Walter Eucken and Wilhelm Röpkefacing the “new” Social Question
- Publication type: Journal article
- Journal: Revue d’histoire de la pensée économique
2017 – 1, n° 3. varia - Author: Fèvre (Raphaël)
- Pages: 209 to 240
- Journal: Journal of the History of Economic Thought
Walter Eucken et Wilhelm Röpke
face à la « nouvelle » Question Sociale
Raphaël Fèvre
Centre Walras-Pareto
Université de Lausanne
Il n’est pas excessif de dire que les cartels (…) représentent le problème général économique le plus important de notre époque, et plus particulièrement encore, de l’avenir. C’est qu’en effet, la “question sociale” (…) se trouve ainsi posée sur une toute autre base, et que notamment les possibilités de son développement futur ou de sa « solution » un jour, ont pris, depuis l’avènement d’organisations telles que les cartels et leurs dérivés, un tout autre aspect.
Robert Liefmann, Kartells und Trusts (1905).
Après cinquante ans de crise et deux guerres mondiales qui ont consumé l’Allemagne, les propos de Robert Liefmann1 trouvent un écho intime dans la bouche de Ludwig Erhard, alors ministre de l’Économie allemande. Ce dernier signale dès les premières pages de La prospérité pour tous que « la loi contre les cartels doit être considérée comme une arme indispensable à l’économie libérale et à son sens social » (1959, p. 3, 210nous soulignons). Du professeur d’économie sous le second Reich de l’empire allemand au responsable politique et futur Chancelier fédéral de la RFA, une même inquiétude, un même enjeu social : la problématique de la concentration du pouvoir économique est au centre du discours économique de l’Allemagne du xxe siècle.
Entre ces deux moments, des économistes (et juristes) allemands vont prendre à bras le corps la question des cartels, au point d’en faire le sujet fondamental de leur réflexion ; le terme « ordolibéralisme » désignera rétrospectivement cette tradition intellectuelle. Son message fondamental : la lutte contre le pouvoir économique est l’exigence liminaire de tout ordre libéral pérenne. Avec les mots de Röpke,
défendre le « capitalisme » contre les « capitalistes », chaque fois que ceux-ci essaient de se frayer, avec la rentabilité pour but, un chemin plus commode que celui qui force à passer par le principe du service équivalent, et de détourner leurs pertes sur la collectivité (Röpke, 1937, p. 268).
On oublie souvent que la pensée ordolibérale allemande s’est développée sur une mise en question du Capitalisme du xxe siècle, qui fait la part belle à la concentration du pouvoir économique, privé comme public, apanage du libéralisme historique (laissez-faire) puis du socialisme dans sa variante planificatrice.
À l’heure où l’Allemagne est souvent présentée comme modèle de réussite économique au sein de l’Union européenne, il n’est pas sans intérêt de revenir sur les origines intellectuelles de sa conception d’une politique « sociale », en particulier dans sa version libérale. Le discours politique autour de la Soziale Marktwirtschaft2, l’Économie Sociale de Marché (désormais ÉSM) allemande – dont Ludwig Erhard sera le véhicule politique – s’est largement nourri des thèmes ordolibéraux qui ne recouvrent cependant pas entièrement l’ÉSM3.
211Cet article entend reconstruire le discours ordolibéral relatif à la QS au travers des deux figures majeures du renouveau libéral en Allemagne d’Après-guerre : Walter Eucken (1891-1950), chef de file de l’école de Fribourg, et l’économiste-sociologue Wilhelm Röpke (1899-1960), qui a rejoint Genève dès 1937. Ce faisant, l’article fait apparaître deux résultats4.
Premièrement, que le discours ordolibéral prend racine dans les idées socialistes et historicistes allemandes avant de s’en extraire. Aussi, bien que généralement rapprochés de Mises et Hayek au sein des nuances néolibérales, les ordolibéraux se révèlent, relativement à la Question Sociale (désormais QS), plus proches des réflexions Historicistes (Frambach, 2006 ; Schmidt, 2006, p. 269-275), voire même de la première génération de l’école autrichienne, en particulier Friedrich v. Wieser et Eugene v. Böhm-Bawerk (Chaloupek, 2006). En ce sens la Question Sociale apparaît comme l’une des émanations d’un objectif central dans la pensée économique et juridique allemande, celle du bonum commune (Campagnolo, 2014, p. 483)
Avec Die Soziale Frage (1948b), sa contribution à l’ouvrage en l’honneur d’Alfred Weber, Eucken témoigne d’une lecture qui pose les bases de la résolution de la QS en dehors de la tradition marxiste ou socialiste en offrant une lecture dynamique de la façon dont elle s’est posée du xixe (section 1.1) au xxe siècle (section 1.2), en Allemagne.
Ensuite, l’article fait apparaître que Röpke comme Eucken s’appuient sur l’expérience allemande afin de procéder à ce que l’on qualifie ici de re-définition de la QS. En insistant sur la stabilité des formes de marchés et de l’ordre monétaire, Eucken fait de la disparition du pouvoir économique à l’intérieur du processus économique la clef de la résolution du problème social à court, comme à long terme (section 2.1). On verra 212que Röpke insiste plus volontiers sur la dimension spirituelle et morale du phénomène de massification, point névralgique de ce qu’il qualifie de crise sociale de notre temps (section 2.2).
Si Eucken et Röpke placent une emphase différente sur les contenus et solutions à apporter à la QS, leurs lectures demeurent largement complémentaires et cohérentes entre elles.
I. De l’« ancienne » à la « nouvelle » Question Sociale
La grille de lecture ordolibérale
L’Allemagne
et l’« ancienne » Question Sociale au xixe siècle
Sous le signe de la (seconde) révolution industrielle, la Confédération germanique (Deutscher Bund) fut le théâtre d’un essor rapide des structures industrielles de production au xixe siècle, menant à une mise en question de ses conséquences sur la société en général, sur le salariat en particulier. La « question dite sociale » capture sous son vocable ces interrogations, et peut être définie avec Max Weber (1904, p. 144) comme l’investigation des « rapports entre la classe moderne des salariés et l’ordre social existant ».
Karl Marx incarne la principale, et somme toute la plus radicale, expression de cette mise en question. Mais l’ensemble des sciences sociales allemandes n’est certes pas resté insensible au sort des classes populaires. La tentative de faire tenir ensemble « histoire, théorie, sciences financières, politique économique », du Caméralisme aux Écoles Historiques (et Socialisme de la chaire), ne traduit rien d’autre qu’un moyen de placer en son centre « l’examen de la “question sociale”, dans tous les aspects juridiques, moraux et économiques qu’elle prend […] » (Priddat, 2004, p. 53, voir également Nau, 2000, p. 508-510). Aussi, la thématique de la QS, en lien avec le « problème du travail » (Schmidt, 2011, p. 106-107), a été particulièrement investie, bien que de manière différente, par les traditions de pensée allant de divers socialismes au romantisme économique.
213En fait, ce phénomène traduit moins une spécificité allemande qu’une tendance de fond en ce qui concerne le champ des questions sociales, si l’on note avec Jérôme Lallement que très tôt, « l’économie politique accapare la légitimité du discours sur la pauvreté » (2011, p. 120), et donc que « la manière de résoudre la question sociale devient la conséquence logique d’une théorie économique » (2006, p. 51-52) ; par exemple chez des auteurs qui précèdent Marx (comme Smith, Ricardo, Malthus), mais aussi qui lui succèdent (Walras). Mais la pensée économique allemande, prenant souvent un bord antithétique aux préceptes classiques anglais, accompagna l’essor d’un autre type d’administration sociale et politique : c’est sur le plan des décisions politiques que l’Allemagne, fraîchement unifiée, se distingue alors de l’Angleterre5.
En effet, l’époque wilhelmienne est particulièrement riche sur le plan des réformes. Gustav v. Schmoller et les débats au sein de son Verein für Sozialpolitik auront une influence décisive sur les mesures sociales (Sozialpolitik) du chancelier Otto v. Bismarck6 ; notamment avec la mise en place d’un régime de sécurité sociale dès les années 18837. Le discours dans l’Allemagne récemment unifiée est – peut être encore plus qu’avant8 – profondément antagoniste aux thèses libérales anglaises classiques et Manchestériennes.
214Néanmoins, on trouve en la personne de Carl Menger un opposant de poids aux thèses historicistes et socialistes alors hégémoniques. À l’occasion du centenaire de la mort d’Adam Smith, Menger souligne la vitalité de sa pensée et son caractère infiniment social et il conclut son deuxième article pour la Neue Freie Presse de Vienne par une virulente attaque de ce qui lui apparaît comme un dogmatisme allemand :
L’école sozialpolitisch d’Allemagne est en partie malade d’un doctrinarisme qui, du fait de son unilatéralité, rappelle vivement le doctrinarisme de Manchester, sauf que ce dernier attend tout sans critique du libre jeu des intérêts individuels, et le premier d’« organisations » artificielles et d’interventions de la puissance d’État (Menger, 1891, p. 117).
La façon dont les économistes et réformateurs sociaux ont posé la QS est donc primordiale afin d’analyser les recommandations de politiques à l’époque, puisqu’ils sont intimement liés : Eucken précise en effet que
depuis le début de l’industrialisation, la question sociale s’est imposée comme le problème fondamental de l’existence humaine, et de ce fait devint une force motrice de l’histoire de notre temps. La recherche de sa solution fut décisive sur les idées et les actes (Eucken, 1951, p. 56).
C’est sur cette période, sur ce moment fondateur, que prend racine le discours ordolibéral relatif à la QS. Marx et Schmoller – sciemment mis en avant par Eucken9 – reçoivent un traitement critique contrasté : souvent pénétrants dans le constat historique relatif à l’« ancienne » QS (la distribution des revenus), le bât blesse lorsqu’il s’agit d’apporter une solution appropriée.
Résultant de la lutte des classes entre travailleurs et entrepreneurs, le problème du pouvoir économique oppressif du capital, dont l’influence s’étend sur la sphère sociale et politique, est clairement identifié dès cette époque. L’égalité et la liberté induite par la juridiction (formelles) se sont avérées largement enfreintes dans les faits (réelles) :
215La question sociale du début et du milieu du dix-neuvième siècle se traduisait par des conditions de vie misérables, des salaires insuffisants, de longues périodes de travail, la détérioration de la santé, le travail des enfants et une existence incertaine pour de nombreux ouvriers. Il y avait des contrats de travail libres, la liberté de mouvement et la garantie de la propriété privée. Mais alors que la liberté des personnes et l’égalité de statut semblaient sécurisés en termes politiques et juridiques, les ouvriers industriels n’étaient pas, économiquement et socialement, effectivement libres (Eucken, 1948b, p. 267)10.
Eucken se range aux côtés de Marx et Schmoller en reconnaissant que l’exploitation par les entrepreneurs des travailleurs industriels a abandonné ces derniers à des conditions de vie déplorables. Le libéralisme du laissez-faire – entendre : le libéralisme tel qu’il a été pratiquement réalisé aux xviiie et xixe siècles – est coupable d’être resté aveugle non seulement à la détérioration matérielle, mais également spirituelle, du travailleur : « un libéral moyen de ce temps-là, souligne Röpke, n’a guère discerné dans la question sociale l’aspect vital, c’est-à-dire extra-économique et immatériel de l’existence industrielle » (1942a, p. 74).
En nouant la QS au problème de la propriété des moyens de production, Marx fit de la « disparition de la propriété privée du capitaliste et l’émergence d’une propriété commune » (Eucken, 1948b, p. 268) le Deus ex machina du problème social. Aussi, malgré sa « clairvoyance considérant les forces économiques de son époque » lorsqu’il analyse la question du pouvoir économique, et le lien tangible avec la propriété privée, la solution envisagée pousse Eucken à le qualifier de « rêveur » (ibid., p. 271).
Moins soucieux de s’attaquer aux fondements de la société du xixe siècle, Schmoller préconisa des politiques et législations sociales afin de pallier les conséquences néfastes du système et endiguer « l’inégalité de la distribution » (Eucken, 1951, p. 56-57). Mais Schmoller comme Marx, en voulant résoudre l’ancienne QS, ont directement contribué à l’essor de la « nouvelle » QS au xxe siècle : le déplacement du monopole du pouvoir économique oppressif des mains privées du capital aux mains publiques de l’État. Pour Eucken, comme pour Röpke, la solution révolutionnaire de Marx comme la solution réformiste de Schmoller sont tout autant erronées11. Elles traduisent moins une différence de nature 216que de degré – qu’on pourrait qualifier de radical vs. graduel – du même phénomène12 de socialisation du processus économique. Pourquoi et comment ce basculement du centre gravité du pouvoir du privé au public, s’est-il opéré du point de vue ordolibéral ?
L’Allemagne
et la « nouvelle » Question Sociale au xxe siècle
Le tournant du xixe au xxe siècle marque une première amélioration des conditions de vie des travailleurs13, qui fut d’ailleurs moins le fait, selon Eucken, de la politique sociale allemande que « le résultat du progrès technique et économique général » (1951, p. 57). Mais dès 1914, l’Europe entre dans une période de propagation du chômage de masse. Eucken analyse ce changement comme un déplacement du fond de la QS de l’objectif d’une répartition des richesses plus égalitaire, qui devait contenir la paupérisation des travailleurs, vers la « sécurité et la justice sociale » (ibid., p. 56), afin d’appréhender la question de l’emploi.
Le délitement du système d’économie de marché concurrentiel et son remplacement par des « systèmes planifiés ou administrés du centre » entérinent une tendance forte des pays européens face à de tels enjeux14. Les hommes politiques allemands tels que Walter Rathenau (1867-1922) et Hjalmar Schacht (1877-1970) sont particulièrement mis en accusation par Eucken (1951, p. 30) qui les considère comme des « expérimentateurs », c’est-à-dire comme les promoteurs de politiques économiques ad hoc et non systématiques (i.e. interventionnistes).
217Dans ce cadre, la réalisation du plein-emploi ne pose pas de difficulté particulière, et Eucken reconnaît volontiers, par exemple pour le cas de l’Allemagne nationale-socialiste qu’il considère rétrospectivement, que la sécurité d’accès à un emploi était remplie justement par l’abolition d’un système de prix capable de rendre compte des raretés relatives :
Le plein emploi peut être réalisé relativement rapidement et sûrement dans ces circonstances. En d’autres termes, lorsque la « jauge de rareté » (scarcity gauge) est mise hors d’action, rien n’empêche les travailleurs d’être employés là où la valeur de ce qu’ils produisent est inférieure à ce qu’ils consomment. […] Le contrôle et la coordination de l’activité économique étaient cependant insuffisants. Par conséquent, des « goulots d’étranglement » se sont formés en raison de pénuries dans l’approvisionnement en facteurs de production […], le commerce international en était perturbé et le niveau de vie diminué (Eucken, 1948a, p. 44).
Cette réussite de la politique sociale, néanmoins, s’est accompagnée d’une allocation des ressources inefficace. En effet, le plein-emploi réalisé n’impliquait pas forcément que l’on réponde au problème fondamental de l’économie : l’approvisionnement des consommateurs en biens et services (Eucken, 1948a, p. 43, 1951, p. 65 ; Röpke, 1949, p. 15-16). Aussi, ce type d’administration de l’économie n’a pas endigué, mais au contraire rendu la QS plus actuelle que jamais : « dès que le mécanisme de direction dans une économie moderne ne fonctionne pas, la question sociale revêt une plus grande intensité » (Eucken, 1948b, p. 269). En somme chacun avait un travail, mais peu de produits à consommer. Considérant cette fois-ci le système de planification toujours en vigueur en Allemagne de l’Ouest sous l’Occupation Alliée, Röpke ne dit pas autre chose que Eucken sur ce point :
On peut atteindre le « plein emploi », mais combiné avec un gaspillage tragique des forces productives et, par conséquent, avec un degré effroyable de misère générale, lequel est d’autant moins supportable qu’il augmente plutôt que diminuer. (Röpke, 1947, p. 247).
En suivant le raisonnement ordolibéral, on peut dire que l’ancienne et la nouvelle QS en viennent à se superposer. En effet, la direction du processus économique par l’État entraîne des choix dans le contenu et la localisation du travail, qui ne sont pas laissés à discrétion des individus, mais répondent à un plan d’ensemble établi sur plusieurs années. 218L’ensemble de l’offre de travail est concernée puisqu’elle dépend d’une même autorité, laquelle s’exerce au travers des « instructions délivrées par les fonctionnaires et les organismes centraux » (Eucken, 1948b)15. Continuant de toucher les « travailleurs industriels », la nouvelle QS s’étend maintenant aux « fermiers, artisans, marchands et professions libérales » (ibid., p. 269). La prise en charge par l’État du processus économique n’a donc, aux yeux des ordolibéraux, fait qu’aggraver le problème social auquel les penseurs marxistes et socialistes tâchaient de répondre en priorité :
Sous l’influence des idées marxistes, il a souvent été dit en Allemagne que les contrôles centraux pourraient peut-être avoir des inconvénients économiques, mais que socialement ils étaient bons et nécessaires. C’est exactement le contraire qui s’est avéré être corroboré (Eucken, 1951, p. 64).
Usant de démonstrations qui relèvent souvent de « l’effet pervers16 », la grille de lecture ordolibérale en ce qui concerne la QS est somme toute élémentaire, mais opératoire. Le libéralisme économique dans sa forme historique (xviiie et xixe), celle du laissez-faire, a rendu possible la propagation du pouvoir économique privé des capitalistes, essentiellement au détriment des ouvriers industriels. Afin de répondre aux conditions de vie dégradées de ces derniers, des penseurs socialistes ont encouragé la prise en main par l’État du processus de production, notamment par une politique et une législation sociales, mais également au moyen de la socialisation de certaines entreprises, celles d’investissement et aussi une allocation des ressources et des facteurs de production, comme le travail.
Face au chômage de masse qui a suivi la Première Guerre Mondiale, on a cherché remédier au problème sur deux fronts (Eucken, 1948c, 219p. 43 ; 1951, p. 57-58) : par l’encouragement à la création de « groupes de pression à but social » (comme les syndicats) et par des politiques de plein-emploi de type keynésien17.
Les trois grandes doctrines – libéralisme [a], socialisme [b], interventionnisme [c] – approchant la question du développement du système économique en lien avec la QS ont échoué à reconnaître l’aspect décisif d’organisation du cadre d’une économie de marché : « c’est principalement la confiance en la réalisation spontanée de l’ordre naturel [a], suivi par la confiance en un processus évolutionnaire inévitable [b] et, finalement, le fait qu’une approche ad hoc des politiques économiques ait gagné du terrain [c] qui, pris dans leur ensemble, encouragèrent une attitude à ne pas considérer la mise en place d’un système économique adéquat comme tâche essentielle » (Eucken, 1948a, p. 40).
La section suivante (2) est consacrée à définir et expliciter ce que les penseurs ordolibéraux, ici Eucken et Röpke, considèrent comme la politique adéquate à mener afin de résoudre la QS.
II. L’ordolibéralisme :
une double réponse à la Question Sociale
Ayant mis en lumière la grille de lecture historique mobilisée par Eucken et Röpke, la solution qu’ils vont apporter à la QS tombe désormais sous le sens : elle passe par la sécurisation et l’amélioration du système concurrentiel par un État fort, « des motifs sociaux, en particulier, indiquent qu’il n’y a pas d’alternative à la concurrence » (1948b, p. 275). La mise en place de marchés concurrentiels requiert un nombre important de conditions préalables et du respect de principes normatifs – en particulier le « vaste problème de la régulation du pouvoir économique et social » (ibid., p. 272) –, une première sous-partie (2.1) est dédiée à l’exposition de cette « première » (re)formulation de la QS (Eucken).
220Si des effets en termes d’efficacité dans l’allocation des ressources et d’augmentation des richesses sont attendus, ces missions n’épuisent pas les interventions nécessaires à résoudre définitivement la QS lorsque celle-ci est lue dans l’optique d’une crise de civilisation. Cette « seconde » (re)formulation de la QS (Röpke) est l’objet de la seconde sous-partie (2.2). Présents chez Eucken comme chez Röpke, ces deux pendants sont largement complémentaires.
Première (re)formulation,
« une économie de marché juste et efficace » :
La question sociale comme disparition du pouvoir économique
Nous avons vu que pour Eucken, « la sécurité et la justice sociale sont les grandes questions du moment » (1951, p. 56, trad.). Caractéristique de la période suivant la Première Guerre Mondiale, cette demande eut comme réponse la prise en charge du processus économique par l’État soit dans une version totalitaire (le régime bolchévique, fasciste ou national socialiste), soit dans une version modérée (l’interventionnisme de type keynésien). Un système encourageant la liberté des individus dans le domaine économique semblait, alors, dépassé au regard des crises économiques de l’Entre-deux-guerres. Pour Eucken, les gouvernements avaient fait le choix de la sécurité plutôt que de la liberté, antithèse qui lui semblait artificielle :
Il est désormais ordinaire de considérer la sécurité et la liberté comme antithétiques. La sécurité exigeant de renoncer à la liberté. L’homme moderne croit être plus ou moins indifférent à la liberté. Ce qu’il veut avant tout, c’est la sécurité. […] Mais l’expérience allemande a montré que l’antithèse entre la sécurité et la liberté n’a pas lieu d’être (Eucken, 1951, p. 63).
En se basant une fois de plus sur l’expérience particulière de l’Allemagne, Walter Eucken va renverser l’argument : la « privation de liberté », que ce soit par l’allocation des biens de consommation, d’habitation, du lieu et du contenu du travail, est « précisément la source de l’insécurité », car – ajoute-t-il sans étayer l’argument – « la sécurité présuppose la possession d’une liberté de choix et d’action par l’individu », non pas un état de dépendance totale (ibid., p. 64). Selon Eucken (1948a, p. 35), la solution qui a consisté à donner le pouvoir économique aux instances publiques a certes résolu la question du chômage, 221mais aggravé la QS : on est passé d’une dépendance envers le pouvoir privé des entreprises à une dépendance envers le pouvoir de l’État.
Bien qu’elle demeure un enjeu fondamental, la question du chômage n’est pas pour Eucken la façon appropriée de poser la question de la politique économique :
La politique économique doit faire face à un dilemme : d’une part, le chômage de masse nécessite une politique de plein emploi ; d’autre part, la politique de plein emploi engendre de l’instabilité sur les marchés, ce qui est extrêmement dangereux, et, en outre, elle engendre une politique économique de planification centrale (zentrale Planung) (Eucken, 1951, p. 66).
Et « ce dilemme, note Eucken, est peut-être le problème social et économique crucial de notre époque » (ibid.). Eucken estime qu’il est possible de dépasser ce « dilemme », car le chômage ne serait pas la conséquence inéluctable du développement du capitalisme, mais le résultat de l’instabilité des formes de marchés et du système monétaire : lesquels représentent les objectifs fondamentaux de la politique économique ordolibérale (Ordnungspolitik). Ce faisant, Eucken déplace l’objet d’une intervention publique de l’intérieur du processus économique – un plan d’investissement de l’État par exemple – vers le cadre des conditions, les « règles du jeu » du système économique lui-même :
L’objectif essentiel de la politique économique et sociale devrait être de construire un cadre (Rahmen) pour le fonctionnement quotidien du processus économique (Wirtschaftsprozeß), et non pas d’encourager le seul contrôle au moyen de la planification centrale (zentrale Planung). […] Le moment est venu de creuser en profondeur, pour ainsi dire, afin d’encourager la formation d’ordres (Ordnungsformen) prévenant toute perturbation de l’équilibre économique. La politique de plein emploi n’aura à ce titre plus aucune utilité et le grand dilemme aura été surmonté (ibid., p. 67).
Eucken, en ligne avec la pensée ordolibérale dans son ensemble, refuse donc de mettre le plein-emploi18 au centre de la justice sociale et préfère viser d’autres objectifs qu’il pense suffisants pour, en retour, 222assurer un fort niveau d’emploi. Cette question ne peut être résolue qu’indirectement, par la mise en place d’un ordre économique pérenne, et non par un « État social parfait » (Rüstow, 1956, p. 1, trad.). Le plein emploi doit être un résultat, la conséquence d’une politique économique de stabilisation des formes de marchés, jamais l’objet d’une intervention spécifique qui contreviendrait à cet objectif essentiel :
Un contrôle satisfaisant du processus global (Gesamtprozesses)19 et à travers cela le « plein emploi » – oui. Le plein emploi seul, en ignorant ou en occultant le problème du contrôle de l’ordre économique (Ordnungsproblems) – non (Eucken, 1948a, p. 45).
Fondamentalement, l’Ordnungspolitik ordolibérale20 est une politique de suppression de l’exercice du pouvoir économique dans l’économie de marché. Aussi, garantir l’exercice de la liberté par une action purement négative – l’abdication de la direction centrale de l’économie par l’État et la reconnaissance d’une législation de facture libérale21 – ne saurait suffire à sauvegarder son exercice. On retombe ici sur la critique de Marx et Schmoller évoquée à la section précédente, à laquelle Eucken souscrit. Alors, comment lever l’ambiguïté suivante : « la liberté a souvent été considérée comme le droit d’un individu à contrevenir à la liberté d’autrui » (Eucken, 1948a, p. 35) ; ambiguïté propre au système du laissez-faire, mais qui se pose pour chaque système libéral, même contemporain ?
La question de la liberté (Freheitsfrage) dans le monde moderne est très étroitement liée à la maîtrise du processus économique (Wirtschaftsprozeß). Il faut établir quel système garantira la liberté et en même temps préviendra l’utilisation abusive des libertés civiles. La liberté des individus peut-elle être déterminée afin qu’elle trouve également ses limites sur la liberté des autres ? (Eucken, 1948a, p. 37).
223Par une gestion adéquate du cadre économique, l’ordolibéralisme cherche à neutraliser l’exercice du pouvoir économique. Un égal accès au marché (libre) rend à chacun la mesure de son effort, ou sacrifice (en l’absence de monopoles qui faussent les prix et rationnent les quantités). On retrouve ici le credo libéral pour lequel l’institution marché peut être ce « processus économique anonyme », impersonnel et neutre qui va révéler la « véritable » contribution de chacun. En somme, résoudre le problème de la liberté (économique22) c’est déjà en grande partie répondre à la QS de l’insécurité et de l’injustice :
Notre analyse de l’expérience allemande permet de saisir le nœud de la question sociale : la liberté (Freiheit). L’absence de liberté a permis la pression des conditions d’existence (Daseinsbedingungen). L’hégémonie des concentrations privées ou publiques de pouvoir (Machtkörper) a rendu plus vulnérable le règne de la justice (Gerechtigkeit) ; en ce sens le manque de sécurité provenait de l’absence de liberté. (Eucken, 1951, p. 64, on souligne).
La liberté négative des agents consiste en l’absence d’exercice de pouvoirs de marché en termes de rationnement des quantités comme de prix. Un tel ordre socio-économique assure une structure de marché méritocratique, dans le sens d’une justice ex ante dans l’échange ou justice commutative ; par opposition à la justice distributive. Mais ce dernier aspect n’est pas en reste, bien qu’il soit plus mesuré, car l’approche ordolibérale incorpore également une dimension positive de la liberté et de ce fait reconnaît la nécessité d’un effort re-distributif au niveau social (voir par exemple Bönker & Wagener, 2001, p. 190-191 ; Wörsdörfer, 2013)23. Cette vision est chez eux contingente d’un regard jeté sur l’humanité au prisme des valeurs chrétiennes, lesquelles dépassent le cadre des rapports purement marchands (Rieter & Schmolz, 1993, p. 104-105). Les différences entre Eucken, Röpke ou Hayek sont, dans ce domaine, particulièrement manifestes.
224Accomplir la justice sociale passe donc par la réalisation de la liberté économique comme moyen dans la pensée ordolibérale. Celle-ci est sortie d’un enjeu proprement économique d’efficacité – bien que l’idée soit évidemment présente –, pour être mise au centre d’une question plus large : celle de la régulation sociale.
Il devient alors évident qu’une lutte active contre les monopoles (et autres formes), principal danger menaçant l’économie de marché nationale, matérialise le rempart primordial face aux menaces qui peuvent s’exercer sur la liberté (et donc sur la justice sociale). En ce sens, sa préservation passe inévitablement par le contrôle du système et la régulation du processus économique. La grande entreprise monopolistique ou la société anonyme par actions (cf. l’article d’Arnaud Diemer dans ce numéro) sont des tendances modernes perçues comme de véritables menaces à l’encontre de l’ordre concurrentiel. Le meilleur outil afin de contrevenir à cette tendance, c’est la réalisation de l’ordre concurrentiel, car la concurrence est, pour les ordolibéraux, le plus sûr mécanisme de « dé-potentialisation » du pouvoir économique privé (Böhm, 1966, p. 58 ; Eucken, 1940, p. 269).
Assurer l’existence d’un ordre concurrentiel sur l’ensemble des marchés, requiert une intervention permanente caractérisée par une dichotomie fondamentale : d’un côté la politique économique de l’État (planification étatique) vise le cadre de l’économie sur lequel les agents n’ont aucun pouvoir discrétionnaire, mais d’un autre côté, l’État, en tant que pouvoir public, doit être absent du processus économique per se, c’est-à-dire du jeu des interactions individuelles (planification individuelle), lieu de la souveraineté des consommateurs24.
La structure conçue pour accueillir la séquence des événements économiques nécessite une supervision gouvernementale continue, peut-être une organisation, à l’ère de l’industrialisation. Mais au sein des marchés des matières premières et du travail – en d’autres termes, dans le processus économique quotidien – il doit y avoir la liberté. Tel est l’objectif fondamental. Sans liberté, il ne peut y avoir de solution à la question sociale. Cela crée une hypothèse de base qui sous-tend l’organisation sociale de la réglementation du travail – condition préalable qui fait défaut si les travailleurs, sur les marchés du travail, sont confrontés à des monopoles d’employeurs ou d’autorités publiques (Eucken, 1948b, p. 275).
225On remarquera ici que pour Eucken, et c’est une constante de la pensée ordolibérale, certes l’État ne doit pas contrevenir à la liberté des agents, mais sans intervention spécifique, il n’est nullement assuré qu’une liberté naturelle émerge d’elle-même. Au contraire, l’exercice d’une telle liberté est rendu possible seulement par une dispersion, une minimisation du pouvoir économique (illégitime) dans les jeux de marché. Au regard de ce développement, l’expression de Walter Eucken (1949, p. 231, trad.), pour qui « l’aspiration pour l’ordre concurrentiel est étroitement liée au désir de liberté », prend tout son sens. Si la liberté n’est pas naturelle, elle n’est pas non plus totale : il faut en délimiter ses contours et ses limites afin de garantir le marché comme « bien commun », condition liminaire à l’exercice d’intérêts individuels socialement compatibles avec l’intérêt général, selon l’idée libérale classique.
C’est le fonctionnement du système de prix, dont la formation suit la logique d’un système concurrentiel, qui limite la liberté individuelle comme liberté d’action du gouvernement. Ou avec les mots de Röpke (1945, p. 299) :
La liberté du marché nécessite une politique économique active et extrêmement vigilante, mais aussi pleinement consciente de ses buts et de la limitation de son champ d’activité, une politique qui ne soit jamais tentée de dépasser les limites qui lui sont assignées par un interventionnisme conforme.
En ce sens, derrière la problématique du pouvoir économique privé et public est à l’œuvre une tentative de réponse conjointe à deux thèmes essentiels, inhérents à l’histoire de l’économie politique : ceux de la liberté et de la justice sociale. Se focalisant sur l’enjeu particulier du pouvoir économique, les implications substantielles font des politiques économiques ordolibérales une voie résolument distincte du socialisme comme du libéralisme traditionnel. En « liant ensemble théorie de la justice et conceptions de la liberté et du pouvoir » (Wörsdörfer, 2013, p. 313, trad.), l’ordolibéralisme tente d’offrir une réponse simultanée à ces trois enjeux en soulignant leurs constitutions respectives. Par exemple, plutôt que de « refuser un arbitrage entre liberté et justice sociale » (Peukert, 2000, p. 105, trad.), Eucken fait du premier l’instrument de la résolution du problème posé par la justice sociale.
La liberté économique est une conquête qui découle de l’action gouvernementale (Bonefeld, 2012, p. 4 ; Tribe, 1995, p. 212). L’espace 226de liberté économique doit être construit et sauvegardé par l’action gouvernementale. L’économique n’a pas d’existence propre en dehors des conditions institutionnelles préétablies, lesquelles incombent à la sphère politique : l’ordre de l’économie résulte d’un cadre normatif, légal et politique25. Mais cet ordre s’appuie également sur une dimension morale et culturelle sur laquelle Wilhelm Röpke va particulièrement insister, c’est là l’objet de la prochaine section.
Seconde (re)formulation,
« où l’homme est compté pour rien » :
une réponse spirituelle à la question sociale
Pour ce qu’on a appelé la variante sociologique de l’ordolibéralisme, à savoir les travaux de Wilhelm Röpke mais aussi ceux de Alexander Rüstow26, la QS se pose d’une façon différente, bien que complémentaire. On a vu que Röpke souscrivait largement aux thèses de Walter Eucken (et de l’École de Fribourg), il notera d’ailleurs dans sa correspondance l’étonnant parallélisme, et même la convergence, de leurs travaux, malgré la communication extrêmement difficile pendant la Seconde Guerre Mondiale (Solchany, 2015, p. 225).
Chez Wilhelm Röpke, la QS peut être considérée comme l’une des problématiques transversales de son œuvre. La Crise (sociale) de notre temps (1942a), Civitas Humana (1944a) et L’Ordre international (1945b), la trilogie rédigée pendant la Seconde Guerre Mondiale, étaye une telle lecture.
Pour Röpke, le bon fonctionnement de la concurrence repose sur un double cadre : celui d’institutions juridiques, mais également celui d’une intégration sociale réussie. Finalement, « liberté économique et concurrence sont des postulats naturels, puisqu’il s’agit de combattre les maux du collectivisme et du monopolisme. Cependant, elles ne représentent qu’une partie du programme […] » (Röpke, 1942a, p. 233). En insistant sur les « réserves morales à prélever en dehors de l’économie du marché » (ibid., p. 74, nous soulignons), la QS permet d’apprécier l’amplitude du programme sociologique et spirituel de Wilhelm Röpke, cependant, ici, nous en resterons au strict traitement économique de cette question27.
227Pour Röpke, le libéralisme historique est coupable d’un double aveuglement concernant le mécanisme de la concurrence. Premièrement, la concurrence ne peut fonctionner que si un nombre important de pré-requis sont remplis non seulement en termes législatifs mais aussi en termes sociaux, notamment il est nécessaire que les acteurs s’appuient sur « certaines normes morales » (Röpke, 1937, p. 60). Secondement, l’exercice de la concurrence et, plus largement, le développement des marchés dans toutes les sphères de la société représentent « un danger moral et sociologique » qu’il faut « limiter » et « surveiller afin de prévenir tout empoisonnement du corps social » (Röpke, 1942a, p. 74). Par son exercice et ses implications, la concurrence est donc intrinsèquement consommatrice de moralité et de lien social :
Ce fut, en effet, la faute capitale de la vieille pensée et action libérales « capitalistes » de considérer l’économie de marché comme un processus arrêté, circonscrit et qu’on pouvait automatiquement lier et délimiter. On avait perdu de vue que l’économie de marché ne forme qu’une section étroite de la vie sociale, qui est encadrée et maintenue par un domaine bien plus étendu […]. L’économie de marché est seulement une organisation déterminée et, comme nous l’avons vu, absolument indispensable à l’intérieur d’un étroit domaine où elle trouve sa place véritable et non déformée ; abandonnée à elle seule, elle est dangereuse et même intenable, parce qu’alors elle réduirait à une existence totalement antinaturelle les hommes qui, tôt ou tard, rejetteraient et cette organisation et l’économie de marché qui leur serait devenue odieuse. (Röpke, 1944a, p. 71-72).
En résolvant les difficultés liées au mode d’organisation de l’économie – grosso modo en sortant de l’antinomie entre libéralisme du laissez-faire et planification de type socialiste –, on ne résout pas de facto le problème moral de l’Occident, lequel est inextricablement lié au développement de l’industrialisme, de la division du travail et de la technique28. Le problème de la civilisation des masses, de la prolétarisation (et de la grégarisation)29 des travailleurs s’est intensifiée, car on a « ignoré souverainement les données vitales et anthropologiques (vitalen und anthropologischen Gegebenheiten) capables de circonscrire les empiétements de l’industrialisme capitaliste » 228(Röpke, 1942a, p. 74). C’est à ce niveau que la réforme ordolibérale en vue de résoudre la QS doit également se jouer :
Une réintégration de l’économie de marché, et donc la suppression du danger collectiviste, n’est possible que conjuguée avec une dégrégarisation, une déprolétarisation, une décollectivisation [sic], et avec un renforcement de la paysannerie, de l’artisanat et de la décentralisation, bref, avec une politique sociale visant à une plus grande solidité du cadre sociologique-anthropologique (Röpke, 1944a, p. 73-74).
Ce problème ne saurait être réglé par ce que Röpke caractérise de « rationalisme technico-scientifique », dont la démarche fait de « la question sociale […] une sorte de virus qu’il suffit de découvrir par les méthodes “exactes” de la statistique mathématique » (Röpke, 1942a, p. 203-204)30. La pensée qui peut entreprendre cette tâche doit, pour reprendre une formule familière à Röpke comme à Eucken, se focaliser sur une approche par la qualité plutôt que par la quantité (avec la distinction suivante : les variations de la quantité d’un phénomène influent directement sur la qualité, la nature, de celui-ci).
Röpke note que des éléments de sa troisième voie (dritter Weg) émanent des réflexions d’auteurs aussi disparates que Sismondi, Proudhon et Riehl, Kropotkine ou Le Play (1942a, p. 255), lesquels sont habituellement associés à la pensée socialiste. L’aspect spiritualiste ou religieux ne doit pas être écarté du revers de la main, sous couvert de manquer une part importante des fondements de la pensée de Röpke, qui reconnaît volontiers qu’« un bon chrétien est un libéral qui s’ignore. Et cela explique, entre autres choses, pourquoi un lecteur attentif de l’Encyclique célèbre et trop souvent méconnue : Quadragesimo Anno (1931) y découvrira une philosophie sociale et économique qui, au fond, mène à la même constatation » (Röpke, 1944a, p. 12).
Néanmoins, si les convergences sont fortes entre Röpke et la doctrine sociale de l’Église contemporaine, car reposant notamment sur un socle humaniste commun, d’importantes différences apparaissent31. Par exemple en ce qui concerne le principe de subsidiarité, cher à la doctrine sociale 229de l’Église (Delsol, 1992, p. 210-211), Röpke semble plutôt renvoyer à Emmanuel Kant : reprenant à son compte l’« insociable sociabilité ». L’idée de la mesure, appliquée à la question de l’intégration sociale de l’homme (Röpke, 1942b, p. 257), passe par la recherche d’un équilibre entre principe de liberté individuelle (noyau économique du marché) et principe communautaire (qui permet le vivre ensemble) :
Il existe un « antagonisme de la sociabilité insociable de l’homme » (Kant), qui place constamment le monde dans un état de tension entre la volonté qui tend vers la communauté sociale (intégration) et celle qui recherche l’isolement individuel (différenciation) […] dont il faut tenir compte lors de toutes les discussions actuelles sur l’État, l’économie, la constitution : l’homme cherche un moyen terme normal dans son contact avec la société, il n’en veut ni trop ni trop peu (Röpke, 1942a, p. 122-123).
Au-delà du principe d’organisation décentralisée, si possible fédéraliste, s’appuyant sur le principe de subsidiarité, on trouve chez Röpke deux autres types de mesures pour résoudre la QS. Le premier – qui appartient à ce que l’on peut qualifier de politique sociale ordinaire – est palliatif, par définition temporaire ; seule le second type de mesures est structurel et renvoie à un état idéal röpkéen.
Certes pour Röpke, une politique sociale d’augmentation des salaires et de baisse du temps de travail a des effets paradoxaux, puisqu’elle tend à détruire les petites et moyennes entreprises en laissant seules les grandes capables de faire face à cette hausse des coûts (Röpke, 1942a, p. 293). Pourtant, l’urgence sociale impose que l’État ne reste pas totalement insensible au sort des plus démunis : « Tant que nous aurons un prolétariat, cette politique sociale gardera, il est vrai, un certain champ d’activité limité, et beaucoup de travail intelligent peut encore être fait dans le domaine de la politique des salaires, du syndicalisme, de la protection ouvrière et des assurances sociales » (Röpke, 1942a, p. 295). Pour autant, ces mesures ne sauraient répondre à l’enjeu de la crise sociale généralisée telle que la décrit Röpke ; un constat qui est aussi largement partagé par Eucken lorsqu’il souligne, dans des termes similaires, qu’« un nouveau type d’être humain se développe – un produit de masse dont l’existence dépend de l’État » (Eucken, 1948b, p. 269).
230Pour Röpke, le véritable enjeu commence par une politique de dé-massification. Si elle concerne bien l’empiètement des grandes entreprises qui « détruisent l’indépendance des personnes, la spontanéité des décisions, la variété des actions et l’artisanat » (Röpke, 1936, p. 323, nous traduisons), cette politique s’étend bien au-delà, elle vise tant les grands centres urbains que la culture de masse ou les structures politiques. Afin de « donner au travail un nouvel esprit » (Röpke, 1937, p. 131) il convient de fournir à l’individu des types de propriétés qui répondent à une nécessité quasi anthropologique de l’Homme selon Röpke : la propriété d’habitation et de production : car « s’il existe quelque part un “droit social”, c’est bien ce “droit à la propriété” » (Röpke, 1944a, p. 257). Paradoxalement donc, répondre à la crise sociale qui touche le travailleur passe principalement par des réformes en dehors de la sphère de l’entreprise. Röpke entend répondre au programme marxiste de dictature du prolétariat par une multiplication du (petit) capital : « La misère du “capitalisme” ne réside pas dans le fait que les uns ont du capital, mais bien dans le fait que les autres n’en ont pas et sont donc des prolétaires » (Röpke, 1942a, p. 232).
Comme pour Eucken, il y a donc chez Röpke un « inexorable dilemme : ou surmonter le prolétariat dans le cadre de notre système économique, ou accepter la solution communiste, qui supprime le prolétariat en tant que classe en faisant de tous les habitants d’un pays des prolétaires » (Röpke, 1937, p. 283). Poser ainsi le dilemme en dit long sur la polarisation des espaces idéologiques dans les réflexions sociales de l’époque. Si Röpke construit son discours libéral en prenant appui sur de nombreux auteurs conservateur32, force est de constater que cette lecture relative au déracinement des travailleurs est largement répandue dans l’Europe du milieu du xxe siècle. Elle trouve par exemple écho dans la pensée communiste (critique) de Simone Weil (1949).
Pour ce faire, Röpke ne cache pas qu’il faudrait « opérer un certain retour au passé » dans la mesure où la division du travail et la spécialisation sont peut-être allées trop loin en ce qui concerne l’efficacité, car des conséquences socialement néfastes apparaissent. Il faut accroître le plus possible les classes/professions capables de jouir de 231cette double propriété (paysans, artisans, petits industriels, marchands). Pour ce qui est des ouvriers/employés, il faut compenser cette impossibilité en ayant « pour but de procurer […] une habitation particulière avec jardin, donc une combinaison de propriété d’habitation et d’un minimum d’élémentaire propriété de production » indispensable à « l’auto-approvisionnement » (Röpke, 1942a, p. 176). Pour sortir de ce qu’il qualifie, avec d’autres, d’« ère des masses », il conviendra de mettre en place « un plan d’aménagement national luttant contre l’entassement industriel dans les grandes cités » à la faveur des bourgs et industries rurales (Röpke, 1942a, p. 286) :
Pour la propriété – à la différence du revenu – il faut un certain effort de volonté, une certaine conception de la vie qui n’est rien moins qu’évidente. […] Chacun veut « avoir », et nulle politique révolutionnaire n’est plus populaire que celle qui veut prendre aux uns pour donner aux autres. Mais « posséder » ? Cela présuppose davantage en économie, en effet : équilibre du présent et du futur, sens de la continuité et de la conservation, volonté d’être indépendant, sentiment de famille développé. Une fructueuse politique de restauration de la propriété ne débute donc point par une promesse, mais par une exigence, par un appel moral, par une œuvre éducative (Röpke, 1944a, p. 255-256).
Cette dimension subjective et éducative du programme röpkéen concerne également le consommateur, qui s’il en est souvent lui-même la victime, se révèle également un coupable, complice d’encourager la concentration économique : « Il faut enfin se souvenir qu’une éducation du consommateur et une propagande intelligente et efficace peuvent affaiblir considérablement la puissance des monopoles » (Röpke, 1942a, p. 284, 307). Ce ne sont pas seulement les conditions de l’offre industrielle de certains produits qui écrasent la production artisanale, mais bien des conditions subjectives de la demande, les habitudes de consommations.
232Conclusion
En réalité, le modèle ordolibéral en ce qui concerne la QS n’est pas allemand, mais suisse : Röpke (1944b, p. 12) comme Eucken (1951, p. 27-28) plaident ensemble pour un « nouveau » Sismondi33, capable de dénoncer avec la même franchise les errements du libéralisme industrialiste comme du collectivisme moderne. À la suite des condamnations socialistes – au sens large – qui ont pu frapper d’une même vague la doctrine libérale comme le développement pratique du capitalisme au xixe siècle, l’ordolibéralisme marque un reflux qu’il n’est pas sans intérêt de considérer dans sa dimension critique.
En acceptant pour part certaines critiques explicitées par Marx ou Schmoller, il est aisé de constater que Walter Eucken comme Wilhelm Röpke se retrouvent in fine porteurs d’un message plus nuancé que celui de Friedrich Hayek. Ce dernier notait, en introduction à l’ouvrage collectif Capitalism and the Historians, à quel point les présentes contributions portaient « une réfutation imparable de cette croyance », de ce « mythe suprême », qui voudrait que « la détérioration de la position des classes de travailleurs soit une conséquence de l’essor du “capitalisme” » (Hayek, 1954, p. 9-10, trad.).
Dressant le bilan les forces et faiblesses des analyses libérales classiques et socialistes, l’ordolibéralisme emprunte la voie d’un libéralisme à but, si ce n’est social, sociétal. Poser la QS en ces termes a nécessité une triple mise à distance : du libéralisme historique comme du socialisme planificateur, nous l’avons dit, mais également vis-à-vis de l’interventionnisme de type keynésien, en rejetant le plein-emploi des objectifs directs de la politique économique et du plan Beveridge de 1944.
Le problème du pouvoir économique privé (et public) trouve sa résolution par la mise en avant de la dichotomie entre processus versus cadre de l’économie afin d’informer la politique économique. En agissant exclusivement sur ce dernier, à la faveur d’un ordre concurrentiel devant 233réaliser ce qu’on appelle aujourd’hui l’allocation optimale des ressources à travers les mécanismes de marché, la politique sociale se superpose de fait à l’édiction d’une démocratie de consommateur.
À l’image de son collègue de Fribourg, Röpke annonce un programme extrêmement ambitieux, et dont l’objet dépasse largement l’économique pour s’ériger en médecine de la société de masse : « une telle réforme sociale est donc, cliniquement parlant, non pas une thérapeutique locale ou symptomatique, mais une régénération de la constitution et de l’équilibre général » (Röpke, 1942a, p. 297). La dimension spirituelle vient ici au secours de la politique sociale.
Bien au-delà du champ économique, le régime de discours ordolibéral embrasse la dimension socio-culturelle et politique inhérente à l’essor des sociétés complexes. À ce titre, la QS ne saurait être résolue par une politique sociale – catégorie vidée de sa substance par les différentes critiques ordolibérales –, mais par l’articulation d’une politique économique (Eucken) avec une réforme morale (Röpke).
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1 Robert Liefmann (1874-1941) a réalisé sa thèse de doctorat portant sur la question des cartels sous la direction de Max Weber à l’université de Fribourg en Brisgau, en 1897 (voir Grossein, 2005, p. 923). Il y enseigna comme professeur d’économie de 1914 à 1933. Anita Pelle (2016, p. 116) voit en Liefmann un précurseur de l’ordolibéralisme.
2 Le professeur Alfred Müller-Armack (1901-1978), de l’université de Cologne, s’impose comme l’infatigable gardien du la « formule irénique » de l’ÉSM (1956, 1965, 1978). L’ouvrage de Stefan Sorin Murecan (2014) offre une vaste étude de l’ÉSM allemande, notamment au regard de sa réalisation pratique après la Seconde Guerre Mondiale, et qui entre dans des spécifications importantes lorsqu’il s’agit de fournir une approche comparative avec d’autres modèles régionaux ou nationaux.
3 Notons que les liens qu’entretient Erhard – ou Müller-Armack – vis-à-vis de l’ordolibéralisme allemand sont pour le moins complexes et doivent être relativisés en terme de pratique politique comme de doctrine économique (Commun, 2003 ; Mierzejewski, 2006 ; Nicholls, 1990, 1994, p. 151-158, 178-233).
4 Attenants au sujet présentement abordé, trois articles – dont Walter Eucken et Alfred Müller-Armack sont toujours partie prenante – sont particulièrement appropriés afin de situer cette contribution. Tout d’abord, Alexander Ebner (2006) expose ce qui constitue dans la Sozialpolitik de Gustav v. Schmoller et de ses continuateurs (Werner Sombart, Arthur Spiethoff et Max Weber) l’une des sources intellectuelles majeures de l’ÉSM. À l’occasion du soixantième anniversaire de l’ÉSM, Nil Goldschmidt et Michael Wohlgemuth (2008) sont également revenus sur les origines doctrinales du concept, accordant plus d’importance à la filiation entre le « socialisme libéral » de Franz Oppenheimer et le « libéralisme social » de Ludwig Erhard (ibid., p. 266). Plus près de nous, Werner Bonefeld (2013) réintègre deux grands absents de cette discussion sur les politiques sociales ordolibérales : Alexander Rüstow et Wilhelm Röpke. Reconduisant une lecture foucaldienne de la Vitalpolitik, Bonefeld se livre à une étude compréhensive laissant de côté les ressorts économiques et les différences entre les auteurs.
5 Notons avec Catherine Audard (2009, p. 281) que « le libéralisme allemand a pu soutenir le rôle social de l’État, l’État social au sens antilibéral de Bismarck, bien avant que les libéraux anglais s’y convertissent » (Audard, 2009, p. 281). Pour une vision comparative du développement de l’État social en Allemagne et en Angleterre, on consultera l’ouvrage de Gerhard A. Ritter (1986), ainsi que les travaux édités par Wolfgang Justin Mommsen et Wolfgang Mock (1981).
6 Röpke est particulièrement virulent à l’endroit de Bismarck qu’il juge pour une grande part responsable des affres dont il fut le contemporain : « We need today to be clear in our minds at last that Germany’s unification by Bismarck’s “blood and iron” policy of 1866-1871 was a solution by force that pushed Germany in the form of Greater Prussia along the path which inevitably led past the stages of 1914, 1933, and 1939 to the catastrophe of today, to disaster alike for Germany and for Europe » (1945a, p. 152).
7 Suivirent les lois d’assurance contre les accidents de travail (1884) et concernant l’invalidité et le grand âge (1889). Cette partie de l’histoire allemande est bien connue et fait l’objet de très nombreux travaux d’historiens. On dirigera le lecteur intéressé par le Verein vers Harald Hagemann (2001), celui intéressé par Schmoller et les réformes sociales vers les travaux de Powers (1997) ou vom Bruch (2004), ainsi que la présentation synthétique qu’en offre Bertram Schefold (2008).
8 Dans son Système d’économie nationale, Friedrich List a le premier marqué son refus d’une théorie classique anglaise qu’il jugeait largement adaptée aux conditions particulière de ce pays, mais au détriment du développement économique de l’Europe continentale en général, de la Prusse en particulier (Coustillac, 2009 ; Defraigne & Meulemeester, 2009).
9 Du point de vue ordolibéral, Marx, Schmoller – de façon contemporaine Schumpeter (1942, 1950) – ont en commun de jeter un regard fataliste sur les forces (ou lois) sociales et économiques. Le « manifeste » ordolibéral transcrit particulièrement ce sentiment (Böhm, Eucken & Grossman-Doerth, 1936) ; que l’on retrouve dans les travaux individuels de Eucken (1951, p. 41-55) comme de Röpke (Fèvre, 2015a, p. 902). Plus que ces grandes figures de la pensée, Eucken cible en fait les systèmes politiques qui leur ont succédé au xxe siècle, à savoir le communisme Russe et l’État social allemand.
10 À l’inverse de Röpke, aucune traduction française des travaux de Walter Eucken n’est disponible ; toutes les traductions sont donc miennes.
11 Le principal enjeu préscientifique que cherchaient à résoudre les ordolibéraux se situe au niveau du problème social, et surtout du moyen de sortir la tradition allemande du « dogme » de Marx en la matière (Wohlgemuth, 2013, p. 162). En somme, chercher par des principes libéraux à affronter les questions dont le socialisme s’empare ordinairement : Serge Audier place l’ordolibéralisme dans la mouvance du socialisme-libéral (2004). Mais au regard des idées développées dans cet article relativement à la pensée ordolibérale, ne serait-il pas préférable de parler de libéralisme-social ? L’article revient sur cette interrogation par la suite.
12 Les ordolibéraux procèderont de la même manière au xxe siècle en plaçant différents systèmes économiques – allant de l’interventionnisme ou de l’économie mixte à la planification centralisée – mutatis mutandis sous un même schème explicatif.
13 L’historien Michel Hau (1998, p. 35) remarque : « si le salaire ouvrier a été longtemps maintenu à un niveau déprimé, en raison de la pression exercée par les immigrants ruraux, il s’accroît nettement entre 1880 et 1913, passant de 121 marks par an dans les mines à 1496 et, dans le secteur secondaire, de 565 à 1163 » ; soit « un doublement du salaire réel » si l’on considère le pouvoir d’achat de 1913.
14 Au-delà de la montée du chômage, la Première guerre mondiale, l’hyperinflation allemande et la crise de 1929 sont autant de défis imposés aux gouvernements allemands successifs.
15 Il faut ici nuancer les propos des ordolibéraux. Le programme historiciste, si on le considère de façon générale, est moins intéressé par une direction étatique centralisée que par une gestion certes publique, mais à plusieurs visages. La politique sociale doit recourir aux « institutions méso-économiques, c’est-à-dire aux groupements sociaux, para-étatiques et parafiscaux, qui doivent se voir garantir juridiquement leur propre compétences de régulation » (Priddat, 2004, p. 57).
16 Albert O. Hirschman définit l’effet pervers, dans sa typologie des rhétoriques réactionnaires, ainsi : « ce qu’il entend démontrer, c’est que les mesures destinées à faire avancer le corps social dans une certaine direction le feront effectivement bouger, mais dans le sens inverse » (1991, p. 28). Hirschman évoque directement la personne de Wilhelm Röpke dans son ouvrage relativement à la question de l’État providence bismarckien mais en caractérisant son discours comme relatif à « la mise en péril » (ibid., p. 235).
17 Encore qu’il soit plus exact de parler ici de proto-keynésianisme (Backhaus, 1997 ; Klausinger, 1999), dans le sens où la relance budgétaire en vue de création d’emploi se répandit comme outil de politique publique en Occident avant qu’elle ne soit théoriquement systématisée (et popularisée) par Keynes et sa Théorie Générale (1936).
18 Le plein-emploi est aussi rejeté pour des raisons politico-historiques : c’était l’un des objectifs (qui n’est pas un résultat) des politiques du troisième Reich. La similarité des buts et le flottement entretenu par la préface allemande à la Théorie Générale (voir Schefold, 1980) ont facilité un rejet empressé des politiques de plein-emploi de la part des libéraux allemands (Eucken, 1951, p. 30 ; Röpke, 2002, p. 217).
19 Soit une « planification étatique des formes » (Staatliche Planung der Formen) du cadre économique ; on trouve cette autre formulation dans les notes (allemandes) des conférences à la LSE de Walter Eucken, publiées de manière posthume (voir Eucken, 2001, p. 77).
20 Pour une discussion sur le contenu précis des politiques économiques ordolibérales, voir Grossekettler (1989, 1994).
21 « Les bases, pour l’essentiel “libérales”, de notre système juridique (droit de propriété privée absolu, reconnaissance systématique du droit successoral, et la longue liste des libertés légales telles que la liberté de la personne, liberté de domicile, liberté de contrats, liberté du choix de la profession, sans compter les garanties constitutionnelles contre l’arbitraire de l’État) forment le cadre indispensable de notre système économique » (Röpke, 1937, p. 124).
22 La liberté économique, dans la pensée ordolibérale, est caractérisée par le plan et l’action libre des individus ; c’est-à-dire qu’ils sont dans une situation où « ils ne reçoivent pas d’ordres mais cherchent à utiliser leur propre force de travail, leurs moyens de production et leur monnaie de la façon qu’ils considèrent la plus avantageuse […]. Les entreprises sont libres de choisir ce qu’elles produisent, avec quelle technologie et matières premières ou encore le marché sur lequel elles veulent vendre leurs produits. Les travailleurs […] bénéficient d’une liberté de mouvement et le droit à un contrat de travail librement choisi » (Eucken, 1949, p. 227, trad.).
23 L’article reprend ici la désormais classique distinction entre liberté négative et liberté positive énoncée par Isaiah Berlin (1969).
24 Eucken témoigne ici d’une tendance qui sera profonde au xxe siècle : le remplacement du souci de l’économie politique libérale envers les classes, sous l’impulsion du marginalisme, pour se concentrer sur la fonction commune aux individus en face de l’économie de marché : la consommation.
25 À ce titre l’ordolibéralisme est parfois présenté comme un néo-institutionnalisme avant l’heure (Vanberg, 1998).
26 Cf. Habermann (2006).
27 Pour une discussion plus générale de l’œuvre de Röpke, voir : Commun (2014), Fèvre (2015a) et Solchany (2015, p. 467-502).
28 Sans en un faire un thème central de ses travaux, Eucken (1940, p. 314) témoigne des mêmes inquiétudes relatives à l’essor de l’industrialisme et de la société de masse.
29 La prolétarisation réside, au sens le plus large, matériel et immatériel de ces mots, dans le déracinement, dans le manque de réserves, dans la nomadisation et finalement dans l’assistance collective, mécanique et anonyme (Röpke, 1944a, p. 226). Grégarisation et Prolétarisation sont des concepts importants chez Röpke : liés au processus de massification (Vermassung), ils ne se confondent pas (Fèvre, 2015b, p. 158-159).
30 Sans apporter tellement plus de précisions, on peut légitimement assumer que Röpke met ici en cause l’économétrie et la macroéconomie naissantes.
31 L’Encyclique du Pape Pie xi marqua un tournant au sein de la pensée économique catholique, considérant que le « système capitaliste ne représentait pas un mal en soi » mais qu’il fallait en limiter les excès ; notamment en terme de concentration de pouvoir et de richesses (Almodovar & Teixeira, 2008, p. 76-77). Pour une discussion précise de ces liens, le lecteur intéressé pourra consulter l’article de Jean-Michel Ycre (2003).
32 Le sociologue Huizinga, le pamphlétiste espagnol Ortega y Gasset ou l’historien Humbolt sont parmi les plus importants. Jean Solchany offre une analyse fine du « panthéon conservateur » mobilisé par Röpke dans son œuvre.
33 L’importance de l’étude du passé (un certain romantisme), un souci marqué pour les conséquences de l’industrialisation dans le domaine spirituel, une distanciation vis-à-vis du point de vue de Marx sont quelques-uns des nombreux éléments qui font de la « critique de la civilisation moderne au nom de principes libéraux » (Eyguesier, 2012, p. 27) émise par Jean Charles Léonard Simonde de Sismondi une inspiration toute indiquée.
- CLIL theme: 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
- ISBN: 978-2-406-06967-6
- EAN: 9782406069676
- ISSN: 2495-8670
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-06967-6.p.0209
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 06-09-2017
- Periodicity: Biannual
- Language: French
- Keyword: Ordoliberalism, Eucken, Röpke, social question, economic order