Grotius Property Right and Necessity Right The Philosophical Foundations ot the Social State
- Publication type: Journal article
- Journal: Revue d'histoire de la pensée économique
2019 – 2, n° 8. varia - Author: Spitz (Jean-Fabien)
- Pages: 125 to 151
- Journal: Journal of the History of Economic Thought
Droit de propriété
et droit de nécessité chez Grotius
Les fondements philosophiques de l’État social
Jean-Fabien Spitz
Université Paris 1-Sorbonne
La distinction entre justice et charité est une tradition intellectuelle solidement établie dans la philosophie politique occidentale1. Elle repose sur une séparation nette entre d’un côté les devoirs de justice qui sont rigoureusement dus, à l’accomplissement desquels la loi civile est habilitée à contraindre, et dont elle peut sanctionner la violation, et de l’autre les devoirs de bienfaisance qui relèvent de la loi de l’amour, pour lesquels il est impossible de faire appel à la contrainte légale sans en pervertir la nature, et dont l’omission n’est pas sanctionnable.
Cette différence entre justice et charité est également au principe de deux autres distinctions qui jouent un rôle essentiel dans la réflexion politique contemporaine.
Tout d’abord celle qui oppose la justice explétrice ou corrective à la justice distributive ou attributive. La première réprime la violation des devoirs stricts, en l’espèce les atteintes à la personne et à la propriété, ainsi que la violation des contrats. La seconde s’efforce de dire ce qui revient à chacun, la part de ressources en fonction de la nature des personnes, de leurs mérites ou de leurs besoins mais non en fonction des caractéristiques de leurs actions. Là encore, une importante part de la réflexion politique occidentale affirme que la contrainte ne peut venir qu’à l’appui de la justice explétrice et non de la justice attributive : il appartient à la loi – c’est une constante de la philosophie libérale – de 126veiller au respect des devoirs de la justice corrective et d’en corriger les violations en punissant ou en imposant des réparations, mais il ne lui appartient pas de spéculer sur ce qui devrait revenir aux personnes en fonction de ce qu’elles sont, de leur situation, de leur valeur, car cette réflexion mélangerait indûment la politique et la morale. Et surtout, il n’appartient pas à l’État de mettre sa force de contrainte au service de la promotion d’une organisation sociale qui satisferait aux exigences de cette justice distributive.
Une autre distinction qui peut aisément être perçue comme un héritage de l’opposition entre la justice et la charité est celle qui sépare les droits négatifs des droits positifs, dits droits de seconde génération ou droits sociaux. Il y a ainsi une claire distinction entre le droit négatif de ne pas être agressé, privé de ses biens ou privé de nos attentes légitimes en matière de contrats, et le droit positif à un travail, à la santé, à l’éducation ou à un logement. Non seulement il existe une claire distinction entre les deux choses mais comme il n’est pas possible de garantir à certains l’accès à un emploi, à un logement, à des soins, ou à une éducation, sans prélever pour cela sur la propriété des autres, les deux types de droits sont en contradiction et non pas en continuité les uns avec les autres. Prétendre appliquer les principes d’une justice distributive par les voies de la contrainte légale aurait pour conséquence une violation des règles de la justice corrective réputées constitutives de la société elle-même.
L’objet de cet article est de tenter de comprendre s’il est possible d’attribuer au grand jurisconsulte du xviie siècle une théorie qui réduit dans ce sens la justice au respect des droits exclusifs dont chacun doit disposer sur sa vie, sa liberté et ses biens. Grotius a en effet distingué entre justice explétrice et justice attributive, ainsi qu’entre des droits et des devoirs parfaits d’un côté et des droits et devoirs imparfaits de l’autre. Il a aussi avancé l’idée que la contrainte légale ne pouvait venir qu’à l’appui des devoirs de la justice explétrice et que ceux de la justice distributive devaient relever non de la contrainte mais de la bienveillance, de la bonne volonté, de la loi de l’amour ou de la charité. Il a enfin posé le principe qui affirme que si les devoirs de la bienveillance devenaient des devoirs légaux applicables par la contrainte, ils perdraient leur qualité morale.
Mais la question est de savoir si son système conceptuel reconnaît l’existence d’un droit à la vie et aux choses qui lui sont nécessaires 127comme un droit parfait qui ne peut être non-satisfait sans qu’une injustice au sens strict soit commise ? Ou encore, la question est de savoir si ceux qui ne disposent pas de moyens suffisants pour préserver leur vie subissent une injustice lorsque la société comprend des moyens suffisants pour assurer la préservation de tous ? Si cette injustice existe, par qui est-elle commise ? Ceux qui la commettent peuvent-ils être sanctionnés ? Peuvent-ils être contraints de céder une part de leurs ressources à ceux qui en sont entièrement dépourvus ? Cette obligation légale constituerait-elle une atteinte au droit exclusif de propriété ? L’individu humain a-t-il le droit à ce qui est nécessaire à la préservation de sa vie en sorte qu’il puisse l’exiger et qu’il soit légitime d’organiser un système légal qui contraigne au respect de ce droit, ou bien peut-il être légitimement mis dans une situation où la préservation de sa vie dépendrait de la bonne volonté d’autrui ?
Comme on va tenter de le montrer, le grand jurisconsulte hollandais a bâti un système conceptuel qui place ce droit à la préservation de la vie en son centre. Il en tire la conclusion que le droit exclusif de propriété n’est valide et n’impose une obligation stricte de respect que lorsque l’objet en vue duquel il a été institué – à savoir la préservation de tous – est atteint. Le transfert du superflu à ceux qui sont dans l’incapacité de préserver leur vie d’une autre manière ne relève donc pas de la charité mais d’une obligation stricte de justice et, faute de tels transferts, le droit de propriété comme droit d’exclure s’efface. Il est dès lors exact que Grotius réduit les obligations légales aux obligations de la justice explétrice – maintenir chacun dans la propriété de ce qui est sien – mais il apparaît que la justice explétrice inclut pour lui un droit fondamental sur les choses nécessaires à la préservation. Ce dont chacun a besoin pour cela lui appartient de droit et il ne peut sans injustice être empêché d’y avoir accès. Toute organisation sociale qui ne ménage pas un tel accès est illégitime.
L’argumentation par laquelle Grotius aboutit à l’idée que l’assistance pourrait être une obligation stricte de justice et que son omission pourrait être légalement sanctionnable est donc très riche d’enseignements sur le statut du droit de propriété comme droit d’exclure dans une société de liberté individuelle. Grotius établit en effet qu’un droit absolument exclusif ne peut jamais être légitime de manière inconditionnelle et que, en présence du besoin de préservation et d’une non-satisfaction du 128droit à la vie, l’exercice d’un tel droit d’appropriation – s’il s’exerce sur le superflu – devient injuste et doit céder au droit inclusif dont il est en réalité une transformation. On peut alors établir que, sans un droit préalable à prendre ce qui nous est indispensable – droit dont il n’est pas possible de dire que certains sont exclus ou peuvent être empêchés de l’exercer effectivement sans nier l’égalité morale – il est impossible de légitimer la constitution et le maintien de propriétés séparées ou exclusives. Non seulement chacun a droit de prendre ce dont il a besoin dans les ressources conférées à tous en commun, mais ce droit reçoit le statut d’un accès effectif par le biais de l’idée que toute action des tiers qui aurait pour conséquence directe ou indirecte d’en entraver l’exercice est une injustice qui peut légitimement être sanctionnée. Lorsque l’accès effectif est devenu impossible parce que tout est approprié, un propriétaire qui retient son superflu au lieu de le communiquer à ceux qui en ont un besoin absolu se conduit donc de manière injuste ; il peut et doit être contraint par la loi.
I. la théorie de la propriété :
le sens de la communauté initiale
Comment Grotius résout-il la question du devoir d’assistance et des limites de la propriété ? Pour résoudre cette question, il faut commencer par énoncer sa théorie de la formation du droit exclusif de propriété.
Dans le Mare liberum, Grotius définit le sens moderne des mots « commun » (communio) et « propriété » (dominium). On entend aujourd’hui par propriété, dit-il, ce qui appartient à une personne particulière à l’exclusion de toutes les autres, donc un droit particulier et défini ou « quelque chose de propre, c’est-à-dire qui est tellement à quelqu’un qu’il ne puisse être à un autre de la même manière2 ». On entend de même aujourd’hui par commun les choses possédées au même titre par plusieurs personnes en même temps et de la même manière. Le commun est donc en réalité une propriété indivise entre plusieurs propriétaires nommément identifiés à l’exclusion de tout autre. Au sens moderne, les 129deux mots – communio et dominium – désignent ainsi des droits exclusifs, des propria, des droits d’exclure, tantôt individuels et tantôt collectifs.
Ce vocabulaire, dit Grotius, est cependant inadapté pour parler de la situation qui prévalait à l’origine, car pour caractériser cette situation, il faudrait dire que les choses étaient communes au sens où elles n’étaient pas privativement la propriété de telle personne à l’exclusion de toute autre, ni de tel ensemble défini de personnes à l’exclusion de tel autre3. Elles n’étaient donc ni appropriées ni communes au sens moderne de ces deux mots, ni appropriées par un seul, ni appropriées par un ensemble déterminé d’individus.
Comment, dès lors, définir leur statut juridique ? La nature, dit Grotius, « n’a pas établi de propriétaires distincts et c’est en ce sens que nous disons que toutes les choses furent communes dans les premiers temps du monde4 ». La nature n’a pas établi non plus de nations distinctes, c’est-à-dire d’ensembles définis d’individus possédant un territoire par indivis. Cette communio au sens d’une absence de dominia propria (donc cette absence de dominium au sens moderne, qu’il soit individuel ou collectif) qui prévalait initialement signifie-t-elle pour autant une absence totale du dominium ou d’un droit, d’une maîtrise sur les choses ? La réponse de Grotius est clairement négative : dans la situation primitive, il existe bien un droit, un dominium, mais au lieu de désigner ce qui appartient à une personne ou à un groupe déterminé à l’exclusion de tous les autres (proprium, ou privative ad alios), il désigne une « faculté d’user sans injustice de la chose commune5 » qui appartient en commun à tous les membres du genre humain, un dominium non proprium en quelque sorte6. Comme dans une copropriété par indivis, chacun a le droit d’utiliser les ressources communes, mais cette communauté 130par indivis inclut l’ensemble des membres du genre humain. Elle n’est donc pas commune au sens contemporain, au sens d’un droit identique attribué sur les mêmes choses à un ensemble défini d’individus, mais au sens où elle attribue un droit identique à un ensemble indéfini d’individus. Comme dans la communio au sens moderne, aucun des individus en question ne possède de dominium propre lui permettant d’exclure les autres membres, mais seulement un droit (facultas) d’usage. Mais à la différence de la communio au sens moderne, le nombre d’individus qui détiennent ce droit n’est pas défini et n’exclut personne, et c’est ce qui fait dire à Grotius que, à ce moment, le dominium est universale et indefinitum7. Il s’agit donc bien d’une communauté « positive » conférant à tous les membres du genre humain un droit d’user dont nul ne peut être exclu sans injustice8.
Grotius confirme cette caractéristique de la communauté primitive en nous disant que les premiers hommes « obtinrent tout en commun » et que « la justice maintenait cette communauté par une inviolable alliance entre eux9 ». Il ne s’agit donc pas d’une situation a-juridique mais d’une communauté régie par une forme de justice qui interdit d’exclure qui que ce soit de l’usage des choses communes, et qui garantit à tous la faculté d’user, en limitant la maîtrise propre (le dominium proprium) de chacun à la seule utilisation présente de ce qu’il a saisi, sans que quiconque puisse avoir un droit quelconque sur ce qu’il n’utilise pas actuellement, et sans que quiconque puisse thésauriser ou accumuler. Nul ne peut donc exclure le droit des autres sinon sur ce qu’il est présentement en train d’utiliser, et seul l’usage effectif autorise la particularisation ou l’appropriation et crée un droit exclusif ou propre, qui est par définition éphémère.
Grotius avance au demeurant explicitement la thèse selon laquelle le dominium, le droit, est présent dans l’état de nature, ce qui exclut toute idée de communauté négative et toute idée selon laquelle les choses sont res nullius au sens où elles n’appartiendraient à personne. Elles ne sont en effet res nullius qu’au sens où elles n’appartiennent pas en propre plus aux uns qu’aux autres, où elles n’appartiennent à personne en particulier à l’exclusion des autres, sauf dans le moment où elles sont 131effectivement utilisées10. Elles sont au contraire le domaine commun de tous les membres du genre humain : « Il y avait bien aussi une sorte de domaine, mais universel et indéfini ; car Dieu n’avait point donné toutes choses à celui-ci ou à celui-là, mais au genre humain ; et en ce sens, rien n’empêchait que plusieurs fussent à la fois et pour ainsi dire en masse, les maîtres (domini) d’une même chose11 ». Un peu plus loin, Grotius dit que les choses communes sont « publiques par le droit des gens » c’est-à-dire qu’elles ne sont pas « publiques » par le droit de tel ou tel peuple et propres à un ensemble de citoyens déterminé à l’exclusion de tous les autres, mais assignées à l’ensemble des hommes pour qu’ils en usent12. Les choses communes sont donc bien l’objet d’un droit inclusif.
Grotius précise en outre que le dominium détenu par l’ensemble des hommes sur l’ensemble des choses de la nature est un droit d’usage. Cet usage « étant le droit de tous, dit-il, ne peut pas plus être arraché à tous par un seul que ce qui m’appartient ne peut m’être enlevé par vous13 ». Il s’agit donc bien d’une forme de propriété, d’un dominium, dont la seule caractéristique est de ne pas être attribuée à une personne à l’exclusion des autres, et l’on pourrait ajouter que, de même que ce droit ne peut être arraché à tous par un seul, il ne peut sans injustice être arraché à un seul par tous ou par quelques uns14. Le droit d’user des choses de la nature n’est pas une simple puissance, une simple possibilité, mais un droit que tout un chacun peut exercer sans injustice et qu’il doit exercer pour se préserver. Or si tous peuvent l’exercer sans injustice, il serait injuste que l’un d’entre eux en soit privé15. Il s’agit bien d’un droit inclusif ou d’une communauté positive16.
132La comparaison classique avec un théâtre, que l’on trouve à la fois chez Cicéron et chez Sénèque, permet de mieux comprendre le statut de cette communauté initiale et de la forme d’appropriation qu’elle permet. Le théâtre – dans l’antiquité – est une propriété publique et chacun a le droit d’y entrer et de s’y asseoir pour assister aux spectacles. Cela signifie que celui qui occupe un siège ne fait qu’exercer son droit (facultas) sans nuire à quiconque (sans commettre d’injustice), et que nul n’a le droit de le contraindre à le quitter pendant tout le temps qu’il l’occupe effectivement. Mais cela signifie aussi que tout citoyen a le droit d’entrer et d’occuper un siège s’il s’en trouve un de libre et qu’aucun citoyen ne peut sans injustice être empêché d’exercer ce droit. Les sièges n’appartiennent cependant en propre à personne au sens moderne de ce mot, et nul ne peut se réserver l’usage de l’un d’entre eux ou interdire à autrui de s’y installer lorsqu’il ne l’occupe pas, pas plus qu’il n’est possible, en principe, de réserver un siège pour une autre personne qui n’est pas physiquement présente. Si un siège est « libre », inoccupé, chacun a le droit de s’y asseoir.
Il est cependant difficile de comprendre pourquoi le spectateur qui est assis ne peut pas être évincé de son siège alors que ce dernier ne lui appartient pas en propre. L’explication de ce paradoxe est cependant très simple. Lorsque le spectateur est assis, les autres ont un devoir naturel (dérivant de la loi naturelle) de ne pas l’empêcher d’exercer son droit et ils doivent aller occuper d’autres sièges s’ils souhaitent assister au spectacle. Cette analyse permet de comprendre que les autres ont une obligation, un devoir de ne pas interférer dans ce que le spectateur est en train de faire (rester assis sur son siège au théâtre) parce que le spectateur a bel et bien un droit sur son siège, droit qu’il détient, aussi longtemps qu’il l’occupe effectivement, du fait qu’il est membre du public qui est propriétaire du théâtre. Le siège ne lui appartient donc pas en propre au sens moderne d’une propriété exclusive prolongée dans le temps, mais il lui appartient en propre au moment où il l’utilise. Ni les langues modernes ni notre système conceptuel actuel, selon Grotius, ne permettent de comprendre cette « propriété » d’un genre spécifique, parce que celle-ci est seulement momentanée et n’exclut pas que d’autres aient la même propriété sur ce même siège à d’autres moments.
L’utilisation des fruits de la terre dans le stade initial antérieur à l’institution de droits exclusifs de propriété est du même ordre. La nature 133et ses productions appartiennent – thèse scholastique classique17 – au genre humain considéré globalement, qui exerce sur elles un dominium commune. En vertu de ce dominium inclusif, chacun a la faculté de prendre ce dont il a besoin et de l’utiliser ou de le consommer, et les autres commettraient une injustice en l’empêchant d’exercer ce droit puisque cela reviendrait à l’exclure – sans aucune justification – du nombre indéterminé de ceux à qui le don initial a été conféré, donc à nier son égalité fondamentale ou son appartenance à l’espèce humaine. L’obligation de non-interférence imposée aux tiers est le corrélat du droit que nous avons d’utiliser la nature et ses fruits pour préserver notre existence ; il serait injuste de nous priver de cet accès à la nature parce que nous agissons justement en utilisant ses fruits.
La comparaison avec le théâtre permet ainsi de comprendre la nature du lien qui existe entre l’individu et les productions de la nature qu’il est actuellement en train de consommer : il exerce son droit sur une chose qui, dans le moment de la consommation, lui appartient en propre, et il serait injuste de la part de ses semblables de l’en empêcher et de l’en priver. En revanche, cette comparaison est inopérante sur deux autres points qui caractérisent la communauté primitive. Tout d’abord, le théâtre est un bien public appartenant à la cité et non au genre humain et le nombre de ceux qui ont le droit d’y entrer et de s’y asseoir est défini. Mais surtout, lorsque toutes les places sont occupées, ceux qui n’ont pas pu entrer ne peuvent faire valoir aucune revendication légitime, parce que l’occupation d’un siège dans le théâtre n’est pas une condition de la préservation de leur existence. En revanche, comme on va le voir, ceux qui, dans la situation de communauté initiale, seraient mis hors d’état d’exercer leur droit, soit parce qu’ils en sont empêchés par d’autres soit, ce qui revient au même, parce que les appropriations réalisées antérieurement par les autres ne leur laissent plus rien à prendre, pourraient élever une revendication légitime parce que leur préservation dépend de l’exercice de ce droit. Ceux qui les empêcheraient activement ou passivement de l’exercer leur devraient donc une compensation, un équivalent de ce qu’ils pourraient se procurer par l’exercice direct de leur droit.
134Cette matrice conceptuelle – le monde est initialement un dominium commune – fonde l’idée selon laquelle, une fois constitués, les droits exclusifs deviendraient injustes et illégitimes si, précisément, ils avaient pour conséquence d’empêcher certains d’accéder aux biens naturels et de les utiliser pour se préserver. Comme on va le voir, c’est cette hypothèse que Grotius explore dans son analyse du droit de nécessité, et c’est elle qui explique que, pour lui, la légitimité du droit exclusif de propriété soit subordonnée à sa compatibilité avec la possibilité pour tous de préserver leur existence. La conséquence est que ce droit ne peut pas être le droit absolu que Pufendorf et bien d’autres après lui veulent concevoir comme la seule acception possible de la propriété.
II. De la communauté initiale
à l’appropriation privée
Grotius affirme que, en raison de la multiplication des hommes et du développement de leurs passions, la communauté positive ne peut pas constituer un état durable, une organisation pratique de l’usage des choses naturelles, et qu’il convient, en raison des avantages matériels que cela présente en termes de survie du genre humain, de transformer cette communauté inclusive initiale en un ensemble de droits exclusifs. L’objet d’une telle transformation est clairement d’améliorer les perspectives de préservation et de jouissance de l’ensemble des membres du genre humain, et nous verrons plus loin que Grotius utilise cette définition de l’intention ayant présidé à la convention instituant les droits exclusifs pour souligner le caractère inclusif du droit initial et montrer que la convention doit – pour conserver sa légitimité – préserver cette inclusivité et maintenir l’égal droit d’accès qu’elle confère à tous.
Grotius montre que ce partage a pour point de départ une occupation par laquelle des individus prennent plus que ce qu’ils peuvent directement utiliser dans l’état de nature. Une telle conduite n’est pas injuste si elle laisse aux autres de quoi prendre ce dont ils ont besoin, mais ce surplus ne peut demeurer leur propriété s’ils n’ont 135pas constamment la main dessus. Ils n’ont pas non plus le droit d’en obtenir restitution si un autre s’en empare pendant qu’ils n’ont pas la main dessus et, en ce sens, cette occupation commence un droit mais ne peut pas l’achever. Pour l’achever et le constituer de manière définitive, et donc pour créer une obligation de respect chez les autres sur ce que nous n’utilisons pas actuellement, il faut une convention qui reconnaît qu’une telle disposition est avantageuse à tous parce que le droit d’exclure les autres de notre surplus fait que la production de ce dernier devient possible, accroissant par là même la somme totale des objets dont les membres du genre humain peuvent jouir. Le partage – qui a pu débuter de manière tacite par la simple occupation – ne peut donc s’achever que par une authentique partitio ou distributio conventionnelle par laquelle les ex-copropriétaires se partagent ce qui était auparavant commun18.
Lorsqu’il analyse les motifs qui ont déterminé l’abandon de la communauté initiale et le partage des biens de la terre en parts privatives et exclusives, Grotius retient deux idées imbriquées l’une dans l’autre. La première est que les hommes ont désiré mener une vie plus commode et compris que, pour cela, il serait judicieux de travailler à produire des biens en plus grande abondance au lieu de se contenter de vivre de chasse et de cueillette. Ce passage au travail entraîne immanquablement une division des tâches, l’un s’employant à ceci et l’autre à cela. Dans cette situation, la communauté initiale ne peut pas subsister car elle supposerait une mise en commun des produits du travail suivie d’un partage entre tous, chose impraticable qui aurait nécessité de transporter les produits vers un lieu unique avant de les répartir à nouveau. La seconde idée est que ce stade est marqué par ce que Grotius appelle le manque d’équité et d’amitié, où toute tentative pour mettre le travail et ses produits en commun est l’occasion de querelles interminables. Le partage (distributio19) paraît donc préférable20.
Un tel partage est cependant bien motivé par les avantages que représente la propriété exclusive par rapport à la propriété commune ou inclusive et il va de soi, selon Grotius, que la convention qui permet de passer de celle-ci à celle-là est toujours assortie d’une réserve implicite 136selon laquelle ces avantages seront effectivement présents21. On va voir quelles sont les conséquences – considérables – de cette réserve.
Une fois que les droits de propriété sont constitués, leur respect strict devient une partie essentielle de ce que Grotius appelle la justice explétrice et il devient possible de mieux comprendre la distinction entre le droit parfait – objet de la justice explétrice – et le droit imparfait – objet de la justice attributive.
Au chapitre 1 du livre I du De Jure, Grotius propose en effet une définition générique du droit comme « qualité morale attachée à la personne, en vertu de quoi on peut légitimement avoir ou faire certaines choses » et il précise que ce droit peut être parfait ou imparfait.
Le droit parfait désigne une faculté en acte qui permet d’exiger la possession de certaines choses ou la possibilité d’accomplir certaines actions sans entrave ni atteinte de la part des autres. Toute entrave ou tentative d’empêcher quiconque d’exercer un tel droit parfait est une injustice ; celui qui en est victime peut légitimement tenter de la punir, ou faire appel à la loi civile, lorsqu’elle est disponible, pour la sanctionner ou la prévenir. Ce droit parfait se décline en pouvoir, propriété, et faculté d’exiger ce qui est dû. Le pouvoir que chacun détient sur son propre corps et sur ses propres membres ainsi que la faculté d’en user et de les faire mouvoir selon son propre jugement s’appelle liberté. La propriété, quant à elle, est le droit exclusif d’user et d’abuser de ce qui nous appartient, tandis que la faculté d’exiger ce qui est dû par autrui désigne « l’obligation où les autres sont de rendre ce qu’ils doivent ou de souffrir qu’on l’exige d’eux22 ».
Le droit imparfait désigne de son côté non pas une faculté mais une simple aptitude, une capacité, ce qui signifie que les choses ne sont pas dues en vertu d’un droit rigoureux mais qu’il est possible de les recevoir en vertu de ce droit imparfait. De même certaines actions ne sont pas telles que les autres ont une obligation stricte de ne pas empêcher le titulaire du droit imparfait de l’accomplir mais seulement qu’ils peuvent ou doivent moralement lui concéder volontairement la possibilité de l’accomplir. Les critères en vertu desquels un individu se verra concéder 137certaines choses ou le droit d’accomplir certaines actions qui ne lui sont pas dues à la rigueur sont le mérite, le besoin et la dignité.
Suivant en cela une longue tradition, Grotius dit que les droits parfaits sont l’objet de la justice explétrice tandis que les droits imparfaits sont l’objet de la justice distributive. Dans le Discours préliminaire du Droit de la guerre et de la paix, il énonce les règles de la justice explétrice de la manière suivante : « Qu’il faut s’abstenir religieusement du bien d’autrui et restituer ce que l’on peut en avoir entre les mains ou le profit qu’on en a tiré ; que l’on est obligé de tenir sa parole ; que l’on doit réparer le dommage que l’on a causé par sa faute, et que toute violation de ces règles mérite punition, même de la part des hommes23 ». Il affirme en outre que le respect de ces règles est la condition nécessaire et constitutive de la société ; sans ce respect, les hommes ne pourraient pas vivre ensemble de manière paisible. Quant à la justice distributive ou attributive, elle désigne la pratique des vertus qui tendent uniquement au bien et à l’avantage d’autrui. Il s’agit donc d’une justice qui consiste à identifier ce à quoi les hommes ont droit au sens de ce qu’ils devraient recevoir en vertu de leurs qualités, de leur mérite et de leur dignité et Grotius entend dire ici que le respect de ce droit à recevoir certaines choses ou à se voir concéder la possibilité de faire certaines actions n’est pas une condition nécessaire de l’existence sociale, mais seulement une condition de sa qualité morale, et qu’il n’appartient donc pas à la société de recourir à l’usage de la contrainte pour imposer ce respect. Il ne repose que sur les dispositions volontaires des hommes et ceux qui s’y conforment gagnent l’estime et la reconnaissance de leurs concitoyens.
La question qui se pose ici est de situer dans ce tableau des droits le droit originel d’user des ressources de la nature conféré par Dieu à chacun des membres du genre humain. S’agit-il d’un droit parfait sur ce dont nous avons besoin ou d’un droit imparfait à ce que la bonne volonté des autres nous en concède l’usage ? Sa violation par autrui est-elle injuste au sens strict ou seulement moralement condamnable comme le serait par exemple le fait de ne pas témoigner de gratitude à ceux qui nous ont comblés de bienfaits, ou le fait de ne pas choisir, pour un poste quelconque, la personne qui le mérite le plus ?
138La réponse ne fait aucun doute : pour Grotius, le droit d’user est une forme de souveraineté, un droit actif si l’on veut, par lequel chacun a la faculté (facultas) juridiquement établie de prendre ce dont il a besoin, et d’exercer sur cette chose une souveraineté pendant qu’il la détient physiquement et qu’il la consomme. Aucune permission ni concession de la bonne volonté d’autrui n’est nécessaire pour ces actions de prendre, de détenir et de consommer24. Le droit d’user, dans la situation originelle, doit donc être conçu comme un droit parfait détenu en vertu de la loi naturelle et qui donne à chacun la faculté de prendre et d’exiger que les autres s’abstiennent de faire obstacle à cette action. Il est clair que les autres agissent de manière injuste, au sens rigoureux du terme, s’ils empêchent l’un des membres de l’espèce de prendre dans la nature ce dont il a besoin ; et il est tout aussi clair que, avant toute institution, il ne dépend pas de la bonne volonté de quiconque de nous permettre ou de ne pas nous permettre d’exercer ce droit, et que ceux qui nous empêchent ne se contentent pas de violer les devoirs de la charité. Empêcher autrui d’exercer effectivement ce droit est bel et bien une action intrinsèquement injuste, illicite qui viole les droits d’autrui, et qui, pour cette raison, est défendue par Dieu25.
Au demeurant, un tel droit serait sanctionnable dans la situation initiale car celui à qui on tenterait d’interdire l’accès aux choses naturelles pour les utiliser aurait incontestablement le droit de s’ouvrir un tel accès par la force s’il le peut, chose que, bien entendu, aucun des droits passifs de la justice distributive n’autorise, car nul ne peut contraindre autrui à manifester de la gratitude pour les bienfaits reçus et le candidat le plus digne d’avoir le poste ne peut l’occuper par force s’il en a été écarté. Le droit d’user, en ce sens, est bien un droit actif, non pas un droit de recevoir des mains d’autrui, mais un authentique pouvoir souverain sur la chose dans le moment de la prise effective et de la consommation, et la question qui se pose dans l’état de nature est moins celle de l’existence de cette souveraineté que celle de sa mutation en un droit permanent, un droit qui ne cesse pas au moment où la chose est consommée ou au moment où elle n’est plus physiquement en notre possession26.
139On doit enfin remarquer que, dans l’état de nature, il existe, outre le droit parfait de prendre ce dont nous avons besoin – droit dont l’exercice ne dépend pas de la bienveillance des autres – un droit imparfait d’être assisté par les autres, droit dont la réalité est subordonnée à leur bonne volonté et qu’ils peuvent s’abstenir de respecter sans être injustes au sens rigoureux du terme. De même, dans la condition civile résultant de la convention, il existe à côté du droit parfait sur les choses qui nous appartiennent en propre, en y comprenant celles qui nous sont absolument indispensables, un devoir de bienveillance et de charité qui, là encore, dépend de la bonne volonté et ne peut pas ne pas en dépendre sans perdre son caractère moral et méritoire.
Grotius affirme donc bien qu’il existe un droit actif de prendre ce dont nous avons besoin dans la situation initiale. Ce droit parfait, auquel nul ne peut faire obstacle sans injustice, ne peut cependant s’exercer durablement sans conflits parmi des hommes qui ne sont pas unis par des liens de parfaite amitié, dont le nombre va croissant, et qui ressentent le besoin de travailler pour augmenter les commodités dont ils jouissent. C’est pourquoi il a, par convention, été changé dans sa forme pour devenir non plus un droit parfait de prendre ce dont nous avons besoin (le dominium indefinitum dont la langue moderne est incapable d’exprimer le sens) mais un droit parfait sur la part des ressources naturelles allouée à chacun en propriété exclusive (le dominium proprium des langues modernes). La question des obligations incombant aux propriétaires exclusifs en matière d’assistance à ceux qui sont démunis ne porte donc pas sur le point de savoir si, face à une situation de nécessité, la charité devient une obligation légale et cesse de relever de la loi de l’amour pour relever de la loi de justice. Elle porte au contraire sur la manière dont le droit actif de prendre ce dont nous avons besoin demeure valide au sein de sa transformation en droits exclusifs.
Comme on va le voir en étudiant le droit de nécessité, la réponse de Grotius est que, précisément, le droit actif initial n’a pas disparu. Il a seulement changé de forme pour des raisons pragmatiques (cette transformation est plus avantageuse) mais ce changement de forme est ipso facto annulé lorsque les avantages que l’on en attendait n’existent plus. L’opposition essentielle n’est donc pas entre la justice et la charité mais entre les deux modalités de la justice : respecter le droit inclusif de chacun à prendre ce dont il a besoin – c’est le dominium indefinitum –, 140ou respecter le droit de chacun sur ce qui, par convention, lui a été reconnu comme un dominium proprium, un droit exclusif ? Il va de soi que le respect des droits exclusifs n’est une modalité de la justice que si ces droits sont eux-mêmes exercés justement et le critère de l’exercice juste du droit exclusif se trouve dans la forme initiale de l’exercice juste du droit inclusif dont il est la transformation. Or, dans la situation initiale, nous n’exerçons justement notre droit à prendre que si nous nous abstenons d’interférer dans l’exercice du droit à prendre des autres. La conséquence est que les droits exclusifs ne sont justes que s’ils sont compatibles avec l’équivalent du droit initial de chacun de prendre dans la nature ce dont il a besoin pour préserver son existence, c’est-à-dire seulement lorsqu’aucun individu ne se trouve privé de tout moyen de préserver son existence. C’est cette thèse qu’établit Grotius en analysant ce qu’il appelle le droit de nécessité et elle atteste qu’aucun droit exclusif de propriété n’est possible sans condition, ou plutôt que tout droit exclusif ne peut tirer sa légitimité – du point de vue des obligations parfaites de respect qu’il impose aux tiers – que de sa capacité à donner réalité au droit inclusif de tous. N’étant que la forme optimale choisie par les hommes pour donner réalité au droit inclusif initial, les droits exclusifs de propriété ne peuvent sans contradiction être opposables à ce dernier.
III. Grotius et le « droit de nécessité »
Une fois que le droit commun a été transformé en droit exclusif, que subsiste-t-il du premier dans le second ? A-t-il entièrement été absorbé par le droit exclusif, ou bien continue-t-il d’exister comme un droit primitif dont la forme seconde a pour fonction de mieux assurer le respect et qui impose par conséquent à celle-ci des obligations qui, lorsqu’elles sont violées, en entraînent la disparition. Grotius privilégie cette deuxième hypothèse et il montre que, lorsque le moyen choisi pour permettre une satisfaction optimale du droit primitif entre en contradiction avec cette même satisfaction, il s’efface au profit de ce droit primitif dont il s’avère incapable d’assurer le respect. Ainsi, lorsque les droits exclusifs de propriété – qui ne peuvent être conçus que comme un outil de 141réalisation de la faculté que chacun possède d’user de la nature pour se préserver – entrent en contradiction avec cette même réalisation, ils doivent s’effacer au profit de l’exercice immédiat de cette même faculté. Mais bien évidemment, cette théorie du droit de nécessité ne porte que sur une extrémité dont l’organisation sociale doit faire en sorte qu’elle ne se matérialise pas et cela signifie que la validité et la légitimité des droits exclusifs sont en permanence subordonnées à l’obligation de garantir que la préservation de chacun – en vue de laquelle la faculté d’user de la nature a été donnée en commun à l’ensemble des hommes – soit assurée.
La question que doit résoudre la théorie du droit de nécessité est bien celle-ci : « Les hommes, demande Grotius, peuvent-ils avoir un droit commun sur certaines choses qui appartiennent déjà à quelques uns en particulier ? » Lorsque les choses ont été partagées, existe-il encore un droit commun (jus commune), une faculté d’utiliser ce qui a été assigné en propre à autrui comme il existait auparavant une faculté d’utiliser ce qui n’avait été assigné en propre à personne ? La question pourrait paraître superflue, dit Grotius, « puisque l’établissement de la propriété semble avoir éteint (absorpsisse) tout le droit que donnait l’état de communauté27 ». Mais en réalité il n’en est pas ainsi car ce droit primitif ne peut pas disparaître, et son respect est toujours postulé comme une condition de la validité des institutions conventionnelles dont les hommes se dotent pour lui donner une réalité plus ferme que celle qu’il possède dans la condition naturelle. Pour s’en convaincre, dit Grotius, il ne faut que considérer l’intention de ceux qui, les premiers, ont introduit la propriété des biens (dominia singularia)28, et l’on verra que cette intention a été – comme dans toute institution humaine – de s’éloigner aussi peu que possible de l’égalité naturelle qui conférait à chaque homme, sans aucune exception, le droit d’utiliser la nature. Il faut donc que l’institution humaine de la propriété soit aussi proche que possible, dans ses conséquences, de la situation originelle où chacun avait le droit – sans pouvoir en être sans injustice privé par quiconque – d’avoir accès aux choses de la nature afin de les utiliser pour sa propre préservation. Les lois écrites doivent toutes être interprétées selon ce principe de charité, en sorte qu’elles doivent toutes être réputées avoir pour unique objet de mieux assurer, par des 142moyens plus stables et plus efficaces que ceux de la faculté naturelle d’utiliser conférée également à tous, la préservation de l’ensemble des membres du genre humain. Ce principe d’interprétation s’applique a fortiori à une coutume non écrite, plus ancienne que toutes les lois civiles, comme est la pratique consistant à partager les biens de la nature en lots exclusifs assignés en propre à chacun. Touchant une pratique non écrite de ce genre, dit Grotius, nous n’avons en effet pas à scruter les termes d’un accord dans le but de leur donner une interprétation conforme à l’exigence que nous venons d’énoncer, car une telle pratique peut sans difficulté être comprise et justifiée à partir de la seule fonction qu’elle est censée remplir. La fonction des droits exclusifs de propriété étant de permettre la préservation de l’ensemble des membres du genre humain dans de meilleures conditions, c’est à l’aune de ce critère fonctionnel que la légitimité de cette institution doit être appréciée.
Le droit de nécessité est donc réservé dans l’institution de la propriété exclusive, c’est-à-dire que, dans tout accord par lequel nous nous engageons à assumer une obligation de respect des droits de propriété des tiers est sous-entendue la suspension de cette obligation lorsque son respect impliquera que nous ne puissions plus nous préserver. Tout contrat doit au demeurant être interprété d’une manière telle que les clauses dont le respect serait outrancièrement à charge pour l’une des parties cessent d’être obligatoires pour la partie en question ; c’est le cas y compris dans les contrats privés, lorsque les conditions ont changé au point que l’exécution d’une clause devient excessivement désavantageuse, et lorsqu’on est en mesure de dire que les parties qui se sont engagées dans le contrat n’ont pas pu avoir l’intention que l’obligation continuât à jouer dans ces circonstances nouvelles29. Et bien entendu, tout contrat dont le respect implique l’impossibilité pour l’une des parties de préserver son existence est nul de droit, sauf circonstances exceptionnelles sur lesquelles on va revenir.
On ne peut évidemment inférer ce genre de proposition qu’en examinant les circonstances dans lesquelles les contrats ont été passés ainsi que les objectifs poursuivis par les signataires. Certes, si l’on examine les circonstances dans lesquelles a été passé le contrat qui donne naissance à la société civile, on ne peut exclure que les partenaires aient donné leur accord à une totale renonciation de leurs droits y compris celui de 143se préserver, tant la conservation de la société elle même est un bien général précieux. Mais dans le cas du contrat qui donne naissance à la propriété et aux droits d’exclure, les choses sont beaucoup plus claires, car un tel contrat n’a pas été passé sous l’empire de la nécessité (dans la mesure où chacun avait la liberté et le privilège d’user des choses de la nature auparavant) et, par ailleurs, les inconvénients qui résultent d’une restriction du droit de propriété sont bien moindres (et moins permanents) que ceux qui résulteraient d’une restriction du devoir d’obéissance et de l’admission d’un droit de résistance : une limitation du droit de propriété – le retour provisoire à la communauté initiale – ne menace pas la vie des milliers d’innocents comme le ferait la dissolution de la société civile qui résulterait de la désobéissance à ses lois. Dès lors, il ne serait pas raisonnable de supposer que le but de l’institution de la propriété soit que les hommes dussent périr plutôt que de prendre ce qui appartient à autrui. Aucun droit de propriété ne peut être inconditionnel dans ce sens.
En ce sens, le droit à la vie est fondamental et son respect conditionne la légitimité de tout autre droit, y compris le droit exclusif de propriété, qui n’a pas d’autre fonction que d’en assurer la satisfaction. Au demeurant, il y aurait quelque contradiction à ce que les droits exclusifs, qui n’ont pas d’autre objet que de mieux assurer le droit inclusif d’utiliser la nature, qui existait à l’origine, en lui conférant une stabilité et une permanence qui lui faisaient défaut, ait pour conséquence de rendre impossible à certains l’exercice d’un droit qui doit se comprendre de manière inclusive et dont nul ne peut être exclu sans injustice. Si les droits exclusifs avaient pour effet d’empêcher certains d’user de la nature pour se préserver, ils seraient frappés de la même injustice que la conduite de celui qui, dans l’état de nature, s’efforcerait d’empêcher certains de ses semblables d’user comme lui des biens de la nature pour assurer leur propre préservation.
Grotius indique que ce droit de nécessité, c’est-à-dire le droit de se conduire en toutes circonstances de manière à préserver notre vie, est en ce sens toujours réservé, y compris dans les lois divines30 et, évidemment, cela est encore plus vrai en ce qui concerne les lois humaines. En matière d’obéissance au souverain, par exemple, on doit présumer que ceux qui ont donné naissance à la société civile se sont réservés le droit 144de résister au cas où celui-ci leur commanderait de mourir « si ce n’est peut être que les choses se trouvent dans un tel état que la résistance causerait infailliblement de très grands troubles dans la société, ou tournerait à la ruine d’un grand nombre d’innocents ». L’obligation d’obéir aux puissances même au prix de notre vie existe donc mais elle est levée lorsque la désobéissance ne met pas l’existence même de la société civile en péril, et c’est cette même analyse qui justifie le devoir d’exposer sa vie pour la défense de l’État et de ses frontières. On doit donc postuler que, lorsqu’ils ont formé des sociétés, les hommes ont implicitement accepté le risque d’avoir à mourir sous l’uniforme, et qu’ils ont préféré ce risque à une clause qui dirait que, quelle que soit la situation, on ne pourrait les obliger à s’enrôler dans aucune armée pour courir le risque d’y perdre la vie. Une telle clause signifierait en effet ne pas se défendre contre les ennemis, et elle impliquerait la ruine de l’État sous les attaques du plus faible de ces ennemis.
La loi de justice qui commande de respecter les droits exclusifs de propriété étant une loi humaine et résultant d’un contrat, elle est de même implicitement assortie d’une clause qui réserve les cas de nécessité et qui suspend notre obligation de nous abstenir du bien d’autrui lorsqu’un tel respect impliquerait notre propre disparition. Ainsi, lorsque nous ne disposons d’aucun autre moyen de préserver notre existence que de saisir ce qui est censé appartenir exclusivement à autrui, cette saisie devient légitime, et Grotius interprète explicitement cette circonstance comme une réapparition du droit initial d’user des choses de la nature pour nous préserver, droit qui n’a donc pas été absorbé par les droits exclusifs, mais qui demeurait implicitement valide dans le moment même de leur institution, et pendant tout le temps où leur respect est demeuré compatible avec la préservation de tous. Il redevient en revanche explicitement valide lorsque le respect des droits exclusifs s’avère incompatible avec cette même préservation31.
Les théologiens eux-mêmes ont admis que, dans une situation d’extrême nécessité, celui qui s’empare du bien d’autrui qui lui est nécessaire pour se conserver ne commet aucun véritable larcin et ne se conduit pas de manière injuste. Mais Grotius prend bien soin de marquer que, pas plus pour lui que pour les théologiens qu’il mentionne à ce propos, il ne s’agit là d’un exemple de la loi d’amour ou de charité. Il 145ne s’agit donc absolument pas de dire que les propriétaires reconnaissent que les indigents méritent moralement de recevoir la part superflue de leurs biens parce qu’ils en sont dignes et parce qu’ils en ont besoin, ni que ces mêmes propriétaires accomplissent là un acte volontaire et méritoire dont ils pourraient se dispenser et pour lequel les indigents leur devraient de la reconnaissance. Nous sommes bien ici dans l’ordre de la justice parfaite et non dans celui de la charité : les pauvres ont le droit – au sens de facultas et non d’aptitudo – de prendre ce dont ils ont besoin quand ils ne disposent pas d’autre moyen de survie parce que, dans les cas de nécessité, le droit primitif, ouvert à tous et dont personne ne peut être privé sans injustice, permet d’utiliser les choses de la nature pour se préserver :
Cette décision, écrit Grotius, n’est point fondée sur ce que, comme disent quelques uns, le propriétaire est tenu par les règles de la charité de donner de son bien à ceux qui en ont besoin, mais sur ce que la propriété des biens est censée n’avoir été établie qu’avec cette exception favorable que l’on rentrerait en ces cas-là dans les droits de la communauté primitive. Car si l’on eût demandé à ceux qui ont fait le premier partage des biens communs, ce qu’ils pensaient là-dessus, ils auraient répondu ce que nous disons ici32.
Grotius affirme que ce droit de nécessité « est le premier de ceux qui restent de l’ancienne communauté depuis l’établissement de la propriété des biens » et il ajoute qu’il existe un second droit qui consiste à tirer du bien d’autrui une utilité innocente car, comme le dit Cicéron, « pourquoi est-ce qu’on refuserait de faire part aux autres des choses en quoi on peut leur rendre service sans être soi même incommodé » et l’exemple qu’il en donne est de permettre à autrui d’allumer son feu au nôtre33. La distinction entre ces deux « restes » du droit primitif est cependant très claire : le premier, le droit de nécessité, est un droit dont l’exercice n’est pas « innocent », c’est-à-dire que son exercice diminue ou atteint la propriété qui est saisie. C’est ce retranchement que le droit de nécessité considère comme légitime. Le second, le droit d’usage innocent, a cette particularité qu’il consiste à user du bien d’autrui sans le détruire, sans le diminuer, sans le consommer ; il est légitime en tout temps et pas seulement en temps de nécessité, dans la mesure où il ne 146retranche rien des biens du propriétaire. Mais cette distinction confirme que l’exercice du droit de nécessité, contrairement à ce que prétendent certaines interprétations contemporaines34, n’est pas un simple droit d’user de ce qui appartient à autrui sans que le droit du propriétaire soit suspendu. Comme – Grotius le souligne – une chose ne peut pas appartenir de la même manière et au même moment à deux personnes différentes, ce dont les nécessiteux ont besoin et qui est saisi par eux n’est pas simplement une chose dont ils usent alors qu’elle continue d’être la propriété de son propriétaire initial. Le besoin qu’ils en ont leur donne sur ces biens un droit que le propriétaire initial ne possède plus, pas plus, pourrait-on dire, que celui qui a quitté son siège au théâtre ne possède de droit sur le siège qu’il vient de quitter.
Grotius ajoute cependant trois réserves à l’exercice de ce droit de prendre en cas de nécessité et l’on va voir que l’une d’entre elles est problématique.
La première réserve est qu’avant de prendre le bien d’autrui, il faut « tenter tout autre sorte de voie pour se tirer d’affaire » et commencer par faire appel à la générosité des propriétaires ou aux secours du magistrat. Ce n’est donc que lorsque la loi de l’amour est négligée que la loi de justice permet de prendre ce dont on a besoin35.
La seconde réserve est « qu’il n’est pas permis de prendre le bien d’autrui pour s’en servir lorsque le possesseur se trouve dans la même nécessité car, toutes choses égales, le possesseur a l’avantage36 ». Nous sommes donc ici dans la même situation que celle qui, lors de la communauté primitive, prévaut en présence d’une personne qui détient physiquement une chose et qui la consomme ; dans ce moment, elle lui est propre et il est injuste de l’en priver. Il y a cependant une ambiguïté dans cette réserve car les choses peuvent être « nécessaires » au propriétaire en deux sens différents : nécessaires au sens où il les utilise actuellement, ou nécessaires au sens où, les ayant mises de côté dans le présent, elles lui seront indispensables, pour lui et pour sa famille, dans l’avenir. La réserve s’applique dans le premier cas, qui est un décalque strict de la situation primitive, mais elle ne s’applique pas au second, qui supposerait contradictoirement que, au moment où le droit primitif 147est réintroduit, un individu pourrait cependant avoir un droit sur ce qu’il n’utilise pas actuellement, comme si, au théâtre, le spectateur avait un droit sur le siège qu’il a réservé pour demain et qui, effectivement, lui sera indispensable pour assister au spectacle. Certains auteurs du xviie siècle comprenaient ce problème et poussaient la logique jusqu’à son terme. Tyrrell écrit par exemple que le droit des indigents s’étend aux choses que le propriétaire a mises de côté pour en user dans l’avenir37.
Mais c’est la troisième réserve qui est la plus problématique, comme Pufendorf va le remarquer38. Grotius affirme qu’il « faut restituer aussitôt qu’on peut ce que l’on a pris39 ». Certains, dit-il, ont nié cette exigence de restitution en disant qu’il serait absurde que l’on fût obligé de rendre ce que l’on a pris de plein droit et qui, en ce sens nous appartenait ; ils se fondent donc « sur ce qu’on n’est tenu à aucune restitution quand on ne fait qu’user de son droit ». Mais Grotius récuse cette logique en avançant que le droit de l’indigent, dans un cas comme celui-ci, « n’est pas un droit plein et entier », mais un droit « accompagné de cette restriction que la nécessité cessant, on sera obligé de restituer40 ». Il est clair qu’il y a là une difficulté car si le droit est commun, la faculté de prendre ne peut pas appartenir à l’un plus qu’à l’autre, et nul ne dispose d’un droit d’exclure sauf sur les choses qu’il détient ou qu’il consomme actuellement. Or, par définition, les choses qu’il s’agit de restituer ne sont pas détenues ni consommées par celui à qui elles ont été prises et ce droit de restitution supposerait que, dans cette situation, l’ancien propriétaire disposerait d’un droit « à distance » sur des choses qu’il n’a pas en mains, droit qui ne peut exister dans l’état de première communauté.
La difficulté est claire sur le plan conceptuel mais l’intention de Grotius ne l’est pas moins. Tout d’abord, l’obligation de restitution n’existe que lorsqu’elle est possible, c’est-à-dire lorsque celui qui a fait usage d’un droit de nécessité dispose à son tour d’un superflu. Dans ce cas-là, il n’aurait pas le droit de le conserver sans procéder à la restitution de ce qu’il a saisi antérieurement sur les biens d’autrui. Par ailleurs l’impératif de restitution signifie que le droit de nécessité ne 148détruit pas de manière permanente les droits exclusifs, ce qui aurait pour conséquence d’annuler les avantages en vue desquels ils ont été institués et qui, pour être provisoirement absents, n’en existent pas moins dans le long terme. À cet égard le prélèvement sans aucune obligation de restitution pourrait être considéré comme aussi injuste – toutes proportions gardées – qu’une résistance au magistrat qui ne serait pas accompagnée de la considération du bien public, et qui aurait pour conséquence la destruction de l’ordre civil et la mise en danger de la vie de milliers d’innocents. La restitution, lorsqu’elle est possible, restaure la continuité du droit et, par là même, les avantages liés à la distributio du commun initial en lots exclusifs.
Il n’en demeure pas moins que le droit de nécessité permet de faire ressortir la justification essentielle tant de la fondation sociale que de la division du commun en droits exclusifs de propriété. De telles institutions ont pour fonction de faciliter le droit égal de tous de préserver leur existence et elles ne conservent leur validité qu’aussi longtemps qu’elles ont cet effet positif par rapport à une situation où elles seraient absentes.
Conclusion
L’ambition de cet article a été de montrer que la question des fondements philosophiques d’un État qui organise le transfert a posteriori des ressources pour assurer une existence décente à tous ses membres, ou qui dispose a priori ses institutions économiques, sociales et civiles, de manière à garantir que tous aient accès aux moyens d’une telle existence, ne peut pas être abordée à partir de la distinction entre justice et charité, entre justice explétrice et justice attributive, entre droits négatifs et droits positifs ou « sociaux ». Une telle approche suppose en effet que les contours de la justice explétrice et des droits négatifs peuvent être définis indépendamment de la question de la légitimité de cette forme d’organisation sociale qui vise à garantir à tous les membres de la société un égal accès aux moyens d’une existence décente et autonome. Or, en lisant Grotius, on comprend que la théorie qu’il a proposée présente les obligations de la justice explétrice (abstention du tort et respect 149des contrats) et les droits négatifs comme des moyens conventionnels de réaliser un tel objectif égalitaire. Mais cet objectif égalitaire est lui même partie intégrante de la justice explétrice, c’est-à-dire qu’une part des ressources naturelles suffisantes pour mener une existence indépendante – ou son équivalent sous forme de salaire ou d’autres revenus – est due à chacun au titre d’un droit parfait à user de la nature qui est un droit fondamental dont la négation est une injustice punissable. Le respect de ce droit premier est la condition de la légitimité des droits exclusifs qui ne sont que des moyens de répondre aux exigences du droit premier. Ces moyens conventionnels – ou ces institutions – ne sont donc légitimes que s’ils sont effectivement adéquats pour réaliser cet objectif et ils perdent en revanche leur légitimité lorsqu’ils le contredisent ou l’entravent. Il n’est donc pas possible de définir d’abord les obligations de la justice explétrice ainsi que la nature des droits négatifs en les réduisant au respect des droits exclusifs, pour demander ensuite s’il existe, pour ceux qui ont la possibilité de l’assumer en raison de la protection que ces droits leur garantit, une obligation de pourvoir à la réalisation de cet objectif égalitaire, et de quelle nature est cette obligation, volontaire ou légale. Seule une interprétation restrictive de la justice explétrice – interprétation qui exclurait le droit premier à la vie – permettrait de raisonner ainsi.
En lisant Grotius on comprend donc que la question essentielle n’est pas de savoir si, dans certains cas, les devoirs de charité deviennent des devoirs de justice ou si, dans certains cas, les droits imparfaits à être assisté peuvent devenir des droits parfaits à exiger les moyens de préservation de notre propre existence. En d’autres termes, la question n’est pas de savoir si les propriétaires peuvent être soumis à une obligation légale de se séparer d’une partie de ce qui leur appartient pour assurer une existence indépendante et décente aux non-propriétaires, mais de comprendre que, lorsqu’une telle existence n’est pas assurée à tous dans une société qui dispose pourtant des moyens matériels pour cela, les propriétaires n’ont aucun droit de propriété sur leur superflu. La question de savoir si le droit de propriété peut être grevé d’une obligation de transfert – question portant sur ce que l’on appelle les droits positifs à recevoir une part de ce qui appartient à autrui – doit être remplacée par une question sur le fondement du droit de propriété, question à laquelle la seule réponse possible est que ce droit n’est constitué comme 150légitime que par sa capacité à satisfaire les besoins de subsistance de l’ensemble des membres de la communauté. Sa légitimité disparaît en même temps que cette capacité.
Mais évidemment, cette conclusion n’est valide que si l’on accepte la prémisse de Grotius selon laquelle les individus détiennent en raison de leur appartenance au genre humain une faculté égale d’accéder à la nature pour l’utiliser afin de préserver leur existence. Pourquoi cette prémisse est-elle impossible à nier ? Grotius donne une réponse à cette question, et elle est vitale pour comprendre pourquoi une philosophie politique libérale – qui postule la valeur égale de l’ensemble des individus – exige des institutions sociales qui garantissent à chacun l’accès aux moyens d’une existence décente. Si l’on nie cette prémisse, dit Grotius, cela signifie que l’on ne voit aucune injustice dans le fait que certains n’aient pas accès à la nature pour l’utiliser dans le but de se procurer les moyens d’une vie décente et indépendante, et même que l’on ne voit aucune injustice dans le fait que certains puissent refuser à d’autres cet accès, l’entraver ou le rendre impossible, par exemple en accaparant plus que ce qu’ils peuvent utiliser eux-mêmes pour se procurer une vie décente et autonome. Or, un tel jugement implique que l’on nie le droit fondamentalement égal de chacun à préserver son existence, ou que l’on affirme implicitement que certaines existences ont moins de valeur et ont moins de titre à être préservées et à s’épanouir que d’autres, ce qui est bel et bien incompatible avec les fondements philosophiques du libéralisme moderne.
151Bibliographie
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1 Pour un exemple emblématique, cf. Cousin (1848).
2 Grotius, 1608, ch. 5, p. 21.
3 Contrairement à ce que laisse entendre James Tully, qui pense que Grotius prend à son compte ce vocabulaire moderne (Tully, 1980, p. 69-70).
4 Grotius, Mare liberum, op. cit., ibid.
5 Grotius, Mare liberum, op. cit. : facultas non iniusta utendi re communi. On remarquera que le mot « facultas » employé ici pour désigner le droit d’usage dans la communauté primitive est précisément celui que Grotius emploiera dans le De Jure Belli ac Pacis pour désigner le droit parfait (qualitas moralis perfecta) par opposition à l’aptitude (aptitudo) qui définit le droit imparfait (qualitas moralis minus perfecta). De Jure Belli ac Pacis (désigné par la suite par DGP, Droit de la guerre et de la paix), I, 1, § 4 (2).
6 Le titre du chapitre 2 du livre II du De Jure marque au demeurant clairement cette intention de dire qu’il est question d’un dominium qui appartient en commun à tous les hommes : De his quae hominibus communiter competunt.
7 Ibid. : Cuius ratione dominium quoddam erat, sed universale, et indefinitum.
8 Horne, 1990, p. 14-15.
9 Grotius, Mare liberum, op. cit., p. 22.
10 Grotius dit que les choses communes sont non pas simplement res nullius mais, ce qui implique une idée différente, « à personne à titre de propriété » (ea nullius esse quod ad proprietatem attinet), c’est-à-dire qu’aucun membre du genre humain ne peut revendiquer sur aucune d’entre elles une propriété permanente séparée exclusive du droit des tiers (Mare liberum, p. 24).
11 Grotius, Mare liberum, ibid.
12 Grotius, Mare liberum, ibid., ch. 5 : Haec igitur sunt illa quae Romani vocant communia omnium iure naturali aut quod idem esse diximus, publica iurisgentium, sicut et usum eorum modo communem, modo publicum vocant.
13 Grotius, Mare liberum, p. 24 ; cf. Suarez, Tractatus… II, 14, § 17 (in Tully, op. cit., p. 68).
14 Grotius, Mare liberum, p. 24.
15 Comme le confirme la définition du droit qui sera donnée dans le DGP, I, 1, § 4 (1) : « Le droit est une qualité morale attachée à la personne, en vertu de quoi on peut légitimement avoir ou faire certaines choses ».
16 DGP, II, 2, § 2.
17 Thomas d’Aquin, Somme : II, II, 66, 2 : Et sic habet homo naturale dominium exteriorum rerum, quia per rationem et voluntatem potest uti rebus exterioribus ad suam utilitatem quas propter se factis.
18 Cf. DGP, II, 2, § 2 (10).
19 Grotius emploie aussi partitio et le verbe dividere.
20 DGP, II, 2, § 2 (2).
21 Horne, 1990, p. 15 ; cf. DGP, II, 12, § 8 et § 12, pour l’idée que les contrats ne sont valides que s’ils préservent l’égalité mais pas s’ils mettent certaines personnes dans l’absolue dépendance de certaines autres.
22 DGP, I, 1, § 4 (1-4).
23 DGP, Discours préliminaire, § 8 (tome 1, p. 8).
24 DGP, II, 2, § 11-18.
25 DGP, II, 2, § 18-19.
26 Cf. DGP, II, 17, § 1 (5).
27 DGP, II, 2, § 6.
28 Ibid.
29 Cf. Salter, 2005, p. 292.
30 DGP, I, 4, § 7 (1).
31 DGP, II, 2, § 6.
32 DGP, II, 2, § 6. Sur le droit de nécessité en particulier pour la défense de notre propre vie, cf. DGP, III, 1, § 2 ; cf aussi III, 17, § 1.
33 DGP, II, 2, § 11.
34 Klimchuk, 2018.
35 DGP, II, 2, § 7.
36 DGP, II, 2, § 8.
37 Tyrrell, 1681, p. 111 (chapitre 4)
38 Pufendorf, DNG, II, 6, § 6.
39 Le texte latin dit plus précisément : ubi fieri poterit, « quand c’est possible » et non « pas dès que possible ».
40 DGP, II, 2, § 9.
- CLIL theme: 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
- ISBN: 978-2-406-09845-4
- EAN: 9782406098454
- ISSN: 2495-8670
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-09845-4.p.0125
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 12-17-2019
- Periodicity: Biannual
- Language: French
- Keyword: Grotius, property, subjective right, positive community, right to life