lucidité politique est à la fois la « suite », mais « différente » de l’ouvrage de 1954. C’est une suite par son intention pédagogique tant les auteurs, rappelant en cela à un siècle et demi de distance le Jean-Baptiste Say d’Olbie (1801), insistent sur la nécessité pour chaque citoyen d’une République de comprendre l’économie ; et c’est également une suite par l’éloge que font les auteurs de la connaissance économique, nourrie de théorie et d’empirie, et tournée vers l’action, assumant alors sa dimension ancillaire. Mais l’ouvrage de 1973 est également différent de La Science économique et l’action. Il faut relever que l’équilibre du livre n’est plus 286le même : dans l’ouvrage de 1954, les chapitres sur l’équilibre global représentent les 2/3 du livre. En 1973, les deux parties, « équilibre » et « choix » sont désormais de même taille. Et les chapitres sur le choix signalent désormais une tonalité nouvelle, plus volontariste, plus tournée vers la nécessaire transformation de l’économie libérale. On pourrait dire qu’ici désormais, la lucidité (politique) (re)prend résolument le pas sur l’action (économique).
II.1. Le problÈme de l’Équilibre
Souvent repris de l’édition de 1954, les chapitres sur l’équilibre – théorie du plein emploi – de l’édition de 1973 signalent, déjà, une évolution. Le Keynes qui y apparaît n’est plus le grand théoricien et idéologue d’un sage libéralisme tempéré par une intervention mesurée et calibrée de l’État et hostile à une réforme des structures et logiques du capitalisme. C’est un Keynes qui se dirige puis chemine aux côtés, sinon principalement de Marx, du moins à ceux de Léon Blum et surtout de Jaurès14. Un Keynes bien plus à Gauche – par exemple contempteur sévère des inégalités – qui ne conduit pas directement au collectivisme, mais permet de penser et réaliser un socialisme synonyme d’évolution des structures. Un Keynes donnant désormais licence à un dépassement de son propre message, donnant licence à « l’audace intellectuelle » en matière de politique budgétaire et monétaire15. Cela en raison, d’une part, de la complexification des problèmes économiques à résoudre (par l’exemple « l’état pâteux » de l’économie, ou encore les goulots d’étranglement sectoriels), mais aussi de l’hostilité des intérêts des dominants et autres corporations privilégiées aux progrès d’un meilleur contrôle collectif raisonnable sur l’économie : au présent, notent les auteurs, alors qu’on observe « des mécanismes “libéraux” qui ne sont plus toujours libéraux » (1973, p. 186) il faut prolonger audace et imagination, projeter des « réformes importantes » et c’est là « l’objet même de la recherche socialiste » (1973, p. 186). La seule poursuite d’un libéralisme plus ou moins légèrement amendé qu’appelait de ses vœux La Science économique et l’action n’est désormais plus suffisante. Car ce libéralisme amendé est 287impuissant ou même, pire, complice de la reconstitution des ploutocraties menaçant la République.
Il faut donc, expliquent Ardant & Mendès France, ne pas « se fier sans contrôle à l’opinion des “experts” », favorable à un retour du libéralisme ou à un keynésianisme homéopathique. L’opinion publique et la représentation politique doivent comprendre, au contraire qu’il faut prolonger jusqu’à dépasser le keynésianisme. Celui-ci, n’est en effet pertinent que pour certaines économies (économie libérale moderne et non économie collectiviste, économie en développement, etc.) et que pour une situation spécifique, le sous-emploi de ressources virtuellement disponibles. Mais au présent, ce keynésianisme, seul, ne peut réaliser « l’équilibre global », soit, « le problème de l’emploi et celui de l’inflation ». Keynes, en effet, ne remet pas en cause l’éthos libéral et ne pose que très marginalement le problème du choix. Par décalage, Ardant et Mendès France écrivent :
[M]ais nous-même, nous devons comprendre qu’il faut aller plus loin, corriger certaines distorsions, abolir la suprématie exclusive du profit, c’est-à-dire construire une société socialiste (1973, p. 192-193).
Désormais, le pouvoir des monopoles et autres intérêts économiques et politiques est trop concentré et donc puissant pour ne pas viser à « une politique économique beaucoup plus énergique » qui doit « appliquer, compléter, corriger la politique de l’emploi… Le progrès, tel que nous le concevons aujourd’hui, exige de nouveaux critères destinés à mieux servir l’intérêt général. C’est ce qui explique le progrès du socialisme » (1973, p. 198).
II.2. Le problème du choix
C’est là l’objet d’une réflexion générale sur le choix. Le choix peut s’opérer par les mécanismes libéraux, par la collectivisation, mais aussi par un ensemble de solutions intermédiaires, interventionnismes appuyés sur une « série de mécanismes réfléchis ». Dans l’édition de 1973, trois titres divisent donc la partie sur le « problème du choix » et le message délivré est clair : l’option en faveur des mécanismes naturels (titre I) est bel et bien un choix politique assumé et non une fatalité, en atteste le fait que même une économie collectiviste (titre II) peut en faire le pari. Toutefois, et c’est ce que va signaler le titre sur le « choix réfléchi » (titre III) qui va ici consacrer l’idée que « gouverner, c’est choisir » : le choix réfléchi signale que, même si parfois utiles à la régulation d’une 288économie moderne, les choix privilégiant les mécanismes naturels (ou imitant ceux-ci) ne sont en rien des solutions socialement et moralement optimales, ni, de surcroît, des fatalités. En clair, une République moderne peut choisir par opportunité et ponctuellement de s’appuyer sur le critère du profit mais elle a les moyens scientifiques et doit trouver le courage politique d’opter pour une meilleure solution car satisfaisant plus nettement le critère de l’utile, et cette solution est celle de la planification.
II.3. Le choix en faveur des mÉcanismes naturels
Dans l’édition de 1973, concernant le premier type de choix, celui en faveur des mécanismes naturels, les auteurs ajoutent « de l’économie “libérale” ». Libérale apparaît ici entre guillemet car l’argumentation d’Ardant & Mendès France va signaler que ce n’est pas le libéralisme qui produit la liberté, y compris économique (celles des marchés), mais… le socialisme.
Cette première solution, libérale, tôt formulée sous une forme providentialiste par Physiocrates et Classiques a rapidement signalé, sous cette forme, des limites sévères. En 1973, Ardant et Mendès France sont beaucoup plus critiques qu’en 1954.
Les mécanismes naturels de l’économie « libérale » sont rapidement contredits par des faits et des situations, synonymes de souffrances : crises et paupérisme, inégalités à l’origine des luttes de classes, sous-emploi des ressources et croissance des monopoles. Mais les auteurs insistent surtout significativement sur les limites même de ce qui anime un tel monde économique, le profit :
[C]omment se fait-il que sa recherche aboutisse à un monde que l’on s’accorde à dénoncer comme, de moins en moins humain, de moins en moins viable ? On ne peut méconnaître les effets de la recherche du profit dans l’empoisonnement de l’air, de l’eau et de la terre, dans les insuffisances du logement, dans la dégradation et l’enlaidissement de la nature (1973, p. 214).
Trois lacunes, appelant à trois types de calibration des mécanismes naturels, sont signalées : concurrence, fiscalité et profit.
Le chapitre sur la concurrence reprend certains arguments de l’édition de 1954. Il accentue le propos en soulignant deux points : d’une part, le surcroît d’ambition que doit avoir l’État16, d’autre part, le fait que le 289contrôle du processus et des conséquences d’une concurrence imparfaite par le public, le choix qui peut être fait de revenir à plus de concurrence pour le bien (l’utilité) même de la collectivité, ne doit pas être seulement le fait de l’État, mais également celui des citoyens associés et engagés : « l’action en faveur de la concurrence ne doit pas être purement négative ou défensive ; elle doit être positive et constructive. Il appartient à la collectivité, à l’État, mais pas seulement à l’État, à la société elle-même de créer, si possible, continuellement, une compétition qui puisse profiter à la masse des consommateurs » (1973, p. 239).
Le chapitre sur la fiscalité innove peu par rapport à l’édition de 1954 – insistance sur la « neutralité fiscale » –, si ce n’est par l’accent plus net mis sur la fraude fiscale. Une fraude qui au lieu de mobiliser le mécanisme concurrentiel afin d’atteindre un plus haut niveau d’utilité collective conduit à une « sélection à rebours » (1973, p. 249). C’est une nouvelle fois le chapitre sur le profit et sur l’idée que la recherche de l’intérêt individuel aboutit automatiquement à l’intérêt général qui permet le plus nettement aux auteurs de souligner le caractère insatisfaisant socialement, et pour une République moderne, du choix exclusif ou même principal en faveur des mécanismes de marché : « l’on assiste de plus en plus souvent à des actes utiles qui ne rapportent rien à leurs auteurs, à des actes nuisibles qui ne coûtent pas à ceux qui les accomplissent » (1973, p. 251), et notamment, thème nouveau dans l’édition de 1973, sur la question de l’environnement17.
Concluant sur la question du choix fait par une collectivité en faveur des mécanismes naturels, les auteurs indiquent qu’il faut désormais « une action publique éclairée, continue et énergique » pour en assurer le fonctionnement. Mais que surtout, la restauration du marché libre ne peut être, à elle seule, une politique :
290[L]’État ne peut donc s’inspirer du seul souci de rétablir le jeu des mécanismes naturels, son action doit prendre aussi pour guide un autre critère de choix, il doit viser directement le bien commun (1973, p. 260).
Cette recherche du bien commun n’est pas synonyme d’empirie, licence et d’absence de règles. Parmi les règles prudentielles ou informationnelles, peuvent intervenir l’emploi, la sélection de mécanismes naturels mais aussi, des moyens plus efficaces encore, tel le Plan. Le Plan d’ailleurs, insistent Ardant et Mendès France, n’est pas sans correspondances avec le marché, ou plutôt le Plan apparaît comme un stade plus évolué de régulation que le marché ; le Plan est « l’équivalent d’une gigantesque étude de marché et même plus que cela, et la planification, paradoxalement, constitue un moyen de faciliter le jeu des mécanismes de marché ». Ce n’est bien sûr qu’une fonction, une utilité, une utilisation possible du plan dépendant de choix antérieurs reposant sur l’éducation et la participation de tous. Mais, citant l’étude d’Oskar Lange les auteurs ajoutent, « on en vient à se demander si, paradoxalement, le recours à des principes socialistes n’est pas nécessaire à la mise sur pied d’une économie vraiment libérale » (1973, p. 263).
II.4. La rÉforme de l’Économie collectiviste
Dans Science économique et lucidité politique, le titre II sur le choix concerne les économies collectivistes. Il s’agit par rapport à l’édition de 1954 d’une thématique très largement augmentée. Les auteurs signalent ici une évolution lourde, confirmée après 1945, en faveur de mécanismes, production plus encore que consommation, imitant les mécanismes de marché :
[I]l s’agit de remplacer des mécanismes « naturels » abolis par des mécanismes réfléchis qui imitent bien souvent les mécanismes naturels ou les reconstituent […] N’est-ce pas au fond ce passage au mécanisme réfléchi qui a séduit beaucoup d’adeptes du socialisme ? Il s’agit de substituer à des forces brutales, aveugles, anarchiques, un système gouverné, dirigé par les hommes et pour les hommes (1973, p. 271).
Le plan est à nouveau mentionné comme moyen privilégié d’assurer ce « développement harmonieux », mais se pose rapidement en économie collectiviste la question de la compatibilité du plan et de la productivité des entreprises. Ardant et Mendès France soulignent alors qu’au tournant 2911960, l’analyse (Evseï Liberman) puis l’application (le plan Kossyguine) ont œuvré dans le sens d’un recours plus fort, notamment sur le chapitre de la production, à des mécanismes réfléchis inspirés des mécanismes naturels, conduisant à une orientation féconde en URSS, mais aussi dans les pays du bloc de l’Est (notamment Hongrie) comme en attestent les résultats. Les deux auteurs résument ainsi une évolution qui a vu, selon eux, les économies collectivistes tourner le dos à la tentation d’économies contraintes inspirées du modèle d’une économie de guerre :
[E]n définitive, l’histoire économique de l’Union soviétique, de l’origine à l’époque actuelle, se caractérise par une évolution intéressante. Au début, le plan était centralisé, bureaucratique, autoritaire pour faire face à des besoins primordiaux dont seuls les gouvernements pouvaient avoir une claire conscience. Plus récemment, dans un contexte différent, on a eu recours à des procédures plus souples comportant décentralisation, desserrement, délégation de pouvoirs, reconnaissance de la responsabilité propre des directeurs d’entreprise, intervention directe ou indirecte des utilisateurs et des consommateurs, recours dans une certaine mesure aux mécanismes de marché (1973, p. 304).
En clair, ce que signale surtout l’expérience collectiviste c’est que libérer (y compris sur le plan économique), c’est choisir, et que le mécanisme de marché est éminemment l’effet d’un choix.
II.5. Le problÈme du choix rÉflÉchi
L’édition de 1973 souligne significativement que les interventions basées sur le respect des « mécanismes de marché » signalent au présent des limites croissantes, sont « moins efficaces » et constamment vulnérables aux « intérêts particuliers ». Il faut donc se tourner plus résolument vers des interventions qui « visent à substituer au critère du profit un critère d’utilité générale ». Toutefois comment définir ici cet utile ? Le problème selon les auteurs se décompose en deux questions : « Qui doit choisir ? Comment peut-on choisir ? » Par rapport à l’édition de 1954 la question du choix est plus nettement posée par les auteurs en termes de moyens, mais surtout de fins. Le choix, considèrent-ils, implique des « jugements de valeur », l’intervention d’une vaste « science de l’homme et de la société » où l’économie doit côtoyer la science politique et la « technique de la communication », cette dernière assurant que le plus grand nombre a accès à la connaissance établie dans son état présent et 292peut ainsi participer au processus du choix. L’économie peut favoriser décisivement dans cet ensemble le « choix éclairé ».
En 1973, les auteurs rappellent plusieurs enseignements développés dès 1954, principalement grâce aux travaux d’Ardant, sur les critères de gestion publique et la nécessité de mobiliser ici le calcul économique marginaliste inauguré dès 1844 par les recherches de Jules Dupuit : sur la question du budget de l’État, du rendement des entreprises et services publics, de la cohérence et comparaison des choix à opérer entre dépenses, etc. Mais la nouveauté de l’édition de 1973 réside surtout dans les développements et les informations relatifs à la planification. Alors qu’on assiste à une « lente érosion de l’État-Providence » (B. Gaïti) visible notamment sur le chapitre de la planification, Pierre Mendès France assume et réitère ce qu’il a affirmé dans La République moderne. À savoir qu’une république moderne assumant le socialisme doit concevoir que la norme en termes de régulation politique, économique et sociale, doit être la planification, dont le marché n’est qu’une modalité possible et peut-être mineure. Ce n’est pas le Plan qui est un appendice du marché. Et par ailleurs, le Plan à concevoir pour cette modernité républicaine/socialiste, est un Plan démocratique associant notamment les syndicats.
Le marché, rappellent les auteurs, n’est « qu’un moyen parmi d’autres de parvenir aux fins poursuivies », et un moyen qui a signalé ses limites : il est « myope » (Pierre Massé), il ne permet pas la genèse d’innovations majeures, etc. Par contraste, « le plan est un instrument de cohérence… Par la même, le plan est un moyen de résoudre le problème des choix collectifs, non seulement celui qui intéresse les dépenses de l’État, mais, plus largement, celui qui concerne l’ensemble de la population » (1973, p. 349). Au présent, le perfectionnement du plan suppose trois séries d’actions, « des études techniques, des décisions politiques et un ensemble de mesures visant à y associer la nation tout entière » (1973, p. 350). Or,
a) Les études techniques signalent de nets progrès, et les auteurs mentionnent par exemple les développements récents du « modèle physico-financier » (FIFI).
b) Les décisions politiques ne marchent pas exactement au même rythme, les auteurs, mais surtout Mendès France, signalant la remontée d’une perspective faisant de la planification simplement 293« une sorte d’étude de marché », principalement indicative et peu contraignante. À l’inverse, le projet politique du plan comme instrument privilégié « d’une politique volontariste déterminant des objectifs, imposant leur respect, dans la mesure où les aléas extérieurs le permettent, et faisant prévaloir la volonté générale sur les intérêts particuliers », bref, faisant du plan « une sorte de socialisation » (1973, p. 362) recule en France bien plus qu’ailleurs. Sur ce chapitre et celui d’une évolution qu’ils jugent funeste, les auteurs signalent d’ailleurs que la mise en place du projet Européen fait également reculer l’espoir d’une planification ambitieuse18 alors que là plus qu’ailleurs devrait s’imposer le projet « d’une sorte de plan commun » (1973, p. 363).
c) Faut-il enfin, que pour progresser, le plan demeure la propriété des experts et soit encore, pour des raisons d’efficacité, opaque à la masse ? Là encore la position des auteurs est claire et mérite mention :
Vis-à-vis de l’ensemble des individus deux attitudes sont possibles. L’une consiste à ne pas leur révéler les intentions profondes d’une politique afin de les amener là où l’on veut qu’ils aillent, sans risquer de provoquer leur refus ou même leur révolte. On peut, au contraire, ne rien leur celer, les mettre en présence des problèmes, leur faire discuter les perspectives qui s’offrent à eux, étant entendu qu’il leur appartient, en tant que citoyens, de décider ce qu’ils souhaitent. Agir ainsi, c’est faire fond sur la raison des hommes et non sur leur docilité passive. Encore faut-il qu’ils soient éclairés (1973, p. 364-365).
Le Plan doit donc être démocratique, associant à la prise d’informations et de décisions les multiples éléments de la société économique.
En matière de choix social, c’est donc la lucidité politique qui doit primer sur l’action économique. Ardant et Mendès France rappellent qu’en matière de finalités aucune objectivité en surplomb, pas même celle que semblerait dicter le plan, ne peut imposer les termes du choix : « [L]’appareil scientifique du plan ne doit pas faire illusion. Le plus fort des mathématiciens ou des économistes n’est pas plus apte à juger la valeur des postulats de base de ses calculs que qui que ce soit, disons, du moins qu’un homme instruit des grandes lois de l’économie » (1973, 294p. 366). Les représentants de tous les intérêts de la nation doivent être associés à l’élaboration des objectifs du plan, informés en aval, enfin, en amont dans la possibilité de contrôler la bonne exécution du plan sur lequel ils auront délibéré, « si cette discipline est observée, l’institution du plan doit modifier l’ensemble de la vie politique » (1973, p. 368). Mais il faut encore, au-delà, une éducation et un investissement fort de tous les citoyens à la pratique du plan – éducation et participation – et ainsi, « par sa seule existence, le plan tend à se réaliser » (1973, p. 372).
La conclusion engagée de Science économique et lucidité politique tranche d’avec celle, plus incertaine, de La Science économique et l’action. Bien sûr dans l’un et l’autre cas on signale le coût de l’ignorance économique pour une République. Mais alors qu’en 1954, Keynes détenait la vérité, en 1973, ce n’est plus le cas. Car désormais, au temps de coûts sociaux croissants et de dégradations environnementales sans nombre, sanctionnant pour une société ce que coûte la recherche effrénée du profit, on ne peut se contenter « des bases à peine amendées de la société capitaliste » (1973, p. 376). Là encore, Ardant et Mendès France précisent :
L’analyse des lacunes, des imperfections de l’économie libérale – et même des limites des corrections qui pourraient lui être apportées – montre que l’on ne peut se contenter d’une quête du profit qui ne s’accompagne pas de la recherche directe de l’intérêt général. C’est ici le problème des choix collectifs : un certain nombre d’instruments de mesure et de cohérence ont montré ce qui pourrait être fait, mais c’est encore peu de choses par rapport à ce qui devrait être accompli par une civilisation qui reconnaîtra enfin la primauté des besoins et des intérêts du plus grand nombre, c’est-à-dire par une civilisation de type socialiste (1973, p. 377-378).
Civilisation socialiste et républicaine, qui repose, in fine, sur des institutions garantes d’éducation, de possibilité de participation à la vie publique, etc., mais aussi sur des comportements vertueux et spécialement, au temps moderne, sur la connaissance et l’apprentissage des règles, finalement simples, de l’économie politique :
[L]e plus difficile, c’est d’amener les hommes à se rendre compte que nul ne peut penser pour eux, qu’ils peuvent et doivent exiger des informations complètes, constamment soumises au contrôle de l’opinion et au débat public (1973, p. 380).
295Conclusion
De La Science économique et l’action à Science économique et lucidité politique s’observe de l’essor à son crépuscule une réflexion sur les contours d’une République économique moderne. En 1973, la génération des modernisateurs dont Pierre Mendès France a été la vigie est désormais éclipsée et bientôt effacée, par des administrateurs formés aux règles du calcul économique classique. Des administrateurs peut-être plus en phase avec « une sorte de sens commun libéral partagé par la plupart des élites » (Gaïti, 2014, p. 67) et ayant encadré tout au long du siècle les politiques économiques et sociales françaises. Des administrateurs bientôt convertis aux règles du New Public Management (Bèzes, 2012).
Dans ses conversations avec Jean Bothorel, Pierre Mendès France se fait l’écho de cette retraite conduisant désormais l’État à s’incliner devant « l’économie de marché, l’économie de l’argent », capitulant en concédant la réduction des « domaines où prévaut la notion de service public » (Mendès France, 1974, p. 353). Il soutient à nouveau que le volontarisme économique et politique doit s’exprimer à travers un « Plan démocratique », ambitieux et partagé, « Plan délibéré, discuté » largement, car, comme il le souligne encore, il y « parallélisme permanent entre la vie politique et la planification » (1974, p. 355).
Peut-être que, comme il a été souligné, cette voix demeure très minoritaire dans le paysage intellectuel et politique français (Gaïti, 2004), mais elle fait entendre que la conversion de la Gauche (républicaine/socialiste) à l’économie peut ne pas signifier automatiquement agenouillement de l’État devant les marchés dits « libres ». Et que cette idée générale de Plan, cette philosophie, dont on constate en 2020 la réapparition, soit sous des formes rabougries soit sous des expressions plus amples est peut-être encore à ruminer aujourd’hui (Agacinski et alii, 2020).
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1 L’hommage à Jean Jaurès dont se réclamera de façon croissante Pierre Mendès France est évident (voir le portrait de Jaurès dans Mendès France, 1976, p. 83-98). Mais c’est aussi peut-être, dans le cas d’Ardant et Mendès France, une référence à Keynes et à ses développements sur l’impact des idées économiques dans l’histoire.
2 Sur ce cas, c’est, plus précisément, l’articulation entre théorie économique et une doctrine républicaine dans sa version radicale, mais ici un radicalisme dialoguant ou se métissant jusqu’à même prendre les couleurs du socialisme dans sa version démocratique.
3 Sur Mendès France la littérature est bien sûr immense : je m’appuie ici sur Jean Lacouture (1981) ; Jean-Louis Rizzo (1994) ; Alain Chatriot (2015). Sur les aspects plus économiques, les premiers travaux sur les réseaux tant de hauts fonctionnaires que de théoriciens, sur les collaborations proches, notamment avec G. Boris et donc avec G. Ardant, voir ici Michel Hollard (2010).
4 George Boris était alors directeur de cabinet de Léon Blum au ministère du Trésor, Mendès France sous-secrétaire d’État au même ministère.
5 Sur la réception de Keynes en France, les toutes premières références avant-guerre, ainsi qu’un peu plus tard l’acclimatation particulière au contexte français, voir Boyer (1985), Rosanvallon (1987), Arena & Maricic (1988), Dard (1998) ; sur la réception par Mendès France et son propre réseau, voir Salais (1989) et Wolff (1989).
6 Voir Ardant (1947) pour la controverse qu’il engage avec Jacques Rueff concernant la Théorie générale.
7 Sur Gabriel Ardant, voir Descamps (2012 et 2013) et Rueda-Despouey (2007).
8 M. Hollard relève ainsi que dans leur cours de l’ENA de 1950 « Problèmes économiques et financiers que pose la reconstruction de la France », les deux hommes utilisent abondamment l’ouvrage de Joan Robinson, Introduction à la théorie de l’emploi (1947) où cette dernière évoquait le « désir d’épargne » et parle de « l’épargne, vertu sociale ». Voir également, concernant un peu plus tard le contexte d’élaboration de la politique économique lorsque Mendès France accède à la présidence du Conseil, Wolff (1985).
9 Pour Keynes, « le sous-emploi ne provient pas seulement de la structure de la société, mais de la combinaison d’une certaine structure avec des institutions monétaires qui empêchent la transformation nécessaire de l’épargne en investissement » (1954, p. 48).
10 « Keynes pensait qu’il y avait avantage à laisser aux individus le maximum de liberté économique compatible avec le plein emploi. Le rôle de l’État, dans la politique de l’emploi, consiste à créer un climat économique, une conjoncture, dans le cadre de laquelle les individus puissent agir dans le sens le plus favorable à l’intérêt général » (1954, p. 48).
11 « Les progrès scientifiques qui ont eu en partie pour origine l’analyse des déséquilibres provenant de l’insuffisance de la demande ont trouvé leur application en matière de déséquilibres engendrés par l’excès de la demande. Trois grandes séries de conclusions pratiques en découlent : la nécessité d’une action anti-inflationniste plus puissante qu’on ne le croyait jusque-là ; l’existence de procédés nouveaux de lutte contre l’inflation ; la nécessité de les coordonner dans une action d’ensemble » (1954, p. 113).
12 Concernant ces entreprises, les auteurs répètent qu’il s’agit d’une « reconstitution partielle de mécanismes naturels sous la forme de mécanismes réfléchis ». Trois orientations générales ressortent : « 1. Connaissance du rendement global de chaque entreprise, conséquence et condition à la fois de son autonomie financière ; 2. Reconstitution d’une sorte de concurrence entre les usines ou les ateliers ; 3. Tarification rationnelle fondée sur une connaissance exacte du prix de revient » (1954, p. 217).
13 Dans le cadre de cet article, nous abordons ensemble les deux auteurs, Pierre Mendès France et Gabriel Ardant sans traiter dans le détail de la nature de leur collaboration, de la division du travail entre les deux hommes, ou même des divergences nées et compromis réalisés dans le fil de leur collaboration. Concernant l’édition de 1973, et concernant les espoirs de renouvellement plus ou moins radicaux à placer dans une conception ambitieuse du Plan à ce moment, voir certains bémols pratiques opposés par le « praticien » et haut fonctionnaire Ardant, au plus politique et visionnaire PFM résumés dans deux notes, p. 789 et p. 798.
14 Pierre Mendès France explique alors qu’il est graduellement passé du radicalisme de Jaurès au socialisme.
15 Avec Jean de Largentaye, les deux auteurs se sont alors fait les partisans d’une monnaie gagée.
16 Notamment sur le chapitre des nationalisations : « le défaut de concurrence constitue un des plus forts arguments en faveur de la nationalisation de certains secteurs ou de certaines entreprises. Ce n’est pas le seul motif de la prise en charge par la société d’activités privées dont les résultats ne sont pas conformes au bien commun. Le souci d’amener les entreprises privées à se conformer aux directives du plan, c’est-à-dire de l’intérêt de la collectivité, peut mener plus généralement à cette solution » (1973, p. 239).
17 « Ce qui est grave c’est que, pour toute une série de raisons, “progrès” technique, accumulation de la population, engorgement des villes, la recherche du profit se traduit de plus en plus souvent par l’empoisonnement de l’air, de l’eau, de la terre, par le bruit et par l’enlaidissement, par la dégradation des ouvrages publics, par la création d’un milieu hostile à l’homme, destructeur de sa santé, de ses poumons et de ses nerfs » (1973, p. 252-253).
18 « Le traité de Rome limite d’ores et déjà, et limitera vraisemblablement de plus en plus la possibilité d’utiliser librement tels ou tels instruments d’application du plan, qu’il s’agisse de la fiscalité, des subventions ou du régime du crédit » (1973, p. 363).
- Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
- ISBN : 978-2-406-12615-7
- EAN : 9782406126157
- ISSN : 2495-8670
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12615-7.p.0273
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 08/12/2021
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Mendès France, réception, keynésianisme, plan, Ardant