Aller au contenu

Classiques Garnier

Allocution d’ouverture par M. Xavier Darcos, de l’Académie française, Chancelier de l’Institut de France (lue par Yves Bruley, directeur de France Mémoire)

13

Allocution douverture

par M. Xavier Darcos,
de lAcadémie française, Chancelier de lInstitut de France
(lue par Yves Bruley, directeur de France Mémoire)

Chers collègues et amis,

Mesdames, Messieurs,

Des obligations mempêchent dêtre présent ce matin avec vous, pour ce colloque sur Proust et la langue française. Croyez bien que je le regrette, dabord parce que jaurais beaucoup appris en vous écoutant, mais aussi parce que jaurais voulu vous accueillir, en tant que Chancelier de lInstitut de France et comme membre de lAcadémie française, dans lauditorium où vous êtes réunis aujourdhui.

Cet Auditorium, qui nest pas encore familier à tout le monde et que certains dentre vous découvrent peut-être ce matin, fait partie de lInstitut de France : même si lentrée, pour des raisons pratiques évidentes, se fait par la rue Mazarine, vous êtes bien accueillis ici ce matin par lInstitut, à lInstitut. À côté de la Coupole, qui sert pour les séances solennelles des cinq académies, à côté de la Grande Salle des séances, avec ses boiseries et ses bustes en marbre, que vous connaissez sans doute et où se tiennent chaque jour les séances ordinaires des cinq académies, nous avons désormais cet auditorium de 350 places, qui manquait pour les activités multiples des académies ou hébergées par lInstitut.

Dans cet auditorium se tiennent les cycles de conférences de lInstitut, qui accueillent un public nombreux. Ici ont lieu également des rencontres de mécènes et de fondateurs, car lInstitut de France, avec ses 200 fondations abritées, est aujourdhui lun des plus grands mécènes de France.

Se tiennent aussi en ce lieu des concerts ou des colloques. Certaines de ces manifestations se rattachent à des commémorations. Ce fut le cas récemment pour le bicentenaire de Pauline Viardot, cantatrice et compositrice née en 1821, que nous avons célébrée ici par un 14colloque-concert très original. Cest le cas encore aujourdhui autour de Marcel Proust, avec un double anniversaire, puisquil est né il y a 150 ans et que le centenaire de sa mort sera lune des grandes commémorations nationales à venir en 2022.

Comme vous le savez, lInstitut de France porte une attention croissante à ces circonstances, depuis que les commémorations nationales, naguère encore rattachées au Ministère de la Culture, sont désormais – et depuis le début de cette année 2021 – une mission confiée à lInstitut de France. Nous avons créé à cet effet le service « France Mémoire ».

Jai été demblée très favorable au transfert et donc à la réorganisation, au sein de lInstitut, de cette mission si importante et si sensible en France. LÉtat conserve évidemment sa propre politique mémorielle, mais la question des commémorations mérite dêtre abordée en dehors des vicissitudes de la politique, dans une institution publique mais indépendance du gouvernement : tel est le cas de lInstitut de France qui, grâce à son statut et à ses cinq académies, est parfaitement qualifié pour élaborer un calendrier annuel de commémorations et danniversaires historiques, de façon sereine et sans refuser le débat lorsquil est nécessaire.

Bien sûr, lannée 2021 a été marquée par Napoléon et la Commune, mais nous avons mis en valeur de nombreux autres sujets, grâce au site internet du service France Mémoire, que je vous invite à consulter, car il contient de très riches dossiers historiques et documentaires.

Lannée 2021 a été marquée aussi par de grands sujets littéraires, avec Baudelaire et Flaubert – ce dernier sera honoré par une séance originale le 11 décembre prochain à lInstitut, à loccasion du bicentenaire de sa naissance.

Pour les 150 ans de Proust, le service France Mémoire a mis en ligne un premier dossier, qui se complètera au fil des mois jusquau centenaire de la mort de lécrivain, dans un an. Assez logiquement, puisque lannée 2021 faisait mémoire de la naissance de Marcel Proust, nous avons mis laccent sur le début de sa vie et sur la formation scolaire de lécrivain. Vous trouverez notamment un article de Mme Emmanuelle Kaës, que je remercie et que vous entendrez aussi tout à lheure. Vous pourrez également entendre sur la radio en ligne de lInstitut, Canal Académies, des lectures – très remarquables – dextraits de romans de Proust où il est question de lécole : trois extraits de Jean Santeuil, et un extrait dÀ lombre des jeunes filles en fleurs, la fameuse copie de Gisèle 15sur « Sophocle écrit des Enfers à Racine pour le consoler de linsuccès dAthalie ».

Dans les prochains mois, France Mémoire prévoit denregistrer une série démissions sur Proust pour Canal Académies, et je serais heureux que certains dentre vous puissent y participer, y compris en faisant écho au colloque daujourdhui.

« Proust et la langue française » : le thème simposait ici ! Le programme coordonné par Luc Fraisse est à la hauteur de ce grand sujet.

Lors du centenaire de la naissance de lécrivain, en 1971, lAcadémie française délégua lun de ses membres, Jacques de Lacretelle, pour les nombreuses manifestations commémoratives et académiques qui eurent lieu cette année-là.

Lacretelle, qui avait connu lécrivain, ne manquait pas de rappeler que si Marcel Proust navait pas appartenu à lAcadémie française, il y comptait de nombreux admirateur et de grands amis, et que disait-il « seule sa disparition prématurée la empêché de siéger auprès deux. » Dans un discours prononcé en 1971, Lacretelle disait :

Le grand écrivain que nous honorons aujourdhui na pas appartenu à lAcadémie française. Il est mort moins de dix ans après la publication du premier tome dÀ la recherche du temps perdu, alors que cette œuvre immense restait partiellement voilée et que la surprise, je dirai même le choc quelle avait provoqué dans le monde littéraire, navait pas encore atteint le grand public. Mais nul doute que Proust, sil eût vécu, ne fût entré chez les Quarante.

Il eût fallu toutefois aux Quarante oublier quelque passage de la Recherche où lInstitut est égratigné. Rappelez-vous cette page dÀ lombre des jeunes filles en fleurs où Proust raconte comment Monsieur de Norpois entra à lAcadémie des sciences morales et politiques et ne fut pas loin de se présenter à la Française :

[] il suffisait que M. de Norpois écrivît à point nommé – ce quil ne manquait pas de faire – : « Le Cabinet de Saint-James ne fut pas le dernier à sentir le péril » ou bien : [] « Un cri dalarme partit de Montecitorio », ou encore : « Cet éternel double jeu qui est bien dans la manière du Ballplatz ». À ces expressions le lecteur profane avait aussitôt reconnu et salué le diplomate de carrière. Mais ce qui avait fait dire quil était plus que cela, quil possédait une culture supérieure, cela avait été lemploi raisonné de citations dont le modèle achevé restait alors : « Faites-moi de bonne politique et je vous ferai de bonnes finances, comme avait coutume de dire le baron Louis. » (On navait pas encore importé dOrient : « La Victoire 16est à celui des deux adversaires qui sait souffrir un quart dheure de plus que lautre, comme disent les Japonais. ») Cette réputation de grand lettré, jointe à un véritable génie dintrigue caché sous le masque de lindifférence, avait fait entrer M. de Norpois à lAcadémie des Sciences morales. Et quelques personnes pensèrent même quil ne serait pas déplacé à lAcadémie française [].

Nous sommes bien dans le sujet de ce colloque, car vous remarquez quaux yeux de Proust, cest la langue – dans sa version diplomatique – qui a fait de Monsieur de Norpois un membre de lInstitut.

Mais lAcadémie aurait oublié tout cela, si les circonstances lavaient permis, pour élire à lun de ses fauteuils limmortel auteur de la Recherche. On est presque tenté de dire quelle en a fait un « immortel » post-mortem, si vous me passez lexpression, tant lAcadémie a salué son œuvre notamment à travers ceux qui lont étudiée, en attribuant de très nombreux prix aux auteurs qui ont écrit sur Proust.

LAcadémie a fait davantage, non seulement en célébrant le romancier lors du centenaire de sa naissance, en 1971, comme je lai rappelé, mais en lui rendant un hommage appuyé en 1995. Il ny avait pas alors danniversaire, mais pour la séance solennelle annuelle de ses cinq académies, lInstitut de France sétait donné pour thème cette année-là : « Découvertes et événements culturels remarquables du siècle dernier. » LInstitut avait ainsi anticipé de quelques années lachèvement du xxe siècle.

Le délégué de lAcadémie française à cette séance qui eut lieu sous la Coupole le 24 octobre 1995 fut Jean-Louis Curtis, poète et traducteur de Shakespeare, qui partageait avec Proust un goût marqué pour le pastiche. Pour Curtis, cela ne faisait aucun doute, lévénement culturel le plus remarquable du xxe siècle en matière de littérature, cétait le génie littéraire de Marcel Proust. Et il lui consacra un discours quil est intéressant de relire aujourdhui.

Jean-Louis Curtis termina son discours par une réflexion sur le style de Proust et par un parallèle littéraire :

À chaque phrase, nous sommes transportés et émerveillés par la précision incomparable de lanalyse, par la justesse du jugement porté. Le comique aussi est partout présent, même dans les pages les plus désespérantes ou apparemment les plus désolées. Un adolescent éternel est là, toujours prêt à pouffer de rire devant les ridicules des êtres quil décrit. Proust est le plus grand auteur comique de notre littérature, légal de Molière ; certaines de ses créations, les Verdurin, Cottard, Charlus et dix autres, ont acquis la force des grands types moliéresques, Arnolphe, Alceste, Tartuffe, lAvare. Il nest pas une page de la Recherche où nous ne soyons amusés, où nous nayons envie déclater de rire.

17

Mesdames, Messieurs,

Cest le meilleur vœu que je puisse vous adresser au seuil de ce colloque, dont il est heureux quil puisse se tenir ici à lInstitut. Jadresse mes félicitations aux organisateurs et à tous ceux qui vont prendre la parole pour des exposés, des lectures ou les débats. À tous les participants de cette journée, je dis : soyez les bienvenus à lInstitut de France.