Du dollar-compensé au 100% Monnaie La réponse d'Irving Fisher à la crise de 1929
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue d'histoire de la pensée économique
2019 – 2, n° 8. varia - Auteur : Vila (Adrien)
- Pages : 81 à 107
- Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
Du dollar-compensé au 100 % Monnaie
La réponse d’Irving Fisher à la crise de 1929
Adrien Vila
École des Hautes Études
en Sciences Sociales
Paris Jourdan School of Economics, UMR 8545
Introduction
L’analyse monétaire et bancaire d’Irving Fisher est, tout au long de ses écrits, articulée à l’objectif de stabiliser la valeur de la monnaie. Cette visée transparaît dès la préface du Pouvoir d’achat de la monnaie (1911), dans laquelle il affirme avec force que la stabilité monétaire est le premier devoir d’une économie capitaliste1. De la part de cet ardent défenseur de la théorie quantitative, une telle préoccupation n’est guère surprenante. Les moyens qu’il propose pour atteindre cet objectif le sont toutefois davantage. En effet, Fisher développe successivement deux plans radicalement à contre-courant des pratiques de son temps : le dollar-compensé (1911) et le 100 % Monnaie2 (1935). Dans le premier, il suggère que la parité-or soit périodiquement ajustée aux variations de prix afin de laisser inchangé le pouvoir d’achat de la monnaie ; dans 82le second, il avance l’idée d’un coefficient de réserves de 100 % sur les dépôts à vue, de sorte que les banques de second rang soient privées de leur pouvoir de création monétaire.
Dans cet article, nous nous intéressons à l’adoption du 100 % Monnaie par Fisher dans les années 1930 au détriment du dollar-compensé : quels sont les facteurs, internes à sa pensée, à l’origine d’une telle évolution ? En répondant à cette question, notre objectif est de préciser la nature et la portée du renouvellement de sa réflexion à ce sujet. Notre thèse est que, même si les moyens proposés par Fisher pour garantir la stabilité monétaire se modifient, il demeure fidèle à son approche quantitativiste et conserve une vision, issue de la tradition ricardienne, d’une monnaie exogène. Notre analyse nous amènera ainsi à mettre en lumière les conceptions de la monnaie et du crédit sous-jacentes à ses propositions de réformes monétaires et bancaires.
Le problème des origines du 100 % Monnaie a suscité de nombreuses recherches mais, pour la plupart, celles-ci se sont concentrées sur des causes externes à la théorie de Fisher, telles l’importance des faillites bancaires lors de la crise de 1929 (Dimand, 2003), l’influence des économistes de Chicago3 (Phillips, 1995), ou bien encore l’affirmation du rôle institutionnel de la FED dans les années 1920 aux États-Unis (Patinkin, 1993). Sans remettre en cause le poids indéniable exercé par ces éléments, nous souhaiterions compléter les travaux existants en soulignant également l’importance des facteurs internes aux analyses de Fisher. À notre connaissance, seuls Milton Friedman et Anna Schwartz (1970) se sont placés dans cette perspective. Selon ces auteurs, Fisher modifierait sa définition de la monnaie après la crise de 1929 en y intégrant les dépôts à vue, ce qui le conduirait dès lors à considérer indispensable une politique de contrôle du crédit afin de maîtriser l’émission monétaire et, ainsi, garantir la stabilité des prix.
Nous sommes en désaccord avec la thèse défendue par Friedman et Schwartz. Selon nous, Fisher s’appuie toujours dans les années 1930 sur une nette distinction, héritée de la Currency School, entre monnaie et instruments de crédit. De notre point de vue, ce n’est pas la nature du crédit bancaire qui évolue dans sa pensée, mais le rôle qu’il lui attribue dans le déclenchement et la diffusion des perturbations. En effet, après le krach de 1929, Fisher ne considère plus le crédit comme un simple 83propagateur des fluctuations, vision qu’il avait exposée à travers la théorie des cycles de crédit (1911)4, mais le désigne comme l’origine de la dynamique et des crises, ce qui remet en cause la stabilité de l’équilibre macro-économique. Nous voudrions ainsi montrer que le ralliement de Fisher au 100 % Monnaie est une conséquence directe de sa conversion à la déflation par la dette (1932)5.
Si cette analyse est acceptée, elle débouche sur un résultat important relatif à l’interprétation du 100 % Monnaie. À l’heure où les propositions contenues dans ce plan connaissent un écho remarquable6, ralliant autour d’elles de nombreux économistes opposés à la finance dérégulée, il apparaît que le projet de Fisher repose sur une vision fondamentalement libérale et anti-keynésienne de l’économie. Que ce soit la nature de la monnaie (exogène), le rôle des banques (réduites à une fonction d’intermédiation), la relation entre épargne et investissement (causale) ou encore les fondements du taux d’intérêt (théorie des fonds prêtables), tout s’oppose à John M. Keynes7 et contribue à la suppression de la fonction de prêteur en dernier ressort de l’autorité monétaire par la mise en place de règles d’ajustements automatiques. De ce point de vue, il est frappant que des keynésiens aussi éminents que James Tobin (1987) et Hyman Minsky (1994) aient souscrit à un tel projet ou bien à des idées analogues8.
Cet article se décompose en trois parties. En premier lieu, nous présentons les deux réformes défendues par Fisher, le dollar-compensé et le 84100 % Monnaie. Cette comparaison fait apparaître une nette inflexion dans sa pensée : alors qu’il propose un contrôle de la quantité réelle de monnaie jusqu’en 1929, c’est la régulation de quantité nominale de crédit qui lui paraît primordiale après la crise. Dans un second temps, nous dégageons la manière dont Fisher conçoit la monnaie et le crédit bancaire. Nous nous attachons alors à montrer qu’avant comme après le krach, il les distingue bien l’un de l’autre, ce qui nous permet d’écarter l’hypothèse émise de Friedman et Schwartz selon laquelle il élargirait sa définition de la monnaie après la crise. Enfin, dans notre troisième et dernière partie, nous avançons notre explication de l’adhésion de Fisher au 100 % Monnaie en détaillant la rupture que constitue la déflation par la dette par rapport à la théorie des cycles de crédit.
I. Du contrôle de l’étalon
à celui de l’offre de crédit
I.1. Le dollar-compensé
La première présentation du dollar-compensé se trouve dans le dernier chapitre de la première édition du Pouvoir d’achat de la monnaie. L’année suivante, Fisher défend son plan devant la Chambre internationale de commerce de Boston, puis publie en 1913 un article à ce sujet dans le Quarterly Journal of Economics. Ses cours à l’Université de Californie en 1917, puis sa participation à partir de 1918 à un comité créé par l’American Economic Association consacré à la défense de la stabilisation des prix ainsi qu’à l’analyse des liens entre guerre et inflation lui permettent de faire mûrir son projet. Il en expose la version la plus aboutie et détaillée en 1920, dans Stabilizing the Dollar. L’année suivante, il fonde sa propre organisation dans le but de promouvoir la stabilité des prix, The Stable Money League9.
85Le dollar-compensé consiste en une règle liée à la définition même de l’unité de compte destinée à garantir la constance du pouvoir d’achat de la monnaie. Celle-ci repose sur le principe selon lequel :
The purchasing power of money has always been unstable because a unit of money, as at present determined, is not a unit of purchasing power, but only a unit of weight (…) Instead of a gold dollar of constant weight and varying purchasing power, what is needed, he contends, is a dollar of constant purchasing power, and, therefore, of varying weight (Fisher, 1921, p. 852).
Puisque la quantité de monnaie varie de manière exogène et imprévisible selon Fisher, l’idée est de rendre variable la valeur du dollar en or afin de maintenir invariable son pouvoir d’achat en termes de marchandises. Ainsi, dans le cas où les prix exprimés en dollars augmentent, le plan consiste simplement à accroître dans la même proportion la valeur du dollar en or. Inversement, lorsque l’économie est en déflation, il faut abaisser proportionnellement le poids du dollar en or. Pour Fisher, il est tout à fait envisageable de modifier ce dernier périodiquement à condition que la circulation monétaire soit exclusivement composée de papier-monnaie10. En effet, si les pièces d’or continuaient à être utilisées pour régler les transactions, il serait nécessaire de procéder à de nouveaux monnayages à chaque réévaluation de la parité-or du dollar. Pour éviter une telle contrainte, le dollar-compensé a donc pour conséquence de supprimer la fonction de moyen de circulation de l’or. Fisher souhaite ainsi que la convertibilité du dollar soit maintenue exclusivement sous forme de lingots, et se réfère explicitement sur ce point à l’Ingot Plan défendu un siècle plus tôt par David Ricardo (1816)11 :
By thus assuming no actual gold coin to circulate but all gold to circulate only in the form of paper representatives, it would be possible to vary at will the weight of the gold dollar without any such annoyance or complication as would arise from the existence of coins. The Government would simply vary the quantity of gold bullion which it would exchange for a paper dollar – the quantity it would give or take at a given time (Fisher, 1920, p. 93).
86Selon lui, il ne s’agit pas d’une difficulté sérieuse car la circulation monétaire aux États-Unis se compose déjà essentiellement de billets de banque et de certificats d’or au début du xxe siècle12. Il apporte d’ailleurs une nuance à l’exclusion de l’or des moyens de circulation dans l’Appendice I de Stabilizing the Dollar en soulignant que, compte tenu de la faiblesse du volume de pièces d’or en circulation, il suffirait de supprimer la frappe de nouvelles pièces13.
Un point fondamental relatif au dollar-compensé concerne sa compatibilité avec la théorie quantitative. Comme l’a noté Robert Dimand (2003), Fisher présente son plan de manière distincte du reste de sa théorie monétaire dans le dessein, pragmatique, de convaincre le plus grand nombre14. Cependant, ce qu’il pense être une force se révèle être une faiblesse. D’une part, la stratégie de Fisher ne lui évite pas les critiques, qui pleuvent de tous côtés :
Second we have those quantity theorists like Kemmerer, David Kinley (1911), A. Whitaker, Taussig (1913), who thought that the plan is linked to the quantity theory, is logically consistent but cannot be implemented (…) Third, we have a quantity theorists like O.M. Sprague, who thought that the plan is not linked to the quantity theory, is not logically consistent and cannot be implemented (…) Fourth, we have the anti-quantity theorists like J. Laurence Laughlin and H. Parker Willis, who thought that the plan is linked to the quantity theory and has not to be implemented (…) Five, we have an anti-quantity theorists like B.M. Anderson, who thought that the plan is not linked to the quantity theory, therefore is not logically consistent and has not to be implemented (Boyer des Roches & Gomez Betancourt, 2013, p. 269).
D’autre part, cette approche l’empêche de réaliser que son plan est incohérent avec la théorie quantitative (Shiller, 2013). En effet, Fisher considère que les modifications du prix légal de l’or se propagent vers le niveau général des prix en agissant sur la quantité réelle de monnaie en circulation (Humphrey, 1997, p. 86). Jérôme de Boyer des Roches & Rebeca Gomez Betancourt (2013) ont cependant montré qu’un tel ajustement supposait que la quantité de monnaie en circulation soit exclusivement 87composée d’or et que cet or n’ait pas une valeur faciale exprimée dans la monnaie de règlement15. Or, puisqu’aucune de ces deux conditions n’est réunie à l’époque de Fisher, les modifications du prix légal de l’or ne peuvent agir sur la quantité de monnaie en circulation16. Par conséquent, la liaison effectuée par Fisher entre prix de l’or et niveau général des prix est incohérente avec la théorie quantitative. C’est ce qui conduit Don Patinkin (1993, p. 7) à considérer que ce projet « is a most puzzling one to have been advanced by the author of the Purchasing Power of Money ».
Notons toutefois que Fisher développe un argument plus convaincant dans Stabilizing the Dollar, en reprenant une idée avancée par Aneurin Williams (1892). Celui-ci a fait remarquer qu’une variation du prix de l’or impactait la valeur des réserves détenues par le Trésor ce qui permettait d’agir sur leur contrepartie : la quantité de certificats d’or en circulation. De la sorte, il existe bien un mécanisme par lequel une modification du prix de l’or agit sur la quantité de monnaie17. À cet égard, soulignons, non sans surprise eu égard à ses positions ultérieures, que Fisher défend alors l’idée d’un taux de couverture de seulement 50 % des certificats tandis que les réserves excédentaires seraient investies en titres publics :
The maintenance of the 100% Government gold reserve (…) is only one of several possible solutions of the reserve problem. It is the one which would fit in with the idea implied in our present system of gold certificates, namely, the idea that the certificates are circulating proxies for gold. But there are other ways of solving the problem. One is simply to let the reserve alone so long as it remains in excess of a specified safe minimum and to replenish it only when, if ever, it falls below that minimum (…) This system would recognize the needless waste involved in a 100% or other high « reserve ». In these days of economy such a « reserve » is, as one economist has said, an « expensive luxury » and one almost peculiar to the United States (Fisher, 1920, p. 132-134).
88Voyons maintenant comment ce « luxe coûteux » se transforme en absolue nécessité dans le 100 % Monnaie.
I.2. Le 100 % Monnaie
Fisher expose pour la première fois le 100 % Monnaie dans un ouvrage éponyme de 1935. Celui-ci s’inscrit dans une série de plans de même inspiration, dont les principaux sont le Chicago Plan (1933), les écrits d’Henry Simons (1934) ou encore les propositions de Lauchlin Currie (1934) et James Angell (1935)18. Malgré les efforts de Fisher, aucun de ces projets ne fut expérimenté par l’administration Roosevelt19. Après-guerre, l’idée d’un coefficient de réserves de 100 % ne rencontre pas plus de succès, Keynes ignorant ainsi la suggestion de Fisher d’en faire une condition pour les États souhaitant intégrer les institutions créées par les accords de Bretton Woods :
On the matter of 100 per cent money I have, however, as you know, some considerable reservations. Possibly they may relate more to British conditions than they would to American conditions ; but however that may be it prevents me from coming forward as an advocate. In my judgment deflation is in the near future a much more dangerous risk than inflation. I am afraid of your formula because I think it would, certainly in England, have a highly deflationary suggestion to a great many people (Keynes in Fisher, 1997, p. 219).
Le dynamisme des propositions de « narrow banking » dans les années 1930 s’inscrit dans un contexte marqué par les conséquences macro-économiques du krach de 1929. Pour Fisher, le fait marquant de la crise réside dans la destruction de monnaie, en particulier sous sa forme scripturale :
This loss, or destruction, of 8 billion of check-book money [between 1929 and 1933] has been realized by few and seldom mentioned. There would have been big newspaper headlines if 8 thousand miles out of every 23 thousand miles of railway had been destroyed. Yet such a disaster would have been a small one compared with the destruction of 8 billion out of 23 billion of our main monetary highway. That destruction 89of 8 billion dollars of what the public counted on as their money was the chief sinister fact in the depression from which followed the two chief tragedies, unemployment and bankruptcies (Fisher, 1935, p. 6-7).
Cette contraction massive des dépôts à vue exprime l’ampleur prise par leur circulation dans les années 1920 aux États-Unis. En effet, sur fond de croissance, des innovations financières importantes voient le jour (telles les actions sur marge introduites en 1926), le nombre de fonds d’investissement explose (de 40 en 1921, le nombre d’OPCVM passe à 750 en 1929) tandis que l’activité des sociétés de courtage s’envole (le volume des prêts accordés est multiplié par plus de 6 entre 1921 et 1928)20. Le développement du marché des capitaux est ainsi directement en lien avec l’attention soudaine pour le crédit des économistes en faveur de la stabilisation des prix.
C’est dans une telle configuration que Fisher développe le 100 % Monnaie. Celui-ci s’articule autour de cinq grandes idées : créer une Commission Monétaire qui constituerait une troisième strate dans le système monétaire au-dessus des Banques Centrales Fédérales (1) ; séparer les banques commerciales en deux départements, l’un consacré aux virements, le second aux prêts et investissements (2) ; couvrir à 100 % les dépôts à vue inscrits au passif du département des virements par des rachats de la Commission Monétaire de titres publics (3) ; accorder le monopole des émissions de billets à la Commission Monétaire (4) et enfin, permettre au département des prêts de pratiquer l’escompte (5). Examinons-les de plus près.
Tout d’abord, le plan de Fisher redessine l’architecture du système bancaire. D’une part, il définit une nouvelle autorité monétaire, la Commission, dont le rôle consiste, par ses opérations d’open market, à garantir la stabilité du pouvoir d’achat de la monnaie. Dans la lignée du dollar-compensé, Fisher insiste sur la nécessité de maintenir indépendante l’autorité monétaire vis-à-vis de l’État, tout en recommandant que son action soit encadrée par des règles inscrites dans la Constitution, afin que sa politique d’émission ne soit pas discrétionnaire21. D’autre part, 90sur le modèle du Bank Charter Act (1844), le 100 % Monnaie préconise de séparer les banques commerciales en deux départements. Mais, cette fois-ci, le plan consiste à dissocier la monnaie du crédit bancaire :
In England, the inadequacy of reserves against notes had scarcely been remedied in 1844 when it reappeared in the form of inadequacy of reserves against deposits. When Sir Robert Peel applied essentially a 100% principle to a part of the English note issue, checking deposits had not yet become a problem. They scarcely existed. But they speedily became a problem through the same abuse which had previously made bank notes a problem. True, the banks could no longer print and loan to their customers ill-secured bank notes, but they could furnish them with ill-secured bank deposits, or check-book money, a synthetic substitute for money (Fisher, 1935, p. 53-54).
Le premier département, consacré aux dépôts, ne serait ainsi pas en mesure de pratiquer l’escompte : chaque ligne de compte inscrite à son passif devant être couverte par des réserves obtenues auprès de la Commission Monétaire22. Pour Fisher, l’incapacité des banques à créer de la monnaie ne constituerait pas un problème pour le financement des entreprises car, d’une part, leur second département en charge des prêts et investissements pourrait alimenter le marché des fonds prêtables en pratiquant l’escompte23 ; mais surtout, parce que, selon lui, le volume d’investissement n’est pas déterminé par la quantité de monnaie en circulation mais par l’épargne, qui serait bien plus consistante dans le 100 % Monnaie que dans un régime de réserves fractionnaires :
Hitherto we have discussed loans as if they were a monetary problem. But loans normally come out of savings, and the growth of the loans should depend on the growth of the savings, and not be either stimulated or hampered, as they are now, by a monetary system unduly expanding or contracting (…) under the 100% system, savings would be greater because not interrupted by booms and depressions (Fisher, 1935, p. 89-90).
Le deuxième axe du 100 % Monnaie consiste en une redéfinition de l’activité bancaire24. Les banques ne seraient en effet plus en mesure de créer de la monnaie dans le plan de Fisher. D’une part, nous l’avons vu, elles n’auraient plus le droit d’accorder des prêts en s’endettant (en 91dehors des dépôts d’épargne). D’autre part, la Commission Monétaire possèderait désormais le monopole de l’émission de billets25. Les encaisses que les banques devraient détenir pour couvrir les dépôts correspondraient ainsi au papier émis par la Commission qu’elles ne pourraient obtenir qu’en échange de leurs titres publics26.
Selon Fisher, un tel dispositif, outre la sécurité qu’il apporterait au système bancaire, serait également très avantageux pour l’État. En effet, il permettrait d’abaisser drastiquement le niveau de la dette publique. À cet égard, comme l’a bien souligné Dimand (1993), si Fisher était principalement soucieux de garantir la stabilité macro-économique, la soutenabilité de la dette constituait également un objectif important dans son esprit. Ainsi, le 100 % Monnaie permettrait de compresser la charge de la dette à travers trois mécanismes. Tout d’abord, la nouvelle demande de titres publics émanant de la Commission en améliore la liquidité et permettrait donc de réduire les taux d’intérêt sur la dette. Deuxièmement, avec les rachats de titres publics par la Commission, le gouvernement détiendrait une partie de sa propre dette et les intérêts payés sur ces actifs viendraient renflouer les comptes publics. Mais le principal processus par lequel la dette publique serait réduite est le suivant. En raison de la croissance économique et démographique, Fisher considère que le 100 % Monnaie a un biais déflationniste (la quantité réelle de monnaie par habitant serait réduite). Par conséquent, la Commission, pour maintenir constants les prix, devrait tendanciellement mener une politique expansionniste de rachats des titres publics. à long terme, il en résulte, selon lui, que la dette publique serait exclusivement détenue par la Commission c’est-à-dire qu’in fine le gouvernement se verserait à lui-même le montant de ses dépenses publiques. En d’autres termes, la dette publique pourrait ainsi être éliminée27 ! Et Fisher ne se contente pas de défendre la monétisation de la dette publique, il avance également une idée aujourd’hui en vogue : le « dividende social28 ». De telle 92sorte, si les dépenses publiques se révélaient insuffisantes pour injecter la monnaie nécessaire aux besoins de financement de l’économie, la création monétaire s’effectuerait d’abord par la voie fiscale (par des crédits d’impôts) puis, une fois tous les impôts supprimés, par des versements de l’État vers les agents :
If it should come to pass, some fine day, that the whole national debt had been paid off, what then ? Would the Currency Commission thereafter, in order to offset any threatened deflation, be obliged, for the purpose of putting new Commission Currency into circulation, to acquire private corporations bonds or other property and, in spite of itself, become the owner of an increasing share of the private wealth of the United States ? By no means (…) The money could, if desired, be used to reduce taxation and, if we wish to imagine so extreme a result, to abolish all Federal taxes. Beyond that point, assuming it were ever reached, any further surplus could be used, if desired, for a veritable « social dividend », as proposed by certain writers approaching this subject from another angle (Fisher, 1935, p. 207-209).
Pour conclure cette partie, il ressort une différence majeure entre les deux projets de réformes de Fisher. Tandis que le dollar-compensé vise à amortir les variations de prix a posteriori, le 100 % Monnaie adopte une logique tout à fait opposée : il s’agit cette fois de supprimer purement et simplement les fluctuations en agissant sur leurs causes. Selon Friedman et Schwartz, une telle inflexion s’expliquerait par une modification de la nature du crédit bancaire dans l’analyse de Fisher consécutive à la récession des années 1930. Nous examinons cette hypothèse dans la partie suivante à travers une présentation de ses conceptions de la monnaie et du crédit.
93II. Monnaie et crédit chez Fisher
II.1. Une conception monétaire des variations de prix
Avant comme après la crise de 1929, Fisher considère la stabilité des prix comme l’objectif primordial de la politique économique. Cette dimension occupe une position tellement centrale et récurrente dans ses écrits qu’elle constitue indéniablement la ligne directrice de sa pensée monétaire. Dans Stabilizing the Dollar comme dans le 100% Money, il s’exprime en des termes très forts à ce sujet :
One of the chief marks of a high civilization is the reduction of risks and the lessening of the many perils of life and property to which human beings are exposed. Judged by this criterion our unstable dollar is a relic of barbarism29 (Fisher, 1920, p. 65).
The essence of the 100% plan is to make money independent of loans ; that is, to divorce the process of creating and destroying money from the business of banking. A purely incidental result would be to make banking safer and more profitable ; but by far the most important result would be the prevention of great booms and depressions by ending the chronic inflations and deflations which have ever been the great economic curse of mankind (Fisher, 1935, p. xvii).
S’il se soucie autant de ce problème, au point d’élaborer deux régimes monétaires alternatifs à ceux en vigueur, c’est parce qu’il estime cette question mal traitée par les autorités politiques et une large partie des économistes de son époque. En effet, selon lui, les mesures proposées pour maintenir les prix constants échouent systématiquement car elles ne perçoivent pas que leur instabilité a une origine monétaire :
The following is a list of the measures to stabilize prices which I have seen in the last ten years, a few of which have, in some places, been adopted : parcel post ; farm loan facilities, workmen’s compensation ; other forms of social insurance ; Government ownership of public utilities ; socialism, of every variety (…). The above list of proposals is given, therefore, not for indiscriminate condemnation, but as showing in what direction people tend to think when the problem of the high cost of living is mentioned. The fact that such proposals are mostly concerned with economy and efficiency in the production, distribution, 94and consumption of goods shows that little thought is ordinarily given to the other side of the market, i.e. to the monetary aspect of the question (Fisher, 1920, p. 79-81).
Une telle difficulté s’explique par ce que Fisher nomme à partir de 1920 l’illusion monétaire, c’est-à-dire la croyance dans la stabilité de la valeur de la monnaie30. En raison de ce biais, les réformes avancées pour stabiliser les prix ne peuvent être efficaces puisqu’elles postulent constant ce qui est variable. Elles ne sont ainsi pas en mesure d’identifier les causes des perturbations :
Of all the illusions which cluster about money, the one which most interests us here is the illusion that money is always fixed in value, that « a dollar is a dollar ». If this were really true, the present book would not have been written. That so many people assume it to be true is the reason there is so little demand for a change. For why try to stabilize what is already supposed to be stable ? (Fisher, 1920, p. 36).
Chez Fisher, l’idée selon laquelle les mouvements du niveau général des prix résultent de facteurs monétaires et non réels trouve son origine dans sa thèse, Mathematical Investigations in the Theory of Value and Prices (1892). Dans celle-ci, il estime montrer que la détermination des prix relatifs dans un modèle d’équilibre général (à trois marchandises) a pour conséquence l’indétermination du niveau général des prix31. En effet, dans une économie à n biens et n marchés, il n’existe que (n–1) équations de marché indépendantes en raison de la loi de Walras qui relie les n biens aux n marchés. Il en découle que le système permet au mieux de déterminer (n–1) inconnues, alors qu’il y a n prix de compte. Par conséquent, l’un des biens doit servir de numéraire pour exprimer la valeur des autres. En d’autres termes, les prix relatifs sont déterminés mais pas les prix de compte. Pour Fisher, cela signifie que le niveau général des prix est indéterminé32. Selon lui, il en résulte que ce dernier ne dépend pas des forces réelles que constituent l’offre et la demande, mais de facteurs monétaires. Ainsi, l’équation des transactions MV = PQ constitue à ses yeux l’équation manquante pour boucler le système33 :
95Ceux d’entre eux [les économistes] qui voudraient voir implicitement contenue dans la loi de l’offre et de la demande les éléments de la détermination des prix, et voudraient en faire dépendre cette dernière, sans tenir compte ni de la quantité de monnaie en circulation, ni du volume des dépôts, ni des vitesses de circulation, ni du volume global des transactions, ceux-là sentiraient leur confiance s’ébranler sérieusement, s’ils poursuivaient leur raisonnement sur la détermination des prix pour différents articles isolés. Ils aboutiraient à cette conclusion que toujours il leur manque une équation pour déterminer l’une des inconnues que renferment ces équations. L’équation générale des transactions est, en toutes circonstances, indispensable pour compléter les équations partielles de l’offre et de la demande (Fisher, 1926, p. 202-203).
Elle est ajoutée aux équations réelles afin de permettre le passage d’une économie de compte où seuls les prix relatifs sont déterminés à une économie monétaire dans laquelle les prix absolus sont connus. Cependant, Patinkin (1949 ; 1951) a montré qu’une telle construction reposait sur une dichotomie entre secteurs réel et monétaire contradictoire34. En effet, dans le « modèle classique », les fonctions de demande de biens sont homogènes de degré zéro dans les prix monétaires. Par conséquent, les variations du niveau général des prix n’ont aucune incidence sur le marché des biens. Si, en partant d’une position d’équilibre, on multiplie par un scalaire positif le vecteur des prix, l’équilibre sur le marché des biens n’est nullement modifié. Mais, s’il en est ainsi, cela signifie également que le marché de la monnaie est équilibré quel que soit le niveau des prix en vertu de la loi de Walras. Or, une telle propriété est incompatible avec l’équation monétaire : selon celle-ci, le marché de la monnaie ne peut être à l’équilibre puisque, pour les nouveaux prix, les agents souhaitent détenir une quantité de monnaie supérieure à celle qui est offerte. Comme on le sait, Patinkin résout cette incohérence du « modèle classique » en montrant que les fonctions de demande de biens dépendent non seulement des prix relatifs, mais également du niveau général des prix par l’intermédiaire de l’effet d’encaisse réelle.
Selon nous, l’erreur de Fisher découle de sa conception même de la monnaie. Il définit cette dernière comme une marchandise généralement acceptée dans l’échange :
96Toute marchandise, pour être appelée « monnaie », doit pouvoir être acceptée dans tout échange, et réciproquement toute marchandise qui peut être acceptée universellement dans tout échange doit être appelée monnaie. Le meilleur exemple d’une marchandise-monnaie est aujourd’hui fourni par les pièces d’or (Fisher, 1926, p. 2).
D’après lui, elle constitue un élément de la richesse car elle est appropriable et matérielle. Il ne se rend toutefois pas compte que si la monnaie est une marchandise, introduire l’équation de transactions fait passer de n à (n+1) le nombre de biens dans l’économie. En d’autres termes, l’introduction de l’équation des échanges ne permet pas de lever l’indétermination des prix de compte puisqu’il y a désormais n équations de marché indépendantes pour déterminer (n+1) inconnues. Pour autant, Fisher ne développe pas de théorie de la monnaie-marchandise. Il considère en effet que la valeur de la monnaie ne se fixe pas selon les mêmes principes que les biens. Il constate que cette dernière correspond à l’inverse du niveau général des prix35 et affirme que celui-ci est strictement proportionnel à la quantité de monnaie en circulation. Il s’ensuit que la monnaie possède une nature indéterminée chez Fisher. En effet, si sa valeur obéit à des lois distinctes des autres biens, alors elle n’est pas une marchandise ordinaire contrairement à la définition qu’il propose. La dichotomie incorrecte sur laquelle il fonde l’idée que le niveau général des prix dépend exclusivement de la sphère monétaire trouve donc son origine dans une analyse confuse de la nature de la monnaie.
II.2. La dissociation entre monnaie et crédit
Dans cette section nous cherchons à montrer que Fisher, tout au long de son œuvre, oppose monnaie et crédit : ce dernier n’est pas de la véritable monnaie, mais un simple substitut permettant d’en accroître la vitesse de circulation à ses yeux. Cette approche nous permet d’écarter l’hypothèse formulée par Friedman et Schwartz selon laquelle il modifierait sa définition de la monnaie en y intégrant les dépôts, ce qui serait à l’origine de son plan de 1935.
97Tout d’abord, rappelons que les dépôts à vue constituent une contrepartie du crédit bancaire. En ce sens, leurs analyses sont liées. Dans le Pouvoir d’achat de la monnaie, Fisher est très clair sur ce point, les dépôts à vue ne sont pas de la « real money » car ils n’ont pas cours légal :
Pratiquement, la monnaie et les dépôts en compte de chèque sont les seuls intermédiaires circulants (…) Mais si un dépôt de banque transférable par chèques est au nombre des intermédiaires circulants, il n’est pas une monnaie. Par contre, un billet de banque est à la fois un intermédiaire circulant et une monnaie. C’est entre les deux que se trouve la ligne précise de démarcation entre ce qui est monnaie et ce qui ne l’est pas. À vrai dire, elle est à peine marquée, surtout lorsqu’on se trouve en présence de certains chèques, tels que les chèques-récépissés, qui sont presque identiques aux billets de banque. Les uns et les autres sont des engagements à vue d’une banque et confèrent au porteur le droit de toucher de la monnaie ; mais tandis qu’un billet est acceptable dans les échanges d’une manière générale, un chèque ne l’est que d’une manière spéciale, c’est-à-dire seulement avec le consentement du bénéficiaire. Il n’y a de véritable monnaie que ce que l’on accepte sans discussion, parce qu’on y est invité soit par la loi qui en fait une « monnaie légale », soit par une coutume solidement établie (Fisher, 1926, p. 12).
La conception métalliste de la monnaie de Fisher transparaît complètement à travers l’opposition qu’il effectue à l’intérieur même de « real money ». Il distingue en effet l’or-monnaie dont l’usage dans les transactions découlerait de sa valeur marchande et la monnaie fiduciaire qui reposerait sur la confiance :
Il y a deux sortes de monnaie : la monnaie primaire, et la monnaie fiduciaire. Une monnaie est dire « primaire » lorsque c’est une marchandise qui a exactement la même valeur pour un usage industriel que pour l’usage monétaire. Une monnaie fiduciaire, au contraire, est celle dont la valeur dépend plus ou moins complètement de la confiance qu’a le porteur dans la possibilité de l’échanger contre d’autres biens, par exemple, dans une banque ou à une Caisse de l’État, contre de la monnaie primaire, ou, en tout cas, contre la quittance d’une dette ou contre des marchandises. Le meilleur exemple de monnaie primaire est la pièce d’or ; le meilleur exemple de monnaie fiduciaire est le billet de banque (Fisher, 1926, p. 12-13).
L’approche de Fisher fait écho à sa définition de la monnaie que nous avons présentée. La distinction qu’il opère peut toutefois se discuter. Comme l’a déjà souligné Georg Simmel (1900), l’acceptabilité de l’or-monnaie repose sur un acte de confiance et, en ce sens, l’or est tout 98autant fiduciaire qu’un billet de banque. Fisher ne perçoit pas du tout cet aspect. Il en résulte que, chez lui, les moyens de circulation ne se confondent pas avec la monnaie. Le concept de « moyen de circulation » joue ainsi le rôle d’un sas de décompression entre la « vraie monnaie » (or et billets) et les instruments qui se substituent en pratique à celle-ci (les chèques). De la sorte, Fisher s’inscrit dans la lignée de la Currency School qui déjà, un demi-siècle plus tôt, dissociait la monnaie du crédit36.
Cette ligne, Fisher ne l’abandonne pas après la crise de 1929. En effet, la dissociation entre monnaie et crédit se retrouve dès les premières lignes du 100% Money :
When a person draws a check, he draws it against what he calls « the money I have in the bank » as shown by his deposit balance on the stub of his check book. The sum of all such balances, on all such stubs in the whole country, i.e. all checking deposits, or what we ordinarily think of as the « money » lying on deposit in banks and subject to check, constitutes the chief circulating medium of the United States. This I propose to « check-book money » as distinct from actual cash or « pocket-book money ». Pocket-book money is the more basic of the two. It is visible and tangible ; check-book is not. Its claim to be money and to pass as if it were real money is derived from the belief that it « represents » real money and can be converted into real money on demand by « cashing » a check. But the chief practical difference between check-book money and pocket-book money is that the latter is bearer money, good in anybody’s hands, whereas check-book money requires the special permission of the payee in order to pass (Fisher, 1935, p. 3-4).
Pourtant, selon Friedman et Schwartz (1970), Fisher rejetterait sa définition de la monnaie de 1911 pour y intégrer les dépôts à vue37. Un tel revirement permettrait d’expliquer le passage du dollar-compensé au 100 % Monnaie par une modification de l’analyse de la nature des dépôts chez Fisher. Cependant, une telle interprétation n’est, selon nous, pas cohérente. Premièrement, elle est contredite par de multiples passages du 100% Money dans lesquels Fisher réaffirme avec force l’opposition entre monnaie et instruments de crédit38. D’autre part, le 99commentaire de Friedman et Schwartz nous paraît contradictoire avec la logique du 100 % Monnaie qui consiste précisément à couvrir ce qui n’est pas de la monnaie par de la véritable monnaie. C’est en effet dans ces termes que Fisher présente son plan : une fois que les dépôts à vue seront couverts par des réserves, « The “money I have in the bank,” as recorded on the stub of my check book, would literally be money and literally be in the bank » (1935, p. 10). À l’inverse, si les dépôts à vue étaient de la monnaie pour Fisher, il n’y aurait pas besoin de les couvrir. C’est parce qu’ils constituent seulement une promesse des banques qu’ils sont de la monnaie virtuelle, et non réelle :
Check-book money really needs big reserves behind it much more than pocket-book money does, both because it is usually some six or seven times as large in volume and because check-book money is not bearer money (…) The notes are real money capable of circulating generally from hand to hand so that their redemption merely means substituting one form of real money for another. But the deposits are not real money – are not capable of circulating generally from hand to hand (Fisher, 1935, p. 57).
La conception du crédit de Fisher étant précisée, nous allons maintenant voir que c’est, non pas sa nature, mais son rôle dans les crises qui se trouve modifié entre le dollar-compensé et le 100 % Monnaie.
III. Une analyse renouvelée
de la stabilité de l’équilibre monétaire
III.1. Les cycles de crédit
Jusqu’en 1929, Fisher s’appuie sur une théorie du cycle qu’il développe au chapitre 4 du Pouvoir d’achat de la monnaie. D’après celle-ci, les alternances entre phases de croissance et de dépression ont pour origine les variations exogènes de la quantité de monnaie en circulation et sont accentuées par celles de l’encours de crédit. En effet, selon Fisher, à la suite d’un choc monétaire expansionniste, les banques anticipent de manière incorrecte le taux d’inflation à venir, ce qui agit à la baisse sur le taux d’intérêt réel. S’en suit un emballement du crédit bancaire qui alimente la hausse des prix et entretient le processus :
100Parmi les frais que supporte l’homme d’affaires, en effet, figurent les intérêts ; or leur taux ne monte pas immédiatement. Ainsi, nécessairement, les profits augmenteront plus rapidement que les prix. En réalisant des bénéfices plus considérables que jusqu’ici, les hommes d’affaires se sentent encouragés et ils étendront leurs entreprises par de nouveaux emprunts […] Ainsi, la circulation des dépôts M’ tend à croître ; mais ce développement à son tour tend à accentuer la hausse du niveau général des prix… (Fisher, 1926, p. 66).
Cette dynamique est néanmoins transitoire car, une fois contraintes par leurs réserves, les banques finissent par accroître brutalement le taux d’intérêt. De nombreuses firmes débitrices ne peuvent renouveler leurs emprunts et font alors faillite. C’est la crise. La récession perdure le temps pour les banques de reconstituer leurs avoirs, ce qui leur permet de relâcher leur pression sur l’offre de crédit. Une nouvelle période de croissance s’enclenche avec la baisse du taux d’intérêt réel.
Cette vision du cycle économique appelle deux commentaires. Tout d’abord, il convient de relever que, d’après Fisher, les variations de l’encours de crédit sont subordonnées et découlent de celles de la quantité de monnaie fiduciaire en circulation. De la sorte, le crédit ne constitue pas pour Fisher la cause première des fluctuations qui réside dans les modifications de la quantité de monnaie en circulation. C’est pourquoi il se tourne alors vers le contrôle de l’unité de compte pour garantir la stabilité macro-économique :
We may conclude, on the basis of all the evidence, that to monetary causes in general (money, deposits, and their velocities) we should ascribe the great bulk of almost all changes in the price level. In short the chief causes of the variations in the purchasing power of the dollar are to be found in the dollar itself (Fisher, 1920, p. 52).
Deuxièmement, le crédit bancaire n’exerce que des effets transitoires sur les prix et les quantités produites car l’évolution du coefficient de réserves bancaires permet d’en réguler les excès ou les insuffisances. Ainsi, à long terme39, la théorie quantitative s’applique car les variations du niveau général des prix sont bien, en moyenne d’un cycle, proportionnelles à celles de la quantité de monnaie :
Nous avons insisté sur ce fait que les effets sur les prix d’un accroissement de M n’étaient rigoureusement proportionnels à cette cause qu’en fin de compte, 101et dans des conditions normales, ce qui ne se réalise qu’à la fin d’une période transitoire. On ne peut donc affirmer que les prix varient rigoureusement avec la quantité de monnaie qu’à condition de comparer entre elles deux périodes virtuelles pour chacune desquelles les prix sont stationnaires ou changent tous, en hausse ou en baisse, d’un pas égal (Fisher, 1926, p. 183).
Par conséquent, l’instabilité engendrée par le crédit bancaire est spontanément maîtrisable par le marché. Afin d’en atténuer les effets Fisher suggère néanmoins que la FED pratique une politique de taux d’escompte sur le modèle de la Banque d’Angleterre :
Under almost any sensible banking system the rate of discount is one of the regulators of the volume of credit relatively to reserve. If there is undue expansion of credit relatively to the reserve, the rate of discount is raised to curb it. If, on the other hand, there is a plethora of reserve, the rate of discount is lowered to stimulate an increase of credit (…) The greatest of banks, the Bank of England, is a model in this respect. It alternately defends and releases its gold reserve, which is the basic gold reserve of England, by raising and lowering the bank rate (Fisher, 1920, p. 171).
Pour autant, cette politique ne peut se substituer au dollar-compensé car l’origine de l’instabilité n’est pas le crédit bancaire :
This adjustment would not of itself, however, be sufficient to keep the price level stable ; for while it controls the credit superstructure, it does so only relatively to the metallic base and if this base is uncontrolled relatively to the needs of business, the credit superstructure being proportional to the base, that credit superstructure is equally uncontrolled relatively to the needs of business (Fisher, 1920, p. 172).
En bref, le crédit n’étant ni la cause des fluctuations, ni un obstacle à long terme pour la stabilité macro-économique selon Fisher, celui-ci développe avec le dollar-compensé un projet de réforme qui se focalise sur l’unité de compte et non les dépôts.
III.2. La déflation par la dette
Cette analyse évolue radicalement avec la récession des années 1930. En réaction à celle-ci, Fisher élabore la déflation par la dette ce qui le conduit à affirmer que le marché est incapable de restaurer l’équilibre une fois un processus déflationniste de grande ampleur enclenché :
Et si nos gouvernants avaient encore insisté pour « laisser à la nature l’initiative de la reprise » et avaient encore refusé d’augmenter les prix de quelque façon 102que ce soit, s’ils avaient vainement cherché à équilibrer le budget et à licencier plus de fonctionnaires, à augmenter les impôts, à émettre, ou à essayer d’émettre plus d’emprunts, ils auraient vite cessé d’être nos gouvernants. Car nous aurions abouti à l’insolvabilité de notre gouvernement national lui-même, et probablement quelque forme de révolution politique sans attendre les prochaines élections légales (Fisher, 1988, p. 176).
Selon Fisher, l’origine d’un tel dysfonctionnement se trouve dans le crédit bancaire. Associé à l’essor des marchés financiers, celui-ci peut engendrer un volume excessif de prêts en raison de sa relative autonomie par rapport à la monnaie centrale dans un système de réserves fractionnaires :
In the boom period, for instance, the really gross over-indebtedness usually springs from the upward movement of the price level, which by expanding profits unduly, over-excites the profit maker so that he expands his undertakings unduly, with too much borrowed money. Invention or discovery alone need not carry up the aggregate indebtedness very high if the price level promptly refuses to follow up the lure of invention or discovery with the lure of profits not due to the invention or discovery but to credit inflation (Fisher, 1932, p. 121).
Le surendettement général qui en découle est alors potentiellement dévastateur pour l’économie car, si la dynamique s’inverse brutalement, elle entraîne une dialectique perverse entre désendettement et déflation ; la liquidation des dettes alimente la baisse des prix, mais cette dernière étant plus rapide, elle accroît la valeur réelle des dettes, ce qui renforce la course au désendettement et la spirale déflationniste :
When a whole community is in a state of over-indebtedness, the dollar reacts in such a way that the very act of liquidation may sometimes enlarge the real debts instead of reducing them ! Nominally, of course, any liquidation must reduce debts, but really (by swelling the worth of every dollar in the country) it may swell the unpaid balance of every debt in the country, because the dollar which has to be paid may increase in size faster than the number of dollars in the debt decreases (Fisher, 1932, p. 25).
Fisher estime ainsi que, si entre 1929 et 1933 le niveau global d’endettement a diminué de 20 % aux États-Unis en termes nominaux, l’endettement réel a en revanche progressé de 40 % car le dollar s’est apprécié de 75 % sur la période40.
103Le surendettement étant provoqué par le crédit bancaire, c’est désormais celui-ci qu’il s’agit de contrôler et non plus la volatilité de l’unité de compte. Ainsi, si le chapitre 10 de Booms and Depressions (1932), consacré aux remèdes adéquats à la stabilisation des prix, mentionne encore le dollar-compensé, Fisher ne le considère plus que comme un complément facultatif pour garantir la stabilité monétaire :
A simple application of the compensated dollar plan would be to rely principally upon credit control, and only at long intervals regulate the weight of the dollar when other means proved inadequate (Fisher, 1932, p. 139).
Ainsi, avant même la suspension de la convertibilité-or du dollar aux États-Unis, on observe une inversion dans la hiérarchie des moyens proposés par Fisher afin de stabiliser les prix. Par la suite, l’idée du dollar-compensé disparaît totalement dans le 100% Money. Fisher se focalise sur le contrôle de l’encours de crédit par l’intermédiaire d’une couverture intégrale des dépôts à vue afin d’agir en amont de fluctuations devenues incontrôlables.
Conclusion
Dans ce travail, nous avons cherché à restituer la logique des deux réformes monétaires successivement proposées par Fisher pour stabiliser le niveau général des prix. Cette étude nous a donné l’occasion de mettre l’accent sur ses définitions de la monnaie et du crédit et nous permet de comprendre pourquoi, malgré deux analyses différentes de la crise, les deux projets de réforme monétaire de Fisher sont tournés vers le même objectif : la stabilisation de la valeur de la monnaie.
En effet, d’un côté, nous avons souligné combien l’approche monétaire des fluctuations était essentielle chez Fisher pour appréhender la finalité commune des plans qu’il avance. Ainsi, dans le dollar-compensé comme le 100 % Monnaie, il associe au maintien d’un équilibre stable celui d’un pouvoir d’achat de la monnaie constant. Sous cet aspect, sa pensée apparaît à la fois contemporaine et révélatrice d’une vision du capitalisme dans laquelle la prospérité économique est assimilée à l’absence de toute dynamique cyclique.
104D’autre part, nous avons attribué les différences de moyens employés dans les deux projets de Fisher à l’évolution de sa théorie des crises. Plus précisément, cette opposition s’explique par une double rupture qui s’opère après la crise de 1929 : selon lui, l’instabilité macro-économique a désormais pour origine le crédit bancaire, et non plus l’unité de compte elle-même et, de plus, elle n’est plus maîtrisable par les forces de marché. Par conséquent, sur le modèle du Bank Charter Act, il faut dissocier les activités d’émission de celles de crédit et transformer les banques en simples intermédiaires financiers afin, non plus d’amortir les prix, mais de supprimer les booms et dépressions.
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1 « Il n’est pas exagéré de dire que les maux qui résultent de la variabilité de l’étalon monétaire sont parmi les plus graves des maux économiques avec lesquels la civilisation doit compter ; et le problème pratique qui consiste à trouver une solution à cette question a une portée et une importance internationale » (Fisher, 1926, p. ix).
2 Par l’expression « 100 % Monnaie », nous nous référons au plan de Fisher. Lorsque nous ferons allusion à l’ouvrage dans lequel ce plan est contenu, nous l’écrirons en version originale : 100% Money.
3 Voir en particulier Knight & al. (1933) et Simons (1934).
4 Voir le chapitre 4 du Pouvoir d’achat de la monnaie (1926), p. 61-84.
5 Nous renvoyons ici à l’ouvrage de Fisher (1932), Booms and Depressions, some first principles dont le chapitre sur les causes de l’instabilité a été repris et complété l’année suivante sous la forme d’un article depuis devenu célèbre : Fisher (1933).
6 C’est d’abord une étude du FMI (2012) qui a cherché à établir la justesse des conclusions de Fisher en modélisant son plan dans le cadre d’un modèle DSGE (Benes & Kumhof). Par la suite, le rapport Sigurjónsson (2015) en Islande a également suggéré de mettre un terme au système de réserves fractionnaires en le désignant comme le principal responsable de la violence de la crise financière de 2008. Le sujet a été particulièrement brûlant en Suisse où l’initiative pour la « monnaie pleine » a débouché sur un référendum, organisé le 10 juin 2018, qui devait décider de la capacité des banques commerciales à émettre de la monnaie (les opposants à la réforme l’emportant à plus de 75 %).
7 Parmi les points que nous énumérons, précisons que le caractère endogène de la monnaie chez Keynes est postérieur à la Théorie générale. Voir à ce sujet Lavoie (1986).
8 Pour autant, cela ne signifie pas, loin de là, que tous les keynésiens et post-keynésiens souscrivent au 100 % Monnaie. Le plan de Fisher est d’ailleurs l’objet de violentes critiques de certains d’entre eux. Voir par exemple Fontana & Sawyer (2016 ; 2017).
9 On peut noter que l’engagement de Fisher dans cette organisation perdure jusqu’aux années 1940. Celle-ci change en effet de nom en 1923 et devient la National Monetary Association (certains membres craignant que le nom initial ne les fasse apparaître comme de simples disciples de Fisher). Elle est ensuite dissoute à la suite de désaccords avant d’être reformée sous le nom de Stable Money Association, qui est elle-même remplacée au début des années 1930 par le Committee for the Nation. En 1934, Fisher publie d’ailleurs un livre qui retrace l’histoire de ce mouvement en faveur de la stabilisation des prix.
10 « And if we circulate gold only through paper representatives redeemable only in gold bullion and discontinue gold coins, these periodical changes in the weight of the dollar can be made even more easily than the occasional changes which history records » (Fisher, 1920, p. 92).
11 Fisher mentionne l’idée de Ricardo en bas de la page 92 de Stabilizing the Dollar ainsi que dans l’appendice VI.
12 « Since, then, even today, most of our gold dollars do their circulating in the form of paper, there would be no inconvenience if the only circulation of gold were in the form of paper » (Fisher, 1920, p. 92).
13 Voir Fisher, ibid., p. 162-163.
14 « I do not think that any sane man, whether or not he accepts the theory of money which I accept, will deny that the weight of gold in a dollar has a great deal to do with its purchasing power » (Fisher, 1920, p. 90).
15 Dans une économie où l’unité de compte ne se confond pas avec la monnaie de règlement, une modification de la valeur de l’once d’or enclenche bien un mécanisme de marché par lequel la quantité réelle de monnaie fluctue. En effet, le pouvoir d’achat des encaisses détenues par les agents varie, ce qui se répercute sur leur demande et donc les prix. C’est dans un tel cadre que raisonnent, par exemple, Jean Bodin et Jean de Malestroit lorsqu’ils s’opposent au xvie siècle. L’influence de cette controverse sur le projet de Fisher, tout comme ses réminiscences lors des débats monétaires britanniques auxquels prend part John Locke à la fin du xviie siècle, ne sont pas à négliger.
16 Cette objection au dollar-compensé n’est pas nouvelle. Elle avait été immédiatement formulée par Anderson (1913) et Sprague (1913).
17 Le dollar-compensé n’est pas pour autant rendu cohérent : pour cela il faudrait que la monnaie en circulation soit exclusivement composée de certificats d’or, ce que ne mentionne pas Fisher d’après lequel l’action du Trésor constitue uniquement une mesure complémentaire de son plan, et non le mécanisme central.
18 On peut noter que ce type de projet n’était pas dans l’air du temps seulement aux États-Unis. En 1926, le prix Nobel de chimie Frederick Soddy, avait en effet suggéré un plan analogue en Grande-Bretagne dans son ouvrage Wealth, Virtual Wealth and Debt. Ce travail reçut notamment l’attention de Frank Knight (1927).
19 En 1939, Fisher présente au président Roosevelt une version révisée du plan co-écrite avec cinq autres économistes. La question est néanmoins très vite éclipsée par l’éclatement de la seconde guerre mondiale.
20 Ces données sont tirées de Galbraith (1929, p. 74), Kindleberger (1984, p. 365) et Dice (1929, p. 9).
21 « The Currency Commission should be independent like the Supreme Court, so that the purchasing power of our dollar may be kept stable despite banking operations and despite United States Treasury operations » (Fisher, 1935, p. 206).
22 Fisher, ibid., p. 61.
23 « A tendency would begin at once to prevent the new loans (promissory notes) from being shifted from the bank up-stream toward the Currency Commission through discount » (Fisher, 1935, p. 86).
24 Sur ce point, nous sommes en désaccord avec S. Demeulemeester (2018).
25 Fisher propose même que les billets déjà dans la circulation ne soient pas couverts par les billets de la Commission, et circulent librement, comme les greenbacks après la guerre civile. Voir Fisher, Ibid., p. 160.
26 « In practice I would prefer not to allow the Currency to rediscount loans, i.e. to buy promissory notes, but would restrict their purchases entirely to Government obligations » (Fisher, 1935, p. 64).
27 « Eventually (unless prevented by such a catastrophe as the World War) there would probably be a complete elimination of Government debt » (Fisher, 1935, p. 207).
28 Voir par exemple le mouvement QE for People initié en Grande-Bretagne (2015) qui suggère d’injecter des liquidités non pas au niveau bancaire, mais directement auprès des agents non financiers. Interrogé au Parlement Européen sur cette mesure, Mario Draghi n’avait pas fermé la porte quelques mois après le lancement du programme de QE de la BCE (déclaration du 23 septembre 2015).
29 La métaphore de la « relique barbare » est utilisée par Fisher avant son emploi par Keynes dans la Réforme monétaire (1923). Si elle ne désigne par l’or chez Fisher, elle renvoie chez les deux auteurs à l’étalon monétaire.
30 Fisher est d’ailleurs le premier économiste à employer la notion d’illusion monétaire dans Stabilizing the Dollar. Cela étant, sa définition diffère de son sens contemporain.
31 Voir Fisher (1892), p. 58-59 et p. 62.
32 La signification de cette proposition est ambiguë dans la mesure où Fisher n’introduit pas au chapitre 5 de sa thèse une unité de compte qui soit distincte des marchandises.
33 J. de Boyer des Roches (2017) a montré que si Fisher était conscient dès 1892 de la nécessité d’une équation supplémentaire pour déterminer les prix monétaires, le choix de l’équation quantitative était postérieur et résultait de l’influence des travaux d’Edwin Kemmerer.
34 Voir également la note F consacrée à Fisher dans Patinkin (1965) dans la section « Notes supplémentaires et études dans la littérature ».
35 « Ce pouvoir d’achat de la monnaie est défini par les quantités d’autres biens que peut acheter une quantité donnée de monnaie (…) Bref, le pouvoir d’achat de la monnaie est l’inverse du niveau général des prix ; en sorte que l’étude du pouvoir d’achat de la monnaie est identique à l’étude du niveau général des prix » (Fisher, 1926, p. 15).
36 Fisher s’appuie ainsi sur une conception du multiplicateur des dépôts analogue à celle de R. Torrens (1837). De même l’opposition qu’il opère entre monnaie et moyen de paiement fait écho à la distinction chez Torrens entre « monnaie déléguée » et « monnaie préexistante ». On peut toutefois noter que l’analyse du billet de banque de Fisher diffère quelque peu de celle des auteurs britanniques de la Currency School, à commencer par Torrens, puisque, contrairement à eux, il les intègre à la « véritable » monnaie.
37 Friedman & Schwartz (1970), p. 98.
38 Voir Fisher (1935), p. 4, 10, 39, 69 ou encore p. 94-95.
39 Le court et long terme doivent ici se comprendre dans leur sens marshallien, c’est-à-dire opposent déséquilibre et équilibre.
40 Fisher, 1933, p. 174-175.
- Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
- ISBN : 978-2-406-09845-4
- EAN : 9782406098454
- ISSN : 2495-8670
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09845-4.p.0081
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 17/12/2019
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Irving Fisher, instabilité macroéconomique, crédit, création monétaire