The Ambiguous Modernity of Law’s Memory Essay on Arnaud Orain, La Politique du merveilleux. Une autre histoire du système de Law (1695-1795)
- Publication type: Journal article
- Journal: Revue d'histoire de la pensée économique
2020 – 1, n° 9. varia - Author: Servet (Jean-Michel)
- Pages: 219 to 235
- Journal: Journal of the History of Economic Thought
LA MODERNITÉ AMBIGUË
DE LA MÉMOIRE DE LAW
Note sur l’ouvrage d’Arnaud Orain, La Politique
du merveilleux. Une autre histoire du Système de Law
(1695-1795), Paris, Fayard, 2018, 397 pages.
Jean-Michel Servet
IHEID Genève, ENS Lyon
Triangle UMR CNRS 5206
Arnaud Orain, un économiste, est l’auteur de La Politique du merveilleux. Une autre histoire du Système de Law (1695-1795). L’ouvrage est publié dans la collection L’épreuve de l’histoire chez Fayard ; une série d’écrits historiques dirigée par Antoine Lilti, directeur d’études à l’EHESS, dont les travaux décentrent le regard sur le siècle dit « des Lumières1 ». Orain est né en 1977. Il est directeur-adjoint de l’Institut d’études européennes de l’université Paris 8 Vincennes-Saint Denis où il enseigne à la fois l’histoire économique et culturelle et la macroéconomie ainsi que les politiques économiques. Ses compétences d’historien acquises dans ses recherches jointes à sa formation d’économiste éclairent la percutante pluridisciplinarité de cet ouvrage. Il a été en 2015-2016 Davis fellow du département d’histoire de l’Université de Princeton ; une période sabbatique qu’il a dédiée à l’écriture de ce livre2. Celui-ci a été distingué 220en 2019 par le prix du meilleur ouvrage de la European Society for the History of Economic Thought.
Pour l’histoire, tant économique et financière que politique, sociale et culturelle française, l’ascension fulgurante et l’effondrement du système de Law entre 1716 et 1720 constituent un événement3. Par « événement », entendons ici une expérience qui non seulement a lieu mais qui, bien qu’éphémère, entre durablement de façon positive ou négative dans la mémoire4 collective d’un peuple ou d’une communauté et qui va s’inscrire dans un récit. Retenons aussi son caractère total, donc pluri dimensionnel. Le 17 juillet 1720 (jour indiqué comme celui de la banqueroute de Law) a été remémoré par son entrée en 1977 dans la célèbre collection Les trente journées qui ont fait la France sous la plume du président Edgar Faure (chef du Gouvernement et ministre à de nombreuses reprises sous la IVe et la Ve République). Le nom de Law a résonné (on pourrait risquer le jeu de mots a raisonné) jusqu’à nos jours. La suppression des corporations par Turgot en 1776 et son échec politique, auquel le même Edgar Faure a consacré un autre ouvrage de cette même collection sous le titre La disgrâce de Turgot. 12 mai 1776, ont constitué un autre événement majeur du xviiie siècle français, touchant aussi aux relations entre État, marché et société civile (Servet, 2015) ; Turgot ayant aussi voulu établir une libre circulation des céréales. D’une part l’éradication définitive en 1791 des corporations par les lois d’Allarde et Le Chapelier et d’autre part, dans le domaine savant, la quasi ignorance par la science économique de la spécificité des liens État/marché/société civile à travers les corporations et de leur gestion de biens communs (confondus généralement avec des biens publics) ont fait largement tomber dans l’oubli5 cette rupture. Par contre, la question du pouvoir monétaire n’a cessé de tourmenter une opinion publique mise en garde contre une 221possible récurrence d’une crise monétaire et financière, banqueroute et/ou hyperinflation. Sa résurgence sous la Révolution et les références à Law qui y ont été alors faites (voir Orain, 2018 p. 308) pour approuver ou rejeter l’émission des assignats (1789-1795) et des mandats territoriaux (1796-1797), monnaies révolutionnaires par excellence, justifient que le présent ouvrage, à la différence des précédentes publications relatives au système de Law, ait pour termes 1795 et couvre un siècle, et non moins de dix ans. Il commence en effet en 1695 avec la publication par Boisguilbert du Détail de la France, qu’on peut considérer comme une utopie précédant celles entourant et prolongeant de système de Law. L’ouvrage aurait pu être poursuivi bien au-delà de la Révolution, y compris pour ce début du xxie siècle, comme son auteur l’indique en conclusion. Dans le sens d’une continuité, Orain aurait pu citer Louis Blanc, futur promoteur en 1848 d’un décret sur le droit au travail, qui a publié en 1842 un article « Banque », dans le Dictionnaire politique, encyclopédie du langage et de la science politique rédigé par une réunion de députés, de publicistes et de journaliste (Blanc, 1842, p. 146), ouvrage « rédigé par les républicains les plus en vue » selon PierreKarila-Cohen (2008, note 26). Louis Blanc y rend encore hommage à Law6 en indiquant : « C’est aux amis du peuple à réhabiliter la mémoire de Law, parce qu’il entendait le crédit d’une façon vraiment démocratique ». Sans doute doit-on rappeler que le roi Louis-Philippe gouvernant en 1842 la France n’était autre que l’arrière arrière-petit-fils de Philippe d’Orléans (1674-1723), le régent qui avait soutenu le projet de John Law et sans doute sa fuite en juillet 1720 vers la Belgique. Malgré cela, l’article de ce dictionnaire qualifie Law de : « victime, dans l’histoire, des débauches, des friponneries, des banqueroutes du Régent et de ses roués. » …
John Law, sympathique génie éclairé pour certains (aux yeux notamment de Jean-Baptiste Say7), charlatan pour d’autres (parmi lesquels Adam 222Smith8), est né à Édimbourg en 1671. Il a créé en 1716 la Banque générale devenue deux années plus tard une banque royale ; a été Contrôleur général de finances (équivalent de principal ministre) en janvier 1720 et est mort en exil à Venise en 1729. Il peut entrer dans la catégorie de ceux que, dans La Richesse des Nations, Adam Smith désigne comme des projectors, en lien d’ailleurs avec le soutien que le crédit bancaire leur apporte (Brady, 2018) ; un mot apparu en anglais à la fin du xvie siècle. Un roman historique de William Harrison Ainsworth, publié en 1881, porte ce titre : John Law : The Projector. Le mot a été traduit en français par projeteur (terme y étant apparu seulement en 1774 et étant rapidement tombé en désuétude au cours du xixe). Mais le plus grand nombre de ces initiateurs préfigurant le capitalisme entrepreneurial promouvaient des entreprises à des niveaux généralement réduits alors que le projet de Law, comme l’analyse Orain, se situe à un échelon supérieur : en France et dans une colonie française d’Amérique (le Mississipi aux frontières allant alors de l’embouchure de ce fleuve jusqu’aux grands lacs). Le royaume de France, par le nombre de sa population, par la diffusion de sa langue au sein des élites européennes, par ses forces militaires et par son site occupait encore une position centrale en Europe. Comme le souligne Orain, et de façon originale par rapport à ce qui en est généralement dit, le projet de Law est à l’époque un parmi d’autres (Thiveaud, 1990 ; 1995). Mais sa spécificité est d’avoir donné lieu à une application, fusse momentanée et sans doute partielle par rapport à l’ensemble des idées parmi lesquelles il est né. Il s’inscrit au début du siècle des Lumières dans une série d’utopies où la finance tient une position essentielle ; ensemble d’utopies que les historiens des faits et de la pensée économique et financière n’avaient pas relevées pour comprendre le système de Law. Celui-ci avait proposé son projet à plusieurs gouvernements européens, notamment au Parlement écossais (en 1705), à Victor-Amédée II duc de Savoie (en 1710-1711) et à Louis XIV juste avant la mort de ce souverain. Sans succès. On peut se demander pourquoi le système de Law a séduit ensuite en France, pas plus tôt et pas ailleurs. Seul le régent Philippe d’Orléans qui, en prenant le pouvoir du fait de la minorité de 223l’arrière-petit-fils et héritier de Louis XIV en 1715, a trouvé les finances du royaume dans une situation quasi désespérée a été séduit par la proposition (pourquoi celle-là et pas par une autre ?) ; et lui a gardé sa confiance au-delà même de la banqueroute et de son exil puisqu’il est dit qu’il voulait le rappeler en 1723… Le projet a résolu momentanément, au sens chimique du terme, le surendettement du royaume de France par la conversion des titres de la dette publique en actions de la Compagnie des Indes. Mais les mêmes causes (en particulier le déséquilibre entre les recettes de la royauté et ses dépenses) engendrant les mêmes effets (un appauvrissement d’une large fraction de la population), le problème de la dette ne pourra qu’être récurrent jusqu’à la réunion des États généraux de 1789 et la Révolution qui s’en suivit. Cette révolution fût, y compris monétaire et financière à la suite de l’adoption de la dénomination « franc » en 17959, tout comme l’avait fait Law le 22 février 1720 avec la disparition de la séparation-articulation des monnaies de compte (en livres, sous et deniers) et des monnaies de paiement, à la suite de l’hyperinflation des assignats et des mandats territoriaux basés sur une propriété foncière de la Couronne, des aristocrates émigrés et du clergé en France. Pour inaugurer plusieurs décennies de stabilité monétaire en France, il fallut attendre 1800, dans le sillage du coup d’État de Napoléon Bonaparte, avec la création de la Banque de France par certains qui le financèrent et furent ainsi récompensés (Jacoud, 1990) ; et 1803 avec l’émission du franc germinal. Pour beaucoup, le système de Law a servi de contre-exemple pour le dénoncer comme une menace.
Le système et ses spéculations portent toujours aux calembours. Dans Libération, Jean-Yves Grenier (2018) a intitulé son compte-rendu du présent ouvrage : une « utopie d’État tombée à Law ». En son temps, comme le montre Orain, le système a largement mobilisé, pour le promouvoir ou le déconsidérer, le théâtre de foire et l’écho de l’évènement s’est prolongé jusqu’à nous à travers des romans (de nombreux sont cités p. 323-324) et par le cinéma. Celui-ci a repris la figure du bossu louant sa gibosité apparente pour servir de table rue Quincampoix, siège de la Banque et lieu de l’agiotage, pour signer les contrats en relation avec les opérations des titres de la banque de Law. Ce bossu rendu célèbre par un roman de 224Paul Féval (publié en 1857) a largement inspiré le cinéma en tant qu’art populaire au cours du xxe siècle. Orain cite surtout l’écho dans des écrits. Pour appuyer la référence à une popularité des évènements, complétons son inventaire en signalant une première version cinématographique muette en 1913-1914 par André Heuzé ; une seconde en 1925 par Jean Kemm, Le Bossu ou Le Petit Parisien ; ensuite une première adaptation parlante en 1934 par René Sti ; suivie en 1944 par une autre de Jean Delannoy. En 1959 dans Le Bossu d’André Hunebelle, Jean Marais et Bourvil sont acteurs. A suivi une adaptation télévisée en 1967 avec Jean Piat. L’affaire Law occupe une place essentielle dans Que la fête commence ! de Bertrand Tavernier (1975)10. Orain souligne (p. 324) l’interprétation particulière qui en est faite. On retrouve encore l’inspiration du roman de Paul Féval dans Le Bossu de Philippe de Broca (1997) avec Daniel Auteuil et Fabrice Luchini comme principaux acteurs. Cette histoire et ses à-côtés dépassent donc très largement le traitement et l’interprétation par des économistes et des historiens de données économiques et financières. Un bibliophile canadien, Lawrence M. Lande (1906-1998), notaire et concessionnaire automobile, s’était entiché du personnage et a mis sa fortune au service de sa réhabilitation, notamment par des donations à l’université McGill11. On peut imaginer qu’en 2020 le tricentenaire de la chute du système et en 1729 le tricentenaire du décès de Law susciteront de nouveaux intérêt et talents.
Outre les travaux à caractère proprement historique12, l’évènement a été aussi, à de multiples reprises, une référence pour les approches des crises par des économistes dans les histoires des crises financières, à côté de celle contemporaine sur les titres de la Compagnie des Mers du Sud en Angleterre, et antérieurement celle des bulbes de tulipes aux Pays-Bas en 1636-1637 (Dockès, 2017, p. 181-182, 190-193).
Au cours des trois derniers siècles, beaucoup a donc été dit, écrit et réécrit sur les « faits » entourant l’ascension et la chute de Law : sur la création du système jusqu’à en faire la banque générale collectant les impôts indirects, sur le rêve des potentialités des échanges dans 225les colonies par la Compagnie du Mississipi et d’autres compagnies commerciales qui y ont été agglomérées dans la Compagnie d’Occident, sur les conversions de la dette publique en actions de la Compagnie, sur l’engouement spéculatif sur ses titres, sur une sur émission de billets et sur l’effondrement. Tout cela a donné lieu selon l’expression de Orain (p. 10, 13) à une version « canonique » de ces faits. On aurait pu a priori penser qu’il était désormais devenu difficile de faire preuve d’originalité sur un tel sujet. En inscrivant le système de Law dans un vaste mouvement d’idées qui le précèdent et lui font suite, en ne réduisant pas sa présentation et son analyse à la formation et à l’éclatement d’une bulle spéculative, Orain nous fait redécouvrir le projet.
Le présent ouvrage est celui d’un économiste. Il n’est pas une histoire factuelle, au sens où il présenterait ou analyserait le personnage Law, les causes d’une crise financière, ses mécanismes, le fonctionnement des institutions et des instruments (en particulier monétaires) qu’elle implique, la distinction socio-économiques entre ceux qui se sont enrichis et ceux qui ont été ruinés, ses effets sur les finances, sur la répartition de la propriété ou sur les productions du royaume et ses échanges. Tout cela est évoqué mais de façon que certains jugeront peut–être secondaire. On ne trouve donc pas d’interprétations nouvelles de la succession des faits, en l’occurrence de la situation financière économique, sociale, politique, militaire et religieuse de la France ainsi que des mécanismes de l’effondrement, qui seraient trouvées à partir de recherches d’archives nouvelles en la matière ; en particulier pour savoir si un complot a ou non été ourdi pour provoquer la banqueroute du système sous l’impulsion d’intérêts financiers et d’ambitions politiques auxquels il aurait porté atteinte.
L’objet du livre est autre : à la fois plus restreint et beaucoup plus étendu. En cela, il constitue un remarquable travail d’historien de la pensée. Mais il ne s’agit pas d’un ouvrage habituel d’histoire de la pensée consacrée à un économiste. Peu de choses sont dites sur l’itinéraire de Law et sur ses écrits (si ce n’est, de façon très utile, pour mettre en garde (p. 67-68 notamment) contre l’attribution de certains textes notamment par Paul Harsin, l’éditeur en 1934 en trois volumes des œuvres dites « complètes » généralement considérées encore comme « la » référence sur Law. Orain se réfère d’autant moins à l’auteur et au personnage romanesque que, contrairement à la vulgate le concernant, il présente une analyse dépassant/surpassant les péripéties du système 226et de son créateur. Son propos se situe ailleurs. Il est une contribution à l’histoire des idées, avec l’originalité d’une pensée économique qui n’est pas cantonnée aux seules théories économiques passées voire présentes. Elle est inscrite dans un système de pensées plus large, autrement dit une idéologie, au sens d’une logique des idées. On peut le saluer comme une innovation méthodologique en histoire de la pensée économique. Elle s’était régénérée au cours des années 1980 et 1990 par rapport à ce qu’elle était massivement devenue dans nombre de thèses complémentaires des économistes français de 1900 aux années 1960. Elle est depuis graduellement retombée dans ce qui est trop souvent13 une paraphrase érudite d’auteurs anciens ou le moulinage anachronique de leurs écrits à travers les arguments et modèles de la science économique contemporaine, qui l’avait longtemps caractérisée.
L’approche d’Orain évite notamment une lecture déterministe, commune à la plupart des économistes, et pas seulement, selon laquelle le passé contient en quelque sorte le présent et le futur. Il suffirait de dérouler des « faits » retenus comme des causes et des déterminants pour les inscrire dans une mécanique d’enchainements présentés comme inévitables. Toutefois, Orain n’échappe pas totalement au déterminisme en affirmant, comme on l’a noté, que, si ce n’était pas Law qui en aurait été le principal acteur, un autre projet aurait produit des éléments analogues ; et ce à partir des « conditions » idéologiques et socioéconomiques de l’époque (p. 14). Il est possible de s’appuyer sur un anti-déterminisme plus radical en reprenant la distinction entre à-venir et futur proposée par le philosophe Jacques Derrida14. Elle tient notamment à ce que le futur est alors compris comme un présent décalé dans le temps, que, d’une certaine façon, les « orientations » prolongent et répètent alors que l’à-venir est dominé par l’imprévisible et constitue une projection (terme dans lequel on retrouve pro-jet) vers l’inconnu. Ce que Orain retient par ailleurs de sa lecture des utopies (p. 52) pour comprendre celle du système et de ses commentateurs et promoteurs. L’histoire des idées permet de saisir des conditions tout en ne les transformant pas en nécessités.
227En tant que travail essentiellement sur les représentations, l’ouvrage fournit une analyse précise, érudite et convaincante des stratégies discursives. Outre les nombreuses publications qu’Orain a identifiées comme faisant référence au Système, il s’appuie sur de nombreuses gravures de l’époque. Elles sont analysées de façon telle qu’on y découvre visuellement le système Law, les arguments de ses partisans et ceux de ses opposants ; leurs rêves, désirs, illusions, frayeurs etc. Une limite de cette approche est que les représentations graphiques ou théâtrales, comme les écrits et les discours, sont mis en parallèle, ou sont confrontés, dans l’ignorance de leur poids relatif au sein de l’opinion publique et savante. Il est difficile d’en mesurer la diffusion. On a toutefois un indice de la fortune médiatique de la banqueroute de 1720 lorsque Orain montre (p. 278) un changement opéré au théâtre à partir de cette date dans la représentation du personnage d’Arlequin.
Avec sa méthode, le livre présente une double originalité. La première est de dépasser l’évènementiel pour inscrire, comme on l’a souligné, les récits sur le système de Law dans un temps long (1695-1795) et donc de saisir les idéologies à la fois à travers leurs racines et les éléments qui les ont rendues possibles, ainsi que sa résonnance jusqu’au cœur de la Révolution française. La seconde originalité est son caractère pluridimensionnel puisque, outre les données économiques et financières attendues et les controverses d’auteurs reconnus aujourd’hui comme économistes, la réflexion mobilise la littérature en particulier le théâtre et des récits caricaturaux auxquels se sont livrés de multiples auteurs aujourd’hui tombés dans l’anonymat et des écrivains dont la notoriété est parvenue jusqu’à nous, tels que : Voltaire, Marivaux ou Montesquieu. L’ouvrage n’hésite pas non plus à introduire judicieusement des éléments psychanalytiques (p. 256) pour comprendre les réactions contemporaines et postérieures ; ainsi que pour souligner les pulsions sexuelles que la régence libère après les années lugubres de la fin du long règne du roi soleil, dominée par la dévote Madame de Maintenon.
De la sorte, l’ouvrage nous donne bien à voir certaines grilles de lecture du système Law développées tout au long du xviiie siècle. Ainsi, en va-t-il de la lecture contemporaine morale à laquelle doivent être soumis les prix selon la doctrine catholique qui domine alors les universités et au-delà (Orain, p. 221, 244). Une modernité de Law est ici de heurter cette conception de fondements éthiques à la valeur des biens et services. 228Autre grille argumentaire : sa dimension carnavalesque par l’inversion des situations sociales due aux enrichissements et ruines subites. Modernité donc encore avec ce renversement potentiel de l’ordre social par des mécanismes spéculatifs, liés à une forme d’économie de marché.
Mais cette « modernité » du système de Law n’est-elle pas largement surestimée et ambiguë ; contrairement à ce qu’affirment des lecteurs de l’ouvrage d’Orain, qui l’utilisent comme un miroir dans le contexte actuel largement encore néolibéral15 ?
Pour ce qui est des représentations et des fonctions de la monnaie, sommes-nous en présence d’une pensée « moderne » ? Beaucoup d’opinions en la matière tiennent à ce que Joseph Schumpeter a affirmé dans son Histoire de l’analyse économique, à propos de la pensée de Law et de son système : ils seraient en avance de deux siècles sur leur temps en ayant perçu le rôle essentiel de la monnaie et de la finance dans le développement économique (Schumpeter repris par exemple par Vuillemey, 2015). On peut affirmer au contraire que cette prétendue modernité a dans la dynamique des idées (et donc des auteurs classiques à venir et du développement capitaliste) un caractère dépassé.
Pour ce qui est de la monnaie, la modernité est dans l’idée d’une suppression de la distinction unité de compte/moyen de paiement et d’une substitution d’une monnaie papier ou d’un papier monnaie (Courbis, Froment & Servet, 1991) aux métaux précieux quoique l’innovation puisse apparaître là encore toute relative. Car, pour ce qui est des pratiques, cette émission n’est pas totalement innovante en Europe si l’on se réfère aux spéculations des marchands-banquiers italiens du xvie siècle grâce à des lettres de change et à l’émission de billets de banque en Angleterre au xviie siècle (Marx, 1980), tout comme aux Pays-Bas, en Suède ou en Écosse.
Si la proposition de John Law de transformer l’organisation économique, sociale et politique par un vecteur monétaire peut être considérée comme anticipant l’action contemporaine sur la société de la financiarisation néolibérale, ses idées peuvent en ce domaine tout aussi bien être considérées comme étant conformes en leur temps à une idéologie alors dominante, 229voire passéiste. Elle peut être jugée démodée si l’on inscrit sa vision et celle de ceux qui le soutiennent en continuité avec le rôle politico-économique de la monnaie dans les écrits de ceux que l’on désigne communément, notamment à la suite de Smith, comme « mercantilistes ». Le sous-jacent de la pensée mercantiliste en matière monétaire était via la nature des métaux précieux : l’alchimie et l’astronomie. Orain relève certaines de ces analogies (p. 175, 193-200, 249). Ces clefs de lecture sont dans les textes de l’époque tellement communes aux yeux des contemporains qu’elles peuvent rester implicites en portant leur discours (Servet, 1979). Telle est la force d’une idéologie (une logique des idées) dominante…
L’absence de modernité du système de Law ainsi que des arguments contemporains de ceux qui le soutiennent comme de ceux qui le critiquent est difficilement contestable pour ce qui est du champ monétaire. Ils ignorent la relation monnaie/valeur, au sens où Smith ou Turgot l’initieront. Ce sera un demi-siècle plus tard avec l’émergence de théories de la valeur travail, utilité ou rareté. Avant cette innovation théorique constitutive de l’économie classique, Richard Cantillon tout comme les Physiocrates ont besoin de la monnaie pour faire fonctionner leur modèle respectif car ils ne raisonnent pas en valeur. Le système de Law se situe aussi en continuité avec cette vision passée de la monnaie. On peut s’étonner qu’Orain ne pose pas cette question alors qu’il a soutenu en 2004 à l’université Paris 1 sous la direction d’André Lapidus une thèse de doctorat intitulée : Choix individuels, morale et théorie de la valeur dans l’œuvre de l’abbé de Condillac (1714-1780).
Et peut-on parler de modernité à propos du rêve colonial ? Les illusions sur les potentialités de la Louisiane ne sont-elles pas une transposition de la colonisation européenne du Mexique ou du Pérou. Or, il y a alors deux siècles que les métaux précieux ont commencé à affluer vers l’Europe depuis ce qui devient l’Amérique latine. Et il y a un siècle que les premiers esclaves ont été déportés d’Afrique vers ce qui deviendra les États-Unis. Y-a-t-il vraiment modernité à proposer de développer, via les compagnies de commerce que le système de Law englobe, la traite négrière alors que au siècle des Lumières (et au-delà) la modernité est du côté du combat pour son abolition ?
Venons-en maintenant à un des éléments essentiels de l’ouvrage : l’articulation du projet à l’État pour changer la société. Selon, Orain (p. 170) :
230Le projet est une alternative à la société hiérarchique fondée sur les états, l’impôt, l’honneur, le crédit comme relation interindividuelle. Sa vocation totalisante fait tenir la société en un corps d’une nature nouvelle, qui parvient à faire ce que la monarchie ne sait pas faire, à savoir réunir toutes les volontés vers un but commun, la prospérité matérielle.
Orain présente le système de Law comme étant, dans sa globalité, un projet de refondation du système militaro-fiscal incarnant alors la royauté française. Ce projet justifie le titre de l’ouvrage La Politique du merveilleux16. Mais on peut le lire comme un aboutissement du mercantilisme sous la forme d’un monopole, comme il l’affirme d’ailleurs dans un article postérieur à la publication de l’ouvrage (Orain, 2019).
Il y a bien chez certains adversaires du système la dénonciation d’une transgression des ordres d’Ancien Régime par l’argent. Ce serait donc a contrario la preuve de sa modernité. Mais la vénalité des offices n’avait-elle pas déjà développé une noblesse qui pouvait être opposée à la noblesse d’extraction. L’immédiateté des changements grâce à ce qui s’apparente à une loterie constitue la nouveauté introduite par les spéculations du système de Law. Mais une fraction des nobles n’étaient-ils pas, eux aussi, des parvenus dont la fortune leur avait permis d’accéder à un ordre supérieur dans la hiérarchie d’Ancien Régime. Les structures de cet ordre hiérarchique, avec ses préséances, ses distinctions, etc. auraient-elles été changées par la substitution de maîtres par d’autres et par une prospérité répandue ? N’en auraient-ils pas, plus ou moins vite, acquis les rites de politesse que la Révolution dénoncera17. Aurait-on cessé de payer des impôts puisque la Compagnie de Law était chargée de les recevoir ? Une société hiérarchique, qui n’a pas que des fondements économiques, cesse-t-elle de l’être parce qu’on change les titulaires de ceux qui occupent pour les uns le haut et pour les autres le bas d’une pyramide sociale ? En quoi le système mettait-il en cause l’organisation 231de l’agriculture dans les grands domaines ou le fonctionnement interne et externe des corporations18 ? La situation des masses paysannes et artisanales pauvres, la faible productivité de l’agriculture, la lenteur des transports pouvaient-elles être transformées par une révolution financière ? Ceux et celles qui semblent aujourd’hui le penser en rendant ainsi compte de l’ouvrage d’Orain ne sont-ils pas des victimes idéologiques séduites par les phantasmes néolibéraux sur le pouvoir de la finance et de la monnaie. S’agissait-il vraiment à travers cette opération financière d’une tentative de transformation radicale de la monarchie française ? N’était-ce pas pour partie un aboutissement potentiel de celle-ci si l’on intègre, comme le fait Orain, son recours à l’État ? Lorsqu’ils font référence à l’intervention publique dans les sociétés d’Ancien Régime la plupart des lecteurs actuels oublient le rôle des corporations car ils ignorent ou semblent ignorer leurs missions complexes dans les rapports État/marché/société civile. Du point de vue d’une organisation corporative de la production et des échanges, le système de Law était-il vraiment, en tant que proposition de l’étatisation de l’économie, totalement inédite ? L’intervention publique à des niveaux nationaux mais aussi globaux était omniprésente (et c’est précisément contre celle-ci que les libéraux tels Turgot ou Smith lutteront ; une vision du marché à laquelle se sont opposés précisément les défenseurs du système de Law au cours du xviiie siècle. Si l’on doit inscrire le système de Law par rapport à la transformation des corporations n’est-ce pas une innovation limitée ? Car il y a longtemps que le pouvoir central exerçait un contrôle croissant de celles-ci, et cela s’était renforcé au xviie siècle. Les privilèges accordés aux compagnies maritimes étaient aussi un élément de cet interventionnisme. Les relations du système de Law avec l’État peuvent être vues, non comme une innovation majeure qui préfigurerait la modernité de la grande transformation du xxe siècle et du retour actuel d’un interventionnisme post néolibéral, mais constituer un prolongement du passé mercantiliste à travers lequel la royauté a voulu soumettre la société, et ce bien avant le début du xviiie siècle. Orain par sa contribution a le mérite d’apporter des éléments précieux pour ce débat d’idées sur les ambiguïtés de l’ancien et du moderne. J’ai désigné l’ascension et la chute du système de Law comme un événement. Le propre d’un événement est bien d’être sans cesse pensé et repensé.
232L’ouvrage est une recherche érudite. En atteste son index des 562 auteurs et personnages cités ; bien utile pour de futurs chercheurs et au-delà même de son objet direct. On peut toutefois relever d’une part l’absence de référence aux travaux de Laurence Fontaine sur les circuits de crédit des xviie et xviiie siècle ou à ceux de Jean-Marie Thiveaud sur les utopies et systèmes financiers du xviiie siècle, et en particulier sur le système Law, publiés notamment dans la Revue d’économie financière ; ne serait-ce que pour les critiquer en cas de désaccords avec leurs interprétations respectives. Et d’autre part, vu la richesse et l’originalité de l’ouvrage, on ne peut que regretter aussi l’absence d’un index thématique. Espérons qu’une réédition le rendra possible. Par son objet et sa méthode, cet ouvrage mérite de faire date non seulement à propos du système de Law mais plus généralement sur les modes de pensée en Europe de la fin du xviie à celle du xviiie siècle.
233Bibliographie
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1 Je remercie Arnaud Orain ainsi que Jean-François Bayard, Jean Cartelier, Pierre Dockès, Ramón Tortajada et André Tiran pour les échanges que nous avons eus au cours de la rédaction de ce compte-rendu.
2 Signalons parmi les précédents travaux qu’il a co-dirigés : Les voies de la richesse ? La physiocratie en question (1760-1850) publié en 2017 avec Gérard Klotz et Philippe Minard ; « Antiphysiocratic Perspectives in eighteenth-century France », avec Muriel Dal-Pont Legrand et Gilbert Faccarello en 2015 ; ainsi qu’un ouvrage consacré avec Philippe Le Pichon à Graslin (2008).
3 Le terme est déjà employé par Lhomme en 1935 dans son compte-rendu des œuvres complètes de John Law éditées par Harsin en 1934. Il relève : « la trace profonde laissée dans l’esprit du public par les évènements 1716-1720 » (p. 248).
4 J’ai repris en partie pour titre de ce compte-rendu celui du mémoire d’Alain Thoumas (1994) ; une recherche réalisée dans le cadre du programme Finance, éthique, confiance développé au Centre Walras (université Lyon 2/MSH/CNRS) avec le soutien de la CDC et en particulier de son conseiller historique Jean-Marie Thiveaud. Thoumas a distingué dans la période post 1720 la « mémoire effacée » et la « mémoire manipulée ». Les analyses qu’il avait menées sur les dimensions proprement monétaires du système Law demeurent tout à fait pertinentes. Elles ne sont qu’effleurées par Orain.
5 Voir l’excellente analyse que lui a consacrée Kaplan, 2001.
6 Ceux que l’on peut alors qualifier, dans le contexte politique de l’époque, d’économistes de gauche soutiennent Law. Rist (1938, p. 21) fait référence à : « l’étude sympathique qu’Olinde Rodriguez lui a consacrée en 1827 dans la revue saint-simonienne Le Producteur ». Sur l’approche positive de John Law par les saint-simoniens, voir Benausse (2003, chap. 2, section III).
7 Il écrit dans son Traité d’économie politique : « C’est-à-tort que les maux causés par ce que nous appelons le système sont mis sur le compte de Law. Cet homme n’avait pas de fausses notions des monnaies » 1èreà la 4e édition p. 506 « Les commencements du système de Law, sous la Régence, furent brillants » (5 et 6e édition. p. 505).
8 Il désigne « le projet de banque et de courtage » de Law comme « le plus extravagant peut-être que le monde ait jamais connu », Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, Livre II, chap. 2, 2000, tome 1 p. 327. Sur les opinions diverses de ces économistes, on lira encore aujourd’hui avec intérêt Rist, 1938, p. 20 sq.
9 À partir du 22 février 1720, les billets n’ont plus été libellés en écus (correspondant à une pièce) mais en livres (l’unité de compte). Une telle mesure avait déjà été adoptée en 1577 en France. Mais dès 1602 elle avait été abandonnée. Voir Jérôme Blanc (2011).
10 Voir Jean-Pierre Rissoan, 6 février 2018 [http://www.jprissoan-histoirepolitique.com/la-vie-de-l-esprit/critiques-de-films/quelafetecommencetavernier1975] consulté le 16 avril 2018.
11 Voir un article paru dans Le Devoir le 3 août 2019 [https://www.ledevoir.com/societe/559977/la-legende-noire-de-john-law] consulté le 13 mars 2020.
12 Voir par exemple parmi les publications récentes : Buat, 2015 ; un ouvrage rédigé par le conservateur en chef des Archives de Paris.
13 Mais pas toujours comme le prouve l’excellente lecture critique que Jean Cartelier a fait de l’ouvrage de Orain dans les Cahiers d’économie politique (2019).
14 Parmi les multiples contributions autour de ce concept s’inscrivant dans la perspective déconstructiviste du philosophe, voir Mallet, 2004.
15 Jean-François Bayard a eu la pertinence d’être un des premiers à voir l’intérêt de l’ouvrage d’Orain pour les sciences sociales, et en particulier pour la sociologie politique, tout en soulignant certaines limites de cet exercice critique. Il affirme dans Médiapart (15 février 2019) que le livre « apparaît fondamental pour comprendre le capitalisme financier contemporain et ses crises ».
16 Le merveilleux est alors un genre qui mêle fiction et science, sérieux et ludique, une utilisation du fantastique pour parler de choses… sérieuses. Orain y fait référence p. 19 et 20. Le merveilleux avait donné lieu en France à une querelle littéraire vers 1674-1675 désignée comme la querelle du merveilleux, à laquelle notamment La Fontaine pris part (Kohn, 1974). Cette querelle précède celle entre les Anciens et les Modernes, que le titre du présent compte rendu évoque.
17 Rouvillois, 2006 a analysé la rupture introduite par la Révolution française en matière de politesse par rapport à ses formes anciennes, notamment par l’imposition du tutoiement et du titre de citoyen/citoyenne. Napoléon a re-légitimé des usages d’Ancien Régime et avec eux introduit ce que l’on a désigné comme un âge d’or de la politesse bourgeoise.
18 D’autres utopies de l’époque ont proposé des changements radicaux touchant directement à la production, comme le montre Orain, p. 71 sq.
- CLIL theme: 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
- ISBN: 978-2-406-10602-9
- EAN: 9782406106029
- ISSN: 2495-8670
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-10602-9.p.0219
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 05-27-2020
- Periodicity: Biannual
- Language: French