Allocution d’ouverture par M. Xavier Darcos, de l’Académie française, Chancelier de l’Institut de France (lue par Yves Bruley, directeur de France Mémoire)
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue d’études proustiennes
2022 – 1, n° 15. Centenaire de Marcel Proust (1922-2022). I. Proust et la langue française - Pages : 13 à 17
- Revue : Revue d'études proustiennes
Allocution d’ouverture
par M. Xavier Darcos,
de l’Académie française, Chancelier de l’Institut de France
(lue par Yves Bruley, directeur de France Mémoire)
Chers collègues et amis,
Mesdames, Messieurs,
Des obligations m’empêchent d’être présent ce matin avec vous, pour ce colloque sur Proust et la langue française. Croyez bien que je le regrette, d’abord parce que j’aurais beaucoup appris en vous écoutant, mais aussi parce que j’aurais voulu vous accueillir, en tant que Chancelier de l’Institut de France et comme membre de l’Académie française, dans l’auditorium où vous êtes réunis aujourd’hui.
Cet Auditorium, qui n’est pas encore familier à tout le monde et que certains d’entre vous découvrent peut-être ce matin, fait partie de l’Institut de France : même si l’entrée, pour des raisons pratiques évidentes, se fait par la rue Mazarine, vous êtes bien accueillis ici ce matin par l’Institut, à l’Institut. À côté de la Coupole, qui sert pour les séances solennelles des cinq académies, à côté de la Grande Salle des séances, avec ses boiseries et ses bustes en marbre, que vous connaissez sans doute et où se tiennent chaque jour les séances ordinaires des cinq académies, nous avons désormais cet auditorium de 350 places, qui manquait pour les activités multiples des académies ou hébergées par l’Institut.
Dans cet auditorium se tiennent les cycles de conférences de l’Institut, qui accueillent un public nombreux. Ici ont lieu également des rencontres de mécènes et de fondateurs, car l’Institut de France, avec ses 200 fondations abritées, est aujourd’hui l’un des plus grands mécènes de France.
Se tiennent aussi en ce lieu des concerts ou des colloques. Certaines de ces manifestations se rattachent à des commémorations. Ce fut le cas récemment pour le bicentenaire de Pauline Viardot, cantatrice et compositrice née en 1821, que nous avons célébrée ici par un 14colloque-concert très original. C’est le cas encore aujourd’hui autour de Marcel Proust, avec un double anniversaire, puisqu’il est né il y a 150 ans et que le centenaire de sa mort sera l’une des grandes commémorations nationales à venir en 2022.
Comme vous le savez, l’Institut de France porte une attention croissante à ces circonstances, depuis que les commémorations nationales, naguère encore rattachées au Ministère de la Culture, sont désormais – et depuis le début de cette année 2021 – une mission confiée à l’Institut de France. Nous avons créé à cet effet le service « France Mémoire ».
J’ai été d’emblée très favorable au transfert et donc à la réorganisation, au sein de l’Institut, de cette mission si importante et si sensible en France. L’État conserve évidemment sa propre politique mémorielle, mais la question des commémorations mérite d’être abordée en dehors des vicissitudes de la politique, dans une institution publique mais indépendance du gouvernement : tel est le cas de l’Institut de France qui, grâce à son statut et à ses cinq académies, est parfaitement qualifié pour élaborer un calendrier annuel de commémorations et d’anniversaires historiques, de façon sereine et sans refuser le débat lorsqu’il est nécessaire.
Bien sûr, l’année 2021 a été marquée par Napoléon et la Commune, mais nous avons mis en valeur de nombreux autres sujets, grâce au site internet du service France Mémoire, que je vous invite à consulter, car il contient de très riches dossiers historiques et documentaires.
L’année 2021 a été marquée aussi par de grands sujets littéraires, avec Baudelaire et Flaubert – ce dernier sera honoré par une séance originale le 11 décembre prochain à l’Institut, à l’occasion du bicentenaire de sa naissance.
Pour les 150 ans de Proust, le service France Mémoire a mis en ligne un premier dossier, qui se complètera au fil des mois jusqu’au centenaire de la mort de l’écrivain, dans un an. Assez logiquement, puisque l’année 2021 faisait mémoire de la naissance de Marcel Proust, nous avons mis l’accent sur le début de sa vie et sur la formation scolaire de l’écrivain. Vous trouverez notamment un article de Mme Emmanuelle Kaës, que je remercie et que vous entendrez aussi tout à l’heure. Vous pourrez également entendre sur la radio en ligne de l’Institut, Canal Académies, des lectures – très remarquables – d’extraits de romans de Proust où il est question de l’école : trois extraits de Jean Santeuil, et un extrait d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs, la fameuse copie de Gisèle 15sur « Sophocle écrit des Enfers à Racine pour le consoler de l’insuccès d’Athalie ».
Dans les prochains mois, France Mémoire prévoit d’enregistrer une série d’émissions sur Proust pour Canal Académies, et je serais heureux que certains d’entre vous puissent y participer, y compris en faisant écho au colloque d’aujourd’hui.
« Proust et la langue française » : le thème s’imposait ici ! Le programme coordonné par Luc Fraisse est à la hauteur de ce grand sujet.
Lors du centenaire de la naissance de l’écrivain, en 1971, l’Académie française délégua l’un de ses membres, Jacques de Lacretelle, pour les nombreuses manifestations commémoratives et académiques qui eurent lieu cette année-là.
Lacretelle, qui avait connu l’écrivain, ne manquait pas de rappeler que si Marcel Proust n’avait pas appartenu à l’Académie française, il y comptait de nombreux admirateur et de grands amis, et que disait-il « seule sa disparition prématurée l’a empêché de siéger auprès d’eux. » Dans un discours prononcé en 1971, Lacretelle disait :
Le grand écrivain que nous honorons aujourd’hui n’a pas appartenu à l’Académie française. Il est mort moins de dix ans après la publication du premier tome d’À la recherche du temps perdu, alors que cette œuvre immense restait partiellement voilée et que la surprise, je dirai même le choc qu’elle avait provoqué dans le monde littéraire, n’avait pas encore atteint le grand public. Mais nul doute que Proust, s’il eût vécu, ne fût entré chez les Quarante.
Il eût fallu toutefois aux Quarante oublier quelque passage de la Recherche où l’Institut est égratigné. Rappelez-vous cette page d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs où Proust raconte comment Monsieur de Norpois entra à l’Académie des sciences morales et politiques et ne fut pas loin de se présenter à la Française :
[…] il suffisait que M. de Norpois écrivît à point nommé – ce qu’il ne manquait pas de faire – : « Le Cabinet de Saint-James ne fut pas le dernier à sentir le péril » ou bien : […] « Un cri d’alarme partit de Montecitorio », ou encore : « Cet éternel double jeu qui est bien dans la manière du Ballplatz ». À ces expressions le lecteur profane avait aussitôt reconnu et salué le diplomate de carrière. Mais ce qui avait fait dire qu’il était plus que cela, qu’il possédait une culture supérieure, cela avait été l’emploi raisonné de citations dont le modèle achevé restait alors : « Faites-moi de bonne politique et je vous ferai de bonnes finances, comme avait coutume de dire le baron Louis. » (On n’avait pas encore importé d’Orient : « La Victoire 16est à celui des deux adversaires qui sait souffrir un quart d’heure de plus que l’autre, comme disent les Japonais. ») Cette réputation de grand lettré, jointe à un véritable génie d’intrigue caché sous le masque de l’indifférence, avait fait entrer M. de Norpois à l’Académie des Sciences morales. Et quelques personnes pensèrent même qu’il ne serait pas déplacé à l’Académie française […].
Nous sommes bien dans le sujet de ce colloque, car vous remarquez qu’aux yeux de Proust, c’est la langue – dans sa version diplomatique – qui a fait de Monsieur de Norpois un membre de l’Institut.
Mais l’Académie aurait oublié tout cela, si les circonstances l’avaient permis, pour élire à l’un de ses fauteuils l’immortel auteur de la Recherche. On est presque tenté de dire qu’elle en a fait un « immortel » post-mortem, si vous me passez l’expression, tant l’Académie a salué son œuvre notamment à travers ceux qui l’ont étudiée, en attribuant de très nombreux prix aux auteurs qui ont écrit sur Proust.
L’Académie a fait davantage, non seulement en célébrant le romancier lors du centenaire de sa naissance, en 1971, comme je l’ai rappelé, mais en lui rendant un hommage appuyé en 1995. Il n’y avait pas alors d’anniversaire, mais pour la séance solennelle annuelle de ses cinq académies, l’Institut de France s’était donné pour thème cette année-là : « Découvertes et événements culturels remarquables du siècle dernier. » L’Institut avait ainsi anticipé de quelques années l’achèvement du xxe siècle.
Le délégué de l’Académie française à cette séance qui eut lieu sous la Coupole le 24 octobre 1995 fut Jean-Louis Curtis, poète et traducteur de Shakespeare, qui partageait avec Proust un goût marqué pour le pastiche. Pour Curtis, cela ne faisait aucun doute, l’événement culturel le plus remarquable du xxe siècle en matière de littérature, c’était le génie littéraire de Marcel Proust. Et il lui consacra un discours qu’il est intéressant de relire aujourd’hui.
Jean-Louis Curtis termina son discours par une réflexion sur le style de Proust et par un parallèle littéraire :
À chaque phrase, nous sommes transportés et émerveillés par la précision incomparable de l’analyse, par la justesse du jugement porté. Le comique aussi est partout présent, même dans les pages les plus désespérantes ou apparemment les plus désolées. Un adolescent éternel est là, toujours prêt à pouffer de rire devant les ridicules des êtres qu’il décrit. Proust est le plus grand auteur comique de notre littérature, l’égal de Molière ; certaines de ses créations, les Verdurin, Cottard, Charlus et dix autres, ont acquis la force des grands types moliéresques, Arnolphe, Alceste, Tartuffe, l’Avare. Il n’est pas une page de la Recherche où nous ne soyons amusés, où nous n’ayons envie d’éclater de rire.
17Mesdames, Messieurs,
C’est le meilleur vœu que je puisse vous adresser au seuil de ce colloque, dont il est heureux qu’il puisse se tenir ici à l’Institut. J’adresse mes félicitations aux organisateurs et à tous ceux qui vont prendre la parole pour des exposés, des lectures ou les débats. À tous les participants de cette journée, je dis : soyez les bienvenus à l’Institut de France.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-13215-8
- EAN : 9782406132158
- ISSN : 2430-8218
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-13215-8.p.0013
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 27/04/2022
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français