Le féminisme de Juliette Adam et ses Idées anti-proudhoniennes
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
2019 – 1, n° 7. varia - Auteur : Krier (Isabelle)
- Pages : 171 à 194
- Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
Le féminisme de Juliette Adam
et ses Idées anti-proudhoniennes
Isabelle Krier
Lycée Voltaire à Orléans-La-Source
Université François Rabelais de Tours
Ces philosophes qui se targuent de logique n’ont jamais eu à discuter serré avec une femme.
Cesare Pavese, Le Métier de vivre
INTRODUCTION
La communauté politique et l’organisation économique se sont longtemps appuyées sur une structure hiérarchique de la famille, mais celles-ci ne sont-elles pas amenées à s’ouvrir à la mixité ? Comment, en ce milieu du xixe siècle, en France, le socialisme, qui se donne pour objet de faire triompher les droits, contre l’ancien règne des privilèges et du profit, peut-il rester cohérent avec lui-même quand il prône l’éradication des femmes de la sphère publique et qu’il refuse de consentir à un égal partage du travail et des fonctions entre les genres ? Pourquoi la reconnaissance de la mixité sexuelle des responsabilités collectives répond-elle à une exigence de justice, non seulement à l’égard des femmes, mais pour la société elle-même ?
Telles sont les questions soulevées par Juliette La Messine née Lambert, qui deviendra plus tardivement Adam, dans un pamphlet publié en 1721858 et intitulé Idées anti-proudhoniennes sur l’amour, la femme et le mariage. Âgée de 18 ans, mais forte d’une éducation positiviste, républicaine et socialiste, lui venant de son père, Juliette La Messine propose ici un texte étonnamment moderne, à une époque, où le conservatisme domine. Elle y répond au volumineux ouvrage de Proudhon De la Justice dans la Révolution et dans l’Église paru en avril de la même année. Elle avoue, en un premier temps, son admiration pour les idées maîtresses du père de l’anarchisme et leur « puissance d’argumentation ». Elle connaît bien cet économiste et philosophe, étant accoutumée, dès sa jeunesse, à batailler avec son père à son sujet. Elle a lu la critique proudhonienne du socialisme autoritaire, auquel il est reproché l’étatisme, mais aussi la dénonciation de la démocratie libérale et de la propriété privée. Dans l’introduction de son libelle, elle fait référence à l’idéal proudhonien d’une économie de solidarité et d’un projet de reconstruction « du social par le social », par l’autogestion et le mutualisme.
De la Justice dans la Révolution et dans l’Église aurait été un grand texte rédigé en « un style incomparable », si leur auteur ne s’était pas laissé aller à des « injures les plus brutales et les plus grossières » contre les femmes et principalement contre celles qu’elle admire le plus : George Sand, la grande républicaine, et Daniel Stern, connue aussi sous le nom de Marie d’Agoult (maîtresse de Frantz Liszt), à qui l’on doit La Révolution de 18481. « Laisser de telles injures sans les relever » serait « abominable ». « Il faut que, femmes, elles soient défendues par une femme » (Adam, 1904, p. 15).
Le combat féministe de Juliette Adam contre Proudhon s’inscrit dans une urgence, compte tenu d’un retour massif à la tradition : « Hier, c’était contre les adversaires du progrès ; aujourd’hui, contre M. Proudhon ; demain peut-être, contre les amis du progrès et de la liberté mal comprise. Courage donc ! » (Adam, 1858). Les années 1850-1860 sont marquées par un net recul des idées progressistes, même si elles émergent encore, de manière sporadique, grâce aux souvenirs et à la présence de quelques anciens et anciennes de 48. À la veille du coup 173d’État de Louis Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1851, l’amendement Chapot supprime le droit de toute intervention politique pour les femmes, qui sont devenues les parias de l’espace public. Leur éviction signe un rabattement des valeurs démocratiques et républicaines. Il s’accompagne de leur assujettissement dans la famille, dont le modèle hiérarchique semble recueillir le consensus. Celui-ci est approuvé par les membres du parti de l’Ordre, qui siègent majoritairement à l’assemblée législative, mais aussi par les libéraux et même par certains socialistes, dont Proudhon. Ce « père de l’anarchisme » est une autorité reconnue auprès des socialistes et des ouvriers, qui adhèrent majoritairement à sa représentation inégalitaire de la différence des sexes. Seul·e·s quelques-uns ou quelques-unes osent le contester, dont Étienne Storm qui juge sa conception des relations hommes/femmes comme un retour des plus vulgaires au patriarcat (Riot-Sarcey, 2016, p. 248) et Jenny d’Héricourt (Riot-Sarcey, 2016)2.
Pour Juliette Adam, la misogynie de Proudhon ne constitue pas un élément périphérique de sa pensée. Elle fait corps avec son système, tel qu’il se présente en tout cas dans De la justice dans la Révolution et dans l’Église. Cette misogynie est centrale parce que l’inégalité des sexes justifie l’existence du mariage, première institution de la justice. Il faut donc aborder la question des femmes comme un problème philosophique, économique et politique sérieux. Les Idées anti-proudhoniennes ne se limitent cependant pas à une critique de Proudhon. Elles sont aussi l’occasion de l’expression d’une pensée autonome. En un premier temps, cette contribution se donnera pour tâche présenter dans ses grandes lignes la lecture que Juliette Adam effectue de De la justice dans la Révolution et dans l’Église en se concentrant sur les conceptions proudhoniennes de la justice, du mariage et de la femme. En un second temps, il s’agira d’étudier le projet de société que Juliette Adam propose. Celui-ci est indissociable de la reconnaissance d’une égalité des sexes et d’une mixité sociale, économique et politique. On évoquera, dans ce cadre, la refonte de l’institution conjugale que l’admission d’une telle égalité suppose. Selon Juliette Adam, l’un des torts de Proudhon serait d’avoir opposé 174la justice à l’amour et plus largement aux sentiments. Cette opposition serait liée à une anthropologie qui privilégierait la raison sur les affects perçus de manière péjorative et prônerait une séparation avec eux. Cette anthropologie serait elle-même associée à une conception hiérarchique de la différence des sexes. Cautionnant des préjugés dominants sur la supériorité des hommes, du fait de leur rapport plus étroit à la raison, et sur l’infériorité des femmes, de par leur lien plus important aux affects, Proudhon serait, au fond, pour Juliette Adam, bien moins novateur qu’il ne le prétend et ces distinctions arbitraires l’empêcheraient de penser la société ou le sujet humain en leur unité vivante.
I. REPRÉSENTATIONS PROUDHONIENNES
DE L’AMOUR, DU MARIAGE ET DE LA FEMME
Dans De la Justice dans la Révolution et dans l’Église, Proudhon élabore, en effet, une analyse négative de l’amour. Selon lui, l’origine de l’amour réside dans une pulsion organique liée à la nécessité de procréation. En tant que besoin physique, il est propre à l’espèce humaine comme à l’ensemble du vivant, qui se conserve par la génération. Limité à ce caractère prosaïque, l’amour ne constitue pas encore un problème. La difficulté vient de ce que, chez l’être humain, ce besoin physiologique se mêle au sentiment et à l’idéalisation. Tandis que l’amour organique est encore pur, « c’est-à-dire dégagé de tout sentiment moral ou intellectuel », l’amour idéalisé est, en revanche, à l’origine de toutes les dégénérescences, comme en témoigne le culte de l’homosexualité, pendant l’Antiquité gréco-romaine, vice qui perdure avec la modernité, mais aussi l’hystérie, la nymphomanie, etc.
Proudhon est soucieux de fustiger l’immoralité des femmes et des mœurs de son temps. Ses protestations sont nombreuses contre les socialistes utopiques, qui ont voulu réhabiliter la chair, en émancipant la femme et les sexualités. Pour lui, les remèdes à la décadence suscités par l’amour, dans sa tendance à l’idéal, sont la justice et le mariage. Livrée à elle-même, la passion charnelle lui paraît sans remèdes. Il convient donc de recourir au moraliste, au législateur, au juge, pour la contrecarrer, en lui imposant des pénalités. Le mariage, selon Proudhon, 175aurait aussi pour fonction de discipliner la volupté par un contrôle strict de la sexualité. Le tort du christianisme n’est pas, selon lui, d’avoir proscrit l’adultère ni d’avoir prôné la chasteté dans la conjugalité. Il est de n’avoir « pas su [le] faire ». « La Révolution, elle, le fera » (Proudhon, 1858, t. 4, p. 155). Dissociées de l’amour et du plaisir, conçus comme des périls, les finalités du mariage résideraient exclusivement dans la reproduction de l’espèce et seraient principalement morales. Il s’agit exclusivement de dévouement et de soins dispensés aux enfants, aux époux et au ménage, au sein d’une institution insécable.
Adam montre que la critique proudhonienne de l’amour repose sur le plus ferme matérialisme. Selon elle, si l’être humain appartient à l’ensemble du vivant, il n’est pas un pur organisme pour autant. C’est une individualité susceptible de spiritualiser son désir. Si Proudhon refuse de voir les dimensions élevées de l’amour, c’est tout simplement parce qu’il s’oppose à la reconnaissance de la valeur de la femme comme sujet égal de l’homme3. Plusieurs textes ne la contredisent pas sur ce point :
La femme n’est pas la moitié du genre humain ; cette expression est on ne peut plus fausse. D’où suit que le droit de la femme dans ses rapports avec l’homme n’a pas pour principe l’égalité. La conversation et la société des femmes rapetissent l’esprit des hommes, les efféminent, les émoussent. La femme, hormis la société conjugale, est pour l’homme mauvaise compagnie, fatigante, énervante, démoralisante. Entre mari et femme il convient que les rapports soient de chef à lieutenant, de curé à vicaire, de roi à ministre ; non d’associé à associé. Il est absurde de dire que la société puisse être réformée par les femmes ; parce que la femme n’est elle-même que ce que l’homme la fait être. L’influence sociale des femmes est une utopie : la femme n’exerce sur la société aucune influence (Proudhon, 1858, t. 2, p. 12).
Dans De la Justice dans la Révolution et dans l’Église, la misogynie de Proudhon est confirmée. Ce dernier tente d’y prouver la supériorité naturelle des hommes et l’infériorité constitutive des femmes d’un point de vue physique, intellectuel et moral, en s’appuyant sur une physiologie naturaliste et sur la science positive élaborée par Auguste Comte notamment. Il justifie la domination masculine en insistant surtout sur 176la supériorité de la force physique de l’homme. Il établit que l’infériorité physique des femmes est confirmée par leur rôle secondaire dans la reproduction. Naturellement tournée vers la passivité, la femme est, selon lui, un mâle imparfait. Sa physiologie est intégralement programmée pour la maternité et la rend inapte : « La femme est un diminutif d’homme à qui il manque un organe pour devenir autre chose qu’un éphèbe » (Proudhon, 1858, t. 3, p. 339). « Partout éclate la passivité de la femme, sacrifiée, pour ainsi dire, à la fonction maternelle : délicatesse de corps, tendresse de chairs, ampleur des mamelles, des hanches, du bassin, jusqu’à la conformation du cerveau » (ibid.). Inférieure devant l’homme, essentiellement inachevée, la femme, dans l’évolution du vivant, n’est qu’un moyen terme entre l’homme et le reste du règne animal ou entre l’homme et le singe.
De l’infériorité physique des femmes découle, pour Proudhon, leur fragilité intellectuelle et morale. Dans le cadre d’une anthropologie matérialiste, Proudhon identifie l’esprit au cerveau et estime que les fonctions cérébrales ou intellectuelles sont proportionnelles à la force physique. Du fait d’une constitution physiologique inaboutie, qui l’inscrit définitivement du côté de la passivité et de la réceptivité, la femme est, d’après lui, intellectuellement incapable d’initiative. L’aptitude à conceptualiser ou saisir les idées générales et les universaux lui fait défaut. C’est pourquoi, condamnée à une absence d’autonomie, elle doit inexorablement être instruite et guidée par l’homme. D’un point de vue moral, la femme est irrémédiablement rattachée à l’« aristocratie », conçue péjorativement. Elle n’a aucun sens de l’égalité, adore les distinctions et les privilèges. Elle stagne dans un état de démoralisation constante, toujours en-deçà ou au-delà de la justice.
Selon Proudhon, cette triple infériorité a pour conséquence l’insuffisance des femmes dans l’action, le travail et le combat. Investi dans l’économie, de par la supériorité de sa force et sa capacité d’action, l’homme a, seul, légitimité à la citoyenneté et, par voie de conséquence, aux charges de commandement domestique et politique. À l’inverse, en tant qu’« individu subalterne », la femme est, inévitablement, condamnée à servir l’homme. Exclue des responsabilités collectives, elle doit être renvoyée à un domaine strictement privé. Pour Proudhon, en effet, elle est tellement empêchée par les « charges de la sexualité », qu’il ne lui reste presque plus aucun temps pour le travail productif et moins encore pour la cause publique.
177II. DÉCONSTRUCTION IRONIQUE
DE LA PRÉTENDUE INFÉRIORITÉ
PHYSIQUE, INTELLECTUELLE ET MORALE DES FEMMES
Dans son pamphlet, Idées anti-proudhoniennes sur l’amour, la femme et le mariage, Juliette Adam s’attache à déconstruire, avec une belle ironie, les préjugés proudhoniens sur l’infériorité physique, intellectuelle et morale des femmes. Selon elle, ce qu’écrit Proudhon de la masculinité de la force ne peut être pris au sérieux et n’est rien d’autre que l’expression à peine voilée de fantasmes douteux qui masquent mal une homosexualité refoulée ou une « technologie physiologique qui frise l’obscénité ». Proudhon généralise à tort la notion de force physique en la réduisant à une seule de ses formes : la force musculaire. Mais il existe d’autres formes de force où les femmes l’emportent, comme celles de la plasticité et de la résistance, comme Adam le précise, en songeant sûrement à Pascal :
Si M. Proudhon, en comparant la femme à l’homme au point de vue physique, entend parler uniquement de la force musculaire, il est probable, en effet, que tout le monde passera condamnation, c’est-à-dire que chacun avouera que généralement parlant, l’homme, devant le dynamomètre, est supérieur à la femme […Mais] la femme a son genre de force comme l’homme a le sien, et (…) si l’homme, par la grosseur de ses muscles et l’épaisseur de ses os, l’emporte sur la femme, quand il s’agit de soulever ou de soutenir des fardeaux, la femme, par la prédominance des fluides, l’élasticité plus grande de sa fibre et la disposition de son appareil nerveux, l’emporte sur l’homme en force résistante. Elle plie et ne rompt point. Quel est l’hercule qui supporterait, sans s’y briser, les efforts de l’enfantement ? (Adam, 1858, p. 57).
Les thèses proudhoniennes de la femelle comme secondaire dans la génération et comme mâle inachevé constituent, quant à elles, selon Adam, un retour aux théories grecques les plus archaïques, aristotéliciennes notamment. On ne saurait sensément leur accorder aucun crédit. Mais l’idée de la femme comme moyen terme entre l’homme et le règne animal est un sophisme qui invite encore plus rire :
Mordieu ! messieurs, savez-vous qu’on aurait bien ri autrefois en France, au temps de Molière et de Voltaire, quand il y avait encore du bon sens, d’un monsieur qui serait venu débiter de pareilles sornettes ? (…) Si la femme est 178le lien qui rattache l’espèce humaine à l’espèce simienne, elle cesse donc d’appartenir à l’espèce humaine qui ne sera plus représentée que par son mâle ; mais alors que devient l’espèce ? (Adam, 1858, p. 63-64).
On ne saurait nier cependant qu’un tel argument sur l’infériorité intellectuelle des femmes fondé sur la seule physiologie est déjà présent chez Aristote et saura s’imposer longtemps dans l’histoire des représentations par l’intermédiaire de la scolastique.
Il n’est pas plus difficile d’ironiser sur le simplisme d’une théorie qui prétend s’appuyer sur l’infériorité physique des femmes pour établir leur incapacité intellectuelle. À ce compte l’étalon le plus vigoureux serait meilleur penseur que Socrate et « Pourquoi pas la machine à vapeur qui représente une somme de force bien autrement considérable ? » (Adam, 1858, p. 74). La reconnaissance d’une dite infériorité morale des femmes n’a pas davantage de fondement. Comment prétendre inférer du physique aux vertus ? Mais ce sont aux arguments proudhoniens sur l’infériorité biologique des femmes, leur inaptitude à l’action et au travail ainsi que sur l’illégitimité de leur citoyenneté active qu’Adam s’attaquera le plus. Et c’est à renverser l’idée proudhonienne, selon laquelle la femme « est fatalement et juridiquement exclue de toute direction politique, administrative, doctrinale, industrielle », qu’elle s’attachera désormais. Selon elle, la représentation hiérarchique de la différence des sexes, partagée par Proudhon, ne repose sur aucun fondement ontologique ou rationnel. Il s’agit d’une construction strictement culturelle, qui s’est imposée toutefois de manière universelle par-delà les frontières géographiques et les époques.
Ces représentations discriminantes sont les conséquences d’une primauté accordée à la valeur de la force brute et attestent sa perpétuation dans les sociétés modernes prétendument civilisées. Historiquement, « les premières sociétés n’ont pu se fonder que sur la force ». Cette force s’est d’abord manifestée comme l’expression de la puissance virile. Il en est résulté l’établissement d’une domination masculine et d’une subordination féminine consolidée durablement par une idéologie inscrite dans les mentalités :
C’est, au commencement des sociétés que la prédominance de l’homme est la plus absolue, parce que la force est l’élément indispensable d’un établissement qui commence. Mais lorsque la société est fondée, lorsque les obstacles externes, conjurés par une force interne solidement établie, permettent à 179l’organisme social de se développer, les autres facultés humaines se montrent et demandent satisfaction (Adam, 1858, p. 81).
Ce règne de la force, au départ justifié par la nécessité de l’établissement d’un ordre social stable et préservé des menaces de chaos intérieur et extérieur, aurait dû être transitoire. Le perfectionnement des sociétés et des cultures aurait dû logiquement être accompagné du recul du règne de la force et de son dépassement vers celui de la justice. Ce raffinement social aurait dû être associé à la reconnaissance de la valeur et du rôle de la femme. Le paradoxe ne saurait être occulté cependant. Les défenseurs de la justice n’ont fait qu’entériner le règne de la force. Comment croire à l’instauration d’un règne de la justice et de la liberté depuis la Révolution, quand la domination la plus inique perdure, comme l’indique la marginalisation injustifiée des femmes et la privation de leurs droits (Adam, 1858, p. 50) ? La justice, telle que Proudhon la conçoit, est « une suprême injustice, car elle méconnaît l’égalité et supprime l’autonomie de l’un des deux êtres » (ibid.).
III. DANS LE MONDE DE DEMAIN, LA FEMME DEVIENDRA UNE INDIVIDUALITÉ SOCIALE, ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE AUTONOME ET L’ORGANISME SOCIAL SERA MÂLE ET FEMELLE
Dans son Programme révolutionnaire (1848), Proudhon défend une représentation hiérarchique de la famille conçue comme une propriété de l’ouvrier et condamne le travail des femmes. Selon le « père de l’anarchisme », la place des femmes reste rivée à la famille. Leur destinée ne peut s’accomplir que dans l’espace privé. Leur rôle se limite aux fonctions que les hommes daignent leur concéder et que Proudhon qualifie de naturelles. Entre courtisane et ménagère, il n’y a pas de milieu :
C’est surtout dans la famille que se découvre le sens profond de la propriété. La famille et la propriété marchent de front, appuyées l’une sur l’autre, n’ayant l’une l’autre de signification et de valeur que par le rapport qui les unit. Avec la propriété commence le rôle de la femme. Le ménage, cette chose tout idéale et que l’on s’efforce en vain de rendre ridicule, le ménage est le royaume de la femme, le monument de la famille (…). Pour moi, plus j’y pense, et moins 180je puis me rendre compte, hors de la famille et du ménage, de la destinée de la femme. Courtisane ou ménagère (ménagère, dis-je, et non pas servante), je n’y vois pas de milieu : qu’a donc cette alternative de si humiliant (…). Je protesterai donc contre toute loi, civile ou fiscale, qui aurait pour objet de restreindre ou limiter la puissance paternelle (…). Je regarderai toute loi sur le divorce comme un encouragement au libertinage et un pas rétrograde (Proudhon, 1848, p. 302-303).
Au point de vue physique, moral et social, le travail des femmes doit être énergiquement condamné comme principe de dégénérescence pour la race et un des agents de démoralisation de la classe capitaliste. La femme a reçu de la nature des fonctions déterminées ; sa place est dans la famille (Riot-Sarcey, 2016, p. 238).
Le congrès de Genève de 1866, congrès de l’Association Internationale des Travailleurs fondée deux ans plus tôt à Londres, reprendra des arguments proches. Ces positions emporteront la victoire. Comme le montre Michèle Riot-Sarcey, dans La Démocratie à l’épreuve des femmes, la famille et la femme ont généralement été estimées comme les propriétés de l’homme par les Républicains-socialistes :
Unité sociale fondamentale, la famille est la seule richesse véritable concédée aux hommes déshérités par les plus nantis qui disent, au nom de tous, les conditions d’élargissement du souverain. Fonder la citoyenneté sur la propriété, c’est imposer à tous ceux qui n’ont rien un rapport possessif, plus que hiérarchique, dans la famille. En l’absence de travail, la famille est devenue l’unique propriété des prolétaires. Un modèle de représentation politique est ainsi institué : la mère, devenue le pendant indispensable du citoyen, ne peut accéder ni à la liberté ni à l’égalité (Riot-Sarcey, 1994. p. 225-226).
Adam voit dans cette appropriation de la famille et de la femme par la puissance maritale une injustice fondamentale. Contrairement à Proudhon, elle affirme que les femmes ne sauraient être confinées à la sphère domestique ni ravalées aux rôles d’épouse et de mère. La maternité et la conjugalité relèvent d’un choix et non d’un destin ni d’une nature. Il y a de nombreuses femmes qui optent pour le célibat et qui décident de ne pas avoir d’enfants. Ces rôles facultatifs sont, d’autre part, transitoires et nullement exclusifs de la participation à la vie active, économique et politique. La société n’a jusqu’à présent considéré les femmes que du point de vue des intérêts masculins (plaisir ou profit). Dans l’avenir projeté par Adam, les femmes seront reconnues 181comme des sujets autonomes susceptibles de prouver leur propre valeur et d’élaborer leur propre loi :
Le rôle de la poule couveuse est très respectable sans doute, mais il ne convient pas à toutes et n’est pas aussi absorbant qu’on veut bien le dire. Et d’abord il est bien des femmes qui ne se marient pas, il en est ensuite un grand nombre qui sont obligées d’ajouter leur travail de tous les jours au travail quotidien de leur mari (…). La femme, n’ayant été considérée jusqu’ici qu’au point de vue du plaisir du mâle ou de la conservation de l’espèce, ne valait que comme beauté ou comme maternité. Dans une société constituée par les hommes et à leur profit, la femme n’était appréciée que comme épouse et comme mère ; mais si la femme est une individualité libre, une activité intellectuelle et morale, elle aura sa valeur propre, elle fera sa loi (Adam, 1858, p. 101-102).
La reconnaissance d’une égalité dans le couple requiert, selon Adam, une refonte profonde de l’institution conjugale. Areligieux, le mariage, selon elle, n’est ni indissoluble ni pérenne. Sa stabilité est proportionnelle au sentiment qu’il inspire. Le divorce doit être érigé en droit4. Institution laïque, le mariage doit être avant tout « une union libre » (Adam, 1858, p. 187), c’est-à-dire une association volontairement contractée par deux partenaires reconnus comme des sujets pourvus d’une égale liberté et d’un droit mutuel au rayonnement économique et social.
Au xixe siècle, beaucoup d’économistes libéraux et socialistes voient dans l’économie capitaliste un vice associé à la misère du prolétariat et à la destruction de la famille. Contre le travail des femmes, ils évoquent la prostitution et le salariat. Pour Adam, au contraire, c’est en favorisant l’oisiveté, que l’on encourage les vices sociaux, le goût du luxe et la prostitution :
Quels sont les recruteurs ordinaires de la prostitution, si ce n’est l’impossibilité du travail honnête, l’insuffisance des salaires et enfin l’oisiveté, cette aïeule sempiternelle de tous les vices mâles et femelles ? Ouvrir aux femmes les carrières d’un travail libre et convenablement rétribué, c’est fermer les portes du lupanar. Hommes, le voudrez-vous ? (Adam, 1858, p. 187).
L’activité de production ne saurait incomber exclusivement aux hommes. C’est au couple dans son entièreté qu’il revient d’être producteur. Contre les tâches ingrates et les bas salaires communément 182donnés aux femmes, il importe que soit valorisé un partage des activités professionnelles équitablement rétribuées :
Deux producteurs, dans un ménage, valent mieux qu’un, et dans une famille où le père, qui n’a que son travail, est obligé de suffire aux besoins de sa femme et de trois ou quatre enfants, je me demande comment on vit si l’on vit, comment on mange si l’on mange, comment on est vêtu, chauffé, logé, et quelle éducation les enfants reçoivent (Adam, 1858, p. 101).
La revendication d’un droit au travail des femmes est justifiée, selon Adam, parce que le travail constitue une valeur moralisatrice et émancipatrice (Adam, 1858, p. 90-93). Si le travail a libéré les hommes, il devra en faire autant pour les femmes : « Le travail a seul émancipé les hommes, le travail seul peut émanciper les femmes » (Adam, 1858, p. 100). À ce titre, une réforme de l’éducation s’impose. L’institution des filles ne saurait être limitée à un apprentissage de leurs rôles dans la famille. Elle doit avoir pour but de former un sujet instruit et capable de se gouverner soi, indépendamment des hommes. L’éducation professionnelle, qui vise à élargir le champ des activités féminines en réduisant les différences entre hommes et femmes, y prend une place majeure : « Il faut donner aux femmes une éducation sérieuse, et autant que possible, une éducation professionnelle. Il faut qu’elles deviennent productrices » (ibid., p. 100).
Un problème surgit dès lors : comment penser l’identité des femmes pour qu’elles soient considérées comme dignes d’être admises au centre de la vie collective, morale et politique ? Une première réponse donnée par Adam paraît résider dans un fonctionnalisme qui admettrait une différence essentielle entre les hommes et les femmes. Sa réflexion ne s’arrête pas à celui-ci cependant, mais envisage très clairement la nécessité de son dépassement, par une considération du caractère symbolique et non sexué de la notion de fonction.
Selon Adam, la société à venir, au contraire du monde ancien, seulement représenté par des valeurs masculines, doit faire appel à des fonctions différentes mais égales, qui s’inscrivent dans une complémentarité : « Dans une société bien organisée, il est des fonctions mâles et des fonctions femelles » (Adam, 1858, p. 99).
Il doit être permis de se demander si, dans l’organisme social tel qu’il est aujourd’hui, les fonctions ne doivent pas être partagées en deux grandes divisions. En un mot, n’y-a-il pas dans l’humanité considérée comme un 183être collectif des organes mâles et des organes femelles ? Et cette distinction ne doit-elle pas se retrouver dans toute société, dans toute collectivité une et multiple, comme l’est un peuple, une nation ? (Adam, 1858, p. 88-89).
Le concept de « fonction » n’est pas vraiment précisé par Adam dans son texte. D’un côté, il paraît se rapprocher de l’ensemble des « métiers », des « arts » et des « sciences » et des « responsabilités administratives auxquels un individu puisse prétendre ». De l’autre, il paraît renvoyer à des valeurs. De même, dans les Idées anti-proudhoniennes, ces fonctions mâles ou femelles se réfèrent tantôt à des qualités propres aux femmes ou aux hommes qui prouvent leur valeur respectives tantôt à des aptitudes ou à des capacités distinctes susceptibles d’être assumées par l’un ou l’autre sexe indépendamment d’une indexation à un genre.
Adam convient, en un premier temps, que certains métiers semblent mieux convenir aux hommes et d’autres aux femmes. Les métiers, qui requièrent de la force, comme ceux « de charpentier, de menuisier, de serrurier » paraissent davantage propres aux capacités masculines et ceux qui relèvent de la sociabilité, de l’adresse ou du goût esthétique, comme le commerce ou la mode relèvent davantage du féminin. Néanmoins, Adam reconnaît clairement dans son libelle qu’avec l’introduction des techniques dans le domaine du travail et leur progrès ces différences de départ tendront à s’atténuer jusqu’à même s’annuler : « Les machines transforment les métiers et les féminisent en les égalisant » (Adam, 1858, p. 88-89). Les machines rendent accessibles aux femmes une plus grande diversité d’activités et cette tendance ne fera que s’accentuer dans l’avenir.
Selon Adam, certaines professions ou responsabilités collectives sollicitent des aptitudes tantôt masculines tantôt féminines, comme l’éducation, la médecine, l’administration publique et la justice. Ainsi, pour elle, l’éducation morale et celle de la première enfance incombent davantage aux femmes qu’aux hommes. La médecine demande elle aussi à s’ouvrir sur la mixité. La connaissance que les médecins ont du corps est générale et les remèdes qu’ils prescrivent ne sont pas toujours adaptés au corps singulier de chacun. Cela est d’autant plus vrai du corps des femmes, dont la pleine intelligence ne peut revenir à des hommes. Ces derniers l’ont bien compris, comme en témoigne le rôle octroyé aux sages-femmes dans les accouchements depuis l’Antiquité, non seulement en raison d’un précepte de pudeur, mais aussi du fait d’un savoir particulier du corps féminin que les femmes seules seraient susceptibles de détenir. Mais il 184importe d’aller plus loin en donnant aux sages-femmes l’accès à une instruction suffisante, qui ne saurait être diffusée que par les sujets du même genre. D’où la nécessité d’instituer un doctorat en médecine pour les femmes. On ne peut ravaler la femme au rôle de garde-malade. Elle doit exercer aussi le commandement, ce qui suppose qu’elle ait accès à la science qui légitime l’exercice de l’autorité dans la pratique :
Nous voulons qu’on donne un cœur à la science, des lumières au sentiment, en demandant que l’on constitue la médecine-femme à côté de la médecine-homme. Une femme médecin qui aura été mère soignera mieux les enfants et comprendra mieux les maladies des femmes qu’un homme ; devant elle, la jeune fille et la jeune femme pourront, sans honte et sans souillure, décrire le mal qui les tourmente, et dévoiler leurs secrètes infirmités (Adam, 1858, p. 95-96).
La lutte contemporaine en France pour une valorisation du travail d’infirmière et de sage-femme et un partage des responsabilités dans le domaine de la médecine montre le caractère toujours actuel de ces revendications.
En ce qui concerne la justice, l’originalité de Juliette Adam réside dans l’affirmation selon laquelle cette institution ne saurait se limiter à l’universalisme mais qu’elle doit aussi se rendre attentive aux cas concrets en s’infléchissant en fonction d’eux. Si elle se réfère à la notion d’équité élaborée par Aristote dans l’Éthique à Nicomaque, elle la précise et lui donne une dimension plus moderne. La justice pénale ne saurait se satisfaire d’abstraction et d’égalité arithmétique dans la distribution des sanctions et l’évaluation des réparations dues aux victimes. Elle doit tenir compte des « individualités phénoménales ». Il faut qu’elle prenne en considération les différences potentielles non plus du point de vue de la supériorité, comme Aristote le faisait avec l’égalité géométrique qui valorisait les différences de rang et de mérite, mais aussi du point de vue de la fragilité et de la vulnérabilité, en prêtant une attention particulière aux inégalités économiques et sociales, de même qu’à celle de l’éducation et du milieu, pour tâcher de compenser ces disparités de départ par une générosité plus grande à l’égard des plus démuni·e·s. Dans la justice,
l’on a à comparer des actes humains à des idées, et à appliquer des lois identiques à des personnalités inégales en intelligence, en savoir, en lumière, en force, en moralité, en liberté, et soumises aux influences les plus diverses de temps, d’âge, d’éducation et de milieu. C’est pourquoi, dans la théorie de la 185justice, il ne faut pas seulement voir l’idée abstraite du droit puisée dans le sentiment que nous avons de notre dignité en reportant à autrui ce même sentiment ; il faut y voir l’appréciation des faits dans leurs rapports avec le droit, et dans la pratique de la justice on ne doit pas seulement se préoccuper de l’égalité essentielle des êtres soumis à la même loi, on doit aussi tenir compte de leur inégalité potentielle (Adam, 1858, p. 179).
Or la connaissance et la compréhension, par la personne qui juge, de ces « inégalités potentielles » suppose que celle-ci soit susceptible de compassion et de sollicitude, autrement dit qu’elle ait la faculté de se mettre à la place de ceux ou de celles qui sont jugé·e·s et d’admettre, dans certaines situations, des circonstances atténuantes. Si la connaissance de la loi appartient à l’entendement ou à la raison, la compassion et la sollicitude, quant à elles, relèvent du sentiment et de l’éthique. Pour Adam, « la justice n’est donc pas seulement d’ordre intellectuel, elle est aussi d’ordre affectif. Pour juger son prochain, il ne faut pas seulement savoir abstraire, il faut aussi savoir aimer » (ibid., p. 180). C’est pourquoi, selon Adam, l’ouverture à la mixité sexuelle semble indispensable au bon fonctionnement de la justice elle-même, les femmes étant estimées comme plus proches des affects.
Si le sentiment, la compassion ou la sollicitude jouent un rôle majeur dans la justice, il va de soi, pour Adam, que les femmes, du fait d’une morale qui leur serait propre, doivent y être accueillies non seulement comme membre du jury mais aussi à titre de magistrates :
Si le sentiment, si l’amour est un élément de la justice sociale, il est évident que l’être en qui, dit-on, le sentiment prédomine, que la femme a une part d’influence dans la pratique de la justice et un rôle à y exercer ; ce sera, si l’on veut, un rôle de compassion, d’intervention miséricordieuse qui pourra avoir sa source dans des faits pris en dehors de la cause même, quoique se rattachant à la personne des accusés ou des parties (Adam, 1858, p. 181).
Selon Juliette Adam, la constitution exclusivement masculine des membres du jury lors d’un procès est hautement contestable. Elle ne permet pas de « représenter la société sous son double aspect » (ibid., p. 182). Comment envisager qu’une jeune fille, par exemple, puisse être jugée équitablement par des hommes, qui ne peuvent se mettre à sa place et éprouver les choses d’une manière identique à elle ? La présence de femmes dans le jury n’est-elle pas cruciale dans des situations telles que le viol ou l’infanticide ?
186Pour la jeune fille qui a commencé par une faiblesse et qui, pour dissimuler sa honte, a commis un crime, que de raisons pour elle de compter sur la justice humaine, quand elle sait que cette justice a un cœur de femme comme le sien et des entrailles de mère ! Croit-on que cette malheureuse qui, séduite ou achetée par un homme, puis abandonnée à sa honte et à sa misère, est devenue infanticide, se croie jugée par ses pairs lorsqu’elle n’a devant elle que des hommes ? Être jugé par ses pairs, c’est être jugé par ceux qui peuvent se mettre à notre place et sentir comme nous avons senti. Demandez donc à ces jurés et à ces juges, quelque justes que vous les supposiez, s’ils peuvent comprendre, eux qui sont hommes, les tourments et les misères, les orgueils et les hontes de la femme et de la jeune fille. C’est impossible (Adam, 1858, note 1, p. 182).
La femme a une influence à exercer dans la pratique de la justice qu’elle pourra rendre plus clémente à l’égard de la personne accusée et plus attentive à la victime. Sans doute, la justice, dans son exigence d’impartialité, d’objectivité et de rationalité se méfie des sentiments qu’elle connote péjorativement. Ceux-ci lui apparaissent comme un obstacle à la rigueur et à l’ordre. On ne saurait nier toutefois la proximité d’une sévérité excessive à la cruauté ni taire plus longtemps son inefficacité. Combien d’innocents sont jetés dans le crime du fait d’une erreur judiciaire ? La justice, selon Adam, ne peut se limiter à la pénalité. Elle doit être principalement réparatrice pour la personne qui a subi un tort, ce qui demande une évaluation fine, et correctrice pour le criminel en lui permettant « une amélioration morale » dans le cadre d’un accompagnement éducatif lors de sa détention.
Malgré une certaine pertinence, il est permis de craindre des faiblesses théoriques dans cette forme de fonctionnalisme défendu par Adam et d’y démasquer une sorte de stratégie de pouvoir. Pour légitimer leur accès au pouvoir public certaines femmes ont cautionné ce différentialisme essentialiste qui justifierait leur importance. Mais ce différentialisme enferme des contradictions et n’est pas nécessairement émancipateur puisqu’il abonde dans le sens des préjugés séculaires. Ainsi, comme Adam le reconnaît elle-même, toutes les femmes ne sauraient être reconnues comme compatissantes, clémentes ou soucieuses d’autrui. De plus, tous les hommes ne font pas nécessairement preuve d’indifférence à la singularité des cas concrets, de rigorisme ou de cruauté. On peut redouter aussi une part de conservatisme dans ce fonctionnalisme. En consentant à une division entre la raison et les sentiments moraux 187marquée par le genre, Juliette Adam reprendrait des clivages classiques, d’ailleurs reconnus par Proudhon lui-même. La croyance en une moralité différente des femmes constitue un poncif séculaire. On ne saurait cependant occulter le changement de paradigme qui s’effectue ici par rapport à Proudhon, et aussi au-delà vis-à-vis de l’aristotélisme, de la patristique et même du kantisme. Ce changement de modèle s’exprime par la reconnaissance d’une égalité entre l’entendement et les affects et le refus de les renvoyer respectivement à un clivage entre les domaines public et privé en admettant l’importance des sentiments sur un plan collectif, éthique et politique. Mais il se pourrait que le raisonnement d’Adam ait à être plus poussé afin de gagner en efficacité et d’éviter l’écueil du différentialisme dualiste. Juliette Adam paraît avoir compris et marqué, à la fin de son pamphlet Idées anti-proudhoniennes sur l’amour, la femme et le mariage, la nécessité de ce dépassement d’une moralité des femmes à une éthique de la sollicitude indépendante d’une appartenance genrée de départ. Elle réalise cependant ce passage graduellement. Elle montre tout d’abord que l’attribution d’un rôle collectif aux femmes n’est pas seulement un acte de justice à leur égard, mais qu’il est requis pour le progrès social lui-même. Au terme de son argumentation, elle souligne que la sollicitude ne se rapporte pas seulement à la moralité des femmes mais qu’elle constitue une valeur morale et politique générique cruciale égale et complémentaire à celle de la justice rationnelle.
On pourrait être tenté de voir dans la réflexion de Juliette Adam l’expression d’une utopie socialiste, même si elle refuse de qualifier sa pensée d’utopie à la fois par modestie et par pragmatisme5. Pour Adam, l’État, qui correspond véritablement à l’esprit de justice, est l’État social qui incarne des valeurs de solidarité et d’égalité. Selon elle, une distinction entre deux formes de socialisme paraît s’imposer néanmoins : un socialisme que l’on qualifierait de froid, qui se référerait exclusivement à la raison et à la justice objective et abstraite, et un socialisme, qui accueillerait à côté de l’exigence de justice, les vertus morales de la compassion et de la générosité. Réclamant plus encore que 188les institutions antérieures une complémentarité de ces fonctions, qui se rapportent à la justice et aux secours des plus démunis, l’avènement de l’État social réel suppose une mixité des sexes, reconnus dès lors dans leur égalité (Adam, 1858, p. 90) :
Les institutions du présent et de l’avenir sont des institutions de mutualité, de garantisme, de charité. Elles ont surtout pour but de répandre le savoir, de généraliser le bien-être, de garantir l’existence individuelle par le secours de la communauté, de secourir la faiblesse, l’infirmité, la maladie. Les institutions de cette nature réclament, bien plus que celles des phases antérieures, le concours de la femme, et lorsqu’on voit quels sont aujourd’hui les besoins de la société et les tendances du mouvement social, il est impossible de ne pas reconnaître l’importance de plus en plus grande du rôle que les femmes sont appelées à remplir dans la société (ibid., p. 98-99 ; 178-183).
Pourtant, à la fin des Idées anti-proudhoniennes, Juliette Adam envisage la possibilité d’une interchangeabilité fonctionnelle entre les sexes. Si la société comprend des fonctions mâles et femelles, si elle fait appel conjointement à la justice rationnelle et à la sollicitude pour former une morale et une politique complètes, on ne saurait prétendre pour autant que les fonctions de justice renvoient exclusivement aux hommes ni celles de sollicitude seulement aux femmes. Les qualités dites féminines ou masculines, parce qu’elles se réfèrent à des assignations sociales de genre, sont mobiles et substituables d’un individu à l’autre. Au sein des genres sexués la diversité domine, contrairement à ce que les théories abusivement généralisantes voudraient nous faire admettre. L’expérience concrète suffit à démentir une telle croyance en l’uniformité genrée. Ainsi, par exemple, pour la force, il est des femmes bien plus robustes que certains hommes. Il en va de même des sentiments. La compassion ou la sensibilité sont parfois plus grandes chez un homme que chez une femme, comme la sévérité et la fermeté sont par moment plus manifestes chez une femme que chez un homme. Ce qui compte pour la communauté c’est que les fonctions de justice rationnelle et de sollicitude puissent s’équilibrer et se compléter en étant également accomplies par l’un ou l’autre sexe, peu importe lequel, au fond. Comme l’affirme très clairement Juliette Adam, les rôles des hommes et des femmes n’ont pas à être décidés à l’avance par la société ou l’éducation. Ils doivent pouvoir incomber au libre choix de chacun-e et être accessible à tous et à toutes ses prédispositions naturelles, ses mérites et ses préférences, indépendamment du sexe :
189Chaque être humain a des aptitudes qui lui sont propres, parce qu’il possède des qualités prédominantes. Parmi ces aptitudes, il en est qui ont un caractère masculin, d’autres qui ont un caractère féminin. Rien de plus facile que de classer les fonctions sociales sous l’une ou l’autre étiquette ; mais il faut bien se garder, dans l’application, de donner à tous les hommes toutes les qualités masculines, et à toutes les femmes toutes les qualités féminines. La pratique fourmille d’exceptions. Ainsi, la force musculaire est prédominante chez l’homme, mais il y a bien des femmes plus vigoureuses que certains hommes (…). Il existe bien des intelligences mâles parmi les femmes, et il n’est pas rare de rencontrer des hommes qui ont les qualités de finesse, d’acuité, de pénétration, qui sont plus particulièrement l’apanage du sexe dit faible. De même pour le sentiment, il est des hommes chez qui il se manifeste par une sensibilité féminine, et il existe des femmes qui poussent la fermeté des nerfs jusqu’à la raideur, l’énergie du cœur jusqu’à la sécheresse, jusqu’à la dureté (…). Il serait donc très dangereux pour la liberté de vouloir déterminer d’avance les rôles respectifs des hommes et des femmes (…). [Il faut au contraire] laisser les fonctions sociales également accessibles à toutes les activités intellectuelles et morales, sous la seule condition du mérite et sans considération de sexe, telle est l’obligation morale de toute société fondée sur la reconnaissance de l’autonomie de l’être humain (Adam, 1858, p. 170-174).
Par cette considération du mérite comme unique critère de distinction, il se pourrait que Juliette Adam hérite de Saint-Simon, sans l’avouer. Ses liens avec les saint-simoniens déclarés dans son ouvrage Mes premières armes littéraires et politiques ne démentiraient pas ce rapprochement6.
IV. UNE PENSÉE FÉMINISTE À L’AVANT-GARDE DU CARE
Le texte de Juliette Adam frappe par son audace et son programme précis d’émancipation des femmes. Mais il est aussi porteur d’une conception riche d’un État social et généreux, où la justice dépasse l’universalisme abstrait pour se rendre attentive aux situations concrètes, 190côtoie la sollicitude et reconnaît l’importance des travailleurs et travailleuses du soin en consentant à davantage de partage du pouvoir décisionnaire dans un monde où les individus vulnérables et fragiles se font de plus en plus nombreux. Si son originalité incontestable demande à être préservée, on peut envisager de le rapprocher de certains courants philosophiques et sociologiques contemporains. Il est permis ainsi de tenter des parallèles avec les pensées du care, initialement apparues, aux États-Unis, grâce aux travaux de Carol Gilligan, notamment (Gilligan, 2008). Dans son ouvrage Une si grande différence7, Carol Gilligan formule l’hypothèse d’une voix morale différente mais non explicitement indexée à un genre sexué, contrairement à l’interprétation essentialiste qui a souvent été faite de sa pensée. Elle distingue à ce titre l’éthique du care et l’éthique de la justice et ouvre une controverse fondamentale entre une moralité centrée sur la compréhension et la mise en œuvre des droits positifs et des règles, où l’impartialité et l’objectivité occupent une place majeure, et une moralité exprimée d’une « voix différente » reconnue le plus fréquemment dans l’expérience des femmes, mais pas seulement, et établie sur un souci de maintenir des relations humaines interpersonnelles. Cette moralité ne se fonde pas sur des principes universels mais part de cas particuliers et de circonstances concrètes rattachées à la vie ordinaire et aux problèmes personnels qu’elle suscite. Elle trouve son accomplissement non pas dans une théorie mais dans une pratique, dans une action ou plus précisément dans un travail :
Cette conception de la morale se définit par une préoccupation [care] du bien-être d’autrui et centre le développement moral sur la compréhension des responsabilités et des rapports humains ; alors que la morale conçue comme justice rattache le développement moral à la compréhension des droits et des règles (Gilligan, 2008, p. 40).
Dans Un monde vulnérable : pour une politique du care (2009), Joan Tronto montre que la distinction entre la justice rationnelle et les sentiments, ainsi que leur indexation respective au domaine public et masculin, pour la justice rationnelle, et au domaine privé et féminin, pour les affects et l’éthique de la compassion, ne vont nullement de soi, mais relèvent d’une construction théorique située incombant en grande partie au kantisme du xviiie siècle, dont Proudhon est l’héritier, et que 191l’on voit ressurgir au xxe siècle, à certains endroits de La Théorie de la justice de John Rawls, à laquelle les adeptes de l’éthique du care s’opposent globalement. Joan Tronto indique utilement, dans cet ouvrage, que cette philosophie morale de tradition kantienne prend sens dans un contexte historique et socio-économique déterminé. Cette philosophie morale, qui conçoit l’être humain comme un sujet rationnel et autonome susceptible de s’ériger en sujet de droit, en faisant abstraction de son individualité sociale et sensible, ne représente pas l’intégralité de la tradition philosophique occidentale. Son apparition est étroitement liée à l’émergence de la bourgeoisie et de la société de marché, où l’individu est atomisé et détaché des liens aux communautés naturelles et affectives. À côté de cette tradition de l’autonomie morale et de la justice rationnelle, qui sert souvent encore de modèle dominant au xixe siècle et jusqu’au xxe, il importe de reconnaître l’importance de la morale des sentiments, qui revêtent une teneur philosophique non moins négligeable et qui ancrent l’éthique et la justice non pas seulement dans la raison objective mais principalement dans la sympathie, la compassion, la sollicitude ou la générosité. Joan Tronto souligne, dans ce cadre, l’importance de la morale des sentiments chez les philosophes anglo-saxons que sont David Hume, Adam Smith et Hutcheson.
À mon sens, l’éthique de la compassion et la revendication de sa pertinence, dans le domaine judiciaire et public, trouvent une origine encore plus ancienne chez Montaigne, qui se reconnaît volontiers, dans les Essais, plus compatissant que ferme, à l’encontre de l’exemplarité stoïcienne. Dans le chapitre « Des Boiteux » (III, p. 11), Montaigne réclame, à titre de magistrat, plus de clémence et d’humilité dans les procès, en rappelant la sagesse des juges de la Rome antique, qu’il oppose aux Inquisiteurs déréglés de son temps. Il se démarque avec audace et courage de la tradition dominante, en confessant, souvent dans son texte, se ranger, à la fois par nature et par choix, du côté de la compassion prétendument féminine de préférence à la virilité ou pseudo-virilité (Krier, 2015).
Si une pratique équitable de la justice semble faire appel à une complémentarité entre la raison et les sentiments, il se pourrait que la restauration de cet équilibre doive être étendue à l’ensemble du politique, comme l’affirme Juliette Adam dans ses Idées anti-proudhoniennes et plusieurs théoricien-ne-s du care aujourd’hui. Au xxie siècle, dans 192une société de plus en plus fragilisée et précarisée, confrontée au chômage et à l’exclusion, aux guerres, aux migrations, ainsi qu’au recul de l’État-Providence, au profit du capitalisme financier, l’extension du domaine du care apparaît constitutive de la sauvegarde d’une démocratie réelle. Malgré et en dépit de la dévalorisation idéologique et matérielle dont les travailleuses et les travailleurs du care sont victimes (infirmières, aides à domicile, aides-soignantes, éducatrices et éducateurs, médécin·e·s, enseignant·e·s), leur rôle ne cesse de croître. Repenser le care au niveau de l’organisation politique, en le plaçant au centre de ses priorités, apparaît urgent :
C’est d’abord le soin qui, dans chacune de ses dimensions, doit se voir rattaché à la politique, sans se voir absorbé en elle ni confondu avec elle (…). S’orienter par rapport au soin, cela ne signifie pas seulement répartir des secours, nécessaires et vitaux, mais s’orienter par rapport aux relations entre les individus, au soutien, public, à leur apporter : le faire, de surcroît, par rapport aux relations sociales de soin, à la reconnaissance de leur réalité, de leur difficulté, des inégalités qui s’y font jour, et s’y concentrent, dans leur diversité (de la santé à l’éducation en passant par une série précise de tâches) ; ce sera s’orienter par la critique de leurs abus ; par l’institution des principes qui font que la justice participe du soin, puisque les droits et libertés mais aussi l’égalité et la solidarité (…) sont une dimension à part entière du soin ; sans oublier, enfin, le souci pour le monde, qui n’implique pas seulement une politique du soin du monde, comme un objet élargi du soin, mais aussi une politique du monde (naturel et culturel) dans le soin (Worms, 2012, p. 8-9).
Le texte de Juliette Adam Idées anti-proudhoniennes sur l’amour, la femme et le mariage convainc de l’importance de la mixité sexuelle dans les charges sociales, économiques et politiques d’abord, puis, et peut-être plus fondamentalement encore, de la nécessaire complémentarité de la raison et des sentiments ou de la justice et de la sollicitude au niveau de la pratique de la démocratie elle-même, l’universalisme des règles de droit devant s’accompagner d’une attention et d’une vigilance à l’égard des situations singulières et concrètes. Cependant, la société a longtemps tenté de nier et nie encore une telle égalité ou complémentarité qui relève pourtant bien du bon sens. Dès la parution du pamphlet féministe d’Adam, Proudhon lance une invective violente intitulée contre son auteur : De La Pornocratie. La préface du texte précise à Mmes J…L et J…d’H…. L’offensive s’adresse à Juliette La Messine ainsi qu’à Jenny d’Héricourt. C’est bien qu’il a perçu le danger de leurs écrits.
193Mais les ouvrages de ces féministes tomberont dans l’oubli et n’entraveront aucunement la carrière intellectuelle de Proudhon, dont l’influence sera immense, dans les mouvements et congrès ouvriers jusqu’à la fin du xixe siècle, et sur la gauche en général8. Sans forcément partager le délire misogyne du « père de l’anarchisme », un socialisme majoritaire conservera durablement le noyau dur de la logique proudhonienne : l’hétéronomie politique et économique des femmes, telle qu’elle s’exprime notamment dans la logique du salaire familial. Dans la période historique complexe qu’est la nôtre, la pensée de Proudhon et sa vision hiérarchique de la famille sont réactualisées, aussi bien par les courants de gauche, libertaire ou socialiste, que par ceux de l’extrême droite. À bien des égards, le contexte traditionaliste des années 1850-1860, où les Idées anti-proudhoniennes sont écrites, ne diffère pas beaucoup du nôtre. On serait ainsi tenter de rapprocher le mouvement de libération, qu’a constitué mai 68, à l’énergie des idées émancipatrices et insurrectionnelles de 1848 et le retour massif à l’ordre des années 1850-1860 à la résurgence des néo-conservatismes aujourd’hui en France et partout en Europe. Les manifestations pour tous, qui condamnent les mariages unisexes et qualifient les études de genre d’idéologie dangereuse, l’attestent. Si la France peut être considérée comme à la pointe de la modernité dans de nombreux domaines, on sait que seulement 15 % des professions y sont mixtes, ce qui, on en conviendra, n’est pas beaucoup. Devant la lenteur du progrès des droits humains et mixtes, acquis fragilisés de surcroît par la résurgence des représentations hiérarchiques des sexes et de la famille partout dans le monde, la découverte et la lecture des Idées anti-proudhoniennes d’Adam ne paraissent pas inutiles.
194BIBLIOGRAPHIE
Adam, Juliette [1858], Idées anti-proudhoniennes sur l’amour, la femme et le mariage, Paris, Librairie d’Alphonse Taride, 1858. Cet ouvrage a été réimprimé par Hachette Livre/BNF. On le trouve numérisé à http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bp6k10250787.
Adam, Juliette [1904], Mes premières armes littéraires et politiques (1855-1864), Paris, éditions Alphonse Lemerre.
Guerin, Daniel [1978], Proudhon. Oui et non, Paris, Gallimard, coll. « Nouvelle Revue française ».
Gilligan, Carol [1986], Une voix différente. Pour une éthique du care, 2e éd., Paris, Flammarion, coll. « Champs Essais », 2008.
Hogenhuis-Seliverstoff, Anne [2001], Juliette Adam (1836-1936). L’Instigatrice, Paris, L’Harmattan.
Krier, Isabelle [2015], Montaigne et le genre instable, Paris, Éditions Classiques Garnier, coll. « Essais philosophiques sur Montaigne et son temps ».
Planté, Christine [1989], La Petite sœur de Balzac, Paris, Éditions du Seuil.
Proudhon, Pierre-Joseph [1848], Programme révolutionnaire, « La famille », in Pierre-Joseph Proudhon, Œuvres complètes, C. Bouglé & H. Moysset (dir.), Paris, Librairie des sciences politiques et sociales, 1938.
Proudhon, Pierre-Joseph [1858], De la justice dans la Révolution et dans l’Église, in Pierre-Joseph Proudhon, Œuvres complètes, t. 4.
Proudhon, Pierre-Joseph [1858], Carnet, in Pierre-Joseph Proudhon, Œuvres complètes, t. 2.
Proudhon, Pierre-Joseph [1875], La Pornocratie ou Les Femmes dans les temps modernes, Paris.
Riot-Sarcey, Michèle [1994], La Démocratie à l’épreuve des femmes, Paris, Persée.
Riot-Sarcey, Michèle [2016], Le Procès de la liberté, Paris, Éditions La Découverte, 2016.
Tronto, Joan [2009], Un monde vulnérable. Pour une politique du care, Paris, Éditions La Découverte.
Worms, Frédéric [2012], Soin et politique, Paris, PUF.
1 Adam fait précisément référence à ses amitiés avec Marie d’Agoult et George Sand dans Mes premières armes. Marie d’Agoult fait découvrir Paris à la jeune provinciale et l’ouvre au milieu littéraire en vogue. G. Sand, avec laquelle elle reste longtemps liée, lui témoigne durablement son estime à partir de la parution des Idées anti-proudhoniennes. Parmi les nombreux ouvrages qui ont été écrits sur George Sand et Daniel Stern, on peut lire notamment Riot-Sarcey (2016, p. 138-154) et Planté (1989).
2 Dans Mes premières armes, p. 15, Adam raconte qu’elle a d’abord invité Jenny d’Héricourt à répondre aux diffamations de Proudhon contre Daniel Stern et George Sand mais que devant le refus de celle-ci elle a consenti à s’adonner seule, si jeune et alors totalement inconnue à cette tâche.
3 Adam, 1858, p. 35 : « Dans ce commerce d’un Moi et d’un Non-moi qui se confondent, sans cesser de se distinguer, il faut admettre, pour que la justice soit respectée et que nul ne soit dupe, une certaine équivalence actuelle ou future réelle ou idéale des deux êtres. M. Proudhon, qui ne veut pas que l’être humain puisse être représenté par la femme, ne peut introduire dans ses rapports avec l’homme l’idée d’équivalence, ni par conséquent celle de justice ».
4 Ce droit au divorce fait partie des revendications importantes des saint-simoniennes en 1848. Voir sur ce point Riot-Sarcey, 1994, p. 67-68.
5 Adam, 1858, p. 140 : « Je l’entreprendrai [cet ouvrage], non point comme une philosophe utopiste, mais aussi comme peut le faire une personne sans autorité, mais aussi sans amour du bruit et de l’éclat, qui par caractère s’inquiète bien plus du réel que de l’idéal, du mieux actuellement possible que du parfait, et qui, à défaut de la science qui lui manque, se préoccupe pardessus tout du simple bon sens qu’elle consulte autant qu’elle peut ».
6 De ses influences politiques et philosophiques, au moment de la rédaction de ses Réflexions anti-proudhoniennes, Juliette Adam ne dit pas grand-chose dans l’ouvrage en question, mais son texte intitulé Mes premières armes littéraires et politiques est sur ce point plus éclairant. Elle évoque Prosper Enfantin, avec lequel elle entretient durablement des relations d’amitié. Elle souligne avec affection le rôle bienveillant d’Arlès-Dufour à ses côtés, qu’elle n’hésite pas à nommer son « père adoptif ». Elle reconnaît Louis Jourdain comme un de ses plus intimes. On sait que tous trois étaient saint-simoniens.
7 Titre de la première publication française (1986).
8 Le texte de Juliette Adam est encore méconnu. Il m’a été permis de le découvrir par hasard, grâce à l’un de ses descendants, Marc-Ernest Fourneau, ami d’enfance que je remercie chaleureusement. Une biographie seulement a été consacrée à Juliette Adam par Anne Hogenhuis-Seliverstoff en 2001. Une étude philosophique et littéraire de ses écrits reste à entreprendre.
- Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
- ISBN : 978-2-406-09425-8
- EAN : 9782406094258
- ISSN : 2495-8670
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09425-8.p.0171
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 27/06/2019
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Juliette Adam, Pierre-Joseph Proudhon, féminisme, misogynie, mixité, socialisme, travail des femmes, famille, union libre