Prendre la parole sous l’État français Le cas de François Perroux
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
2021 – 1, n° 11. varia - Auteurs : Brisset (Nicolas), Fèvre (Raphaël)
- Pages : 25 à 56
- Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
PRENDRE LA PAROLE SOUS L’ÉTAT FRANÇAIS
Le cas de François Perroux
Nicolas Brisset
Université Côte d’Azur
G.R.E.D.E.G. –
U.M.R. C.N.R.S. 7321
Raphaël Fèvre
Université Côte d’Azur
G.R.E.D.E.G. –
U.M.R. C.N.R.S. 7321
INTRODUCTION
L’histoire de la pensée économique ne s’est à ce jour guère attardée sur l’épisode historique du régime de Vichy, laissant sans réponse l’appel de Charles Rist qui, à la sortie de la guerre, espérait « qu’un jour, peut-être, quelqu’un dira l’histoire de la littérature économique pendant cette période » (Rist, 1944, p. 433). Cette absence est d’autant plus frappante qu’il existe d’importantes études relatives à l’histoire des sciences sociales entre 1940 et 1944. On citera à ce titre les travaux pionniers d’Alain Drouard (Drouard, 1992), Francine Muel-Dreyfus (Muel-Dreyfus, 1996), de Denis Pelletier (Pelletier, 1996), de Paul-André Rosental (Rosental, 2003), d’Odile Henry (Henry, 2012), ou plus récemment d’Isabelle Gouarné (Gouarné, 2019). Le présent article a pour objectif de participer à la construction d’une histoire de la pensée économique sous l’État français en se consacrant en particulier aux activités de l’économiste François Perroux.
26François Perroux fut certainement l’une des figures les plus importantes de l’économie politique sous Vichy. Son activité au moment de l’Occupation a été récemment analysée sous différents angles : relativement au cheminement de sa pensée tout d’abord (Cohen, 2012 ; Brisset & Fèvre, 2020b), avec une attention particulière pour son analyse des régimes autoritaires (Brisset & Fèvre, 2021), ou encore à travers son rôle de secrétaire général de la Fondation Carrel (Drouard, 1992 ; Brisset, Fèvre & Juille, 2019)1. Dans le travail qui va suivre, nous tâcherons d’éclairer l’activité de Perroux sous l’État français non pas à partir des nombreux ouvrages et articles académiques qu’il publie entre 1940 et 1944, mais plutôt en se consacrant à ses prises de paroles en tant qu’intellectuel public.
Comme le montre l’examen minutieux d’Antonin Cohen (2012), Perroux rédige de nombreux articles à destination de journaux et de revues qui soutiennent, de près ou de loin, l’action du gouvernement de Vichy. Des périodiques à large diffusion, comme Idées, Économie et humanisme, Demain, La communauté nationale, Temps présent, Construire, mais également à l’attention de publics ciblés, tel que Rencontres ou le Bulletin des services médicaux et sociaux du travail. La consultation des Fonds Perroux, conservés à l’Institut mémoires de l’édition contemporaine (IMEC), indique une vive activité de conférencier, devant des publics hétérogènes. On sait que Perroux intervient dans les différentes écoles de formation des cadres mises en place par le régime, notamment l’École nationale des cadres civiques du Mayet-de-Montagne (conférence reproduite dans la revue Idées, Perroux, 1942f) dont l’objectif est la formation de professionnels de la propagande (Rossignol 1991 ; Hellman 1993 ; Angevin 2015), mais également l’Institut de formation légionnaire, dirigée par son proche collaborateur Yves Urvoy (Urvoy, 2017)2 . Il prend également la parole dans des cadres professionnels divers, telles la formation des assistantes sociales (Perroux, 1942d) ou l’Union des syndicats patronaux des industries textiles de France (Perroux, 1942e). En plus de ses interventions extra-académiques, nous intégrerons à 27notre corpus les cours que François Perroux donne en 1942 et 1943 aux étudiants de la Faculté de droit de Paris. Des cours entièrement dédiés à la doctrine économique de Vichy, et plus particulièrement à la Charte du travail adoptée en octobre 1941 (Perroux, 1942g, 1943a).
Il ressort de ces différents textes une hétérogénéité de tons, de thématiques, d’approches, voire de points de vue, dont le dénominateur commun est la tentative d’apporter une forme de soutien au régime en place. François Perroux, lors de ses déplacements, dans ses articles de journaux, est plus qu’un professeur d’économie. Il est un économiste ayant participé à la rédaction du projet de Constitution de Vichy (Cointet-Labrousse, 1989) et qui a été membre du Conseil d’étude économique auprès d’Yves Bouthillier (ministre des finances de juillet 1940 à avril 1942). Il a également occupé le poste de secrétaire général de la Fondation pour l’étude des problèmes humains (dite « Fondation Carrel »), une institution importante créée par le régime de Vichy qui la finance de manière substantielle (Drouard, 1992). L’hypothèse de notre travail est que Perroux peut être qualifié de « représentant » de l’État français. À ce titre, on analysera ses différents textes – dits et écrits – à travers la notion de « représentation », définie par Pierre Bourdieu (1982, p. 107-109) comme la capacité à porter la parole d’un groupe, en ce qu’on est doté du capital symbolique accumulé par ce même groupe. Perroux, par son discours, se construit en tant que « porte-parole » du nouveau régime. Ce positionnement nécessite deux mouvements, constitutifs d’une co-construction entre le représentant (Perroux) et le représenté (le régime de Vichy). D’un côté, l’inscription de Perroux au sein du nouveau régime participe de la construction de son identité sociale de « porte-parole », conférant une force à son discours. De l’autre, sa parole participe du renforcement institutionnel dudit régime, c’est-à-dire d’une accumulation de capital symbolique nécessaire à la constitution et à l’exercice du pouvoir. En effet, si l’intérêt tout particulier du régime de Vichy pour la recherche scientifique peut s’expliquer en premier lieu par la tentative de réalisation d’un idéal technocratique qui peinait à s’imposer avant la guerre, il ne faut pas négliger la volonté tout aussi forte de légitimer le pouvoir en place par la science, notamment dans le cadre de la Fondation Carrel.
Notre approche comporte nécessairement un certain nombre de limites. En effet, nous n’aborderons pas la manière dont Perroux se positionne 28simultanément au sein de plusieurs champs sociaux (académique, économique, politique) aux dynamiques à chaque fois particulières. Cet article s’inscrit à ce titre dans un travail plus général en gestation (Brisset & Fèvre, 2020a, 2020b, 2021). Nous entendons plus précisément consacrer notre analyse aux stratégies discursives dans le contexte de la prise de parole publique, ceci afin d’éclaircir la trajectoire de l’économiste tout en valorisant un corpus de textes jusqu’ici peu étudié.
I. HISTOIRE SOCIALE ET CONSTRUCTION
D’UNE IDENTITÉ : DEVENIR REPRÉSENTANT
Notre travail entend s’inscrire dans le cadre d’une histoire sociale des idées économiques. Suivant en cela le mouvement historiographique ouvert en histoire sociale des idées politiques, notre point de départ est que les idées économiques existent « non pas comme des choses immatérielles livrées à la contemplation des penseurs, mais relativement aux usages qui en sont faits, toujours historiquement situés, en fonction des enjeux et des stratégies des acteurs qui s’en saisissent dans des luttes politiques déterminées » (Gaboriaux & Skornicki, 2018, p. 14). Cette ambition ne suffit pas à elle seule à spécifier notre démarche. En effet, l’histoire sociale des idées est traversée de débats historiographiques importants, reposant principalement sur les différentes manières d’ancrer les idées dans leurs contextes. Il suffit, pour s’en rendre compte, de constater l’écart qu’il peut exister entre, par exemple, l’approche discursive d’un Quentin Skinner (2002) et la perspective marxiste d’une Ellen Meiksins Wood (2014). En France, le cadre bourdieusien a eu une influence importante sur le développement de ce type d’historiographie (Bourdieu, 1988 ; Heilbron, Lenoir & Sapiro, 2004 ; Matonti, 2012). En ce qui concerne l’histoire de la pensée économique, ce type de perspective a été appliquée par Skornicki (2011) à l’histoire de l’économie politique en France au xviiie siècle, ou encore par Brisset et Jullien à l’histoire de la modélisation économique (Brisset, 2018 ; Brisset & Jullien, 2020). C’est dans cette perspective historiographique que s’inscrit le présent travail.
29Notre analyse sera centrée sur la manière dont les prises de parole de François Perroux peuvent être interprétées comme des actes de positionnement en tant que « porte-parole » du nouveau régime. Un positionnement qu’il faut saisir comme une double construction : celle du porte-parole, et celle de l’entité dont la parole est portée. Le premier mouvement tient du fait que l’État français, dans la rupture qu’il provoque vis-à-vis de la Troisième République, valorise les capacités discursives de Perroux. En effet, l’économiste peut être considéré comme une voix du catholicisme social. Nous avons montré ailleurs que l’intégration de Perroux à ce milieu intellectuel passait également par une implication active dans la revue néo-thomiste La vie intellectuelle, fondée et dirigée par Jacques Maritain, dans laquelle l’économiste lyonnais publie de nombreux articles entre 1936 et 1939 (Brisset & Fèvre, 2020a et 2020b). Les travaux d’Hervé Serry ont montré la manière dont le néo-thomisme avait participé, dans l’entre-deux-guerres, à la construction de la figure de l’intellectuel catholique, notamment dans un processus d’opposition à la sociologie durkheimienne (Serry, 2004). Revenant sur les participations de Perroux aux « Semaines sociales », Gabriel Matagrin indique que ce dernier appartenait à une « élite de professeurs à laquelle la Commission générale des Semaines sociales avait l’habitude de faire appel » (Matagrin, 1992, p. 31). Le régime a largement puisé dans ce vivier, dont Perroux fait partie, notamment dans le cadre de son attachement à la doctrine sociale de l’Église.
Proche du personnalisme d’Emmanuel Mounier, Perroux est considéré comme proche de la frange traditionaliste (voir fascisante) du mouvement Esprit (Brot, 1992 ; Winock, 1996, p. 151). D’ailleurs, son nom apparaît régulièrement avant la guerre dans la presse réactionnaire. Il publie, par exemple, le 24 septembre 1937 un article dans Je suis partout, journal fascisant et futur emblème de la presse collaborationniste3. Ce même journal fera d’ailleurs mention du travail de François Perroux sous l’Occupation. Par exemple, dans son tirage du 30 août 1941, à l’occasion d’un article traitant du corporatisme de la Révolution nationale (P. L., 1941).
Perroux, avant l’éclatement du conflit mondial, est donc doté d’un habitus intellectuel qui sera valorisé par la Révolution nationale : il se 30situe à la jonction entre traditionalisme antirationaliste et intellectualisme catholique4. La communauté nationale, qui se présente comme un « organe d’action contre les ennemis de la Révolution nationale » (apud Cohen, 2012, p. 256), publie régulièrement des extraits de ses travaux, allant jusqu’à lui offrir la première page dans son numéro de novembre-décembre 1942. L’article lui étant consacré (à lui et à son collaborateur privilégié Yves Urvoy5) commence par ces mots révélateurs : « Il n’est pas nécessaire de présenter aux lecteurs de ce journal François Perroud [sic] et Yves Urvoy6 ». On trouve également de nombreuses références aux travaux de Perroux dans le quotidien pétainiste Le Salut public, un journal dans lequel il avait publié avant-guerre (Perroux, 1936). Preuve que l’économiste lyonnais est considéré dans certains milieux comme un représentant majeur de la doctrine de l’État français. Il sera d’ailleurs vertement critiqué par Gaëtan Pirou en raison de « l’ardente passion doctrinale » dont il fait étalage à cette époque (Pirou, 1944)7. Une « passion » poussant Perroux à se présenter comme un représentant scientifique de Vichy au sein de la Fondation Carrel.
Le second mouvement de la représentation est celui de la participation du porte-parole à la constitution de l’entité qu’il représente. Perroux, par son discours, ne se contente pas d’exprimer des opinions, il concourt à légitimer symboliquement le nouveau régime. Cet effort passe par le développement d’une rhétorique téléologique, désignant le Révolution nationale comme une exigence historique : l’œuvre de l’État français ne peut se réduire aux circonstances dramatiques de la défaite et de l’Occupation, elle est une nécessité jusqu’alors étouffée par la IIIe République. Perroux participe donc à « faire exister » le régime comme entité historiquement légitime. Sur ce point, les journaux ou les lieux dans lesquels sa parole prend place ne sont pas anodins : formation des cadres du régime, presse liée à la censure et à l’information, journaux traditionalistes pétainistes.
31II. DEMAIN ET LA DÉFENSE
DE LA FONDATION CARREL
Dans son numéro du 28 novembre 1942, le journal Demain publie un petit encadré indiquant : « Notre ami et collaborateur François Perroux ouvrira bientôt la série des publications de la Fondation Française pour l’Étude des Problèmes Humains par une étude sur ce sujet ». Perroux n’entame pas là sa collaboration avec Demain. On peut, à titre d’exemple, citer son article d’août 1943, intitulé « Pour une politique naturelle » (Perroux, 1943b). Perroux y fustige le régime républicain pour avoir ignoré les résultats de la biologie moderne8, et ainsi adopté des politiques sapant les fondements biologiques de la communauté française. Demain est un hebdomadaire catholique traditionaliste, lancé par Jean de Fabrègue en janvier 1942 avec le soutien financier des services de l’information de l’État Français. On compte dans les rangs de ses collaborateurs René Vincent (directeur de la Censure à partir de 1941 et fondateur de la revue Idées), Henri Guitton (économiste proche de Perroux et qui est à l’origine, avec Fabrègue, du Centre d’action des prisonniers), Gustave Thibon (philosophe pétainiste également lié à Économie et humanisme, autre revue proche du régime), Le Cour Grandmaison (lui aussi membre du Conseil national de Vichy), ou encore Henri Massis (intellectuel maurassien, membre de l’administration de Vichy et rédacteur de la Revue universelle). On voit ici se dessiner un « réseau de publications », en partie coordonné par la propagande du régime, et au sein duquel trois revues tiennent le haut du pavé (Cohen, 2012, p. 207).
En plus de Demain, il faut donc compter Idées9, revue pétainiste créée par René Vincent (proche de Fabrègue, avec qui il a collaboré dans le cadre du périodique Réaction) avec le soutien financier du Secrétariat Général à l’Information et à la Propagande dirigé par Paul Marion (membre fondateur du Parti populaire français (PPF) et à la tête de l’école de formation des délégués à la propagande). Idées, dont les rédacteurs sont 32associés au PPF de Jacques Doriot, publie dans son premier numéro (sans son autorisation explicite) une conférence donnée par Perroux à l’École nationale des cadres civiques (Perroux, 1942f). Il faut enfin considérer la revue Économie et humanisme, créée par Louis-Joseph Lebret, personnalité marquée par l’Action Française et la pensée de Georges Valois10. François Perroux, que Lebret rencontre par l’intermédiaire des éditions du Cerf, est un des signataires du manifeste de la revue, financée par le régime en 1943, et vice-président de celle-ci (Pelletier, 1996). Économie et humanisme participa aux réflexions relatives à la suite à donner à la Révolution Nationale lors des Journées du Mont-Dore d’avril 1943, organisées par le cabinet de Philippe Pétain (Cohen 2004).
Le terme « ami » est donc plus qu’une référence aux publications de Perroux dans Demain. Il est la marque d’une intégration dans un réseau d’équipes et de revues activement soutenues par le régime. À partir de novembre 1943, c’est explicitement et officiellement en tant que secrétaire général de la Fondation Carrel que Perroux s’exprime dans les colonnes de Demain pour y annoncer l’avènement d’une nouvelle science de l’Homme, élaborée au sein de la fondation dont le « régent », Alexis Carrel, est présenté en ces termes :
Ce maître repousse avec force et décision toute synthèse de caractère philosophique. La science neuve qu’il annonce et dont il donne une sorte d’ébauche dans l’« Homme, cet inconnu » a l’ambition d’user seulement des concepts opérationnels et des procédés expérimentaux qui livrent une connaissance incontestable et communicable. L’originalité bouleversante de cette position est de proposer à l’homme comme objet de « connaissance scientifique » l’homme même dans sa totalité. (Perroux, 1943c)
Le ton adopté dans ces articles, qui attestent d’un effort de vulgarisation scientifique, est clairement apologétique. Perroux y présente les avancés de la fondation en termes de pensée économique, tout en explicitant la manière dont la nouvelle « science de l’Homme » constituerait un principe moteur de la Révolution nationale. En effet, là où la république 33parlementaire avait choisi comme guide l’« opinion », faussement saisie par le suffrage, le régime de Vichy s’appuierait au contraire sur la « connaissance » scientifique (Perroux, 1943b). Une connaissance mise à la disposition d’un chef d’autant plus « hautement représentatif » qu’il n’a pas été élu (Perroux, 1942f). La Fondation Carrel est donc présentée comme un symbole de l’alliance entre deux tendances importantes des années 1930 : l’autoritarisme et la technocratie11.
Régentée par le prix Nobel de médecine Alexis Carrel, la Fondation entend asseoir la nouvelle « Science de l’Homme » sur les bases d’une biologie eugéniste, ceci afin de suivre la « réaction mondiale » se dessinant depuis que la crise du libéralisme a pris un tournant majeur suite au krach de 1929. Perroux défend l’idée d’un affaiblissement des corps, dont la IIIe République aurait oublié l’importance12, passant outre la nécessité de protéger « le patrimoine biologique, le sang, la race » (Perroux, 1943f). Or, le nouveau régime a pris conscience de ce besoin urgent en mettant en place des politiques prenant soin « de l’enfant, de la mère, de la jeunesse ». Une conversion qui s’opère « en même temps dans des États ennemis » (1943f), et que Perroux a pu apprécier lors d’un voyage académique à travers l’Europe autoritaire (Allemagne, Autriche, Italie, Portugal) dans les années 1930 (Brisset & Fèvre, 2021). La position de François Perroux dans ses écrits relatifs à ces régimes, dont son ouvrage de 1935, Des mythes hitlériens à l’Europe allemande (réédition augmentée en 1940), semblait pourtant aller dans le sens d’un rejet pur et simple du « mythe de la race » :
Contre le particularisme racial, nous dresserons inlassablement ce sens de catholicité. En tant qu’homme, autrui a droit à notre respect. Nous refusons la morale qui brûle les ghettos et fait vendre les nègres. (Perroux, 1940, p. 311)
Comment, dès lors, interpréter sa position de 1943 ? Dans un premier temps, on peut relever avec Antonin Cohen (2012) que déjà dans Des 34mythes hitlériens, d’une main Perroux dénonçait le racisme propre au régime national-socialiste, de l’autre il « concédait » que le terme de « race » était bien souvent utilisé dans un sens plus « acceptable » :
Le mot race devient, dans un grand nombre de cas, pour le public, un simple synonyme de ‘type’. Restaurer la race veut dire alors créer un type d’homme adapté aux exigences matérielles et morales du monde moderne. (Perroux, 1940, p. 48-49).
L’Allemagne national-socialiste aurait donc été sur ce point un exemple à suivre. Dans un second temps, si Perroux ne va jamais aussi loin qu’Alexis Carrel sur le terrain de l’eugénisme, il n’en reste pas moins que les articles publiés dans Demain sont rédigés sur le ton du soutien à la Fondation Carrel. Il faut néanmoins souligner que Perroux ne défendra jamais frontalement, à notre connaissance, la sélection des individus, ou la politique racialiste mise en place dès ses débuts par l’État français (voir Marrus & Paxton, 2015 ; Joly, 2018).
Perroux présente la « protection de la race » comme l’adaptation des personnes aux conditions matérielles issues de la révolution industrielle et organisationnelle, et ceci précisément afin que le progrès technique puisse se poursuivre : « L’économie servie par la science de l’homme est le contraire de l’économie freinée par un pseudo-humanisme, ennemi du progrès et de la technique » (Perroux, 1943f). Cet « homme complet », il faut le construire en le sortant du milieu « douillet » créé par les régimes parlementaires qui freinent les aptitudes humaines à « s’adapter » et à « réagir » (Perroux, 1943c). Une idée que Perroux enseigne à la Faculté de droit de Paris dans son cours de 1943, intitulé Le sens du nouveau droit du travail. Droit du travail et Capitalisme. Ainsi indique-t-il l’importance première de la « protection de la famille et de la race » (Perroux, 1943a, p. 92). Pour Perroux cela ne semble faire aucun doute, « biologiquement, la France meurt ». Et cette mort se caractérisait par les deux phénomènes suivants : d’une part, le déclin démographique et l’état physique « déficient » d’un grand nombre de Français en raison d’une « malformation » des enfants et adolescents, et d’autre part, d’un « névrosisme généralisé » lié à la consommation d’alcool (Perroux, 1943a, p. 92-93).
Selon Perroux, l’alliance déséquilibrée entre progrès technique et inadaptation de l’humain est particulièrement marquée aux États-Unis, 35nation du taylorisme13. Le taylorisme introduirait un déséquilibre entre « rythme technique » et « rythme biologique » qu’il s’agit de rétablir. C’est bien ce que la « Science de l’Homme » entend penser, ceci afin de donner des fondements scientifiques à l’organisation corporatiste de l’État français, une organisation économique « communautaire et autoritaire » (Perroux, 1943f).
Dans ses courts articles publiés dans Demain, Perroux publicise et défend le travail de la Fondation Carrel en affirmant l’intime liaison entre Révolution nationale et Science de l’Homme : la seconde a comme objectif de penser et de théoriser la première. Un tel discours procède donc à la fois d’une fondation en science de la politique du régime de Vichy et d’une légitimation de ladite science. L’autre stratégie de l’économiste lyonnais consiste à opposer sa nouvelle « science économique », renseignée par la Science de l’Homme, à d’autres systèmes de pensée : le marxisme, la sociologie durkheimienne (il évoque principalement François Simiand), ainsi que les économistes libéraux comme Jacques Rueff (Perroux, 1943d). Perroux s’éloigne ainsi en apparence de la parole propagandiste en portant le débat du côté académique14 . Il est néanmoins patent que Perroux ne situe sa pensée « communautaire » qu’en face d’ennemis théoriques moribonds, du fait de la politique même du régime : le communisme est lourdement réprimé suite à la loi du 14 août 1941 sur l’« institution de sections spéciales auprès des tribunaux militaires et maritimes et des cours d’appel pour les infractions pénales commises dans une invention d’activité communiste ou anarchiste » ; la sociologie durkheimienne est également rayée de la carte des systèmes de pensée légitimes (Muel-Dreyfus, 1996) ; quant à Jacques Rueff, il a été écarté de son rôle dans la fonction publique par les lois antisémites. Plus que le débat, c’est l’illusion de la controverse qui est ici orchestrée, puisqu’aucune réponse n’est possible de la part des individus et groupes qui sont mis en question par Perroux. Une illusion participant du double mouvement de construction d’une position de « porte-parole » : Perroux se positionne en tant que personnalité scientifique au sein du nouveau régime, ce qui donne à sa parole une légitimité dans l’établissement 36de nouvelles disciplines sociales légitimatrices des politiques de l’État français. Cet acte de positionnement est appuyé par une position objective au sein du champ des sciences sociales. Perroux peut ainsi s’affirmer comme une des têtes pensantes de la politique scientifique de Vichy en matière de sciences sociales dans la mesure où le nouveau régime épure le champ académique des principaux rivaux de Perroux (Brisset, Fèvre & Juille, 2019).
III. ENSEIGNER ET DÉFENDRE LE CORPORATISME DE VICHY
Les Fonds François Perroux contiennent plusieurs textes de conférences données par l’auteur sous l’Occupation. La perspective, si elle peut être marginalement critique de la politique mise en place par le régime de Vichy, consiste avant tout en une défense de la Révolution Nationale. Dans une conférence à Lyon datant du 5 août 1942, Perroux fustige l’immobilisme de certains de ses concitoyens, attendant d’être relevés « par quelques forces extérieures ». Or, « nous n’avons qu’une œuvre à faire et elle se nomme la Révolution française du xxe siècle » (1942b, p. 3-4). Cette révolution, nécessairement « nationale », entend remédier aux deux erreurs respectivement constitutives du marxisme et du libéralisme. La première consiste à dissoudre le caractère « national » du peuple dans une vision en termes de classes. Or, pour Perroux (1942b, p. 9), « il n’est rien de plus national que le peuple, il n’est rien de plus attaché au territoire, à l’atelier, à la maison, à l’instrument de travail que ceux-là mêmes qui ne peuvent à aucun degré s’en passer ». La seconde erreur proviendrait de l’idée selon laquelle le peuple pourrait se libérer lui-même, indépendamment de la Nation, indépendamment de ses chefs naturels15.
Les interventions orales de Perroux sont en grande partie consacrées à la politique sociale de Vichy, et plus précisément à la Charte du travail, 37promulguée le 4 octobre 1941. Le corporatisme de l’État français est aujourd’hui bien documenté (Le Crom, 1995 ; Kaplan, 2001 ; Grenard, Le Bot & Perrin, 2017, pour ne citer que ces travaux). L’organisation économique du régime de Vichy est pensée selon une séparation entre organisation de la production et organisation sociale. Du côté de la production, la loi du 16 août 1940 relative à l’« organisation provisoire de la production industrielle » met en place les fameux Comités d’organisation (CO), chargés de gérer et d’arrêter les programmes de production au sein de chaque branche, le tout dans un contexte de pénurie grave. Dans ce cadre, l’Office central de la répartition des productions industrielles (OCRPI), organisme dont la création est imposée par l’occupant, est chargé de travailler à la répartition des matières premières, alors que le Centre d’information interprofessionnel (CII) doit théoriquement assurer la documentation générale des CO et de l’OCRPI (Rousso, 1979). Comme le montre Hervé Joly (2000), l’organisation industrielle est le fait quasi-exclusif d’une collaboration entre État et propriétaires des entreprises, les salariés étant de fait exclus des CO.
La législation vichyste relative à l’organisation sociale du travail est beaucoup plus complexe à saisir. Le texte ouvre la porte à plusieurs types d’organisations potentielles (Le Crom, 1995). De manière générale, la Charte a pour objectif la mise en place d’une organisation économique par « familles professionnelles ». Les discussions relatives aux conditions de travail, aux salaires, aux règles de licenciement et d’embauche sont censées avoir lieu au sein de Comités sociaux professionnels locaux, régionaux, nationaux, organisés en 29 familles professionnelles. Chaque comité national est alors organisé de manière tripartite (employeurs, employés, État), la représentation des employés se faisant sur la base de syndicats uniques et obligatoires pour chaque catégorie professionnelle (employés, ouvriers, agents de maîtrise, ingénieurs, cadres administratifs et commerciaux). Si l’État est représenté par le biais d’un Commissaire du gouvernement, les dirigeants des nouveaux syndicats (les principaux syndicats d’avant-guerre ayant été supprimés par le décret du 9 novembre 1940) sont eux-mêmes nommés par le régime (Le Crom, 2008b). La Charte prévoit également la création de comités sociaux d’entreprises (CSE), organismes autonomes des comités sociaux.
À partir de cette structure, la « réunion entre l’économique et le social », c’est-à-dire la question de l’articulation entre CO et CS, est un 38serpent de mer du régime de Vichy (Le Crom, 2008a), dont Perroux, comme beaucoup d’autres, se saisit à l’occasion de plusieurs conférences16. Dans son intervention de Lyon (Perroux, 1942b), il se montre d’abord critique vis-à-vis de l’organisation économique du régime. Après avoir affirmé que les CO représentent le « triomphe d’une économie mixte, chargée de tous ses enjeux et ne présentant aucun de ses abus » (Perroux, 1942b, p. 14), il dénonce néanmoins la tentation d’une économie monopolistique (tendance illustrée par les développements des corporatismes italien et allemand). De plus, les CS sont pour lui à la fois trop petits, trop nombreux et soumis à des directives gouvernementales contradictoires : « Telle est la médiocre matière première dont nous disposons pour penser l’économie française » (Perroux, 1942b, p. 16). La responsabilité en reviendrait à une interprétation malheureuse de la Charte du travail, allant dans le sens d’une prégnance des comités sociaux d’entreprise sur les comités sociaux, à défaut d’une coordination sociale respectant les communautés « naturelles » constitutives de la Nation. Le rôle prépondérant des CSE, relativement aux CS, corromprait l’ordre corporatiste dans la mesure où il introduirait une confusion entre « entreprise » et « établissement », entre « chef d’entreprise » et « directeur technique ». Dit autrement, en faisant de l’échelon de l’entreprise celui des décisions collectives corporatistes, c’est-à-dire ce que Perroux nomme la « socialisation », la Charte du travail redonnerait du pouvoir aux propriétaires du capital, alors même que le corporatisme reposerait sur la séparation stricte entre possession et direction : dans la logique perrouxienne, la direction revient à la communauté (par l’intermédiaire de son chef) et non au propriétaire capitaliste.
La dissociation entre propriété du capital et autorité sur ce dernier est assez largement partagée sous Vichy, l’objectif affiché étant de discipliner le capitalisme libéral par une forme de planification (terme faisant néanmoins débat)17. Il n’y a, dans cette logique, pas de raison pour que le « chef » réel, représentant de la communauté de travail, soit le détenteur du capital. Il est donc indispensable de trouver un niveau 39de prise de décision auquel la communauté pourra se doter de véritables chefs. Ce niveau, auquel seront fixés les prix et les conditions de travail, est celui de la branche. C’est à cette seule condition que seront respectées les frontières naturelles des activités, contrairement à ce qu’avait pu faire le Front populaire de 1936 avec les conventions collectives.
La critique de Perroux se focalise essentiellement sur l’articulation entre CSE et CS. De manière générale, Perroux se fait le défenseur de la politique sociale du régime. D’une part, il entend légitimer l’existence des groupements professionnels corporatistes au regard de l’histoire française de l’organisation du travail. Ainsi, Vichy ne ferait qu’épouser le mouvement naturel de l’histoire, là où la république parlementaire le contrariait. D’autre part, il se positionne dans le cadre d’un débat important lors de la rédaction et de la mise en place de la Charte : le débat relatif au rôle des syndicats. Il tente alors de réconcilier les positions en défendant un corporatisme syndical dans lequel les syndicats perdraient en réalité une bonne partie de leurs prérogatives. Ici encore, l’argument repose en définitive sur la conformité de la forme syndicale proposée à la réalité nationale. Ce mode de raisonnement est au cœur de son cours de 1943 :
Notre critérium de discrimination sera le service de la réalité nationale (…) les mesures que nous examinons sont-elles ou non nécessaires au maintien de la nation dans toute son originalité, matérielle et spirituelle (Perroux, 1943a, p. 91).
De manière générale, Perroux évoque une histoire longue du droit du travail en trois étapes (Perroux, 1943a, p. 20-29) : au droit répressif, faisant suite à la révolution industrielle (abolition des corporations, lois relatives au déplacement de travailleurs), succède un droit « protecteur » des classes ouvrières et de l’ordre public. Ce droit, par nature libéral, encadre le capitalisme pour en atténuer les méfaits. Perroux cite par exemple les lois de 1919 sur les conventions collectives et la journée de travail de 8h, ou encore la loi sur les assurances sociales d’avril 192818. Selon l’auteur, cette correction du capitalisme insufflée par les syndicats ouvriers, si elle était nécessaire, a grippé la mécanique historique en mettant en place une fausse sécurité individuelle, impropre au développement 40économique. En effet, Perroux (1943a, p. 312) oppose à la « sécurité du conquérant », celle qui dote l’économie de personnes fortes et capables de remplir leur devoir pour la nation, une sécurité de « loque humaine », contraire aux valeurs qu’impose la production industrielle :
Dans une usine de métallurgie, dans une mine, dans une usine de produits chimiques, des forces titanesques sont en jeu, et l’atmosphère est celle de la lutte contre la matière et les éléments beaucoup plus que celle de la transaction au ras du sol ou l’explication suave et frauduleuse entre hommes très bien élevés (Perroux, 1943a, p. 312-313).
La production sociale d’individus capables d’assumer le travail industriel nécessite donc non pas un droit protecteur, mais un droit organisateur de l’activité économique. Ce droit organisateur (ou « corporatif ») est poussé par les forces historiques dont les révoltes du 6 février 1934 ou le Front populaire sont des expressions. La société évolue donc indépendamment du système parlementaire vers un droit corporatiste que l’État français ne ferait en définitive que libérer. Le droit du travail contenu dans la Charte « accroit la réalité historique et perfectionne l’incarnation des valeurs humaines » (Perroux, 1943a, p. 326).
Ce raisonnement, empreint de dialectique, est également utilisé par Perroux pour défendre la politique de Vichy vis-à-vis des syndicats. La Charte du travail prévoit des syndicats de catégories – uniques et obligatoires – dépouillés de leur droit de grève, et contrôlés par l’État. Cette solution, que Perroux juge « efficace et indispensable », s’impose d’elle-même selon lui. En effet, le syndicalisme libre de droit privé mis en place entre 1884 (première tolérance à l’égard des syndicats) et 1920 (augmentation de leur capacité civile) aurait pris une forme que l’auteur qualifie d’autoritaire, dans la mesure où les syndicats auraient été dotés de pouvoir disproportionné leur permettant d’avoir la mainmise sur les professions, ils peuvent attaquer en justice les entreprises, mais également rendre obligatoire la syndicalisation via le mécanisme de mise à l’index (Perroux, 1943a, p. 491). De sorte que, selon Perroux, les syndicats dominèrent petit à petit l’État libéral faible qu’était l’État parlementaire. De fait, le syndicat « libre » avait déjà disparu lorsque la guerre éclatât, dans la mesure où un syndicat (Perroux évoque avant tout la CGT) dominait les autres, l’État avec. Face à ces syndicats « totalitaires » (Perroux, 1943a, p. 492) et à une « opinion publique 41prévenue contre toute doctrine d’autorité » (Perroux, 1943a, p. 80), le Front populaire aurait été incapable de corriger ces tendances. Dans un mouvement dialectique, le régime de Vichy n’aurait donc fait qu’entériner l’autodestruction du libéralisme en mettant sur pied un État fort et une nouvelle forme syndicale nécessitant au préalable de dissoudre, par les décrets du 9 novembre 1940 et du 15 octobre 1940, les principaux syndicats de travailleurs (CGT, CFTC, Confédération des syndicats professionnels français) et de fonctionnaires.
La défense entreprise par Perroux prend un sens particulier quand on la replace dans les débats ayant émaillé la rédaction et la réception de la Charte du travail. En effet, on sait aujourd’hui que deux tendances se sont affrontées au moment de la rédaction : une tendance corporatiste intégrale, menée par Gaston Cèbe, homme de confiance de Pétain nommé chargé de mission à la présidence du Conseil dans le cadre de la rédaction de la Charte, et une tendance corporatiste à base syndicale, menée par René Belin, ministre du Travail (Le Crom, 1995 ; 2008b). De prime abord, Perroux semble favorable à un corporatisme syndical. Ainsi déclare-t-il dans une conférence : « il faut faire preuve d’un conservatisme petit-bourgeois pour n’apercevoir dans le syndicat qu’un instrument de lutte des classes » (Perroux, 1942c, p. 26). Néanmoins, le corollaire de ce fondement syndical doit être un contrôle étatique fort :
Au reste, Messieurs, j’avoue que je comprends mal les résistances de certains éléments patronaux à l’égard de la réalité et de la force syndicale. Pense-t-on que le statut de la Charte arme insuffisamment les Pouvoirs publics à l’égard du personnel salarié ? Croit-on que la création d’un syndicalisme fonctionnel, qui met à part les cadres, les ingénieurs, les employés et les ouvriers, ne suffise pas à transformer le mordant et la force d’attaque du syndicalisme traditionnel ? Est-on vraiment persuadé que le luxe de dispositions que l’on donne aux Pouvoirs Publics en matière de contrôle des dirigeants du syndicat ne serviront exactement à rien ? Mais alors, ce que vous contestez, c’est la puissance de l’État français (Perroux, 1942c, p. 26-27).
D’ailleurs, dans son cours de 1943, Perroux affirme que la dépolitisation des syndicats pourrait in fine déboucher sur n’importe quelle forme d’organisation syndicale. En effet, la mise en place d’une véritable organisation du travail mènera à une disparition pure et simple de la question sociale, ce qui rendra en définitive le syndicat inutile. Et Perroux d’annoncer, en conclusion de son cours, qu’une fois les communautés 42professionnelles « disciplinées » il serait possible de réintroduire de la pluralité syndicale (Perroux, 1943a, p. 543).
Le démantèlement des syndicats, qui mena à un mouvement de fronde important (un appel clandestin au sabotage de la Charte en 1943), est synonyme pour Perroux de rénovation d’une structure étatique forte réglant les problèmes sociaux. Il n’y a donc pas, pour lui, d’opposition entre le « populaire » et l’« aristocratique », comme pouvait l’affirmer les démocrates, dans la mesure où le principe de représentation politique à l’œuvre sous le nouveau régime, qu’il qualifie d’aristocratique, débouche sur le respect des communautés populaires (Perroux, 1942b, p. 26). Cet État aristocratique devant d’ailleurs prendre une forme dictatoriale :
Les libertés se défendent par les procédés de la dictature, il aurait fallu que quelques années avant cette sinistre guerre, quelques-uns des champions les plus convaincus de cette liberté précieuse comprissent qu’il fallait sacrifier un peu de liberté formelle pour conserver davantage de liberté de fait (Perroux, 1942b, p. 31).
Perroux en arrive par là même à justifier un état foncièrement inégalitaire : le pouvoir est un « phénomène naturel », qui ne relève ni des textes de loi ni d’un choix. Il « résulte fondamentalement de l’inégalité des hommes non pas seulement en capacité ou en force, mais, entendez-le bien, en qualité et en droit » (Perroux, 1942b, p. 24, italiques ajoutés). Une leçon qu’avait tiré le « syndicalisme véritable » (Perroux, 1943a, p. 489) dont Perroux se revendique, et de citer Georges Sorel, Fernand Pelloutier (lui aussi théoricien de la grève générale), Édouard Berth (fondateur avec Georges Valois des Cahiers du Cercle Proudhon) et Hubert Lagardelle (ministre du Travail gouvernement Laval d’avril 1942 à novembre 1943)19. Ainsi, Perroux prend donc soin de positionner le régime de Vichy dans la droite ligne du syndicalisme, alors que ce même régime entend a minima vider les syndicats de leurs prérogatives.
Les textes et prises de parole de Perroux relatifs à la Charte du travail procèdent encore une fois de deux mouvements intimement liés : d’un côté, l’économiste cherche à s’arroger une place avantageuse au sein du champ idéologique non seulement en assumant un rôle de commentateur légitime de l’œuvre majeur que constitue la Charte, mais qui plus est, en prenant soin d’occuper la place du médiateur entre deux tendances 43antagonistes (corporatisme à base syndical vs. corporatisme intégral), se positionnant ainsi en unificateur du champ idéologique. De l’autre côté, en faisant de la Charte l’objet d’un discours scientifique analysé par le biais d’une trame historique dialectique et téléologique, Perroux participe d’une forme d’objectivation particulière du régime, à savoir une essentialisation historique, puisque l’histoire n’avait d’autre fin que ce à quoi elle était précisément arrivée avec le régime de Vichy. Un schéma qu’il élargira au-delà de la politique sociale.
IV. PHILOSOPHIE DE L’HISTOIRE ET RÉVOLUTION NATIONALE
François Perroux, comme un grand nombre de soutiens à l’État français, évacue l’idée selon laquelle le nouveau régime serait uniquement le résultat circonstanciel de la défaite militaire. Pour cela, il met en œuvre deux stratégies. La première consiste à inscrire la défaite dans une logique de décadence. N’étant plus le fait exclusif de l’ennemi, elle s’explique par une grave crise de civilisation. Dans sa conférence du jeudi 4 juin 1942 à l’Institut d’études corporatives et sociales, Perroux indique que le plus grand danger ne vient pas de l’étranger. Au contraire, « [i]l prend la figure d’une baisse incontestable de la vitalité française qui se montre non pas seulement par le fléchissement des corps, mais par celui, plus redoutable, des esprits » (Perroux, 1942c, p. 3).
La seconde stratégie consiste à inscrire la Révolution nationale dans l’histoire politique longue de la France, et d’en faire à la fois la concrétisation de la crise de la société libérale née en 1789, et le point de départ de l’ère corporatiste. Cette crise se serait manifestée de manière régulière dans l’histoire de France. Et les épisodes de 1848 (révolution de Février), 1871 (Commune de Paris) et 1936 (Front populaire) en seraient des signes patents. Si ces convulsions n’ont pas mené à un changement de régime, c’est parce que l’histoire fût freinée par des élites politiques incompétentes et non représentatives (Perroux, 1942b, p. 6).
Dans son cours de 1942 à la Faculté de droit de Paris, Perroux [1942g], élabore une véritable philosophie de l’histoire tout entière tournée vers ce moment décisif que serait la Révolution nationale initiée par Pétain. Il 44commence par déplorer que le relativisme historique issu de la Révolution française se fasse aux dépens d’une interprétation « dialectique » de l’histoire de France, dont on a vu qu’elle traversait l’analyse perrouxienne de l’histoire du droit du travail (Perroux, 1942g, p. 87)20. Ainsi faut-il, selon lui, comprendre la Révolution française et l’émergence des sociétés libérales comme une étape nécessaire vers la libération de la personne humaine. Néanmoins, une fois l’individu libéré du carcan féodal, encore faut-il reconstruire la communauté sur des bases solides. Le libéralisme, en plaçant le contrat au cœur de l’organisation sociale, ferait fausse route en ce qu’il tisserait un lien déséquilibré entre « rythme technique » et « rythme biologique » (cf. supra). Néanmoins, le développement de l’industrie est un bienfait de l’ère libérale. Un bienfait qu’il est nécessaire de maîtriser par la mise en place d’un ordre communautaire. Dès lors, Perroux lit l’histoire à travers la réintégration des individus à la communauté nationale, le développement d’une conscience nationale étant un préalable nécessaire à cette intégration. Il entend par là le fait que les individus doivent à la fois prendre conscience de leur rôle au sein de la hiérarchie nationale et l’accepter comme une condition du relèvement de la France.
On sait que la soumission à l’ordre est un élément rhétorique important du régime de Vichy, et une pierre angulaire de la pensée de Perroux (Brisset & Fèvre, 2020b). L’ordre et la contrainte communautaire (« mère de toute fécondité ») sont, selon l’auteur, des bienfaits dans la mesure où elles viennent contrecarrer les tendances humaines à l’« inertie », au « caprice », à la « nullité » (Perroux, 1942g, p. 84). Qui plus est, les contraintes militaire et matérielle pesant sur la France en 1942 sont également propices à la réalisation d’une Révolution nationale : elles obligent les individus naturellement amenés à vouloir leur « liberté » à accepter leur rôle communautaire : « Grâce à la contrainte actuelle ou dont les conséquences sont passées à l’état d’habitude, les personnes peuvent jouer une partie de leur rôle et se dédier au service de leurs valeurs » (Perroux, 1942g, p. 85).
Si la Révolution nationale est considérée comme une étape nécessaire de l’histoire indépendamment de la défaite militaire, cette même défaite offre 45donc des conditions favorables à son avènement. En définitive, le discours de Perroux légitime triplement le régime de Vichy. Premièrement, en desserrant le lien entre la défaite militaire et l’essor de l’État français, Perroux légitime la prise de pouvoir de Pétain comme une étape de l’histoire du pays. Deuxièmement, en faisant de la contrainte allemande un terreau propice à la Révolution nationale, il justifie le maintien de l’ordre dans un pays sous Occupation. Et enfin troisièmement, en caractérisant le régime comme le fruit d’une histoire dialectique acceptant les résultats de l’ère libérale (la révolution industrielle), Perroux affirme son caractère « révolutionnaire » aux dépens des approches conservatrices du corporatisme. Si la rhétorique de la décadence française constitue le point focal de la plupart des discours d’extrême droite dans les années 1930, à l’image des œuvres de Charles Maurras, de Céline ou de René de Planhol (Rennes, 1999), Perroux, comme une frange importante des penseurs du régime de Vichy, tend à rompre avec la condamnation du monde moderne en refusant de se référer à un âge d’or prérévolutionnaire. C’est ainsi qu’il met régulièrement à distance l’œuvre de La Tour du Pin, ceci afin d’affirmer le caractère révolutionnaire, et non conservateur, du Régime, inscrivant ce dernier dans la marche naturelle du progrès historique.
V. COMMENT SORTIR DE VICHY ?
À la fin du petit livre de Perroux Science de l’Homme et science économique, on trouve le texte suivant, collé sur la deuxième de couverture après l’impression de l’ouvrage :
Je dois appeler l’attention du lecteur que la portée inexacte que j’accordais avec une bonne foi un peu naïve, à l’époque où fût prononcée cette conférence, aux énoncés de M. Carrel. N’étant pas formé aux disciplines biologiques et trompé par des affirmations massives et indémontrées faites au nom de la Science, j’avais accordé à « l’Homme, cet inconnu » un crédit que les spécialistes jugent sévèrement. Il me faut donc, à mon grand regret, prévenir le public non initié contre une erreur dont je fus, un temps, la victime, et n’entends plus être le propagandiste. L’idée et les destinées de la Science de l’Homme ne sont heureusement pas liées à certaines de leurs interprétations (Perroux, 1943a).
46Par cet addendum, dont la date est inconnue, Perroux a jugé bon de se désolidariser d’Alexis Carrel (qui meurt en novembre 1944), pour des raisons à propos desquelles on ne peut que conjecturer. Perroux est écarté de la Fondation en décembre 1943, après avoir exigé de la part de Carrel un renouvellement de sa confiance21. Ce texte constitue certainement une manœuvre de protection. Plusieurs courriers attestent d’ailleurs de l’inquiétude de certains proches de Perroux de le voir condamné à la Libération (voir Brisset & Fèvre, 2020a, p. 144). Alain Drouard (1992, p. 169-172) montre qu’au moment de celle-ci, Perroux attaque violemment Carrel dans une note adressée au professeur Milliez, directeur du cabinet de Louis Pasteur Vallery-Radot (ancien résistant et secrétaire général à la Santé). Dans cette dernière, non seulement Perroux accuse Carrel (mais également Jean Coutrot) de liaison avec la Synarchie22, mais date son départ de la Fondation à décembre 1942 (et non décembre 1943). Il est assez peu probable qu’il s’agisse d’une erreur. Une minimisation de son rôle semble plus probable. D’ailleurs, une quarantaine d’années plus tard, au moment de revenir sur son « itinéraire », les comptes de son activité sous Vichy sont assez saisissants :
Nous étions sur le point, ma femme et moi, à mettre le cap vers les États-Unis quand la guerre éclata. Les « exercices » de Lorraine et les sports variés du temps de l’occupation avaient peu de rapports avec l’économie abstraite. Puisqu’il fallait quand même enseigner, l’occasion était bonne de reprendre, par le menu, l’équilibre de style autrichien en préparant un livre sur La Valeur et de la comparer dans des séminaires à l’École des Hautes Études de la Sorbonne aux équilibres de Gunnar Myrdal, de Knut Wicksell et, bien sûr, de Léon Walras. Pour le surplus, il y eut à l’Institut de Sciences Économiques Appliquées, fondé en 1944 avec la Résistance française et dont un des premiers protecteurs fut Lord J. M. Keynes lui-même, de belles heures, en dépit de la dureté du temps (Perroux, 1987, p. 201).
Ainsi Perroux résume son activité sous l’Occupation à une nécessité d’enseigner comblée par quelques travaux abstraits et un Institut fondé en 1944, avec l’appui de la Résistance (ce dont nous n’avons, à ce jour, 47trouvé aucune trace)23. Oubliant au passage le liminaire du premier numéro des Cahiers d’études communautaires, publiés sous la direction de François Perroux et de Jacques Madaule :
Que veut la France ?… Vivre. Dans l’effondrement de ses anciens cadres et dans la construction du Nouveau Monde européen, comment peut-elle vivre ?… En faisant sa propre révolution. Révolution nationale, a dit le Maréchal. Notre communauté y aidera. (…) La première prise de conscience du groupe fondé par François Perroux et qui lance ce premier cahier, ç’a été de mesurer la grandeur de notre désastre, de répudier toute facilité et de décider que nous contribuerons à la Révolution nationale en faisant œuvre de communauté. (…) Il s’agit d’une recherche, d’une expérience de chaque jour vécue, et c’est François Perroux qui la guidera (Cahiers d’études communautaires, 1941, liminaires, p. 1).
Perroux créera donc avant la fin de la guerre l’Institut de science économique appliquée (ISEA) ainsi que le « Groupe de travail », qui prend la suite du groupe Renaître créé avec son ami Yves Urvoy sous l’Occupation (Brisset & Fèvre, 2020a)24. On sait grâce à la correspondance de Perroux que le partage strict de ses activités entre économie (ISEA) et politique (Groupe de Travail) lui a été conseillée par Yves Mainguy, notamment en raison du risque d’accusation de collaborationnisme25. Il s’agit ici de dissocier le plus strictement possible deux types de représentation – la représentation scientifique et la représentation politique – dans la mesure où le premier type est plus facilement re-mobilisable dans un nouveau contexte politique que le second26.
Lire le discours de Perroux comme un ensemble d’actes de construction d’un rôle de représentant ne doit pour autant pas faire oublier la multitude des formes de représentation. Il existe plusieurs types de « porte-paroles », et les différences semblent à première vue évidentes entre, par exemple, un membre de l’administration politique et un membre de l’institution scientifique, même s’il ne faut pas envisager trop strictement la séparation de ces deux types. Le discours scientifique (au sens où il est émis par un représentant scientifique) n’a pas la force du discours 48d’un ministre, capable, lui, de faire la loi. Cette différence dans les formes de représentation, et donc de « porte-paroles », peut être analysée en termes de type de capital accumulé : capital scientifique d’un côté, capital politique de l’autre. Cette variété est rendue visible en cas de crise systémique. En l’occurrence, la Libération sera un révélateur de la manière dont les différents représentants du régime de Vichy gèrent et réinvestissent leur capital. Or, comme le montre l’exemple de Perroux, le capital « scientifique » est plus « liquide », c’est-à-dire plus facile à réinvestir dans un contexte idéologique différent, que le capital politique. Nous n’avons fait qu’effleurer cette problématique par le biais de l’analyse de la manière dont Perroux met en place une stratégie de dissociation entre capital politique et capital scientifique à l’approche de la fin de la guerre.
Par ailleurs, le passage de Renaître au Groupe de travail est l’occasion pour Perroux d’opérer un changement de vocabulaire (Brisset & Fèvre, 2020a, p. 143-146). Les Fonds de Perroux contiennent à ce sujet des épreuves annotées d’un chapitre du sixième volume de Renaître indiquant la volonté de Perroux de gommer la sémantique du corporatisme de la Révolution nationale. Les termes « corporatisme » et « communautaire » sont systématiquement rayés, le terme « économie corporative et communautaire » étant remplacé par « nouvelle économie » ou par « économie organisée et socialisée27 ». De manière générale, les écrits de Perroux datant de 1944 et 1945 indiquent des changements notables. Non seulement les figures intellectuelles convoquées changent radicalement – Marx, Lénine, Staline, Gradziadei et Thorez succèdent à Vallat, Sorel, Berth et Valois – mais Perroux se meut en soutien sans faille de Charles de Gaulle :
Le général de Gaulle fait irruption en 1940 dans l’histoire universelle par un « non » et par un « oui ». Un « non » qui défie le désastre militaire, bataille perdue, péripétie d’une guerre à gagner. Un « oui » qui resplendit d’une immense adhésion confiante au destin de la France. Ces monosyllabes du salut sont lancés par un seul homme, entouré d’une poignée de compagnons. Si les Français avaient été consultés, en juin 1940, sur l’opportunité de signer l’armistice – à supposer que de la sinistre confusion une tendance se fût dégagée – ils eussent peut-être sanctionné l’accomplissement de l’acte, qui devait être dénoncé ensuite, avec tant d’excellentes raisons (Perroux, 1945, p. 1).
49Perroux tient en fait un discours de légitimation du chef à l’endroit du général de Gaulle finalement similaire à celui qu’il a tenu, dès 1940, en soutien au maréchal Pétain.
CONCLUSION : DEVENIR REPRÉSENTANT
Plus que de simples opinions, les textes sont des actions, des « actes de langages » (speech acts), pour reprendre le vocabulaire austinien (Austin, 1962) largement utilisé par Quentin Skinner (2002). Les énoncés produits ne sont pas uniquement porteurs de sens, ils constituent des actes discursifs et sociaux. Nous avons analysé le discours de François Perroux par le prisme de la construction d’une position de « représentant » du régime. D’un point de vue institutionnel, Perroux est proche d’institutions centrales. Qui plus est, il s’exprime dans les pages de périodiques liés, de prés (Idées et Demain), ou de loin (Économie et humanisme) à la propagande de Vichy.
L’acte de se positionner en « porte-parole » de l’État français s’exprime à travers une co-construction du représentant et du représenté28 : Perroux s’affirme en tant que porte-parole, tout en objectivant le régime qui le valorise. Dans un premier mouvement, le discours de Perroux est orienté vers l’analyse, voire la critique de l’œuvre de Vichy. Une critique s’inscrivant néanmoins systématiquement dans l’optique d’un soutien au Régime en place. En 1942, dans le cadre d’un cours d’« Économie sociale comparée » dispensé à la Faculté de droit de Paris, et qui servira de base à son ouvrage Communauté (Perroux, 1942a), Perroux propose à ses étudiants de doctorat de considérer « comment se construit sous nos yeux, en un style qui, par nos soins peut devenir vraiment communautaire, une nation qui courait le risque de cesser d’être ce qu’elle fut toujours dans l’histoire : une hiérarchie de communautés » (Perroux, 1942g, p. 8).
Il s’agit donc de comprendre le redressement en cours, un redressement auquel Perroux désir être associé, et auquel il associe ses étudiants. Ainsi se réjouit-il de l’utilisation par Philippe Pétain lors du discours de Saint-Étienne, mais également dans les fameux « Principes de la 50communauté », d’une notion dont il revendique en partie la paternité, à savoir celle de « communauté » en général, de « communauté de travail » en particulier. Néanmoins, ajoute-t-il immédiatement, « le moins que l’on puisse dire est que l’effort d’analyse rigoureuse de la notion n’est pas à la mesure de l’extension de son emploi » (Perroux, 1942g, p. 3). Perroux justifie donc son rôle d’intellectuel du Régime comme celui de donner corps à une notion manipulée par un chef légitime qui, tout en en saisissant le sens profond, est pour le moment incapable d’en établir une définition suffisamment claire pour animer un programme politique consistant. Un travail qui s’effectuera au sein de la Fondation Carrel. Perroux entend donc faire entrer la Révolution nationale en chaire par le biais de sa propre personne.
Dans un second mouvement, l’économiste objectivise le régime en faisant un objet de science. Une objectivisation qui ne va pas sans produire ce que Bourdieu a appelé des « effets de théorie » : « La description scientifique la plus strictement constatative est toujours exposée à fonctionner comme prescription capable de contribuer à sa propre vérification29 en exerçant un effet de théorie propre à favoriser l’avènement de ce qu’elle annonce » (Bourdieu 1981, p. 72). En l’occurrence, Perroux produit une légitimation du Régime en faisant de ce dernier une étape nécessaire de l’histoire de France.
Bien entendu, tout acte de langage nécessite que des conditions sociales soient réunies. Si le discours de François Perroux acquiert une certaine force, on ne peut l’imputer à son seul charisme. Comme le souligne Laurent Kestel dans son travail sur la trajectoire de Jacques Doriot, le charisme est toujours relationnel, « ne serait-ce, tout d’abord, que parce que les dispositions d’un agent existent rarement indépendamment du champ dans lequel elles s’expriment » (Kestel, 2012, p. 100). Denord et Rosental, dans un article de 2013, ont montré, analyse de réseau à l’appui, que François Perroux avait été une personnalité centrale des institutions de Vichy (Denord & Rosental, 2013). Comprendre l’acquisition de cette position demande une analyse fine de la place de Perroux au sein de divers champs avant et sous l’occupation : le champ intellectuel national (Brisset & Fèvre, 2020b) et international (Brisset & Fèvre, 2021), le champ économique (Brisset & Fèvre, 2020a) et le champ des 51sciences sociales en général (Brisset, Fèvre & Juille, 2019). Des champs qui s’organisent selon des règles différentes et jouissent à chaque fois d’un degré d’autonomie qu’il s’agit d’évaluer. Le présent article n’a pas étudié ce positionnement multiple dans toute son ampleur, mais c’est plutôt concentré sur la manière dont le discours public de l’économiste pouvait être lu à travers une stratégie de positionnement particulière. Qui plus est, l’idée a été d’analyser les interventions de Perroux comme des éléments dans la construction de l’identité sociale de l’économiste, et non de nous engager sur la réussite de ces stratégies. Aborder ce dernier point nécessiterait d’entrer plus en avant dans la dynamique inter-champs, c’est-à-dire d’envisager leurs autonomies relatives, ainsi que la manière dont s’opère la traduction d’une place avantageuse au sein d’un champ dans un autre. Une étape qu’il sera nécessaire de franchir dans des travaux ultérieurs.
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1 Nous tenons à remercier Damien Bazin, Thierry Pouch et Nicolas Camillotto pour leurs remarques et suggestions. Cet article a été réalisé dans le cadre du projet interdisciplinaire MSH-Lorraine 2020-2021 « La “parenthèse Vichy” ? Trajectoires d’Universitaires et Reconfigurations Disciplinaires durant l’Occupation et l’immédiat après-guerre » (OccURD) coordonné par Christophe Eckes.
2 Perroux et Urvoy créeront ensemble le mouvement Renaître. Cf. section 5.
3 Dans cet article, il fustige l’irresponsabilité budgétaire de la politique économique du Front populaire.
4 Sur ce point, voir Brisset, Fèvre & Juille (2019) ainsi que Brisset & Fèvre (2020b).
5 Sur Perroux et Urvoy, voir Brisset & Fèvre (2020a).
6 Voir le très précis et exhaustif travail de recension d’Antonin Cohen (2012, p. 259).
7 Pirou est rattaché à la Fondation Carrel en tant que membre du Centre d’analyse de théorie économique, dirigé par Henri Denis, bien que nous ne connaissions pas avec précision l’ampleur de son investissement. Par ailleurs, Pirou remplace Rueff à l’École libre des Sciences Politiques, où il donnera entre 1940 et1944 un cours sur le thème « économie libérale, économie dirigée ». Son cours, critique de la politique économique de Vichy, vaudra à l’école les critiques d’Abel Bonnard (Le Van-Lemesle, 1993).
8 L’unique référence de Perroux sur ce terrain est l’eugénisme d’Alexis Carrel, essentiellement dans sa prétention à « améliorer » la « race » humaine afin de la rendre compatible au nouveau style de vie industrielle (Brisset, Fèvre & Juille, 2019).
9 Sur la revue Idées, voir l’ouvrage d’Antonin Guyader (2006).
10 Valois est connu pour être à l’origine d’un des premiers mouvements fascistes Français, le Faisceau. Sur Valois, voir Sternhell (2012), ainsi que R. Arena : « The new economics and the anti-liberalism of Georges Valois : A French view of corporatism and fascism » – Contribution à la conférence « L’Italie, L’Allemagne et la France dans le processus de trans-nationalisation de la science économique, de la période de l’entre-deux guerres à la fin des années quatre-vingts » ; Fabricating modern economics, Villa Vigoni, première conférence 1918-1945, 3-6 décembre 2018.
11 À propos de la montée en puissance de la proposition technocratique, voir l’ouvrage de Gérard Brun (1985) ; du côté de l’autoritarisme, voir Sternhell (2012). De manière générale, Michaël Fœssel (2019) repère dans la presse française ces deux tendances. D’une part, la demande d’un « gouvernement de salut public » émanant des membres de l’Institut de France en 1938, relayé par Léon Daudet dans les pages de L’Action française. De l’autre, certains appellent au retour de Pétain au nom de l’incapacité de la République à fournir un homme fort providentiel : le fameux C’est Pétain qu’il nous faut de Gustave Hervé.
12 Une critique que l’on trouve déjà dans des textes de Perroux datant des années 1930 (Perroux, 1935b).
13 « Quiconque a voyagé en Amérique connaît des usines taylorisées où il n’y a pas d’ouvriers vieux parce qu’ils sont au cimetière » (Perroux, 1943e).
14 La propagande « apparaît comme une forme de diffusion de l’information qui n’admet pas le pluralisme et n’entend propager que sa propre production » (Taïeb, 2010, p. 10).
15 On notera également que cette révolution est présentée par Perroux comme un moyen de poursuivre la lutte contre l’occupant : « [L]es guerres, même lorsqu’elles sont conclues, peuvent encore, et je n’insiste pas trop sur ce point, se poursuivre par des procédés subtils » (Perroux, 1942b, p. 8).
16 Voir par exemple Perroux (1942e).
17 Il existe sur ce point un débat entre les corporatistes, notamment entre l’entourage de Perroux et celui de Bouvier-Ajam, coordinateur de l’Institut d’études corporatives et sociales (IECS). Paul Chanson, membre de l’IECS, considère par exemple que le corporatisme de Perroux reste fondamentalement capitaliste parce qu’attaché à la propriété privée des moyens de production.
18 La loi dite « De la convention collective du travail » est votée le du 28 mars 1919, alors que celle dite « des huit heures » est adoptée le 23 avril 1919.
19 Des noms revenants régulièrement lors de ses conférences (par exemple, Perroux 1942d).
20 Attaquer « la Gueuse » en s’en prenant à son point de départ, à savoir la Révolution française, est un procédé assez classique de la part des milieux antirépublicain d’avant-guerre, du régime de Vichy, mais également au sein de certaines franges antirépublicaines de la Résistance. Voir sur ces différents points Paxton (1973) et Wieviorka (2018).
21 Correspondance de François Perroux à Carrel, 11 décembre 1943 (690PRX/290/13).
22 Dans l’acception utilisée par Perroux, le « complot Synarchique » désigne une faction des « technocrates de Vichy » qui aurait la main sur la Révolution nationale au profit des puissances financières. Voir Kuisel (1970) et Lacroix-Riz (2008) pour des points de vue contradictoires sur la question.
23 Perroux est également ambigu dans son entretien avec François Fourquet dans Les comptes de la puissance (1980, p. 41-42).
24 Perroux mentionne sa création dans un courrier du 12 mars 1944 (690PRX/303/15), mais indiquait déjà son bon fonctionnement en février 1944 (690PRX/302/44).
25 Courrier de Mainguy à Perroux (690PRX/302/30).
26 Sur ce point, voir Cohen (2006) ainsi que Brisset & Fèvre (2020a).
27 Sur la reconversion de Perroux au keynésianisme, voir Cohen (2006).
28 Sur cet aspect de l’œuvre de Bourdieu, voir Gautier (2012).
29 La notion de « vérification » n’est néanmoins pas sans poser problème : suffit-il qu’une croyance sociale se diffuse pour qu’elle soit dite vérifiée ? Voir sur ce point Brisset (2019).
- Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
- ISBN : 978-2-406-11886-2
- EAN : 9782406118862
- ISSN : 2495-8670
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11886-2.p.0025
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 23/06/2021
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : François Perroux, propagande, régime de Vichy, représentation, Bourdieu