Réflexions sur l’hypothèse de la « naturalité » de l’origine humaine Une relecture de Marx et d’Engels
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
2018 – 1, n° 5. varia - Auteur : Ege (Ragip)
- Pages : 159 à 178
- Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
Réflexions sur l’hypothèse
de la « naturalité »
de l’origine humaine
Une relecture de Marx et d’Engels
Ragip Ege1
Université de Strasbourg
Bureau d’Économie Théorique
et Appliquée (BETA)
Introduction
Le présent travail est une interrogation sur les implications théoriques d’une représentation (nécessairement fictive) de l’origine humaine comme un état immergé dans la nature, dans l’élément de naturalité2. Nous mènerons cette interrogation à partir de certaines considérations de Marx et d’Engels qui reconduisent une telle représentation, essentiellement dans L’Idéologie allemande, les Grundrisse et L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État. Le but de l’étude n’est point d’élaborer une théorie de l’origine et encore moins un survey sur les différentes théories ou thèses portant sur la question. Nous nous limitons aux textes de Marx et d’Engels en vue d’engager un dialogue avec les auteurs pour poser 160quelques questions critiques et suggérer, avec toute la prudence requise, une issue qui pourrait permettre d’abandonner ladite représentation ou fiction. Car celle-ci suppose que les hommes de l’origine se déploieraient dans l’immédiateté de la nature c’est-à-dire dans un rapport immédiat au monde, à l’instar de l’animal ou presque. Et à mesure qu’ils produiraient des modalités de médiation toujours plus sophistiquées entre eux-mêmes et leur environnement, ils s’éloigneraient progressivement de cette immédiateté ou de cette naturalité. Nous estimons qu’une telle approche du fait humain à partir de l’hypothèse d’une animalité ou presqu’animalité des hommes d’origine revient à supposer qu’il existerait des hommes qui ne seraient point des adultes comme nous. Il y va par conséquent dans cette approche d’une attitude paternaliste dont aucun homme ne pourrait et ne devrait s’arroger le droit. Quels que soient le temps et l’espace où ils sont insérés, les hommes, si nous admettons qu’ils sont effectivement des hommes, doivent être considérés comme des adultes, c’est-à-dire comme des êtres de médiation à part entière.
Dans un premier temps nous présenterons la position de Marx et d’Engels au sujet de l’origine de l’homme, sur la base de leurs analyses dans L’Idéologie allemande, en faisant attention au fait que dans ces considérations les enjeux qui animent les auteurs ne se limitent pas à la simple question de l’origine mais ils intègrent une dimension politique et idéologique qu’il ne faut pas sous-estimer. Dans un second temps nous nous arrêterons sur la conception de l’histoire en termes d’émancipation progressive de l’homme que l’hypothèse de la naturalité de l’origine implique. Un troisième temps sera réservé à la question de la propriété telle que Marx dans les Grundrisse et Engels dans L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, en conçoivent le développement historique ; cette conception est également étroitement liée à leur représentation de l’origine humaine. Enfin dans un quatrième temps nous proposerons une autre représentation (fiction) de l’origine de nature à pouvoir faire justice au fait que l’homme, où qu’il soit, doit être considéré comme un être adulte. Nous terminerons par une conclusion animée par le souci de rendre à César ce qui lui est dû.
161I. Position de Marx et d’Engels
au sujet de l’origine humaine
Dans L’Idéologie allemande Engels et Marx affirment que les hommes « commencent à se distinguer des animaux dès qu’ils se mettent à produire [zu produzieren] leurs moyens d’existence » (Engels-Marx, 1846, p. 1055). On peut fonder cette distinction, disent-ils, sur la « conscience », sur la « religion » ou sur « tout ce que l’on voudra », mais c’est la production des conditions d’existence qui doit primer. Il est remarquable que dans un passage rayé de ces paragraphes Marx et Engels écrivaient : « Le premier acte [Akt] historique de ces individus, par lequel ils se distinguent des animaux, n’est pas qu’ils pensent [dass sie denken], mais qu’ils se mettent à produire leurs moyens d’existence » (Engels-Marx, 1846, p. 1720, note 2). Le fait que l’origine humaine ne soit pas marquée par la pensée mais par la production est essentielle pour notre propos (nous y reviendrons). Selon Marx et Engels une approche matérialiste, attentive à l’existence concrète des hommes, fait apparaître quatre faits [Tat] premiers majeurs prenant place à l’origine. Le premier fait c’est effectivement la production de la vie matérielle, le deuxième, la production de nouveaux besoins, le troisième, la reproduction des hommes eux-mêmes et enfin le quatrième la division du travail.
C’est à présent seulement [jetzt erst], poursuivent les auteurs, après avoir examiné les quatre éléments [Momente], quatre aspects des rapports historiques primitifs [originels, ursprünglich] que nous apprenons [trouvons, finden wir] que l’homme possède également [auch] une conscience [Bewusstsein] (Engels-Marx, 1846, p. 1061).
Ce qui retient notre attention dans cette affirmation c’est évidemment le décalage temporel qui est supposé exister entre la présence de la « conscience » et les quatre faits originels. La conscience ne devrait-elle pas accompagner chacun de ces quatre faits ou moments ? Comment concevoir des faits comme la production des moyens d’existence, de nouveaux besoins, la reproduction ou la division du travail sans supposer la présence de la conscience ? Qu’est-ce qui justifie, dans cette affirmation, les adverbes « jetzt erst » et « auch » ?
Plus loin nous lisons :
162Ce début est aussi animal [tierich] que l’est, à ce stade, la vie sociale elle-même ; c’est une pure conscience grégaire [Herdenbewusstsein], et l’homme ne se distingue ici de mouton qu’en ce que sa conscience lui tient lieu d’instinct [Instinkt] ou que son instinct est un instinct conscient [sein Instinkt ein Bewuster ist] (Engels-Marx, 1846, p. 1062).
Que devons-nous comprendre par cette affirmation : « une conscience qui tient lieu d’instinct » ou « un instinct conscient » ? Si la caractéristique essentielle de la conscience est la réflexivité, il faut opter ou pour le premier ou pour le second terme. La conscience est ou bien l’instinct même de l’homme – dans ce cas l’instinct humain est fondamentalement différent de l’instinct animal puisqu’il est un savoir qui se sait en tant que savoir –, ou bien alors la conscience est fondamentalement distincte de l’instinct, c’est-à-dire d’un savoir essentiellement non réflexif. En tout état de cause, ni dans un cas ni dans l’autre, il ne serait possible d’affirmer que le début de l’homme soit purement animal.
Il ne faut sans doute pas perdre de vue que le souci de Marx et d’Engels, dans ces pages, est de rappeler et de souligner, à l’opposé de l’idéalisme de la philosophie spéculative allemande, le fait que la matière ou la matérialité constitue la dimension fondamentale du fait humain (« dès l’origine l’‘esprit’ est frappé par la malédiction [Fluch] d’être ‘entaché’[behaftet] de la matière »), que la conscience est inséparable du rapport concret de l’homme au monde, inséparable du langage, c’est-à-dire des « couches d’air agitées, des sons ». Comme toute réalité humaine la conscience est également « dès l’origine, un produit humain [ein gesellschaftliches Produkt] » (Engels-Marx, 1846, p. 1060-1061), le résultat d’une évolution matérielle, et à ce titre elle s’inscrit dans un devenir. Notre propos n’est en aucune façon de contester ce point de vue. Nous ne voulons pas engager une interrogation sur les conditions de possibilité de la conscience. En cette matière nous partageons sans réserve l’approche matérialiste de Marx et d’Engels. Ce que nous voulons soulever comme problème est le suivant : quelle que soit la façon dont la conscience ait pu émerger, lorsqu’elle apparaît, le rapport immédiat de l’homme à la nature ne se trouve-t-il pas, du même coup, rompu, l’immédiateté ne se trouve-t-elle pas du même coup médiatisée ? À partir du moment où il parle, c’est-à-dire à partir du moment où il a la conscience, l’homme n’est-il pas irréversiblement coupé de la nature, tout comme nous-mêmes, aujourd’hui, nous en sommes irréversiblement 163coupés ? L’homme de l’origine n’est-il pas autant distancié de la nature que nous-mêmes ? Son degré d’éloignement de la nature n’est-il pas de même intensité que notre degré d’éloignement ? Plus exactement, pourquoi de telles questions ne sont-elles point posées par Marx et Engels ? Comment se fait-il qu’un doute de type « les hommes d’origine n’étaient peut-être pas moins en décalage que nous par rapport à la nature ? » ne traverse pas leur esprit ? Pourquoi tiennent-ils aussi fermement à l’hypothèse d’une immédiateté, ou, plus exactement d’une presque immédiateté dans laquelle est supposé baigner l’homme de l’origine malgré le fait qu’il a déjà la conscience ? Que leur permet d’imaginer, de penser, de construire l’hypothèse d’une origine presque immédiate, l’hypothèse d’un homme d’origine n’ayant encore qu’une quasi conscience, à peine distincte de l’instinct ?
II. L’histoire comme émancipation
progressive de l’homme
L’origine est supposée nécessairement fruste, bornée, limitée, arriérée, étroite, étriquée. Le « lien » qui unit l’homme à la nature est encore trop immédiat, en ce sens que l’homme, à l’instar de l’animal, demeure foncièrement sous la domination de la nature ;
la « conscience de la nature… s’oppose [à lui] comme une puissance totalement étrangère, toute puissante et inébranlable envers laquelle [il a] un comportement purement animal [rein tierich], dont [il subit] l’ascendant comme s’[il était] du bétail [Vieh] » (Engels-Marx, 1846, p. 1061).
Si donc la conscience est encore à un état d’immédiateté c’est que l’homme n’a encore aucune prise sur son environnement, n’est qu’un être purement passif qui subit les déterminations de l’extérieur. Il n’a encore aucune capacité pour se soustraire à ces déterminations, pour prendre un minimum de distance à l’égard de son monde et se découvrir comme une réalité particulière, distincte, coupée, séparée du monde, en bref comme une existence, si par existence nous devons comprendre la capacité et la puissance de faire retour sur soi-même pour se découvrir 164dans son unicité. L’homme conscient de lui-même est un être qui sait qu’il n’est pas le pur produit de déterminations extérieures, qu’il n’est pas un bout passif de la nature, qu’il a la capacité de se mouvoir par lui-même, puisant ses forces en lui-même. Mais une telle capacité, une telle conscience de son existence exige que l’homme puisse avoir un minimum de contrôle, un minimum de capacité d’action sur cette force toute puissante qu’est la nature. Le fait d’assimiler la conscience de l’origine à un instinct se comprend ici comme l’incapacité de l’homme à dominer la nature.
La fiction de l’origine comme immédiateté implique donc que la conscience ne se forme et ne se développe qu’à mesure que la force humaine se développe permettant la maîtrise de la nature. Plus exactement, c’est à mesure que la force de l’être de l’origine cesse d’être une pure capacité physique et devient toujours plus humaine que la conscience, parallèlement, cesse d’être une simple faculté instinctuelle pour devenir une faculté réflexive. Le développement de la conscience dépend de celui de la capacité de l’homme à dominer la nature. Nous comprenons alors comment, selon quelle logique, la conscience peut se laisser découvrir à l’issue des quatre faits précités, selon quelle logique Marx et Engels peuvent se permettre d’imaginer l’existence de la production, de la production des besoins, de la reproduction et de la division du travail sans supposer également et nécessairement la présence de la conscience. Les faits en question renvoient tous à l’existence matérielle des hommes et à ce titre à l’ordre économique. Ces faits témoignent des efforts primitifs des hommes sur le chemin de la domination de la nature. Cette domination s’acquiert donc par le développement de ce que les auteurs appellent les « forces productives ». L’affirmation « ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence [être, Sein] mais c’est au contraire leur existence [être] sociale [gesellschaftliches Sein] qui détermine leur conscience » (Marx, 1859, p. 273), peut être lue comme « ce sont les forces productives qui déterminent la conscience ». Plus les hommes perfectionnent leurs forces productives plus ils dominent la nature et plus leur conscience devient une véritable « conscience de soi ».
Cette fiction est évidemment l’implication logique d’une conception de l’histoire humaine comme un processus nécessairement progressif, avançant vers une destination nécessairement plus évoluée, plus développée, plus performante, plus perfectionnée au regard de l’étape 165antérieure. Une telle conception conçoit le passé, nécessairement, sur le mode de « pas encore » : « oui, mais pas encore ‘nous’ ! ». Le présent, notre présent est conçu et admis comme la mesure absolue du passé, comme lorsqu’on dit : « l’homme est la mesure de toute chose » ; nous appelons ceci « le narcissisme du présent ». Que « nous » soyons naturellement la destination de l’histoire est, aux yeux d’une conception qui imagine l’origine sous la fiction de l’immédiateté, une évidence. L’étude et la connaissance du passé, quel qu’il soit, est alors menée, sans même qu’on y pense consciemment, selon la logique de cette fiction. Il « manque » toujours et nécessairement quelque chose au passé puisqu’il n’est « pas encore » « nous ». Il lui faut des efforts, du labeur, de la sueur et de la souffrance pour développer ses forces productives et s’avancer vers nous en accroissant sa maîtrise de la nature. Et si tel ou tel moment de l’histoire manifeste des signes de résistance au progrès des forces productives, comme par exemple l’Asie aux yeux de Marx et d’Engels à leur époque (nous y reviendrons) ce moment sera qualifié d’endormi, de somnolant, de stagnant, d’immobile.
Mais une précision importante s’impose ici pour faire justice à la pensée de Marx et d’Engels. Les enjeux de la conception de la conscience comme une faculté déterminée plutôt que déterminante au regard des forces productives ne concernent pas exclusivement la problématique de la compréhension de l’histoire humaine comme un processus essentiellement téléologique, ils concernent également le motif de l’ouverture de la conscience sur autre chose (autres consciences) qu’elle-même, c’est-à-dire la problématique de l’universel. Nous savons que Marx et Engels ont été extrêmement critiques à l’égard de l’Allemagne de leur époque et de la pensée spéculative allemande. Ils estimaient que l’Allemagne du milieu du xixe siècle, précisément parce qu’elle n’a pas su développer ses forces productives (elle n’a pu réaliser ni sa révolution politique comme la France ni sa révolution économique comme l’Angleterre), était restée le pays le plus sous-développé de l’Europe. La phraséologie spéculative des idéologues allemands n’est aux yeux de Marx et d’Engels qu’une vaine tentative de combler la béance dont est porteuse la réalité quotidienne allemande. Plus le réel est misérable et médiocre plus la conscience qui s’y déploie est encline à se refermer sur elle-même, à se contenter d’elle-même. Le contentement de soi, dont la forme la plus misérable est le nationalisme, cette incapacité, plus exactement ce refus 166de sortir de soi-même et de s’ouvrir sur le reste du monde représente ce qu’il y a de plus détestable aux yeux de nos auteurs. L’universalité est le processus d’ouverture sur le monde à travers lequel la conscience apprend à ne pas se contenter de soi-même. D’où la grande valeur ontologique que Marx et Engels ont attribuée à cette nouvelle classe des Temps modernes, le prolétariat. Nous partageons sans réserve ce souci d’universalisme de Marx et d’Engels. Mais il n’est point nécessaire de souscrire à une conception téléologique de l’histoire pour être animé par un tel souci. Quelles que soient l’époque et la société dans lesquelles ils se déploient, les hommes sont disposés – par conformisme, par intérêt, par égoïsme, mais surtout par paresse –, à se préférer, c’est-à-dire à préférer leur environnement immédiat et à s’y cantonner. En d’autres termes, ce n’est point exclusivement à l’origine mais à tout moment de l’histoire la conscience est susceptible de sombrer dans l’immédiateté, si par cette notion nous entendons le fait que les hommes se contentent d’eux-mêmes, qu’ils se complaisent dans leur univers immédiat, qu’ils refusent d’exploiter les ressources de réflexivité de leur conscience. En termes de Smith, les hommes préfèrent naturellement l’approbation des spectateurs tout proches, plutôt que de chercher à « converser » avec des spectateurs venant des mondes lointains. De ce fait le « spectateur impartial » qu’ils portent en leur sein, c’est-à-dire leur conscience, se trouve comme « endormi », « en sommeil » quant à ses capacités réflexives (cf. Ege, Igersheim & Le Chapelain, 2013). Ce n’est donc pas seulement à l’origine mais à tout moment de l’histoire que la pensée peut faire défaut aux hommes.
III. Le passé vécu sur le mode de pas encore :
la question de la propriété
Reprenons la question de la représentation du passé sur le mode de « pas encore ». Dans les Grundrisse nous lisons : « L’individu posé comme travailleur, dans sa nudité de travailleur, est un produit historique [historiches Produkt] » (Marx 1857-1858, p. 313). À l’origine il existe une union naturelle et indissociable du travail et de ses conditions de réalisation :
167Ce n’est qu’à travers le processus historique que l’homme se particularise. Primitivement [ursprünglich] il apparaît comme un être générique [Gattungswesen], tribal [Stammwesen], comme un animal grégaire [Herdentier] – et nullement comme un ζῷον πολιτιχὁν au sens politique (Marx, 1857-1858, p. 337).
Dans ce que Marx appelle la communauté tribale [Stammgemeinschaft], la communauté naturelle [naturwüchsiges Gemeinwesen], dans cet état originel d’immédiateté l’individu fait si l’on peut dire corps avec sa communauté, à l’instar de l’animal qui fait corps avec la nature. La communauté est la nature même de l’homme puisque l’homme n’existe que dans et par sa communauté. Celle-ci apparaît à l’individu comme « la substance [Substanz] dans laquelle l’individu n’est qu’un accident [Akzidenz] ou un élément purement naturel [naturwüchsig] » (Marx, 1857-1858, p. 316). La communauté supporte donc l’individu comme la nature supporte l’animal. à l’égard de sa communauté l’individu se comporte non comme le « résultat » mais comme la « condition » de son travail.
Dans un tel contexte la question de la propriété, et en particulier de la propriété de la terre, doit être également comprise en rapport avec le motif de l’immédiateté. La propriété, dit Marx, « c’est-à-dire le comportement de l’individu vis-à-vis des conditions naturelles de travail et de la reproduction qui semblent lui appartenir objectivement en tant que nature non organique [als unorganische Natur] faisant corps avec sa subjectivité » (Marx, 1857-1858, p. 314). L’individu se comporte à l’égard de sa communauté comme à son propre « corps inorganique » ; il la considère comme le prolongement inorganique de son propre corps. Dans ces conditions il ne saurait évidemment se rapporter aux conditions de réalisation de son travail, c’est-à-dire aux instruments de travail, sans la médiation de sa communauté. En d’autres termes, l’individu se considère naturellement, immédiatement, propriétaire des conditions du travail (de la production) du fait même qu’il appartient à telle communauté. La terre lui appartient dans la mesure où elle appartient à la communauté. « Chaque individu, dit Marx, ne détient le statut de propriétaire [Eigentümer] ou de possesseur [Besitzer] qu’en tant que membre de la communauté » (Marx, 1857-1858, p. 314). Être naturellement propriétaire de la terre signifie ici que le concept, l’idée même de propriété privée de la terre n’existe pas encore dans la conscience quasi instinctuelle de l’homme de la commune primitive :
168Primitivement [ursprünglich], la propriété ne signifie donc rien d’autre que le comportement de l’homme à l’égard de ses conditions naturelles de production [natürlichen Productionsbedingungen] comme faisant un avec lui, comme étant siennes, et telles qu’elles sont données conjointement avec son existence même [als mit seinem eignen Dasein vorausgesetzen]. Fondements [voraussetzungen – conditions] naturels de sa propre personne, elles constituent pour ainsi dire le prolongement de son propre corps [verlängerten Leib] (Marx, 1857-1858, p. 332).
À ce propos Marx compare le rapport à la terre de l’individu de l’origine avec son rapport à sa langue.
Il est clair que l’individu isolé se rapporte à sa langue comme étant la sienne uniquement en tant qu’il est un membre naturel d’une communauté humaine. Une langue qui serait le produit d’un seul individu se serait une absurdité [Unding]. On peut en dire autant de la propriété (Marx, 1857-1858, p. 330).
La propriété privée de la terre serait donc aussi absurde que la propriété privée de la langue.
Est-ce qu’à l’origine la terre a toujours appartenu à la communauté ? L’origine n’a-t-elle jamais connu la propriété privée de la terre voire la propriété privée tout court ? C’est à travers des hypothèses, des conjectures, c’est-à-dire des fictions que nous pouvons tenter de démêler des questions aussi complexes. En effet, en particulier les auteurs du xixe siècle ont souvent naturellement supposé l’existence de la propriété communautaire de la terre dans les temps préhistoriques. Plus exactement, à partir des observations qu’ils ont pu faire sur les sociétés dites primitives de leur temps, ils ont assimilé ces formes d’organisation aux temps immémoriaux de l’humanité. C’est le cas de Lewis Henry Morgan dont la lecture par Marx et Engels fut décisive quant à la confirmation de leur vision de l’origine et de l’histoire. Dans son célèbre ouvrage La société archaïque (1877), sur la base d’observations, par ailleurs extrêmement importantes, des institutions de la société iroquoise de l’Amérique du nord, Morgan dresse un schéma d’évolution historique général de l’humanité, scandé par trois « périodes ethniques » : la sauvagerie, la barbarie et la civilisation. Et la logique qui préside à cette évolution en trois étapes c’est essentiellement le développement toujours plus affirmé et généralisé de la propriété privée, à travers le développement des techniques relatives aux « arts de la subsistance » – concept globalement synonyme de celui de « forces productives » de Marx et d’Engels. L’organisation sociale des 169iroquois que Morgan appelle « gentilice », serait une des formes primitives d’organisation de l’humanité (tout au moins européenne). Et cette organisation exclut, aux yeux de Morgan, toute idée de propriété privée :
Les hommes de cette époque [la sauvagerie] ne pouvaient que difficilement éprouver la passion de posséder parce que la propriété elle-même n’existait guère. Il appartient à la période de la civilisation, qui était encore lointaine, de donner sa pleine vitalité à cette ‘âpreté de gain’ (studium lucri) (Morgan, 1877, p. 612).
C’est principalement la terre qui se trouvait sous la propriété commune :
la plus ancienne forme de jouissance de la terre est la propriété tribale collective, et (…) après l’apparition de l’agriculture, une partie de ces terres fut distribuée aux gentes… (Morgan, 1877, p. 630).
Il est extrêmement significatif du point de vue de notre problématique le fait que Morgan suppose un état de promiscuité sexuelle à l’origine de l’humanité ; aucun interdit ne viendrait encore ordonner les relations sexuelles des hommes ; la famille humaine de l’origine serait « consanguine » : « Ce stade représente le niveau le plus bas de l’état sauvage qui se puisse concevoir, il constitue le premier degré de l’échelle sociale. À ce stade les hommes pouvaient difficilement être distingués des animaux muets qui les entouraient » (Morgan, 1877, p. 576). Cette supposition qui introduit un décalage temporel entre l’apparition de la prohibition de l’inceste et celle de l’homme est, comme on le sait, remise sérieusement en doute par Claude Lévi-Strauss selon lequel la prohibition de l’inceste « constitue la démarche fondamentale grâce à laquelle, par laquelle, mais surtout en laquelle s’accomplit le passage de la Nature à la Culture » (Lévi-Strauss, 1949, p. 30). Morgan, en refusant de situer la prohibition de l’inceste à la frontière de la Nature et de la Culture, sur le passage de l’animalité à l’humanité, est amené à la considérer comme une disposition d’apparition tardive et de caractère évolutif dans l’histoire de l’humanité. Le geste de Morgan est ici comparable à celui de Marx et d’Engels : le passage de l’animalité à l’humanité s’est réalisé progressivement, par mutation continue, par accumulation graduelle et continue de l’expérience. À l’origine l’homme, bien qu’il soit homme, c’est-à-dire doté de conscience, baigne dans la naturalité et l’immédiateté qui ne lui permettent ni de constater les « méfaits » des 170mariages consanguins ni de se faire une quelconque idée de la propriété privée de la terre, même de la propriété privée tout court. Les hommes bien qu’ils soient déjà hommes n’ont pas encore découvert les méfaits de la consanguinité ; bien qu’ils soient hommes ils n’ont pas encore l’idée de la propriété privée. Se pose ici, évidemment, la question de savoir pourquoi les chats ou les chiens n’ont jamais pu faire l’expérience des méfaits des unions consanguines, et pourquoi ils n’ont jamais pu concevoir quelque chose comme la propriété privée !
IV. Une autre fiction sur l’origine
Notre interrogation ne porte pas sur le fait de savoir si telle ou telle forme de propriété a pu ou non exister à l’origine, dans le passé ou dans telle société ; si Morgan, Marx ou Engels (particulièrement dans L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État – Engels, 1884-1891) ont raison ou non de supposer que primitivement la terre relevait de la propriété commune, peut-être même sur un plan universel. Un nombre important d’observations et de témoignages vont en effet dans ce sens. Ce qui fait problème à nos yeux c’est le présupposé selon lequel l’idée même de la propriété privée ou la disposition de l’interdit de l’inceste seraient à l’origine absentes, alors que l’homme est déjà là, en tant qu’être parlant, par conséquent doté de conscience. Ce qui fait problème ce sont des affirmations de type « à cette époque les hommes n’étaient pas encore très différents des ‘animaux muets’ », ou « à cette époque la conscience n’était pas très différente de l’instinct ». Pourquoi ne pas faire une autre hypothèse, forger une autre fiction qui impliquerait que l’homme, à partir du moment où il est là (au sens du concept allemand Dasein), parlant, conscient, il y est avec toute la complexité de la conscience. Pourquoi ne pas supposer que quelque chose comme la propriété collective ou communautaire ne saurait voir le jour si l’idée de la propriété (privée ou communautaire) n’est pas déjà présente ; que l’expérience ou l’observation progressive ou cumulative ne saurait être supposée à l’origine de la prohibition de l’inceste (la nature animale n’est en rien gênée ou perturbée par les unions dites consanguines), que 171le souci de l’interdit fait jour avant toute expérimentation des méfaits de la consanguinité ?
Quelles sont alors les conséquences d’une telle fiction ? Elle impliquerait essentiellement que l’homme, à partir du moment où il est supposé exister en tant qu’homme, est adulte comme nous. Cette fiction donnerait vacance à toute conception de l’histoire humaine en termes d’acquisition progressive (par expérience) de la complexité de la conscience, de l’apprentissage de la pensée. Elle interdirait tout décalage temporel entre la production et la pensée ; décalage dont nous trouvons une illustration éloquente dans cette remarque rayée de Marx et d’Engels dans l’Idéologie allemande que nous avons citée plus haut : « Le premier acte [Akt] historique de ces individus, par lequel ils se distinguent des animaux, n’est pas qu’ils pensent [dass sie denken], mais qu’ils se mettent à produire leurs moyens d’existence ». Nous devons admettre que la production et la pensée ne peuvent pas ne pas être contemporaines l’une de l’autre, synchrones ; l’une suppose nécessairement et logiquement l’autre. Cette approche de la réalité humaine requerrait du théoricien une conception de l’histoire humaine comme une succession de modalités d’existence d’une infinie diversité, à l’instar de l’infinie diversité des langues. Ces modalités d’existence sont autant de formes de médiation que les hommes établissent entre eux-mêmes et le monde qui les entoure. En d’autres termes, où qu’ils soient, les hommes se présentent comme des êtres de médiation d’une infinie complexité. Cette approche rendrait par conséquent sans fondement toute vision de l’histoire humaine en termes de stades d’évolution, en termes de « schéma d’évolution des sociétés », en termes de succession de moments progressifs, hiérarchisés d’humanisation. Depuis le début l’homme est homme, à part entière ; voilà la fiction qui s’oppose à celle de l’immédiateté ou de la naturalité de l’homme à l’origine. Une telle fiction rendrait impossible toute attitude condescendante, sur le mode de pas encore, à l’égard du passé ; une attitude que nous qualifierions volontiers de « paternaliste », entendant par là le fait de considérer les hommes du passé comme des enfants, s’avançant à quatre pattes, péniblement, vers « nous ». Il y a, dans cette attitude, un présupposé qui est, à nos yeux, bien plus grave que les jugements que cette attitude porte sur la réalité de l’origine, à savoir que les sociétés contemporaines que nous considérons comme stagnantes, suspendues à tel ou tel moment déjà dépassé du passé, sont également perçues par 172nous sur le même mode, c’est-à-dire comme des enfants, qui doivent apprendre à « nous » rejoindre, de gré ou de force.
Bien entendu la vision de l’histoire humaine par étapes, par succession de moments hiérarchisés en vue d’une destination, c’est-à-dire la vision téléologique de l’histoire, présente de très grandes disparités d’un théoricien à l’autre, du point de vue de la complexité de l’analyse. L’analyse de Morgan fait preuve d’une certaine « naïveté », en ce sens que l’organisation gentilice de la société originaire est supposée égalitaire, « démocratique », marquée par une certaine innocence des hommes ne connaissant pas encore les ravages de la propriété privée. Cet état idyllique de l’humanité a été détruit par l’irruption de la propriété privée et de ce fait par le développement des inégalités entre les hommes. Mais les hommes sauront dépasser ces inégalités qui déchirent la société du stade de la civilisation et retrouveront, à un plus haut niveau et de perfection l’égalité et la paix originaires faisant en quelque sorte retour au régime démocratique de la société gentilice.
Chez Marx et Engels la chose est plus complexe. Leur vision de l’origine et de l’histoire se nourrit de la philosophie spéculative hégélienne et du concept de « travail du négatif [die Arbeit des Negativen] » (Hegel, 1807, p. 18). L’immédiateté ou la naturalité de l’origine se trouve rompue par la « décomposition de l’union originelle [Auflösung der ursprünlichen Einheit] qui existait entre l’homme au travail et les instruments de travail » (Marx, 1865, p. 510). Cette négativité n’est point un pur phénomène de dissolution en pure perte, si l’on peut dire. Elle est la condition même du développement des forces productives, c’est-à-dire de la capacité de l’homme à dominer toujours plus efficacement son environnement naturel et humain. À travers cette dissociation les hommes s’enfoncent dans les détours et les méandres infernaux de l’exploitation du travail vivant par le travail mort. C’est le négatif qui fait mouvoir l’histoire. Mais dans la mesure où ce négatif finit toujours par déboucher sur un état du monde toujours plus perfectionné et puissant en forces productives, nous avons bien à faire à un « travail » qui génère du positif. En termes philosophiques Marx a décrit ce processus par la formule : « La suppression de l’aliénation de soi fait le même chemin que l’aliénation de soi [Die Aufhebung der Selbstenfremdung macht denselben Weg, wie die Selbstenfremdung] » (Marx, 1844, p. 76). Les malheurs et les souffrances de cette dissolution de l’unité originelle s’inscrivent par conséquent dans 173une logique de nécessité historique. Il faut aller jusqu’aux extrêmités de la décomposition de l’unité originelle, jusqu’à la dissolution du mode de production capitaliste pour que la société puis enfin dépasser ce déchirement, cette aliénation et se retrouver, enfin, dans sa vérité. Si toutes les sociétés n’empruntent pas le même chemin, il ne faut point voir là la conséquence de choix sociaux particuliers mais une incapacité à progresser, une suspension à une étape matinale ou intermédiaire du chemin emprunté par nous.
Cette conviction peut expliquer la sévérité étonnamment européocentrique des jugements de Marx, dans les années 1850, sur le démantèlement du système socio-économique indien par l’irruption des forces et du capitalisme anglais (cf. Ege, 1991, 2014). Nous lisons :
India, then, could not escape the fate of being conquered, and the whole of her past history, if it be anything, is the history of the successive conquests she has undergone … Indian society has no history at all, at least no known history. What we call its history, is but the history of the successive intruders who founded their empires on the passive basis of that unresisting and unchanging society (Marx, 1853b).
England has to fulfill a double mission in India : one destructive, the other regenerating the annihilation of old Asiatic society, and the laying the material foundations of Western society in Asia (Marx, 1853c).
Le coût humain et social de cette destruction est considérable, extrêmement lourd ; mais le travail du négatif, la nécessité historique la rend inévitable : l’Asie, en la personne de l’Inde, doit sortir de sa léthargie, de sa torpeur, de son sommeil millénaire pour rejoindre le présent, pour se remodeler selon les exigences du présent, pour « nous » ressembler.
Nous retrouvons ici le motif de « stagnation » qui est censé caractériser aux yeux de Marx et d’Engels les sociétés asiatiques. Dans les mêmes années 1850 les deux auteurs s’intéressent au régime de propriété foncière des sociétés asiatiques. Marx désigne même, de façon provisoire, ce régime le mode de production asiatique. Après la lecture de l’ouvrage de François Bernier, Voyages contenant la description du Grand Mogol…, (1670-1671), il adresse une lettre à Engels, où il observe :
C’est à juste titre que Bernier trouve la forme fondamentale de tous les phénomènes de l’Orient – il parle de la Turquie, de la Perse, de l’Hindoustan – dans le fait qu’il n’y a pas de propriété foncière privée [kein Privatgrundeigentum 174existiert]. Voilà la vraie clef, même du ciel oriental [Dies ist der wirkliche clef selbst zum orientalischen Himmel] (Marx, 1853a, p. 169).
Pour appuyer son argument Marx cite, en français, des passages de l’ouvrage de Bernier, en particulier le passage suivant :
le roi est le seul et unique propriétaire de toutes les terres du royaume, d’où vient par une certaine suite nécessaire que toute une ville capitale comme Delhi ou Agra ne vit presque que de la milice, et est par conséquent obligée de suivre le roi quand il va en campagne pour quelque temps (Marx, 1853a, p. 169).
Sans entrer dans le détail de la question, nous pouvons indiquer que l’absence de la propriété privée de la terre est aux yeux de Marx un obstacle qui fige la société asiatique sur le chemin de l’évolution ; elle la prive d’une dynamique interne ; la société est incapable d’évoluer par son propre dynamisme interne ; il faut une intervention comme celle de l’irruption anglaise dans l’univers indien, pour l’arracher à son immobilisme.
C’est là une illustration typique de l’appréciation du passé et de l’autre censé être suspendu à un moment du passé sur le mode de pas encore. La fiction de l’origine – et par conséquent du passé et de l’autre –, sur le mode de toujours déjà nous permet d’échapper à la condescendance et au paternalisme dans notre rapport à la réalité humaine, quelle qu’elle soit. Si l’homme est supposé adulte à tout moment de l’histoire et à tout lieu de l’espace, la diversité humaine doit être comprise et étudiée comme autant de choix faits par des adultes. Dire que tout homme et toute société est adulte, c’est dire que tout homme et toute société humaine, est infiniment éloignée de la nature. En d’autres termes, ce qui diffère entre les hommes et les sociétés ce n’est pas le degré de la médiation mais ce sont les modalités de la médiation. Ceci revient à dire que chaque société choisit, en toute maturité, ses formes particulières de médiation. Nous partageons entièrement le point de vue de Claude Lévi-Strauss quand il affirme :
Nous considérerions comme cumulative toute culture qui se développerait dans un sens analogue à la nôtre, c’est-à-dire dont le développement serait doté pour nous de signification. Tandis que les autres cultures nous apparaîtraient stationnaires, non pas nécessairement parce qu’elles le sont, mais parce que leur ligne de développement ne signifie rien pour nous, n’est pas mesurable 175dans les termes du système de références que nous utilisons (Lévi-Strauss, 1973, p. 395-396).
En guise de conclusion :
rendre à César ce qui lui est dû
Mais nous devons faire justice à Marx sur cette question de choix. Car vers la fin de sa vie, sous l’instigation des populistes russes et en particulier de Véra Zassoulitch, il rédige une lettre où la représentation unilatérale de l’histoire est explicitement rejetée, ce qui implique une vision du passé faisant intervenir une diversité de choix. En 1881, Véra Zassoulitch adresse une lettre à Marx pour l’interroger sur les possibilités d’évolution que pourrait réserver l’existence de la commune russe (« Mir » ou « Obchtchina » en russe) à la Russie sur « la voie vers le socialisme » : c’est là, dit-elle « une question de vie ou de mort, à mon avis, surtout pour notre parti socialiste. De telle ou telle manière de voir sur cette question dépend même la destinée personnelle de nos socialistes révolutionnaires » (Zassoulitch, 1881, p. 1556). La réponse de Marx est on ne peut plus positive et optimiste. Il écrit : « Au fond du système capitaliste, il y donc séparation radicale du producteur d’avec les moyens de production (…) la base de toute cette évolution c’est l’expropriation des cultivateurs ». Il remarque que « ‘la fatalité historique’ de ce mouvement est donc expressément restreinte aux pays de l’Europe occidentale ». Marx achève sa lettre en affirmant que :
l’analyse donnée dans le Capital n’offre donc de raison ni pour ni contre la vitalité de la commune rurale, mais l’étude spéciale que j’en ai faite, et dont j’ai cherché les matériaux dans les sources originales, m’a convaincu que cette commune est le point d’appui de la régénération sociale en Russie (Marx, 1881, p. 1558).
Il est hautement significatif que cette lettre, si favorable pour l’action des socialistes russes, a été totalement oubliée dans un tiroir que Riazanov découvre douze ans plus tard (Rubel, 1968, p. 1864, note pour la 176page 1557 ; Rubel, 2016, p. 340-351). La chose devient encore plus significative si l’on pense au fait que ces socialistes russes, devenant progressivement marxistes, adoptent une conception de l’évolution historique rigoureusement unilinéaire en termes de schéma d’évolution nécessaire. Assurément il est difficile d’accepter que le passé soit composé de moments non pas comme les marches d’un seul escalier qui s’élève vers « nous » mais comme des choix faits par des hommes aussi adultes que nous qui les engagent dans des voies différentes.
177Bibliographie
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- Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
- ISBN : 978-2-406-08068-8
- EAN : 9782406080688
- ISSN : 2495-8670
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08068-8.p.0159
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 08/06/2018
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Origine humaine, naturalité, formes de médiation, histoire, paternalisme, narcissisme du présent