Le spectre du luxe
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
2016 – 1, n° 1. varia - Auteur : Tiran (André)
- Pages : 99 à 127
- Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
Le spectre du luxe
André Tiran
Université de Lyon
Laboratoire Triangle UMR CNRS
Introduction
Au xviiie siècle le débat sur le luxe s’est mené dans toute l’Europe et a donné lieu à de multiples contributions et ouvrages, aussi bien d’inconnus que de ceux que nous considérons aujourd’hui comme les économistes de cette époque. On y trouve également des philosophes comme Voltaire et Diderot, des fondateurs de la science politique comme Montesquieu et bien d’autres. Le débat sur le luxe, qui interpelle hommes de lettres, philosophes et économistes au xviiie siècle s’inscrit dans le contexte de l’évolution de la société. Les prises de position sont révélatrices d’un changement de système de valeurs présents chez tous ces auteurs : Fénelon, La Rochefoucauld, Montesquieu, Rousseau, Mandeville, Voltaire, Smith, Melon mais aussi Verri, Genovesi, Galiani, Filangieri. Dans cet article nous avons mobilisé des auteurs peu pris en compte dans les articles et manuels à l’extérieur de l’Italie, et pour Say, considérés comme n’ayant que peu contribué à la discipline1.
100La question a été traitée [Margairaz, D. (1999), p. 25] en particulier dans le cadre de la querelle du luxe au xviiie siècle1. L’article « Luxe », publié en 1762 dans l’Encyclopédie et rédigé par le marquis de Saint Lambert [(1751), p. 763-771], est un résumé des débats sur cette question au cours de la première moitié du xviiie siècle. Henri Baudrillart2 a très bien décrit l’évolution qui se produit au cours du xviiie siècle :
Tout change avec les temps modernes. L’industrie prend le pas sur l’art, et le luxe lui-même vise au bien-être.
La dimension bourgeoise du luxe est affirmée :
Le bon côté du luxe, ainsi multiplié et réparti sous l’influence de l’esprit démocratique de bien-être et d’égalité. On substitue un luxe de commodité au faste de l’aristocratie : « Ce qu’on nommait le luxe naguère passe à l’état d’habitude dans la vie quotidienne ». [Baudrillart, H. (1878-1880), T. I, p. 153 ; T IV, p. 2 ; T. IV, p. 3 et p. 610]
Le luxe a accompli le mouvement niveleur qui distingue le siècle.
Les Gouvernements appuyés sur ces théorisations ont orienté leur politique dans un sens favorable au luxe et déjà au début du xvie siècle les classes dirigeantes sont convaincues que les dépenses de luxe sont nécessaires et positives pour la collectivité. Ce que ces auteurs apprécient par-dessus tout c’est le fait de développer les marchés. Une des caractéristiques des changements du produit de luxe, à l’aube du xixe, siècle réside dans le fait qu’avec le développement de l’industrialisation il entre dans la sphère privée, dans l’intimité de la famille, de l’habitation, de l’individu. Il se développe en relation avec l’urbanisation et à son tour celle-ci conditionne et pousse au développement de nouvelles formes et de nouveaux objets de luxe, qu’il s’agisse du mobilier, du vêtement, de la table ou de l’alimentation.
La question doit être analysée dans un contexte qui est à la fois la naissance de la nouvelle science de l’économie politique d’une part et d’autre part la nécessité pour les auteurs, qui portent cette nouvelle 101science, de s’émanciper de l’emprise des théories de l’Église et de celles du pouvoir politique. À travers la question du luxe se livre un combat politique contre les arguments de l’Église et de tous les moralistes. Pour résoudre les problèmes sociaux que sont la pauvreté, l’inégalité, le luxe, l’enrichissement personnel, il faut développer le luxe de confort ou de commodité, qui permet de stimuler l’industrie et la consommation et d’engendrer la prospérité publique.
Le but de cet article est d’apporter un nouvel éclairage sur ce débat à travers la présentation de trois auteurs en Italie et en France entre 1751 et 1803 : Ferdinando Galiani (1728-1787), Pietro Verri (1728-1797), Jean-Baptiste Say (1767-1832). Les ouvrages sur lesquels va s’appuyer notre analyse sont pour Galiani Della moneta (1751), Verri Considerazioni sul lusso (1763)1 et Meditazioni sulla economia politica (1771 b), Say Traité d’économie politique (1803) et le Cours complet d’économie politique pratique (1828-1829). Il s’agit en quelque sorte de l’école italienne y compris à travers son influence déterminante sur Jean-Baptiste Say. Le point commun de ces trois auteurs est de développer une théorie de la valeur utilité-rareté, avec des formulations différentes, et de n’adopter ni la position des physiocrates sur les sources de la richesse, ni la position de Smith sur la valeur travail. Chez ces trois auteurs tous les secteurs de l’activité économique concourent à la production des richesses.
Les contributions des trois auteurs sont d’inégale importance. Elles couvrent la deuxième moitié du xviiie siècle et le début du xixe. Nous les aborderons dans l’ordre chronologique en essayant de préciser les apports respectifs de Galiani et Verri d’une part et de Say d’autre part. Pour Galiani nous verrons que son analyse est totalement centrée sur sa théorie de la valeur qui englobe aussi bien les marchandises, produits agricoles que les produits et services de luxe et les œuvres d’art. Pour Verri, le luxe s’analyse comme un stimulant fondamental de la consommation et donc de la croissance économique tout en se situant dans la continuité des auteurs comme Hume et Forbonnais. Say achève cette trajectoire en finissant par refuser de distinguer superflu (luxe) et nécessaire et en centrant sa réflexion sur la question de l’influence de la consommation de luxe sur l’allocation des facteurs de production.
102I. Le contexte du débat sur le luxe
Le débat sur le luxe, ses avantages et ses inconvénients, ses bienfaits et ses méfaits, les distinctions entre le luxe acceptable et celui qui ne l’est pas, sa discussion dans l’ordre de la morale, de la philosophie, de l’économie et de l’histoire s’ouvre très vite et ont déjà fait l’objet de beaucoup de considérations1. Face aux arguments des moralistes et des théologiens, dès le début du xviiie siècle un certain nombre d’auteurs vont faire observer que la frugalité antique était en réalité pauvreté et manque de moyens. Puisque la moitié des hommes ne possède rien « le luxe pourvoit à la destinée de cette moitié d’hommes que le besoin forcerait à ramener le premier chaos du droit matériel » [Cartaud de la Villate, F. (1736), p. 322].
Le luxe dans la première moitié du xviiie est un instrument de pouvoir, de domination, à l’usage de la monarchie, de la haute aristocratie et du clergé. Il suscite bien plutôt la crainte et le respect que l’envie [Trousson, R. (2006)]. Au fil du temps et des mutations économiques et sociales la position de la question se modifie profondément. Le luxe d’attribut des classes privilégiées [Baudrillart, H. (1880), T. IV, p. 445] se transforme en accompagnant la montée en puissance de la classe bourgeoise et le développement de la consommation de biens nouveaux qui apportent confort et plaisir nouveau [Baudrillart, H. (1880), Id.]2. Le faste et l’ostentation des classes privilégiées provoquent toutefois beaucoup de réactions chez les partisans d’un christianisme rigoureux. Fénelon dans le Télémaque fait l’éloge de la frugalité et condamne la somptuosité de Versailles : « On dit que le luxe sert à nourrir les pauvres aux dépens des riches ; comme si les pauvres ne pouvaient pas gagner leur vie plus utilement, en multipliant les fruits de la terre » [Fénelon, (1699), p. 144]. Si à l’époque de Louis XIV la richesse et le luxe sont encore subordonnés à la prise en compte des titres de noblesse, cette distinction se réduit considérablement après le premier quart du xviiie siècle. Ainsi l’Encyclopédie écrit : « Le faste n’est pas le luxe. On 103peut vivre dans sa maison sans faste, c’est-à-dire sans se parer en public d’une opulence révoltante1 ».
C’est aussi la période du développement et de la modification des fonctions de l’État, accélérée par les conflits et la logique de puissance qui guide toutes les monarchies en Europe. Le premier rôle de l’État c’est d’abord de monopoliser à son profit tous les instruments de la force et pour ce faire de briser toutes les féodalités, les particularismes qui s’opposent à sa puissance. Il doit capter une grande partie des ressources de la production nationale afin de financer ses propres dépenses : l’administration, la justice, la force armée. Afin d’y parvenir il faut organiser et donner aux acteurs de l’économie les bases d’un développement stable, lever les obstacles à la circulation des marchandises, stabiliser l’outil des transactions qu’est la monnaie, libérer les initiatives et les forces de production, s’assurer d’une balance des paiements excédentaire ou en équilibre. Enfin il faut participer à la vie spirituelle sans laquelle nulle société n’existe et assigner à la religion la place qui doit être la sienne sans empiètement sur le pouvoir d’État. Les transformations de la société, le développement économique posent en d’autres termes la question du luxe et lui donnent un sens radicalement différent. C’est la réflexion que fait en 1787 Sénac de Meilhan [(1787), p. 97] : « Le luxe s’est établi sur les débris du faste qui a cessé avec le pouvoir de la noblesse ».
Cette argumentation sera poursuivie et développée par Bernard de Mandeville2 pour qui c’est la prospérité du vice qui conduit à l’abondance : « Chaque ordre était ainsi rempli de vices, mais la Nation même jouissait d’une heureuse prospérité […] Les vices des particuliers contribuaient à la félicité publique » [Mandeville, B. de (1740), p. 10]. Mandeville défend le luxe, car il donne du travail à tout le monde, en particulier à ceux qui en ont le plus besoin : « Le luxe fastueux occupait des millions de pauvres […] L’envie et l’amour-propre, ministres de l’industrie, faisaient fleurir les arts et le commerce » [Mandeville, B. de (1740), p. 11]3. Cette apologie se développe dans la remarque L de La Fable des abeilles. Le luxe 104c’est : « Tout ce qui n’est pas absolument nécessaire pour la subsistance de l’Homme » [Mandeville, B de (1740), p. 11). La multiplication des besoins, la stimulation du désir et le plaisir que procure l’utilisation des différents produits du luxe font de celui-ci un facteur de prospérité et de développement1. En ce sens le luxe est un indice de civilisation, de développement du bonheur social.
Les difficultés, ou les problèmes, que rencontre la société proviennent d’autres causes, en particulier celle d’une mauvaise politique ou d’un mauvais gouvernement. Le luxe engendre donc un développement de la demande, parce que les désirs sont infinis, que les besoins se modifient, tout cela entraîne prospérité collective et accroissement du niveau de vie. Pour Mandeville : « le peuple peut nager dans le luxe, et consommer pour cela des marchandises étrangères, sans en être appauvri » pourvu que les dépenses ne surpassent pas les « revenus » [Mandeville, B. de (1740), p. 130]. Toutefois il n’y a pas d’opposition, ou alors simplement implicite entre luxe de faste et luxe de commodité. Ses distinctions sont d’un autre ordre :
Le Luxe fastueux occupait des millions de Pauvres. (M) La Vanité cette passion si détestée, donnait de l’occupation à un plus grand nombre encore. (N) L’Envie même et l’Amour propre, Ministres de l’Industrie, faisaient bien fleurir les Arts et le Commerce. Les Extravagances dans le manger et dans la diversité des mets, la Somptuosité dans les équipages et dans les ameublements, malgré leur ridicule, faisaient la meilleure partie du Négoce. [Mandeville, B. de (1740), p. 11]
L’ensemble des arguments présentés peut se retrouver dans l’article « Luxe » de l’Encyclopédie, écrit par Saint-Lambert [(1751), p. 763-771]. Pour ce dernier le « luxe » n’est pas seulement un phénomène économique, mais une question morale et politique centrale de la modernité. La définition courante du « luxe » est alors : la consommation individuelle excessive. Saint-Lambert [(1751) p. 202] suit Forbonnais2. Sa position est résumée dès le début de l’article : « LUXE, c’est l’usage qu’on fait 105des richesses et de l’industrie pour se procurer une existence agréable » [Saint-Lambert (1751), p. 765-770]. Le désir de s’enrichir et de jouir de ses richesses sont dans la nature humaine « dès qu’elle est en société ». Ces désirs « soutiennent, enrichissent, vivifient toutes les grandes sociétés » car le luxe est un bien et par lui-même il ne fait aucun mal, il ne faut donc « ni comme philosophe, ni comme souverain attaquer le luxe en lui-même » [Ibid.]. La rupture avec toute considération morale et religieuse est radicale quoique l’article contienne une série de considérations politiques et d’intérêt général qui nuancent fortement le propos mais qui sont d’un autre ordre : celui de l’État.
À la suite de cette première définition, Saint-Lambert énumère les thèses qui ont pu être avancées à propos du luxe et qu’il récuse l’une après l’autre. Ainsi il note que dans les ouvrages traitant de cette question, le luxe contribue à la population, enrichit les États, facilite la circulation des monnaies, adoucit les mœurs, développe les vertus privées, qu’il est favorable au progrès des connaissances et des beaux-arts, qu’il augmente la puissance des nations et le bonheur des citoyens, qu’il amollit le courage, qu’il éteint les sentiments d’honneur et d’amour de la patrie, etc. À ces différentes thèses il ajoute un certain nombre de remarques et de réflexions économiques. Il est faux de dire qu’il n’y a jamais de « luxe sans une extrême inégalité dans les richesses » [Ibid.], de même que « le luxe fait sacrifier les arts utiles aux agréables, et qu’il ruine les campagnes en rassemblant les hommes dans les villes » [Ibid.]. Pour le comprendre il développe une théorie des stades de développement économique. Au commencement des nations, « la raison, l’esprit, l’industrie, ont fait moins de progrès. Il est dans la nature des sociétés, des hommes et des choses qu’avec le temps les États s’enrichissent, les arts se perfectionnent et le luxe augmente » [Ibid.]. On retrouvera en partie cette approche chez Say.
En réalité le luxe est relatif à la situation des peuples, au genre de leurs productions, à la situation, et au type de productions de leurs voisins. On ne peut donc tirer aucune conclusion absolue en examinant le luxe, en tant que tel, comme produit isolé du reste du contexte de la société. Tout le problème se situe dans le rapport à la production des manufactures, à la production agricole, à l’équilibre, ou au déséquilibre que cela entraîne entre les différentes branches de la production et de la consommation. Saint Lambert conclut : « le luxe est à cet égard pour les peuples ce qu’il est 106pour les particuliers, il faut que la multitude des jouissances soit proportionnée aux moyens de jouir » [Ibid.]. L’analyse économique va totalement remplacer chez les auteurs les thèses fondées sur la morale religieuse, les principes politiques, les références à l’histoire antique.
II. Aperçu de la théorie de la valeur
de Galiani, Verri et Say
Pour Galiani la valeur1 est
une idée de proportion entre la possession d’une chose et celle d’une autre selon l’opinion qu’en a quelqu’un […] La valeur est donc un rapport, et celui-ci se décompose en deux éléments, que j’exprime avec les mots d’Utilité et de Rareté. [Galiani, F. (1751), p. 6]
Pour Verri
La valeur est le mot qui indique l’estime que les hommes ont d’une chose et en mesure les degrés
mais puisque chaque homme possède des opinions et des besoins particuliers
« l’idée de la valeur sera très variable », et il ajoute « Le prix des choses est formé par l’union de deux principes : le besoin et la rareté ». [Verri, P. (1771b), p. 251-252]
Enfin chez Jean-Baptiste Say « La valeur de chaque chose est arbitraire et vague tant qu’elle n’est pas reconnue » [Say, J.-B. (1803), p. 79]. 107Pour lui créer des objets qui ont une utilité quelconque, c’est « créer des richesses, puisque l’utilité de ces choses est le premier fondement de leur valeur, et que leur valeur est de la richesse » [Say, J.-B. (1803), p. 80]1. L’affinité entre les positions des trois auteurs est encore plus marquée si l’on considère que tous les trois qu’ils sont opposés aux physiocrates et à « l’esprit de système ».
III. Ferdinando Galiani
À l’avènement du règne des Bourbon (1734), Naples représente le plus grand marché de consommation et le plus grand centre d’échanges du Mezzogiorno. La Naples de Charles III et de Ferdinand IV est une ville pré-capitaliste fondée sur les besoins de consommation et les dépenses liées au frais de représentation du Gouvernement. Cette dernière activité est toutefois très insuffisante pour absorber la masse des sans-travail. Les industries de la laine, de la soie et de l’artisanat en général sont en pleine décadence et accentuent le caractère parasitaire de la capitale. Les provinces sont sans argent, toujours endettées vis-à-vis de la capitale et incapables de supporter les impôts et taxes qui leur sont imposés. Les controverses sur l’histoire, la nature et la réforme du système monétaire constituent le débat2 économique et politique le plus important de l’époque.
Rappelons que la Naples de Galiani, ville capitale3, comporte un artisanat totalement orienté vers le luxe, en particulier la bijouterie et la vaisselle, luxe d’ostentation, ardemment pratiqué par l’aristocratie espagnole et le baronage du royaume mais aussi par le reste de l’Europe qui importe ces biens. En France, Vauban voit dans Paris la ville qui 108absorbe toutes les énergies du royaume. Boisguilbert voit dans la capitale l’origine de tous les maux. L’abbé de Saint Pierre à l’opposé défend avec optimisme le développement de la capitale. Ce que disent Vauban et Boisguilbert pour Paris peut être repris pour Naples. Les deux tiers des habitants du Royaume vivent sur des terres féodales. Le clergé possède près du tiers des terres ; la moitié des terres du Royaume est inculte ; le pays n’a pas de routes, il est soumis à des centaines de douanes et de péages ; le brigandage est général. La classe moyenne de juristes (le royaume compte 26 000 dottori) est peu productive1.
La faible prise en compte de l’apport théorique de Galiani s’explique en grande partie par l’absence de traduction de son ouvrage majeur Della moneta avant une époque récente2. La forme et l’objet même de son ouvrage le rend peu apte à être lu par ceux des économistes qui ne s’intéressent pas aux questions monétaires et ont une approche exclusivement centrée sur une approche purement déductiviste. Toutefois Galiani bénéficie en Italie d’un renouveau d’intérêt avec la publication de numéros spéciaux de revues, et d’articles dans les revues internationales3. Les histoires de la pensée qui traitent des questions monétaires4 font peu ou pas du tout référence à Galiani.
Dès sa parution, l’ouvrage de F. Galiani est connu en France dans les cercles de la physiocratie. L’inventaire après décès de Vincent de Gournay montre que l’ouvrage figure dans sa bibliothèque. Turgot possédait l’ouvrage de Galiani et le cite dans son texte Valeurs et monnaies [Turgot (1769)] qui paraît près de vingt ans plus tard, lorsqu’il introduit son concept de « valeur estimative » et de « valeur appréciative ». Au moment où paraît le Della Moneta (1751), Turgot a publié la 109Deuxième lettre à l’Abbé de Cicé sur le papier monnaie (1749), qui critique les opinions de J. Law mais ne dit rien sur le problème de la valeur qu’il introduira vingt ans après en faisant explicitement référence à F. Galiani. Les nouveaux ouvrages, sont vite connus, commentés, voir traduits. Chez Galiani la réflexion sur le luxe s’insère dans le chapitre ii du Livre I du Della Moneta : « Déclaration des principes d’où naît la valeur de toute chose. De l’utilité et de la rareté, principes stables de la valeur, où l’on répond à de nombreuses objections » [Galiani F. (1751), p. 63-102]. Cette question a suscité des interprétations divergentes chez les commentateurs à commencer par Schumpeter, puis Hutchison et enfin plus récemment d’autres ont ajouté leur contribution à une interprétation qui reste ouverte1.
Luxe et valeur
Dans ce chapitre Galiani développe une analyse de la valeur et de la formation des prix2. Le concept de valeur englobe celui des produits de luxe. La valeur est un rapport qu’il exprime avec les mots « d’Utilité et de Rareté » [Galiani, F. (1751), p. 69]. C’est dans la définition de l’utilité que la justification du luxe trouve sa place au même titre que tous les autres biens et services. Galiani appelle utilité « l’aptitude que possède une chose à nous procurer le bonheur3 ». L’homme étant un composé de passions en conséquence pour celui-ci « les satisfaire, c’est le plaisir. L’obtention du plaisir, c’est le bonheur » [Galiani, F. (1751), p. 69]. Est utile, ce qui produit un vrai plaisir, c’est-à-dire « qui apaise l’aiguillon d’une passion ». Or nos passions ne sont pas seulement le désir de manger, de boire, de dormir ; une fois satisfaites, d’autres de « force égale surgissent, car l’homme est ainsi constitué que, à peine satisfait un désir, un autre surgit, qui avec une force égale au premier l’aiguillonne » [Galiani, F. (1751), p. 69], et il est ainsi, perpétuellement tenu en mouvement et ne parvient jamais à se satisfaire totalement.
Le développement des besoins est continu. Le mot utilisé systématiquement pour désigner le mobile d’action est celui de passion et en 110aucune façon celui d’intérêt. Il n’y a aucune rationalité au sens d’un calcul des avantages et des inconvénients et pas plus l’idée de préférences. Son approche si elle reste subjective ne l’amène pas jusqu’à la théorie de l’utilité marginale. L’influence de G. Vico, qu’il a connu dans les salons de son oncle Celestino Galiani1, est très présente à travers la critique qu’il a faite du point de vue constructiviste où les lois, les noms, le langage, la monnaie sont tous le produit de conventions que Vico remplace par la création de l’esprit des hommes2. Les observations de Galiani dans le Della moneta sur la tendance de l’esprit humain à prendre des concepts ayant un sens relatif dans un sens absolu et sur le fait que l’utile est relatif va se transformer dans les Dialogues sur le commerce des blés en une critique de la tendance des économistes physiocrates, favorables au laisser-faire, à tirer des conclusions pratiques mécaniques de principes abstraits. La nature humaine selon Galiani n’est pas un concept abstrait semblable à celui de l’individu utilitariste et matérialiste. La nature humaine correspond à l’homme avec toutes ses passions, ses besoins dans un contexte historique déterminé.
À côté des besoins vitaux de conservation il note qu’il n’y a aucune passion qui soit plus forte chez l’homme que celle « du désir de se distinguer et d’être supérieur aux autres ». Celle-ci dépasse toute autre passion et fait en sorte que « les choses utiles à sa satisfaction ont la plus grande valeur », jusqu’à menacer l’existence de la personne qui soumet à leur acquisition tout autre plaisir et « souvent la sécurité de la vie même » [Galiani, F. (1751), p. 29]. L’estime et la considération d’autrui représentent un élément fondamental de la consommation, au même titre que la faim, la soif et le sommeil et de cela « nous ne pouvons pas en rendre compte ou raison à quiconque » [Galiani, F. (1751), p. 69].
Les dispositions de l’esprit des hommes étant « diverses et divers les besoins, diverse est la valeur des choses ». Certaines qui sont plus appréciées par un grand nombre et recherchées ont une valeur que l’on appelle « courante ; d’autres s’évaluent seulement d’après le désir de la personne qui les convoite et de la personne qui les donne » [Galiani, F. (1751), p. 69]. Cette remarque précède un paragraphe intitulé « Passion des hommes pour le faste ». Il y distingue ce qu’il appelle les choses 111incorporelles : les titres, les honneurs, la noblesse, les commandements. Immédiatement après viennent toutes les choses qui représentent le luxe et la beauté. Elles relèvent du luxe d’ostentation puisque ceux qui les possèdent « en ont été estimés et enviés » [Galiani, F. (1751), p. 69]. Ce sont les joyaux, les pierres rares, certaines peaux, l’or et l’argent et quelques œuvres d’art, qui « concentrent beaucoup de travail et de beauté » [Galiani, F. (1751), p. 71]. Ce luxe est un instrument de pouvoir et d’autorité. En effet « les rois eux-mêmes doivent la plus grande part de la vénération de leurs sujets à cet apparat extérieur qui toujours les entoure » [Galiani, F. (1751), p. 71].
Le luxe ne peut naître que lorsque « les arts qui lui sont nécessaires » sont suffisamment pourvus d’ouvriers, soit dans deux cas : « quand la population augmente [or] la population naît de la paix et des bonnes lois » ; ou bien quand on perfectionne les arts, en découvrant de nouvelles voies pour réaliser un ouvrage avec « moins de gens ou ce qui revient au même en moins de temps qu’avant » [Galiani, F. (1751), p. 93]. Alors, beaucoup restent sans travail, et pour ne pas mourir de faim, ils cherchent à satisfaire les hommes à travers des travaux moins nécessaires : « voilà le luxe ». À cette défense du luxe Galiani n’apporte que quelques restrictions : que les Princes prennent garde de ne pas « laisser leurs sujets être la proie du luxe des marchandises étrangères » [Galiani, F. (1751), p. 75]. Mais vouloir empêcher le luxe dans la prospérité, c’est vouloir que « les blés si longtemps cultivés ne donnent pas de fruits l’été, ou qu’après la moisson, ils restent encore verts » [Galiani F. (1751), p. 75].
La mode
Il développe ensuite son analyse par un élément qui se révélera par la suite être central dans toute l’industrie du luxe : la mode. Laquelle est une maladie de l’esprit, « qui gouverne bien des choses » [Galiani, F. (1751) p. 93], cette variété du goût naît, en grande partie, de « l’imitation des mœurs des nations dominantes » [Galiani, F. (1751), p. 93]. Son analyse conduit à souligner le fait qu’au point de départ la mode ne repose en rien sur l’utilité. Lorsque quelque chose devient à la mode parce que plus utile et plus commode, il ne parle pas de mode mais plutôt « d’amélioration des arts ou des commodités de la vie » [Galiani, F. (1751), p. 93].
112Il introduit une distinction entre luxe et amélioration du niveau de vie par accès à des biens qui répondent à la satisfaction des besoins, au-delà du strict nécessaire physiologique. Galiani pointe le caractère relatif de la notion de luxe. Celle-ci ne désigne pas la qualité de l’objet possédé, mais la qualité de la possession. La mode ne relève pas spécifiquement de ce qui est beau. Il y a deux catégories de beau : la première est fondée sur certaines idées, qui sont gravées dans notre esprit dès la naissance ; la deuxième c’est seulement « une accoutumance des sens qui la fait paraître belle » [Galiani, F. (1751), p. 93]. Seule cette deuxième catégorie, qui est bien plus vaste que la première, est pour Galiani sous l’empire de la mode. C’est là une exception à sa loi générale car ce qui agit sur la valeur et sur nos idées, c’est aussi la mode. Sur le sens de ce mot il donne par la négative cette définition : « affection du cerveau propre aux nations européennes, par laquelle de nombreuses choses ne sont guère appréciées pour la seule raison qu’elles ne constituent pas des nouveautés ». La mode est donc ce qui est nouveau et en cela elle constitue un cas à part dans le luxe sans relever nécessairement de celui-ci.
Valeur, luxe et œuvre d’art
Il existe une autre exception que Galiani celle des œuvres d’arts uniques où le prix correspond toujours aux « besoins ou aux désirs de l’acheteur ainsi qu’à l’évaluation du vendeur ; l’union conjuguée de ces éléments constitue une raison composée ». Il s’ensuit que parfois « la valeur peut même être égale à rien et elle est toujours réglée, bien qu’elle ne soit pas universellement la même ». Mais à côté de ces biens de luxe qui nécessitent beaucoup de travail, de qualification, d’expérience, il relève qu’il existe des biens de luxe qui ne le sont que parce qu’ils sont des choses uniques « c’est-à-dire de ce qui ne peut être compensé par rien d’autre, comme par exemple la Vénus des Médicis, ou de ce qui est unique parce qu’il n’y a qu’un vendeur » [Galiani, F. (1751), p. 93]. Au bout du compte la valeur des talents des hommes « s’apprécie exactement selon les mêmes critères que l’on applique aux choses inanimées, et qu’elle se règle sur les mêmes principes conjugués de rareté et d’utilité » [Galiani, F. (1751), p. 93]. La valeur de ces biens de luxe repose sur le travail ; non seulement dans toutes les œuvres, comme les tableaux, les sculptures, les gravures, etc., mais aussi dans de nombreux corps, tels que : les minéraux, les pierres, les fruits des bois, etc. La valeur 113des œuvres d’art est totalement subjective en effet si la valeur chez les femmes tire son origine de leur charme et celui-ci de leur beauté « cette valeur s’accroît avec les ornements, et alors il est par trop évident que nécessairement la valeur de ces objets est très grande dans l’idée qu’elles s’en font » [Galiani, F. (1751), p. 71].
Galiani raisonne à partir des besoins et non pas des préférences ou alors seulement par exception ; il intègre dans une seule approche théorique de la valeur utilité rareté à la fois la valeur des biens de consommation, des biens de luxe et des œuvres d’art. Tout en relevant les particularités propres aux œuvres d’art qui sont uniques, du luxe qui relève de la mode et en soulignant fortement le caractère relatif du concept de luxe dans le temps et dans l’espace.
IV. Pietro Verri
En ce qui concerne Pietro Verri1 celui-ci a fait l’objet dès la publication des Méditations sur l’économie politique d’une traduction en français2. Pietro Verri3 commence de façon très classique par une définition. Le problème du luxe ne se pose pas dans une relation entre deux personnes mais dans la relation à la nation toute entière4. L’accord sur la valeur et le prix ne peut pas être l’arbitraire entre deux personnes il n’existe 114vraiment que lorsque cet accord concerne tout le monde, qu’il est constant et répété. On retrouve l’influence de Vico : « observons quelles sont les choses sur lesquelles ils se sont toujours accordés et plus encore sur lesquelles s’accordent tous les hommes, parce que ces choses pourront nous donner les principes universels et éternels, qui doivent être la base de toute science » [Vico, G. (1725), p. 129]1. Verri donne de la question du luxe une définition très large : « par luxe j’entends toutes choses réellement inutiles aux besoins et aux commodités de la vie, dont les hommes font usage pour le faste, ou bien encore par simple opinion » [Verri, P. (1763), p. 336] et reprend l’analyse de Mandeville : « le luxe est un vice […] mais tout vice moral n’est pas un vice politique, de même que tout vice politique n’est pas un vice moral » [Verri, P. (1763), p. 336].
Ayant éliminé toutes les considération d’ordre moral ou religieux, Pietro Verri en vient au fond de la question : la relation entre consommation des produits de luxe et croissance économique dans une économie agricole. Il s’oppose totalement aux lois somptuaires parce que celles-ci portent un tort majeur à la croissance de l’agriculture. Même si c’est un mal que le superflu d’une nation sorte pour payer les artisans étrangers qui produisent les biens de luxe, et donc affaiblissent l’équilibre de la balance commerciale. Avant d’aller plus loin il ajoute : « Si le luxe a pour objet les manufactures nationales, c’est chose évidente que le fait de le restreindre n’aura d’autre effet […] que de désoler les citoyens industrieux et utiles » [Verri, P. (1763), p. 337]. Mais c’est un mal encore plus grand que de « diminuer le superflu d’une nation ». C’est un principe universel que lorsque la principale source de la richesse nationale provient des produits de l’agriculture toute « loi qui limite la faculté de convertir l’argent en un certain type de marchandises s’oppose à la prospérité de l’agriculture » [Verri, P. (1763), p. 338].
Luxe et inégalités des richesses
Au lieu de faire du luxe le symbole et l’expression des inégalités Verri inverse la proposition : le luxe permet de réduire les inégalités. L’inégale répartition des richesses est un obstacle au développement économique et par conséquent le luxe : « est un bien politique dans la mesure ou en dissipant les patrimoines il contribue à les diviser » 115[Verri, P. (1763), p. 341] et donc à réduire les inégalités. Pour qu’il y ait croissance de l’économie il faut que l’espérance de s’enrichir soit présente et en conséquence il est nécessaire que les patrimoines des « riches qui dépensent sans compter en produits de luxe soient un point de référence », présent et visible aux yeux des pauvres industrieux qui dans l’espérance de parvenir à la même situation vont « travailler, inventer, perfectionner les arts et les métiers » [Verri, P. (1763), p. 343] et maintenir le niveau de l’activité économique. L’envie et la volonté d’imiter ceux que l’on croit plus heureux que nous, aboutissent à ce que du souverain jusqu’au dernier individu de la « plèbe se déroule cette chaîne qui commence par l’excès du superflu et à travers différents degrés s’achève dans les besoins les plus élémentaires » [Verri, P. (1763), p. 346]. Après avoir comparé deux stades de développement de l’économie, le premier étant celui où la production suffit à peine à satisfaire les besoins primaires, le deuxième étant celui où la production permet de dégager un excédent, que les habitants chercheront à vendre aux nations voisines, se procurant ainsi de nouvelles commodités de la vie, Verri conclut que, là où il y a du luxe, il y a de l’excédent ou du superflu et « une division des richesses inégales » [Verri, P. (1763), p. 337]. Plus classiquement une autre catégorie d’arguments insiste sur le fait que les dépenses de luxe fournissent du travail à un grand nombre de manufactures, d’ouvriers : les riches font travailler les pauvres, que les produits de luxe s’exportent facilement et permettent d’obtenir en échange des produits qui nous manquent.
Le luxe moteur de la consommation
et de l’activité économique
L’essentiel c’est le moteur de la croissance économique. Quel que soit le motif, la passion qui amène les citoyens à sortir de l’inertie et de l’inaction est positive pour le gouvernement. Si la vanité de ceux qui travaillent la terre les poussent à la recherche du luxe, alors elle est une incitation puissante à développer l’activité des cultivateurs de telle sorte qu’ils n’économisent aucun effort pour y parvenir. Toute cette argumentation l’amène à la conclusion suivante car « si le luxe naît de l’inégale répartition des biens et si l’inégale répartition des biens est contraire à la prospérité de la nation » alors le luxe en tant que tel est un bien politique dans la mesure où il pousse « à dissiper les patrimoines, à les diviser, à les répartir » [Verri, P. (1763), p. 341], et à réduire l’inégale 116division des patrimoines. De là il résulte que le luxe est un remède au mal qu’il a fait naître. Quelle que soit la passion qui anime l’âme des citoyens, et qui les éloigne de « cette langueur mortelle qui est le dernier moment qui précède l’anéantissement des nations » ; quelle que soit cette passion lorsqu’elle est dirigée « elle est bonne aux yeux d’un politique ». La vanité des propriétaires fonciers qui les pousse à la consommation de luxe, sert d’aiguillon et de stimulation incessante pour « maintenir éveillée l’industrie des cultivateurs » [Verri, P. (1763), p. 339].
Non seulement Verri ne récuse pas l’ostentation du luxe mais il la juge nécessaire. Pour que l’activité économique se développe, il faut qu’il y ait l’espoir de s’enrichir. En conséquence il est nécessaire que les patrimoines des riches inconséquents soient exposés aux yeux des pauvres industrieux, de telle sorte que dans « l’espoir de posséder les mêmes biens de luxe [il] travaille, invente, perfectionne les arts et les métiers et maintient la nation tout entière dans un activité économique » [Verri, P. (1763), p. 343]. Suit une comparaison entre le rôle du luxe au sein d’un système monarchique et son rôle au sein d’une République repris de Montesquieu. Pietro Verri constate que le luxe de faste peut entraîner le dépérissement de la République mais qu’à l’inverse il est nécessaire au maintien du système monarchique. Verri a utilisé plusieurs arguments. Tout d’abord il emprunte à Mandeville la justification morale de ce vice qu’est le luxe comme seul remède aux deux autres vices la paresse et l’indolence. Il reprend l’argument de Montesquieu selon lequel le luxe a toujours représenté la base du commerce des États soumis à la Monarchie. Il s’oppose à toutes les dispositions qui veulent limiter la consommation de luxe. Il ne défend, ni ne propose, aucune réforme en ce qui concerne le luxe. Enfin son orientation se situe dans la continuité des auteurs qui l’ont précédé avec une séparation nette entre dimension morale et dimension économique.
Son originalité consiste plutôt dans le fait que même s’il reconnaît un rôle prioritaire dans l’économie d’un pays à la production et à la consommation des biens de première nécessité il attribue au luxe un rôle moteur dans les activités manufacturières et donc par conséquent également pour les rentrées fiscales. Dans un système monarchique la différence, l’inégalité entre les gouvernants et les gouvernés, est fondée seulement sur l’opinion, sur la splendeur et la magnificence que montre dans leur capitale et dans leurs cours les monarques. Verri en conclut que :
117les hommes naturellement poussés à envier et à égaler ceux qu’ils croient plus heureux qu’eux-mêmes, cherchent à les imiter par autant de splendeur et de magnificence à la mesure des moyens qu’ils possèdent. [Verri, P. (1763), p. 344]
Enfin la raison de l’utilité, la nécessité du luxe et l’expérience enseignent que les
vertus sociales, l’humanité, la douceur, la perfection des arts, la splendeur des nations, la culture des esprits ont toujours marché de concert avec le luxe et que les siècles les plus cultivés ont été les siècles du plus grand luxe. [Verri, P. (1763), p. 348]
V. Jean-Baptiste Say
Des consommations improductives
à la consommation reproductive
Dans son Traité d’économie politique, Jean-Baptiste Say (1803) revient sur la question du luxe, à travers ce qu’il appelle les consommations « bien ou mal entendues ». L’essentiel c’est d’élucider les causes de la croissance économique c’est pour cette raison qu’il critique les nations où les « besoins factices sont excités, où le faste et le luxe obtiennent des honneurs, et s’introduisent par conséquent jusque dans les dernières classes de la société ». Dès lors une grande partie des capitaux de ce pays prend une direction « improductive de produits matériels » [Say, J.-B. (1803), p. 224]. La distinction sur la nature des produits et introduit finalement une distinction de nature morale entre une bonne et une mauvaise consommation. Ainsi il y a beaucoup de produits qui ne peuvent servir qu’aux « consommateurs stériles, comme la plupart des objets de luxe, et beaucoup d’autres qui ne peuvent servir qu’aux consommateurs reproductifs » [Say, J.-B. (1803), p. 157] comme celles du fondeur, du tanneur, du mécanicien, etc.
Cette analyse se poursuit dans le chapitre xiv intitulé : « De la dissipation des capitaux ». Ce qu’il conteste c’est le fait d’utiliser des ressources qui pourraient être consacrées à l’investissement au lieu de les affecter à la consommation : « La dissipation qui détruit les capitaux 118est l’acte opposé à l’épargne qui les grossit ». C’est dissiper un capital que de satisfaire ses besoins avec des « valeurs auparavant employées à fournir des avances aux opérations productives » [Say, J.-B. (1803), p. 157]. Il faut rejeter l’action de ceux qui disposent d’une fortune et d’un patrimoine et qui ne l’utilisent pas pour développer l’économie nationale : « Mais que fait le prodigue ? […]. Il échange de même un capital qui lui a été laissé par sa famille, en objets qui puissent lui procurer quelque jouissance en se consommant ; et sous cette forme il consomme le capital » [Say, J.-B. (1803), p. 163].
Il faut veiller à une bonne allocation des moyens de production. Ceci l’amène à contester l’idée selon laquelle le luxe fait travailler la classe des ouvriers, en effet :
L’argent que l’on refuse de donner à ses fantaisies et à ses plaisirs, si on le place, sert à faire des constructions qui font travailler des ouvriers ; il sert à acheter des ustensiles, des machines, des matières premières qui ont également fait travailler des ouvriers. [Say, J.-B. (1803), p. 164]
Il récuse l’utilité de la production des objets de luxe par rapport à la production de biens qui satisfont les besoins du plus grand nombre. Analysant la situation du commerce extérieur de la France, Jean-Baptiste Say remarque qu’elle exporte en direction de l’Allemagne quantité d’objets de luxe et qu’elle reçoit en retour des objets d’utilité commune. C’est un mauvais calcul pour une nation de se faire marchande d’objets de luxe, et de recevoir en retour des choses d’une
utilité commune. La France envoie en Allemagne des modes, des colifichets qui sont à l’usage de peu de personnes, et l’Allemagne lui fournit des rubans de fil et d’autres merceries, des limes, des faux, des pelles et pincettes, et d’autres quincailleries d’un usage général. [Say, J.-B. (1828-1829), p. 712]
L’encouragement donné à un genre de production par les « dépenses fastueuses est nécessairement ravi à un autre genre de production » [Say, J.-B. (1828-1829), p. 909]. C’est ce qui lui permet de justifier l’impôt sur les biens de luxe et d’y voir un moyen de réaliser une allocation efficace des moyes de production. L’impôt, agissant comme une amende, « peut décourager les consommations stériles, et alors, il produit le double bien de ne prendre point une valeur qui aurait été employée reproductivement » [Say, J.-B. (1828-1829), p. 1004]. Il concède par ailleurs qu’il vaut 119mieux que les impôts, si on les considère comme nécessaires, portent sur des consommations à l’usage des riches plutôt que sur les pauvres et sur des objets d’une utilité secondaire plutôt que sur ceux d’une utilité première. À la défense passionnée d’une bonne allocation des facteurs de production, de la renonciation à la consommation du luxe pour favoriser la croissance, Say ajoute un certain nombre de remarques plus originales. Ainsi il dénonce ce qu’il appelle l’excès de solidité. En effet : pour la construction des bâtiments des entreprises « L’excès de solidité est un luxe aussi nuisible que tout autre » [Say, J.-B. (1828-1829), p. 296]. Il met en cause la passion très française de constructions de prestige en particulier pour les manufactures elles-mêmes, ce qui est encore vrai aujourd’hui.
Du luxe à la consommation
Dans une analyse de la définition de ce qu’est le commerce, il récuse les distinctions faites par Montesquieu [Montesquieu (1748), 4e partie, livre xxi]. Entre commerce de luxe, commerce de consommation et économie, car il n’y a
aucune manière possible de faire le commerce qui admette ces modificatifs. Si l’on entend par commerce de consommation celui qui procure ce qu’on doit consommer, tous les commerces sont de consommation. [Say, J.-B. (1828-1829), p. 326 et p. 170]
Tout est englobé dans la tripartition production-répartition-consommation. Enfin il formule une critique qui apparaît comme beaucoup plus moderne lorsqu’il parle du luxe de précautions qui : « n’appauvrit pas moins que le luxe d’ostentation. Les quarantaines nous font plus de tort que la peste » [Say, J.-B. (1828-1829), p. 340].
La notion de luxe est relative. Ce qui est luxe dans un pays est objet courant dans un autre. La consommation des produits de luxe, ou des produits de commodité, est un indice de civilisations dans la mesure où « Quiconque emploie son revenu en produits de l’industrie, augmente ses jouissances, mais perd le pouvoir de dominer sur les autres hommes » [Say, J.-B. (1828-1829), p. 517]. Son argumentation n’est toutefois pas absolue et Say concède que l’on peut légitimement se procurer toutes les jouissances que comporte la fortune ; il note simplement qu’il faut : « que l’on convienne que ces jouissances n’augmentent ni le bien du particulier ni la richesse du pays » [Say, J.-B. (1828-1829), p. 911].
120Dans le chapitre iv intitulé : « Des effets de la consommation improductive en général », Say précise que les consommations les mieux entendues sont avant tout celles qui satisfont des besoins réels. Par besoins réels, il faut comprendre ceux liés à la satisfaction desquels tient notre existence, notre santé. Il s’oppose aux besoins qui proviennent d’une sensualité « recherchée », de l’opinion, du caprice. Ainsi les consommations d’une nation seront, en général, « bien entendues, si l’on y trouve des choses commodes plutôt que splendides ». Dans une telle nation, les établissements publics auront « peu de faste et beaucoup d’utilité » ; les indigents n’y verront pas des « hôpitaux somptueux, mais ils y trouveront des secours assurés ». Les villes n’offriront peut-être pas de « si beaux palais, mais on y marchera en sûreté sur des trottoirs » [Say, J.-B. (1828-1829), p. 712]. La distinction classique entre luxe d’ostentation et luxe de commodité s’inscrit alors dans la logique de la croissance économique car :
Le luxe d’ostentation ne procure qu’une satisfaction creuse ; le luxe de commodité, si je peux m’exprimer ainsi, procure une satisfaction réelle. Ce dernier est moins cher, et par conséquent il consomme moins. [Say, J.-B. (1828-1829), p. 713]
Valeur relative des termes de superflu et de nécessaire
Au fil des éditions du Traité il fait évoluer sa position et son analyse. En particulier il récuse la distinction classique qu’il avait reprise à son compte définissant le luxe comme usage du superflu opposé à celui du nécessaire. Car si l’on maintient cette distinction il faut nommer luxe tout ce qu’un Européen consomme en nourriture, en habillement, en logement.
Enfin à partir de la 4e édition du Traité il considère qu’il n’est pas possible de séparer le nécessaire du superflu. La distinction entre superflu et nécessaire est sans valeur. Dans un chapitre intitulé « Du luxe et de la misère » il souligne le caractère relatif de ces deux notions, qui ne peuvent pas être séparées car lorsque l’on définit le luxe « l’usage du superflu » il n’est pas possible de séparer le nécessaire du superflu car « ils se lient et se fondent l’un dans l’autre par des nuances insensibles » [Say, J.-B. (1828-1829), p. 904]. Les goûts, l’éducation, les tempéraments, la fortune des particuliers, ce qui est nécessaire dans une ville, dans une profession établissent des différences infinies entre « les différents 121degrés d’utilité et de besoins ; et il est impossible de se servir, dans un sens absolu, de deux mots qui ne peuvent jamais avoir qu’une valeur relative » [Say, J.-B. (1828-1829), p. 904]. Le nécessaire et le superflu varient même selon les différents états où se trouve la société. On ne peut donc pas tracer la ligne qui sépare le superflu du nécessaire.
Le refus de cette distinction n’épuise toutefois pas les différences que l’on peut établir entre les différentes catégories de luxe. Ainsi, en général, le luxe est l’usage des choses chères. Même si ce terme a un sens relatif, en français le mot luxe signifie plus l’ostentation que la sensualité. Say donne comme exemple le luxe des habits faits pour frapper les yeux de ceux qui les regardent, le luxe de la table qui rappelle la somptuosité. De ce point de vue le luxe a principalement pour but d’exciter l’admiration par la rareté, la cherté, la magnificence. Les objets de luxe sont les choses que l’on n’emploie ni pour leur utilité réelle, ni pour leur commodité, ni pour leur agrément, mais seulement pour éblouir les regards et pour agir sur l’opinion des autres hommes. Say nous rappelle que la France reste une société de Cour. Mais le luxe n’est pas simplement ce qui va outre le nécessaire. Il faut encore distinguer entre le luxe quantitatif qui est synonyme de gaspillage, de dilapidation, du luxe qualitatif qui concerne la consommation des biens de classe supérieure.
Le raffinement de la réalisation de l’objet correspond à un besoin très excessif par rapport à sa fonction. Ainsi une montre, une horloge simple peut tout aussi bien fonctionner qu’un chronomètre ou qu’une horloge sophistiquée. L’exigence du raffinement est celle que Say appelle l’« exigence de luxe ». Mais en réalité le luxe peut servir à beaucoup d’objectifs et obéir à beaucoup de motifs très différents. Acheter un habit de soie, une montre élaborée, ériger à Dieu un hôtel couvert d’or, ce sont là des actes de luxe complètement distincts. Derrière cette terminologie et ces distinctions il y a la recherche de la compréhension des motivations objectives de l’action humaine dans la société. La catégorie du luxe qui concerne les motifs égoïstes est celle qu’il condamne. Say énumère les différentes origines de la naissance du luxe personnel : le pur divertissement, la jouissance des sens. Le luxe domine tous les lieux dans lesquels se développent la richesse et la vie amoureuse lorsqu’elle présente un caractère de licence désordonnée. Mais une fois que le luxe apparaît dans une société donnée il y a différentes causes qui vont concourir à son accroissement : l’orgueil, la soif de pouvoir, l’ambition, le 122désir exhibitionniste, la tendance à vouloir apparaître comme le premier vis-à-vis de tous les autres. Il s’agit évidemment ici de la description au premier chef de la société aristocratique dans laquelle la dépense excessive jusqu’à la folie, est l’instrument d’affirmation de sa supériorité vis-à-vis de tous les autres mais aussi de la bourgeoisie montante qui imite l’aristocratie comme il a pu le voir avec le Directoire et l’Empire napoléonien.
Ce bref passage en revue nous permet également de rappeler que le luxe de cour s’est diffusé graduellement dans les cercles de la société qui prenaient l’aristocratie de cour comme modèle. Les « nouveaux riches » sans ce modèle n’auraient pas éprouvé une véritable soif de luxe, de mondanités, telles qu’ils pouvaient les observer dans la cour des princes. Sans l’ostentation du faste, le luxe n’aurait pas atteint des proportions aussi démesurées.
Conclusion
En partant d’une même orientation théorique fondée sur la valeur utilité-rareté pour les deux premiers et utilité pour le dernier les trois auteurs que nous venons d’analyser avec une condamnation identique du point de vue moral et religieux sur la question débouchent sur des conclusions fortement marquées par le contexte dans lequel ils élaborent leur position. Galiani aura élaboré une théorie de la valeur intégrant les différents biens et service jusqu’à ceux de luxe et aux œuvres d’art en élaborant leur spécificité. Théorie qui, comme l’a indiqué Schumpeter, ne sera dépassée qu’à la fin du xixe. Verri va faire du luxe un outil du développement de l’économie agricole et marquer le passage du luxe vers la consommation. Say va faire du concept de consommation la catégorie intégrant tous les biens et services tout en soulevant le problème de l’allocation des facteurs de production liés à la nature des biens et services consommés. Les apports théoriques de ces trois auteurs sont loin d’être datés et justifieraient une confrontation avec la littérature actuelle sur le sujet. La question du luxe à travers nos trois auteurs est celle du révélateur de la hiérarchie existante dans 123la société. Celle de l’importance de la consommation de luxe à la fois comme question cruciale du passage d’un système à un autre et comme support des désirs et des passions, à ce titre le luxe a quelques points communs avec la monnaie.124Références bibliographiques
Albertone, M. & Masoero, A. (éd.) [1994], Political economy and national realities, Einaudi, Turin.
Bartoli, H. [2003], Histoire de la Pensée économique en Italie, Publications de la Sorbonne, Paris.
Baudrillart, H. J. L. [1878-1880], Histoire du luxe privé et public, depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, Hachette, Paris, 4 vol.
Béraud, A. & Faccarello, G. (éd.) [1992], Nouvelle Histoire de la pensée économique, La Découverte, Paris, 3 vol.
Berry, C. J. [1994], The Idea of Luxury. A conceptual and historical investigation, Cambridge University Press, Cambridge.
Blanc, J. & Desmedt, L. (dir.) [2014], Les pensées monétaires dans l’Histoire, Classiques Garnier, Paris.
Blaug, M. [1981], La pensée économique, origines et développement, trad. Alain et Christiane Alcouffe, Economica, Paris, 1985.
Boisguilbert, P. de [1966], Pierre de Boisguilbert ou la naissance de l’économie politique, INED, Paris.
Butel-Dumont, G.-M. [1771], Théorie du Luxe ou Traité dans lequel on entreprend d’établir que le luxe est un ressort non seulement utile mais profitable, Londres, Saillant et Nyon.
Capra, C. (éd.) [1999], Pietro Verri e il suo tempo, Cisalpino, Milan, 2 vol.
Carnino, C. [2014], Lusso e Benessere nell’Italia del settecento, FrancoAngeli, Milan.
Carrive, P. [1980], Bernard de Mandeville, passions, vices, vertus, Vrin, Paris.
Cartaud de la Villate, F. [1736], Essais historiques et philosophiques sur le goût, in Cartaud de la Villate, F., Ein Beitrag zur Entstehung des geschichtlichen Weltbildes in der französischen Auklärung, hsrg. Von W. Kraus, Berlin, AkademieVerlag, 1960.
Cesarano, F. [1976], « Monetary theory in Ferdinando Galiani’s “Della Moneta” », History of Political Economy, Fall, Vol. 8, No 3, p. 380-399.
Condillac, A. [1776], Le Commerce et le gouvernement considérés respectivement l’un et l’autre, Jombert et Cellot, Paris.
Costabile, L. [2014], « The value and security of money. Metallic and fiduciary media in Ferdinando Galiani’s “Della moneta” », The European Journal of the History of Economic Thought, p. 1-27.
Courcelle-Seneuil, J.-G. [1873], « Le Luxe », in Coquelin, C. & Guillaumin, C., Dictionnaire d’économie politique, Guillaumin et Cie, Paris.
Diemer, A. [2012], « La querelle du luxe dans l’histoire de la pensée économique 125du 18e siècle », Document de travail, No 12, déc., Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand.
Diemer, A. [2013], « Quand le luxe devient une question économique : retour sur la querelle du luxe du xviiie siècle », Innovations, Vol. 2, No 41, p. 9-27.
Faucci, R. & Giocoli, N. [2001], « Editors’Introduction to the special issue devoted to Galiani », History of Economic Ideas, Vol. IX, No 3, p. 9-20.
Fénelon [1699], Les aventures de Télémaque, Librairie Firmin Didot Frères, Paris, 1863.
Forbonnais, F. V. [1754], Éléments du commerce, Leyde et à Paris chez Briasson.
Galiani, F. [1751], Della Moneta/De la monnaie, édition bilingue, édité et traduit sous la direction de A. Tiran, traduction revue par A. Machet, Economica, Paris, 2005.
Galiani, F. [1751], On Money. A Translation of Della Moneta by Ferdinando Galiani, by Peter Toscano, Department of Economics, The University of Chicago, University Microfilms International, Chicago, 1977.
Giocoli, N. [1999], « La teoria del valore di Ferdinando Galiani : un’interpretazione unitaria », Storia del pensiero economico, No 38, p. 69-97.
Groenewegen, P. D. [1986], Introduction à P. Verri, Reflections on political economy, trad. de McGilvray B. & Groenewegen P., Reprints of Economic classics, A. M. Kelley, Fairfield (NJ), 1993.
Groenewegen, P. D. [2001], « The place of Galiani’s “Della Moneta” in the history of economic thought : a 250th Anniversary Assessment », History of Economic Ideas, T. IX, No 3, p. 217-243.
Gusdorf, G. [1971], Les Principes de la pensée au siècle des Lumières, Payot, Paris.
Hutchison, T. W. [1988], Before Adam Smith : The Emergence of Political Economy 1662-1776, Basil Blackwell, Oxford et New York.
Labriolle-Rutherford, M. R de [1963], « L’Évolution de la notion du luxe depuis Mandeville jusqu’à la Révolution », Studies on Voltaire, Vol. XXVI, p. 1025-1036.
Mandeville, B. de [1740], La Fable des abeilles, ou Les fripons devenus honnêtes gens. Avec le commentaire où l’on prouve que les vices des particuliers tendent à l’avantage du public. Traduit de l’anglois sur la sixième édition, aux dépens de la Compagnie, Londres (Amsterdam).
Margairaz, D. [1999], « La querelle du luxe au xviiie siècle », in Marseille, J. (dir.) Le Luxe en France du siècle des Lumières à nos jours, ADHE, Paris.
Montesquieu, C. L. de Secondat [1748], De l’Esprit des lois, Garnier, Paris, 1944.
Morize, A. [1909], L’apologie du Luxe au xviiie siècle et “Le Mondain” de Voltaire : étude critique sur “Le Mondain” et ses sources, Didier, Paris.
O’Brien, D. P. [2007], History of economic Thought as an intellectual discipline, E. Elgar, Cheltenham and Northampton (MA).
126Patalano, R. [2005], « La teoria del valore di Ferdinando Galiani alla luce di una versione inedita di Della Moneta », Il Pensiero economico italiano, Vol. XIII, No 2, p. 115-145.
Patalano, R. & Realfonzo, R. [2001], « On money by Ferdinando Galiani : notes, social accounting and confidence », History of Economic Ideas, Vol. IX, No 3, p. 61-94.
Pribram, K. [1983], Les fondements de la pensée économique, trad. de Bernard, H. P., Economica, Paris 1986.
Provost, A. [2011], « Le luxe publié au dix-huitième siècle : questions de formes », L’Atelier du Centre de recherches historiques, mis en ligne le 25 avril 2011.
Rétat, P. [1994], « Luxe », Dix-huitième siècle, No 26, p. 79-88.
Roover, R. de [1955], « Scholastic Economics : Survival and Lasting Influence from the Sixteenth Century to Adam Smith », The Quarterly Journal of Economics, Vol. 69, No 2, p. 161-190.
Rosselli, A. [2012], « Metallism and Cartalism in the 18th century : Galiani and the shortcomings of a classification », Économies et Sociétés Série PE Histoire de la pensée économique, No 46, p. 1351-1368.
Saint Pierre, abbé de [1733], « Avantages que doit produire l’agrandissement continuel de la ville capitale d’un État » in Ouvrages politiques, par l’abbé de Saint Pierre, J. D. Béman, Rotterdam et Briasson, Paris, T. IV, p. 102-164.
Saint-Lambert, J.-F. de [1751], « Luxe », in Diderot D. & d’Alembert, J. le Rond, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, tome IX, Paris, p. 763-771.
Say, J.-B [1803], Traité d’économie politique – Édition variorum. Les volumes regroupent toutes les variantes, les ajouts et les modifications des six éditions du Traité, édition coordonnée par A. Tiran, Economica, Paris, 2006, Vol. I, T. 1 et 2.
Say, J.-B. [1828-1829], Cours complet d’économie politique pratique – Édition variorum. Les volumes regroupent toutes les variantes, les ajouts et les modifications des deux éditions du Cours complet, édition coordonnée par A. Tiran, Economica, Paris, 2009, Vol. II, T. 1 et 2.
Schumpeter, J. A. [1954], Histoire de l’analyse économique, trad. de l’anglais sous la direction de J.-Cl. Casanova. Préface de R. Barre, Gallimard, Paris, 1983, 3 vol.
Sénac de Meilhan, G. [1787], Considérations sur les richesses et le luxe, Amsterdam et Paris chez la Vve Valade.
Sewall, H. R. [1901], « The Theory of Value before Adam », Publications of the American Economic Association, 3rd Series, Vol. 2, No 3, p. 91-94.
Stapelbroek, K. [2006], « Preserving the Neapolitan State : Antonio Genovesi 127and Ferdinando Galiani on commercial society and planning economic growth », History of European Ideas, Vol. 32, No 4, p. 406-429.
Tagliacozzo, G. [1968], « Il vichismo economico (Vico, Galiani, Croce – Economia, liberalismo economico) », Moneta e Credito, Vol. 21, No 83, p. 247-272.
Tiran, A. [2001], « Ferdinando Galiani : his life and the publication of the Della Moneta (with a note on the translations) », History of Economic Ideas, Vol. IX, No 2, p. 21-41 et Vol. IX, No 3, p. 217-243.
Trousson, R. [2006], « Art et luxe au dix-huitième siècle », www.Bon-a-tirer.com, revue littéraire en ligne, No 42, 1er mars.
Turgot, A. [1769], Valeurs et Monnaies : Projet d’article, in Œuvres de Turgot, T. 1 et T. 2, E. Daire, Paris, 1844, reprint O. Zeller, 1966.
Vauban [1707], Projet d’une dixme royale, publié par E. Coornaert, Alcan, Paris, 1933.
Venturi, F. [1969], Da Muratori a Beccaria. 1730-1764, in F. Venturi [1969-1990], Settecento riformatore, Einaudi, Turin, T. 1, 1998.
Venturi, F. [1971], « Napoli capitale nel pensiero dei riformatori illuministi », in Storia di Napoli, Società editoria di Napoli del Mezzogiorno continentale e della Sicilia, Naples, Vol. VIII, p. 3-67.
Verri, P. [1763], Considerazioni sulla proposizione di restringere il lusso nello Stato di Milan, in Scrittori Classici italiani di economia politica, parte moderna, T. XVII, De Stefanis, Milan, 1804.
Verri, P. [1771a], Meditazioni sulla economia politica in Scrittori classici italiani di economia politica parte moderna, T. XVII, De Stefanis, Milan, 1804.
Verri, P. [1771b], Méditations sur l’économie politique, édition bilingue, A. Tiran (dir.), Classiques Garnier, Paris, 2015.
Vico, G. [1725], Principi di una scienza nuova intorno alla natura delle nazioni per la quale si ritrovano i principi di altro sistema del diritto naturale delle genti, Letteratura Italiana, Einaudi, Turin, 1959.
1 La prise en compte des auteurs italiens reste faible, en dehors de l’Italie, à l’exception de Karl Pribram [(1983), p. 116-121] et de Schumpeter J. A. [(1954), p. 409 et p. 418-423]. Cela tient pour une part à l’absence de traduction pendant une très longue période en français ou en anglais du Della moneta, des Méditations sur l’économie politique. Mark Blaug (1985) ne cite Galiani qu’en bibliographie, pas du tout Pietro Verri, et bien plus récemment aucune mention de Galiani ou de Verri par D. P. O’Brien, (2007). L’ouvrage dirigé par Béraud, A. & Faccarello, G. (1992) ne cite Galiani qu’en relation avec la polémique contre les physiocrates et pour Verri quelques mentions sans aucune analyse d’ensemble de son œuvre. Des publications récentes de Bartoli, H. [(2003), p. 141-145 pour Galiani et pour Verri, p. 121-129], ainsi que Blanc, J. & Desmedt, L. (dir.) (2014), représentent une prise en compte tardive mais réelle et traitent très largement de ces auteurs.
1 Voir Diemer (2013) et Provost (2011).
2 Henri Joseph Léon Baudrillart (1821-1892), est un économiste et journaliste français de l’école libérale.
1 Rappelons que l’article de Saint-Lambert est de 1751, et que l’ouvrage de Condillac est paru en 1776. Par ailleurs, il n’y a aucune influence reconnue ou établie de Condillac sur Galiani, Verri et Jean-Baptiste Say.
1 Voir Morize (1909), Mandeville (1740), Carrive (1980), Courcelle-Seneuil (1873), Diemer (2012), Labriolle-Rutherford (1965), Gusdorf (1994), Rétat (1994).
2 Voir Carnino (2014).
1 Article « Faste », [(1751), T. VI, p. 418-421].
2 Dans La Fable des Abeilles, Mandeville s’inspire de la méthode des moralistes comme La Rochefoucauld, Esprit, Nicole et Bayle. Son poème La Fable des Abeilles, est publié une première fois en 1705 sous le titre The Grumbling Hive, or Knaves Turn’d Honest puis republié et commenté en 1714-1723 sous le titre Fable of the Bees : or, Private Vices, Publick Benefits.
3 C’est ce que l’on va retrouver presque mot pour mot chez Verri. Voir plus avant.
1 On retrouvera intégralement cette approche sans aucun changement chez Verri.
2 Voir Forbonnais (1751), dans l’article « Commerce » dont il est l’auteur (il est le rédacteur initial de l’article « Luxe »), (T. 3, p. 690-700) : « La nourriture et le vêtement sont nos seuls besoins réels : l’idée de la commodité n’est dans les hommes qu’une suite de ce premier sentiment, comme le luxe à son tour est une suite de la comparaison des commodités superflues dont jouissent quelques particuliers. »
1 Galiani [(1751), p. 29]. La littérature secondaire est divisée. Les interprètes qui tiennent compte de la « fatica » de la quantité de travail sont amenés à croire que Galiani est un précurseur de la théorie de la valeur du travail. Il s’agit, par exemple, de la position de Marx et dans une moindre mesure de Schumpeter. L’opinion contraire est celle de ceux qui, comme Hutchison et Pribram, estiment que dans Galiani il y a une seule théorie de la valeur, sur la base des principes généraux de l’utilité et de la rareté. Voir : Schumpeter [(1954), p. 368]) et Hutchison [(1988), p. 257-258]. Par conséquent, la « fatica » n’est pas une quantité objective de travail, mais une grandeur subjective, la désutilité du travail ou la pénibilité. Voir sur ce point les articles de Giocoli (1999) et de Patalano (2005).
1 Say marque son lien avec l’école italienne dès la parution du Traité puis dans le Cours complet : « Verri est un des esprits les plus judicieux qui aient écrit sur l’économie politique. Il voyait mieux le fond des choses que les économistes » [Say, J.-B. (1828-1829), p. 1272].
2 Parmi les principaux représentants de cette discussion deux Napolitains, un Toscan et un Vénitien : Carl Antonio Broggia, Ferdinando Galiani, Pompeo Neri, Gian Rinaldo Carli. La parution du Della Moneta, en 1751, s’inscrit dans ce cadre. Voir « Il dibattitto sulle monete » in Venturi (1969).
3 Voir Venturi (1971), Vauban [(1707), p. 214], Boisguilbert, [(1966), p. 799], le long essai de l’abbé de Saint Pierre (1658-1743) [(1733), p. 102-164].
1 À l’époque de F. Galiani, Naples compte près de 340 000 habitants sur une population de 4 000 000 pour tout le Royaume. Certains auteurs de l’époque estiment que 200 000 habitants de la capitale sont improductifs alors que les campagnes manquent cruellement de bras.
2 La traduction anglaise de 1977 n’est disponible qu’en microfiche. C’est par ailleurs une traduction qui pose beaucoup de problèmes d’exactitude. Signalons que des traductions sont disponibles en français, en portugais, en allemand, depuis une dizaine d’années. La traduction assez récente en anglais éditée Peter Groenewegen (1986) n’a pas entraîné jusqu’à présent une prise en compte de l’apport de Pietro Verri dans le monde anglophone. La publication en cours de l’édition nationale des œuvres de Pietro Verri représente une reconnaissance très importante.
3 Costabile (2014) ; Cesarano (1976) ; Faucci & Giocoli (éd.) (2001) ; Tiran (2001) ; Patalano & Realfonzo (2001) ; Rosselli (2012) ; Stapelbroek (2006) ; Groenewegen (2001).
4 À l’exception de l’ouvrage dirigé par Blanc & Desmedt (2014).
1 Schumpeter, J. A. [(1954), p. 368] et Hutchison, T. W. [(1988), p. 257-258]. Voir les articles plus récents de R. Patalano et N. Gioccoli déjà cités.
2 Pour un traitement combinant les deux approches voir : Sewall (1901).
3 Il est nécessaire de préciser que l’analyse de Galiani s’inscrit en continuité avec celle des scolastiques, voir : Roover (1955).
1 Voir l’Introduction de A. Tiran à Galiani (1751).
2 Voir l’article fondamental de Tagliacozzo (1968).
1 En 1771, il publie Meditazioni sulla economia politica. Sept éditions paraissent en moins de deux ans. Verri devient successivement Vice-Président de la Cour des comptes (1772) et Conseiller d’État (1773).
2 Traductions publiées très rapidement voir : Méditations sur l’économie politique, trad. J. H. Pott, Lausanne, 1773 ; Méditations sur l’économie politique, trad. I. Grevier, Gênes, A. Grant, Londres-Paris, 1776 ; Méditations sur l’économie politique, trad. Ducaroy, Paris, 1799 et Méditations sur l’économie politique, Delaunay, Maison fils, Paris, 1823.
3 Verri (1763). Toutes les citations sont traduites par nous.
4 C’est une approche qui est commune à tous les scolastiques et sans que Verri s’y réfère, et même pour Galiani, on peut faire l’hypothèse qu’il s’agit d’une connaissance commune. Roover, R. de [(1955), p. 163-164] précise : « The first who refined it considerably was John Buridan (1300-1358), a pupil of William of Ockham a rector of the University of Paris. He insisted on the point that value was measured by human wants : not by those of a single individual, but by those of the entire community (rei venalis mensura est communis indigentia humana). He made it clear, also, that he considered the market price as the just price. Buridan’s analysis even anticipates the modern concept of a consumer scale of preferences, since he states that the person who exchanges a horse for money would not have done so, if he had not preferred money to a horse ».
1 Notre traduction.
- Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
- ISBN : 978-2-406-06124-3
- EAN : 9782406061243
- ISSN : 2495-8670
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06124-3.p.0099
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 14/07/2016
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Luxe, F. Galiani, P. Verri, J.-B. Say, consommation