Le parallèle des orateurs dans la première moitié du xviiie siècle Bossuet et Fléchier
- Publication type: Journal article
- Journal: Revue Bossuet Littérature, culture, religion
2017, n° 8. Réceptions de Bossuet au xviiie siècle - Author: Hache (Sophie)
- Pages: 43 to 58
- Journal: Bossuet Studies
Le parallèle des orateurs
dans la première moitié du xviiie siècle
Bossuet et Fléchier
En 1745, paraît un petit ouvrage signé d’un dénommé Antoine Langlet, intitulé Idée du caractère des oraisons funèbres avec la comparaison de celles de M. Bossuet et de M. Fléchier, qui s’ouvre par quelques mots en « Avertissement » :
Ce petit Ouvrage doit sa naissance au hazard. L’Auteur se trouvant un jour dans une compagnie où l’on parla des Oraisons Funébres, et par conséquent de celles de M. Bossuet et de M. Fléchier ; il rendit justice aux traits sublimes de M. Bossuet ; mais il avoua ingénûment sa prédilection pour l’Évêque de Nismes1.
Conversation de salon, on discute des plaisirs de la chaire ; d’emblée Bossuet et Fléchier rivalisent. Le propos de Langlet apparaît fondé dès lors que l’on regarde les éditions proposant un florilège de pièces sacrées à la fin du xviie siècle et au début du xviiie siècle : Bossuet et Fléchier en sont bien les maîtres, cités principalement pour leurs oraisons funèbres. Plus largement, nombreuses sont les publications qui mentionnent conjointement les deux prédicateurs, ou bien qui, traitant de l’un, font allusion à l’autre. D’autres prédicateurs peuvent être cités, mais de manière secondaire. Il faut attendre un recueil des Modèles d’éloquence2 publié en 1755 pour que Bossuet et Fléchier se voient distancés par Massillon, avant que, dans la seconde moitié du xviiie siècle, Fléchier ne disparaisse du panorama de l’éloquence sacrée3.
44La comparaison entre Bossuet et Fléchier remplit une fonction importante dans la réflexion sur l’éloquence dans la mesure où elle repose sur deux modèles de prédication qui entrent en tension l’un avec l’autre. Leur double portrait offre une matière concrète pour saisir les deux formes que revêt aux yeux des contemporains la grande éloquence : la véhémence contre l’élégance, les mouvements hardis contre l’éloquence soutenue, les figures vives contre les expressions fleuries, etc. La comparaison récurrente entre les deux prédicateurs est ainsi à même de s’inscrire dans le genre du parallèle dont le succès ne se dément pas depuis la traduction française de Plutarque, par Amyot en 1569, puis par Dacier en 17214, sous le titre Vies parallèles des hommes illustres, sans compter le Parallèle des Anciens et des Modernes (1688) de Charles Perrault5. Orateurs modernes, Bossuet et Fléchier seraient les nouveaux Démosthène et Cicéron, qui sont identifiés par le même type de traits non seulement dans les « parallèles », mais encore dans de nombreux traités d’éloquence de l’antiquité comme de la première modernité. Prendre parti pour l’un ou pour l’autre permettrait alors d’exprimer des choix rhétoriques et stylistiques qui dépasseraient largement la figure des deux prédicateurs et éclaireraient certaines orientations esthétiques de la première moitié du xviiie siècle.
Chronologie d’un parallèle
Les différents discours prononcés en 1704 sont sans doute assez décevants pour qui veut saisir la réception de l’éloquence de Bossuet au moment où il disparaît. Les discours académiques prononcés par l’abbé 45Melchior de Polignac, qui fut reçu à la place de Bossuet, et par l’abbé Jules de Clérambault n’accordent que peu d’attention à l’œuvre oratoire du défunt6. Polignac mentionne rapidement ses « discours vehements » qui font de lui « comme un Chrysostome » et brosse surtout le portrait d’un « flambeau de la vérité », qui a combattu l’hérésie. Clérambault insiste encore davantage sur la dispute et la défense de la vérité dont Bossuet est le maître, et son discours néglige les sermons comme les oraisons funèbres. Seul un troisième discours, prononcé par l’abbé Choisy pour la même occasion sélectionne au passage certaines notions rhétoriques :
Son action dans la chaire de verité estoit si naturelle, ses tons si perçans, et en mesme temps si justes, ses peintures si vives ; tantost majestueux et tranquille comme un grand fleuve, il nous conduisoit d’une maniere douce et presque insensible à la connoissance de la verité ; et tantost rapide, impetueux comme un torrent, il forçoit les esprits, entraisnoit les cœurs, et ne nous permettoit que le silence et l’admiration7.
Le fleuve tranquille et le torrent impétueux constituent des images rhétoriques traditionnelles, qui s’inspirent surtout de Quintilien8, mais les termes de l’antithèse entre la grandeur et l’impétuosité empruntent également à l’opposition longinienne entre les deux formes de sublime – inclinant vers la majesté de Cicéron ou la véhémence de Démosthène9. Il s’agit ainsi pour l’abbé Choisy de souligner que Bossuet réalise l’alliance des deux styles oratoires majeurs.
46L’hommage à l’évêque de Meaux s’exprime aussi sur le versant religieux avec l’oraison funèbre prononcée par le père Charles de La Rue le 23 juillet 1704 lors du « service solennel de Bossuet ». Son discours s’organise autour de trois thèmes qui sont la bonté du défunt, sa droiture et « son zele pour la verité ». La Rue propose seulement un passage assez bref sur l’éloquence, concernant spécifiquement les sermons, sans rien dire des oraisons funèbres, ni rendre compte de ce que fut le succès de Bossuet en chaire. L’éloge est topique, reprenant les conseils distribués par les Ars predicandi : on y relève toutes les caractéristiques de la bonne éloquence, mais, pas plus que celui de Choisy, son propos n’adopte d’orientation très nette. Il mentionne à la fois l’onction et la vivacité, l’abondance dans la variété, et la notion d’« expressions vives » est contrebalancée par « la justesse10 ». Lorsqu’il affirme que « Ses sermons étoient méditez plustost qu’étudiez et polis11 », sa remarque ne renvoie pas tant à une caractéristique stylistique qu’à un topos éthique, rappelant que le discours part du cœur et non de l’étude.
Le propos de La Rue devient beaucoup plus précis et nettement plus riche du point de vue rhétorique dans la préface qu’il rédige pour l’édition de ses propres sermons qu’il fait paraître en 1719. Cette préface s’ouvre par la justification d’une telle publication (pour faire suite à une édition non autorisée), puis elle se poursuit avec une réflexion sur un problème rhétorique spécifique à l’éloquence de la chaire : le prédicateur met en perspective la question de la « mémoire » d’après sa propre expérience. C’est dans le cadre de cette réflexion aux accents très personnels que s’inscrit la comparaison entre Bossuet et Fléchier, à l’avantage du premier, qui est « aussi sublime dans l’éloge, que touchant dans la morale, solide et précis dans l’instruction, insinuant dans la persuasion, juste et noble partout dans l’expression12. » La Rue complimente par ailleurs Fléchier en notant que « l’amour de la politesse et de la justesse du stile l’avoit saisi dés ses premieres estudes », mais il ajoute cependant :
47Le feu qui éclate dans son stile, et qui en releve partout la grace et la dignité, semble manquer de véhémence ; et sa prononciation traînante et peu animée favorisant par sa lenteur la fidélité de sa mémoire, donnoit à l’auditeur tout le loisir de suivre aisément la délicatesse de ses pensées, et sentir le plaisir d’en estre charmé13.
Suit une remarque sur le fait que « la pesanteur de sa voix » convenait bien aux oraisons funèbres mais était peu adaptée aux sermons. Le compliment sur « le plaisir d’en estre charmé » apparaît bien perfide. Le jugement sévère porté à l’encontre de Fléchier peut étonner dans un texte publié en 1719, alors que celui-ci est toujours très apprécié, mais le fait de comparer les deux prédicateurs s’inscrit déjà en revanche dans une tradition.
L’association entre les deux prédicateurs est ancienne en librairie, puisque dès 1680 paraît un volume14 joignant l’édition de deux oraisons funèbres de Bossuet (celles d’Henriette de France et d’Henriette d’Angleterre) et de quatre oraisons funèbres de Fléchier (celles de la duchesse de Montausier, de la duchesse d’Aiguillon, de Turenne et de Lamoignon), avant que n’apparaissent de nombreux autres recueils mélangeant les oraisons funèbres jusqu’au xixe siècle. Cependant, en ce qui concerne précisément l’élaboration des deux portraits en miroir de Bossuet et Fléchier, il faut surtout souligner le rôle décisif joué par les ouvrages de Laurent Juillard, abbé Du Jarry, dont on peut retracer la chronologie. Du Jarry offre une comparaison précoce des deux prédicateurs dans son premier traité de rhétorique, Sentimens sur le ministère évangélique, en 168915 : il souligne le pathétique de Bossuet, affirmant de l’exorde de l’oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre que « C’est la douleur qui parle toute seule16 », tout en louant la simplicité évangélique de Fléchier lorsqu’il donne l’oraison funèbre de la duchesse de Montausier comme un modèle de « paroles nombreuses et touchantes dont la douce et sainte harmonie attendrit les cœurs, et penetre jusqu’à l’ame17 ». 48Dans sa Dissertation sur les oraisons funèbres qui paraît en 170618, Du Jarry, propose un florilège de textes, qu’il emprunte aux discours de la seconde moitié du xviie siècle : il se réfère à un petit nombre d’auteurs, au premier rang desquels Bossuet et Fléchier, considérés comme des modèles du genre avec de longue citations. Quelques années plus tard, en 1713, l’abbé Du Jarry contribue à l’édition des Sermons de morale19 de Fléchier avec une préface ; il brosse alors son portrait en lui reconnaissant des qualités qui entrent en tension les unes avec les autres : il explique ainsi que Fléchier n’est pas seulement gracieux, mais aussi majestueux, qu’il n’est pas seulement doux mais aussi élevé, non seulement net, mais aussi sublime. De manière topique, le grand orateur est certes présenté bien souvent comme celui qui concilie des qualités rarement réunies chez les autres, mais l’argumentation de Du Jarry laisse aussi penser qu’il répond implicitement à une lecture critique que certains de ses contemporains font de Fléchier. Il s’agirait alors pour lui de contrevenir à la vision d’un orateur trop préoccupé des grâces du style.
En 1726 enfin, Du Jarry publie une dernière version de son traité d’éloquence sacrée, qui double quasiment de volume. Il persiste et signe dans sa comparaison des deux prédicateurs :
Le fameux Bossuet nous fournit presque dans toutes les pages de ses écrits de la simplicité sublime.
Les Panegyriques de M. Flechier, qui sont reconnus pour de parfais modéles de la politesse, sont pleins d’images touchantes, qui font encore plus d’impression sur le cœur que sur l’esprit20.
Dans le « Supplement à la Dissertation sur les Oraisons funebres » qui clôt ce volume, Du Jarry reconnaît un moindre talent aux dernières oraisons funèbres de Fléchier, avec des arguments purement conjoncturels, et il ne ménage pas ses éloges à l’égard de celles de Bossuet, soulignant leur « majesté », leurs « expressions originales », leur « désordre éloquent » ou encore leur « harmonie lugubre ». C’est pourtant avec Fléchier qu’il conclut son Supplement en insistant finalement sur le thème de l’élégance.
49Nombreux sont les auteurs qui, après Du Jarry, s’appuient au détour d’un ouvrage sur la comparaison entre Bossuet et Fléchier, qui fait alors figure de topos rhétorique. Outre La Rue, déjà mentionné, on peut encore citer l’abbé Colin qui publie en 1737 une traduction du De Oratore de Cicéron, avec une « préface » qui a pour ambition d’être un petit traité de rhétorique, en 125 pages21. Du côté de l’éloquence de la chaire, il recommande Fléchier et Bossuet, consacrant d’abord un petit paragraphe à l’évêque de Nîmes, avant de jouer sur le parallèle entre les deux prédicateurs pour souligner ce qui appartient en propre à chacun : l’élégance pour le premier, l’éloquence hardie pour le second. Deux auteurs surtout méritent notre attention – Rollin et Langlet, dans des ouvrages publiés en 1728 et 1745 qui n’ont pas du tout le même statut, le second répondant au premier. L’ouvrage de Rollin, ordinairement connu sous le nom de Traité des études, est une somme considérable, qui sera un des grands succès de l’édition pédagogique au xviiie siècle. Si quelques paragraphes seulement sont consacrés à Bossuet et à Fléchier, ils sont donc cependant d’importance :
Ce qui domine dans M. Flechier, est une pureté de langage, une élégance de stile, une richesse d’expressions brillantes et fleuries, une grande beauté de pensées, une sage vivacité d’imagination, et ce qui en est une suite, un art merveilleux de peindre les objets, et de les rendre comme sensibles et palpables. Mais il me semble qu’on voit régner dans ses tous ses écrits une sorte de monotonie et d’uniformité. Presque par tout, mêmes tours, mêmes figures, mêmes maniéres. L’antithése saisit presque toutes ses pensées, et souvent les affoiblit, en les voulant orner.
Peu occupé des graces legeres du Discours, et quelquefois même négligeant les règles gênantes de la pureté du langage, M. Bossuet tend au grand, au sublime, au pathétique. Il est vrai qu’il est moins égal et se soûtient moins ; et c’est le caractère du stile sublime : mais en récompense il enlève, il ravit, il transporte. Les Figures les plus vives lui sont ordinaires et comme naturelles22.
Antoine Langlet consacre quant à lui un volume de près de deux cents pages au seul jugement comparé de Bossuet et Fléchier. Écrit par un avocat de métier à qui on ne connaît pas d’autre publication, l’ouvrage n’a guère laissé de trace semble-t-il dans l’histoire littéraire et il ne 50peut être rapproché du célèbre Traité des études que dans la mesure où il affiche la volonté d’en découdre avec Rollin, qu’il qualifie de « grand Maître », pour mieux contredire ses thèses. Langlet s’appuie sur une base de comparaison qu’il veut large et objective, solidement informée.
M. Bossuet et M. Fléchier, tous différens qu’ils sont à bien des égards, ont néanmoins plusieurs qualités semblables. […] Ils font paroître le même discernement à saisir dans la vie et le caractére d’un Héros, ce qu’il y a de plus grand et de plus instructif. […] On remarque en l’un comme en l’autre un esprit nourri des Saintes Écritures, et orné des plus belles connoissances. Leurs Exordes sont nobles et majestueux : on voit que c’est l’entrée d’un Palais magnifique. […] Ainsi ce qui concerne l’Invention et la Disposition générale du sujet, est assez semblable dans ces deux Orateurs. […] C’est ici principalement [en ce qui concerne l’élocution] que nos deux Panégyristes se séparent, pour ne se revoir presque jamais. Rien de plus différent que leur maniere de présenter les objets. M. Fléchier offre par tout des images gracieuses et intéressantes : M. Bossuet, à qui les idées les plus sublimes ne coûtent rien, s’élance hardiment au-delà des bornes que tout autre n’eût osé franchir23.
Contrairement à Rollin qui exprimait une préférence mesurée pour Bossuet, Antoine Langlet tranche nettement en faveur de Fléchier, en adoptant cependant la même grille de lecture que ses prédécesseurs. Cet ouvrage entièrement consacré aux deux prédicateurs incomparables est néanmoins l’un des derniers à les associer étroitement, marquant de fait les derniers feux de la gloire de Fléchier, avant qu’il ne s’efface progressivement des recueils d’éloquence sacrée comme des traités de rhétorique. Des premières réflexions de l’abbé Du Jarry en 1689, jusqu’à l’Idée du caractère des oraisons funèbres avec la comparaison de celles de M. Bossuet et de M. Fléchier, se dégagent certes la permanence du double portrait des prédicateurs, mais surtout la remarquable continuité dans les termes du débat. Non seulement Langlet ne conteste pas les qualificatifs proposés par Rollin qui s’inscrivent dans le droit fil des analyses de Du Jarry, mais il les reprend pleinement à son compte, se contentant de pousser à l’excès les traits qui concernent Bossuet. Les deux prédicateurs partagent un ethos parfait puisqu’ils possèdent « un esprit nourri des Saintes Écritures, et orné des plus belles connoissances » et incarnent la supériorité de l’éloquence française sur les discours antiques, 51et leurs oraisons funèbres frappent par leur ressemblance en ce qui concerne « l’Invention et la Disposition générale du sujet ». Ce sont alors leurs caractéristiques stylistiques qui marquent une ligne de partage et constituent tout l’objet de la réflexion.
L’éloquence soutenue
vs l’éloquence irrégulière
En dépit des affirmations de Choisy dans son discours académique de 1704, selon lesquelles Bossuet réunit la majesté du fleuve et l’impétuosité du torrent, l’évêque de Meaux incarne, de manière très générale durant la première moitié du xviiie siècle la figure du prédicateur véhément, tandis que se dessine une opposition entre son éloquence vigoureuse et le style poli de Fléchier – sans que l’une ne l’emporte sur l’autre. Il semble alors que se maintienne un équilibre entre les deux types de sublime, celui de Cicéron et celui de Démosthène, même si certains admettent leur préférence pour l’une ou l’autre. Dans ses Sentimens sur le ministère évangélique, l’abbé Du Jarry blâme les « Predicateurs qui sont plus polis et plus ornés qu’ils ne le doivent être », mais à ses yeux Fléchier n’en fait pas partie et il loue ses discours évangéliques, tout comme, dans le « Supplement à la Dissertation sur les Oraisons funebres » de 1726, ses panégyriques, « parfais modéles de la politesse » et « pleins d’images touchantes » ne sont en rien inférieurs à l’élévation sublime de Bossuet. Même Rollin et Langlet, qui ne font pas mystère de leurs goûts personnels, ne remettent pas en cause la symétrie selon laquelle Fléchier représente un pathétique touchant, insinuant et Bossuet un pathétique vif voire véhément. Avant de conclure à sa préférence pour l’évêque de Nîmes, Langlet prend notamment la précaution de définir étroitement les termes de la comparaison : il ne s’agit pas pour lui de certifier une supériorité stylistique de Fléchier dans l’absolu, mais seulement dans la mesure où ses oraisons funèbres sont davantage conformes au caractère du genre.
L’opposition entre les deux styles s’associe à une réflexion sur la posture de l’orateur que résume bien La Rue lorsqu’il affirme au sujet de Bossuet que « sa mémoire, en un mot n’estoit remplie que de choses, et 52négligeoit de se charger de mots » tandis que du côté de Fléchier « il ne sortoit rien de sa plume, de sa bouche, mesme en conversation, qui ne fust ou qui ne parust travaillé. » On remarque ici une nouvelle résurgence du débat quant à la légitimité de la rhétorique sacrée : préférer Bossuet au début du xviiie siècle, c’est encore affirmer la supériorité de l’inspiration divine sur le travail du prédicateur et reconnaître le caractère secondaire, ancillaire de la rhétorique. Alors que d’un point de vue purement stylistique la comparaison entre les deux orateurs repose sur une forme d’équilibre, le déplacement du débat vers des termes qui relèvent davantage de l’éthique peut déboucher sur une critique de l’éloquence touchante de Fléchier, comme cela apparaît chez Colin :
M. Fléchier est merveilleux dans le choix et l’arrangement des mots ; mais on y entrevoit beaucoup d’attention pour la parure, et trop de penchant pour l’antithese qui est sa figure favorite. M. de Meaux plus occupé des choses que des mots, ne cherche point à répandre les fleurs de son discours, ni à charmer l’oreille par le son harmonieux des périodes ; son unique objet est de rendre le vrai sensible à ses auditeurs24.
Est ici sensible le glissement vers la condamnation de constructions périodiques qui témoignent d’une attention portée au matériel sonore et figuré au détriment de l’objet même du discours25. La critique vise Fléchier et a contrario met en valeur Bossuet pour lequel le manque de douceur et d’harmonie n’est pas retenu comme un blâme et dont la véhémence même ne lui est pas reprochée. D’après ses lecteurs, la véhémence de Bossuet se manifeste moins par un emportement ou par le choix de certains thèmes que par des marques stylistiques, dont l’une retient singulièrement l’attention, à savoir la question de la négligence dont les enjeux esthétiques doivent être précisés.
Comment comprendre Rollin affirmant de Bossuet « qu’il est moins égal et se soutient moins » que Fléchier ? que signifie dans ce contexte « être négligent », « ne pas être trop scrupuleux26 » ? La négligence peut 53être éventuellement considérée comme le prix à payer pour le sublime, une concession qu’il faudrait admettre afin que s’élève le grand style, dans la mesure où son élan ne permettrait pas au prédicateur de prêter l’attention nécessaire aux détails de la langue ; elle a cependant surtout une valeur en soi, conçue comme la marque du sublime véritable. En arrière-plan de cette réflexion transparaissent les débats qui opposent d’une part une analyse rhétorique dans la tradition longinienne27, définissant la tache comme partie intégrante du sublime, qui est un essor non soutenu, et d’autre part une préférence pour le grand style, d’une majesté continue. Reprenant à son compte les conceptions de Boileau et de certains commentateurs de Longin aux xviie et xviiie siècles qui s’attachent à la fulgurance caractéristique de « cet extraordinaire et ce merveilleux qui frappe dans le discours », Rollin recourt à quelques mots clés tels que « style sublime », « pathétique », « figures vives » auxquels il ajoute la notion de manque de soutien – négative seulement en apparence – pour faire de Bossuet le parangon du sublime.
Certains pourtant ne se privent pas d’associer ce sublime de la fulgurance à une critique de la chute qui suit l’envolée, si bien que ce qui était une réflexion sur le pathétique éclatant se transforme en un jugement sévère à l’encontre du manque de « justesse » ou de « pureté » de la langue chez des lecteurs attentifs à la « bienséance » linguistique. Cet aspect est au cœur des protestations de Langlet qui commence par citer Rollin avant de développer sa propre critique :
« M. Bossuet qui tend au grand, au sublime, au pathétique ; est moins égal (que M. Fléchier) et se soûtient moins ». C’est-à-dire, que la chaleur de l’esprit 54venant à s’éteindre, l’Orateur tombe ; et qu’à des traits magnifiques succédent des familiarités et des choses communes qui blessent d’autant plus, qu’elles sont plus voisines du sublime. On trouve de belles, de nobles pensées avilies par des expressions peu convenables : défauts inexcusables dans les Panégyriques, qui ne souffrent jamais rien de bas, ni de médiocre28.
L’impression d’hétérogénéité stylistique résultant de l’essor sublime est ici assimilée à une faute. Si Fléchier peut sembler finalement sans tache, c’est bien parce que son style est continu, ce qui définit son élégance. Dans les toutes dernières lignes de son ouvrage, Langlet revient sur cette question dans une conclusion abrupte qui fait de la négligence le point d’achoppement décisif :
On voit que si leurs beautés sont différentes, leurs défauts ne le sont pas moins. Mais les taches de M. Fléchier disparoissent au milieu de l’éclat qui les environne ; au lieu que celles de M. Bossuet, qui pénétrent le fonds du Discours-Funébre, en obscurcissent et défigurent le caractère29.
La différence essentielle entre les deux prédicateurs se joue dans le statut des « taches », par un renversement du topos rhétorique selon lequel la grandeur du sublime efface dans sa lumière les fautes qui seraient reprochées au discours ordinaire. L’éloquence de Bossuet, dans ses élans sublimes mêmes, pêche notamment par « ses familiarités » et par son empreinte polémique qui trahissent « l’ascendant qu’elle voudroit prendre sur les esprits », jusqu’à en ruiner les effets pathétiques, alors que la grâce continue de Fléchie lui permet d’entrer dans l’âme « par l’insinuation » et « par la douceur ».
De manière assez générale chez les commentateurs, les champs lexicaux s’opposent deux à deux, avec d’un côté la bienséance, la politesse, la justesse, la pureté, l’égalité qui font le charme de Fléchier ; de l’autre, la négligence, les figures vives, les traits hardis caractérisant la puissance de l’éloquence de Bossuet. Et quand les auteurs apportent un regard critique sur ces notions, elles deviennent d’un côté scrupule et uniformité et de l’autre irrégularité, manque de soutien. Le partage entre ces deux lectures n’est cependant pas toujours aussi simple, et certains n’hésitent pas à jouer sur les deux tableaux. Du Jarry se montre ainsi sensible à la pureté de la langue de Fléchier :
55M. Flechier excelloit principalement dans cette partie de son art ; il relevoit tout ce qui tomboit sous son pinceau ; il changeoit la bouë en or, il consacroit le profane, il purifioit l’immonde, il annoblissoit le bas ; et son stile attentif à toutes les bienséances, ressembloit à la lumiere qui luit sans se salir sur le limon impur d’un marais, comme sur le cristal des fontaines30.
Se fondant explicitement sur son style sans tache, l’éloge de Fléchier apparaissait plus tiède dans la préface de 171331 et il doit surtout être mis en regard avec le traitement que Du Jarry accorde à Bossuet, dont il loue les irrégularités, considérant que ses « taches » n’ont rien de commun avec la boue et sont aussi de l’or ; il montre par exemple que l’épithète « désastreuse » dans l’oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre, si elle peut être raillée par les censeurs, confère avant tout de la majesté au « tableau tragique32 ». La différence entre les deux jugements s’explique par le fait que le point de vue varie de l’un à l’autre : quand il est question de Fléchier, l’élévation et la pureté renvoient à une qualité de la période, harmonieuse, cadencée, alors que lorsqu’il commente Bossuet, l’abbé Du Jarry s’attache aux figures, notamment aux hyperboles et aux métaphores. Les éléments fondamentaux de sa réflexion sont en place dès son premier traité de rhétorique, dans lequel il commente le style « tout divin » de la Bible, que les prédicateurs devraient prendre comme modèle en s’attachant notamment à sa simplicité touchante et à ses « naïvetez pleines d’onction » ; il blâme ainsi la lecture pointilleuse du grammairien qui passerait à côté de la beauté du texte :
Il y a aussi une exactitude et une justesse trop scrupuleuse, dont quelques personnes ne peuvent se défaire, qui est fort contraire à cette sorte d’éloquence, dont je parle : elle consiste souvent en certaines expressions irregulieres, qui estant examinées à la rigueur par un Grammairien, paroissent défectueuses. Par exemple, Jacob dit à ses enfans, que s’ils emmenent son fils Benjamin en Égypte, ils feroient descendre ses cheveux blancs avec douleur dans le tombeau. Les cheveux blancs sont incapables de tristesse : Cependant cette expression, toute irreguliere qu’elle est, a plus de force et de beauté que toutes les paraphrases qu’on en peut faire33.
56Du Jarry cite alors de nombreuses expressions bibliques à l’appui de son propos, qui ont toutes en en commun de mettre en valeur le sens figuré d’un mot ou d’une expression : le « grammairien » pénible est toujours celui qui, lisant le texte au premier degré s’offusque de son fonctionnement tropique. Il ajoute pour conclure sa réflexion :
Il faut qu’un Predicateur ait le courage de se mettre au dessus d’une certaine justesse grammaticale ; qu’il laisse aux Auteurs profanes, l’exactitude et la régularité du stile, en partage ; mais que pour luy, il ne s’attache qu’à cette sainte et habile negligence, que les Auditeurs éclairez sçavent bien distinguer d’avec une rudesse inculte et barbare34.
En 1689, le propos de l’abbé Du Jarry reste général, mais, dans son traité publié en 1726, ce prédicateur qui a « le courage de se mettre au-dessus d’une certaine justesse grammaticale », c’est-à-dire qui ne se contente pas du sens usuel des mots mais accède à une poésie du langage, prendra le nom de Bossuet. Du Jarry cite l’oraison funèbre d’Henriette de France35 qu’il commente en des termes très proches, réclamant un droit à la métaphore :
[p. 289] Le seul endroit où il semble s’être un peu éloigné de la simplicité dans cette majestueuse description, est celui où il représente les ondes se courbant sous elle ; un mauvais Critique pourroit trouver là quelque chose de trop figuré, mais ce sont des images sublimes qu’il ne faut pas critiquer en Grammairien exact ; le figuré et le metaphorique ne sort point là du simple et du vrai.
Du Jarry multiplie les citations de Bossuet36, dont il commente systématiquement la portée métaphorique, seule à même de faire sentir « le vrai ».
57Dans ce contexte, la notion de négligence n’est guère de l’ordre de la syntaxe mais implique pour l’essentiel la question des tropes, dans une réflexion qui tend à effacer les distinctions entre éloquence et poésie. Entre elles deux persiste seulement une différence de degré, les couleurs de la première se devant d’être plus douces, sans qu’aucune différence de nature ne vienne les séparer. Certes Du Jarry, comme cela sera généralement le cas au xviiie siècle, laisse de côté les sermons pour identifier l’éloquence sacrée à la seule oraison funèbre, mais ce rapprochement entre éloquence et poésie n’en est pas moins remarquable et peut être mis en lien avec les conceptions qui émergent à la fin du xviie siècle, lorsque par exemple les commentateurs des psaumes que sont Bossuet et Fleury reconnaissent une poésie biblique, non plus à sa forme versifiée mais à ses métaphores et aux « mots, qui sont souvent autres que dans la Prose37 ».
Quand on apprécie la langue de Fléchier, encore au début du xviiie siècle, on aime en elle des caractères propres à la prose : une cadence, des balancements, des symétries, une harmonie de la période. En revanche chez Bossuet, on est saisi par la trouvaille poétique, par l’image. Certes, les lecteurs oublient peut-être un peu vite les qualités prosodiques de l’Aigle de Meaux, mais – le fait est – ce n’est pas ce qu’ils revendiquent, comme le montre précisément le parallèle entre les deux prédicateurs. Alors que pour Fleury la poésie biblique est à la fois la plus figurée et « la plus harmonieuse », les portraits parallèles de Fléchier et Bossuet font au contraire jouer une qualité contre l’autre : l’ornement de l’image poétique est un trait fulgurant, par opposition à la mélodie prosodique qui implique une continuité. La mélodie de la phrase peut être supposée le fruit d’une élaboration patiente, alors qu’on appréciera d’autant plus les illuminations poétiques dans un discours sacré qu’elles sont la preuve de sa divine inspiration, comme le dit l’abbé Du Jarry, ou bien du génie de son auteur comme on commence à le dire de Bossuet. Les termes de la comparaison entre Fléchier Bossuet et son évolution en faveur du second, incarnant la puissance oratoire, pourraient sembler en porte-à-faux avec l’inflexion du goût vers une esthétique touchante 58notamment dans l’éloquence sacrée38, si l’on ne prenait en compte précisément cette ligne de partage entre la construction périodique et l’image poétique. Ce que les critiques nomment de manière topique la véhémence de Bossuet s’identifie en fait à un pathétique de l’image, tandis que la cadence de la phrase de Fléchier, que l’on avait d’abord aimée pour sa douceur et son élégance, n’est plus audible.
Sophie Hache
Université Lille 3
1 Antoine Langlet, Idée du caractère des oraisons funèbres avec la comparaison de celles de M. Bossuet et de M. Fléchier, Paris, Lottin, 1745, avertissement non paginé.
2 Pons-Augustin Alletz, Modèles d’éloquence, ou les Traits brillans des orateurs françois les plus célèbres, Paris, Quillau et Babuty, 1753.
3 Trublet par exemple ne fait pas mention de Fléchier dans les Réflexions sur l’Éloquence en général et sur celle de la Chaire en particulier (Paris, Briasson, 1755) et, dans ses différents ouvrages, Maury ne s’intéresse pas à lui, le citant seulement pour une critique en passant ou un éloge vague de l’oraison funèbre de Turenne, alors qu’au panthéon des prédicateurs, il mentionnera, avec Bossuet, Bourdaloue et Massillon.
4 Dans ses Mémoires pour servir à l’histoire des hommes illustres (Paris, Briasson, 1727, t. III, p. 145-163), Niceron signale la parution d’un premier volume en 1694 « qui ne contient que cinq Vies », avant l’ample travail publié en huit tomes en 1721, auxquels s’ajouteront encore deux tomes par la suite.
5 Sur le genre du parallèle à l’âge classique, voir Grégory Gicquiaud, « La balance de Clio : réflexions sur la poétique et la rhétorique du parallèle », dans Marc André Bernier (dir.), Parallèle des Anciens et des Modernes. Rhétorique, histoire et esthétique au siècle des Lumières, Presses de l’Université de Laval, 2006, p. 29-46.
6 « Discours prononcé dans l’Académie Françoise le 2 août 1704, par Mr l’Abbé de Polignac, lorsqu’il faut receu à la place de Mr. Bossuet Evesque de Meaux » et « Reponse de Mr. l’abbé de Clerembault, au Discours prononcé par Mr. l’Abbé de Polignac, le jour de sa Reception », Recueil des harangues prononcées par Messieurs de l’Académie françoise, dans leurs receptions, et en d’autres occasions differentes, depuis l’establissement de l’Académie jusqu’à présent, Amsterdam, Aux dépens de la Compagnie, 1709, p. 603-614 et 614-626.
7 François-Timoléon de Choisy, « Éloge de Messire Jacques-Begnigne Bossuet, Evesque de Meaux », Recueil des harangues […], op. cit., p. 631.
8 Cf. L’Institution oratoire, livre XII, chap. x.
9 « En effet, Demosthene est grand en ce qu’il est serré et concis ; et Ciceron au contraire, en ce qu’il est diffus et étendu. On peut comparer ce premier, à cause de la violence, de la rapidité, de la force et de la vehemence avec laquelle il ravage, pour ainsi dire, et emporte tout, à une tempeste et à un foudre. Pour Ciceron, on peut dire à mon avis, que comme un grand embrassement il devore et consume tout ce qu’il rencontre, avec un feu qui ne s’éteint point, qu’il répand diversement dans ses ouvrages, et qui, à mesure qu’il s’avance, prend toûjours de nouvelles forces. » (Longin, Traité du sublime, trad. Boileau, dans Boileau, Œuvres complètes, éd. Fr. Escal, Gallimard, « Pléiade », 1966, p. 360).
10 « Et comme il avoit le cœur pénetré des grandes verités dont son esprit étoit plein ; l’abondance, la varieté, l’onction ne lui manquoient jamais ; non pas mesme la justesse et la vivacité de l’expression, sans affectation et sans sécheresse » (« Oraison funèbre de messire Jacques-Benigne Bossuet, evesque de Meaux » (1704), Oraisons funebres, prononcées par le pere de La Ruë, de la Compagnie de Jesus, Paris, Pierre Gissey et Marc Bordelet, 1740, p. 87-88).
11 Ibid., p. 87.
12 Préface, Sermons du pere de La Rüe, de la Compagnie de Jesus, pour l’Avent, Lyon, Anisson et Posuel, 1719, t. I, non paginé.
13 Ibid.
14 Ce volume qui paraît chez Sébastien Mabre-Cramoisy réunit la troisième édition des Oraisons funebres composées par Messire Jacques Benigne Bossuet et la seconde édition des Oraisons funebres composées par Monsieur Fléchier, abbé de Saint Severin.
15 Sentimens sur le ministère évangélique, avec des réflexions sur le stile de l’Écriture Sainte et sur l’éloquence de la chaire, Paris, Thierry, 1689.
16 Ibid., p. 176.
17 Ibid., p. 343-344.
18 Essais d’éloquence, de critique et de morale. Dissertation sur les oraisons funèbres, Paris, Dollet, 1706.
19 Sermons de morale, prêchez devant le Roy, par M. Flechier, Evêque de Nismes, Paris, Guillaume Cavelier, 1713. La préface n’est pas signée, mais Du Jarry la reconnaît et la commente dans son « Supplément » de 1726.
20 Le Ministère évangélique, ou Réflexions sur l’éloquence de la chaire et la parole de Dieu […] Nouvelle édition, augmentée d’une seconde partie, Paris, Knapen, 1726, p. 288-289 et p. 295-296.
21 Abbé Colin, « Préface, ou Discours préliminaire sur les moyens d’acquerir l’Éloquence », Traduction du Traité de l’Orateur de Cicéron, Paris, De Bure, 1737.
22 Charles Rollin, De la manière d’enseigner et d’etudier les belles-lettres par rapport à l’esprit et au cœur [1726-1728], Paris, Vve Estienne, 1740, t. I, p. 367 et p. 368.
23 Antoine Langlet, Idée du caractère des oraisons funèbres avec la comparaison de celles de M. Bossuet et de M. Fléchier, Paris, Lottin, 1745, p. 32-34.
24 Traduction du Traité de l’Orateur de Cicéron, op. cit., p. 49-50.
25 Voir notre article « Le verbe de Fléchier, idéal d’un langage total », Littératures classiques, no 50, Les Langages au xviie siècle, printemps 2004, p. 85-97.
26 Voir par exemple Niceron : « Toutes ces oraisons funebres sont autant de chefs-d’œuvre. On trouvera peut-être dans d’autres Panégyristes une exactitude plus scrupuleuse, et quelque chose de plus fini et de plus recherché ; mais l’art qui s’y fait sentir découvre le travail de l’Orateur. Dans M. Bossuet l’Eloquence n’étoit pas un fruit de l’étude, tout étoit naturel, tout étoit au dessus de l’art, ou plutôt la sublimité de son génie et de ses lumieres lui faisoit trouver sans peine ces tours nobles, ces grands traits, ces expressions vives et hardies qui coûtent tant à l’art, lorsqu’il s’applique à les chercher. » (Mémoires pour servir à l’histoire des hommes illustres, op. cit., p. 251-252)
27 Le chapitre xv du Traité du sublime propose une réflexion sur les figures qui souligne la capacité du discours pathétique à laisser dans l’ombre les outils stylistiques auxquels il recourt ; bien qu’il ne s’agisse pas alors du concept de négligence, il souligne l’écart entre la puissance de l’effet de sublime et les questions d’ordre technique : « Car comme les moindres lumieres s’évanoüissent, quand le Soleil vient à éclairer ; de même, toutes ces subtilitez de Rhetorique disparoissent à la veüe de cette grandeur qui les environne de tous côtez. » (op. cit., p. 370). Le chapitre xxx précise par ailleurs le concept de négligence sous le titre « Que les fautes dans le sublime se peuvent excuser », s’appuyant sur l’exemple d’Homère, de Démosthène et de Platon pour affirmer : « […] encore que ceux dont nous parlions n’ayent point esté exempts de fautes, ils avoient neanmoins quelque chose de surnaturel et de divin. » (ibid., p. 390).
28 Idée du caractère des oraisons funèbres […], op. cit., p. 149-150.
29 Ibid., p. 189.
30 « Supplément à la Dissertation sur les Oraisons funebres », op. cit., p. 410.
31 « […] il prend un essor sage et reglé d’où il descend sans faire de chûte, et quand il n’attire pas l’admiration, on ne peut lui refuser l’estime » (Sermons de morale, op. cit., n.p.)
32 « Supplément à la Dissertation sur les Oraisons funebres », op. cit., p. 403.
33 Sentimens sur le ministère évangélique, op. cit., p. 169-170.
34 Ibid., p. 172.
35 « En effet elle partit des ports d’Angleterre à la vue des vaisseaux des rebelles, qui la poursuivaient de si près qu’elle entendait presque leurs cris et leurs menaces insolentes. Ô voyage bien différent de celui qu’elle avait fait sur la même mer, lorsque venant prendre possession du sceptre de la Grand’Bretagne, elle voyait pour ainsi dire les ondes se courber sous elle, et soumettre toutes leurs vagues à la dominatrice des mers ! » (Bossuet, Oraisons funèbres, éd. J. Truchet, Gallimard, 2004, p. 135).
36 On relèvera encore : « L’Ocean étonné de se voir traversé tant de fois dans des appareils si differens, est encore du même Orateur, incomparable sur tout dans ses nobles images. Un mauvais critique censure cet ocean étonné ; mais ce sont des expressions qu’il ne faut pas prendre à la lettre, il faut considerer ce qu’elles representent plûtôt que ce qu’elles disent […]. » (Sentimens sur le ministère évangélique, op. cit., p. 344-345).
37 Claude Fleury, « Discours sur la poésie, et en particulier sur celle des Hébreux », Opuscules de M. l’abbé Fleury […], Nîmes, P. Beaume, 1780, t. II, p. 646-647. Voir à ce sujet Emmanuel Bury, « Les beautés de l’Écriture sainte et l’esthétique classique “Balzac, Bossuet, Fleury” », dans O. Millet (dir.), Bible et littérature, Paris, Champion, 2003, p. 85-109.
38 Voir Annie Becq, Genèse de l’esthétique française moderne, 1680-1814, Paris, Albin Michel, 1994 ; Thierry Favier et Sophie Hache (dir.), À la croisée des arts. Sublime et musique religieuse en Europe (xviie-xviiie siècles), Paris, Garnier, 2015.
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- ISBN: 978-2-406-07134-1
- EAN: 9782406071341
- ISSN: 2494-5102
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-07134-1.p.0043
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 09-01-2017
- Periodicity: Annual
- Language: French