Huysmans et le « cormoran de Meaux »
- Publication type: Journal article
- Journal: Revue Bossuet
2015, n° 6. Réceptions de Bossuet au xixe siècle - Author: Seillan (Jean-Marie)
- Pages: 103 to 119
- Journal: Bossuet Studies
HUYSMANS
ET LE « CORMORAN DE MEAUX »
Le nom de Bossuet apparaît, à notre connaissance, une quinzaine de fois sous la plume de Huysmans. On le trouve d’abord dans trois romans : À rebours, où des Esseintes dresse le bilan critique de la littérature catholique depuis les origines jusqu’au xixe siècle ; En route, en 1895, à propos de la controverse qui a opposé Bossuet et Fénelon autour de la question du quiétisme ; L’Oblat, enfin, son dernier roman, d’une façon anecdotique d’intérêt négligeable1. Le nom de Bossuet reparaît comme parangon du gallicanisme dans un texte tardif au ton à la fois polémique et désenchanté où Huysmans s’interroge, dans la perspective de la séparation des Églises et de l’État, sur le risque d’inféodation de l’épiscopat français à Rome et constate à regret : « Il n’y aura pas de Bossuet alors2. » Par ailleurs, Huysmans cite son nom dans sa correspondance catholique : deux mentions dans des lettres à son confesseur, l’abbé Ferret, une mention dans une lettre à la romancière Mathilde Aigueperse, spécialisée dans une littérature édifiante située aux antipodes de celle de Huysmans. Ce dernier cite enfin Bossuet dans une interview à la revue catholique Le Pain, en avril 1899. Mais jamais il n’a consacré à Bossuet de réflexion méthodique et argumentée, exercice qu’il ne pratiquait guère, comme on sait. La recherche des occurrences du nom de Bossuet rapporte donc un butin assez mince. Pourtant il semble que Huysmans ait côtoyé son œuvre d’assez bonne heure, quoique de façon indirecte. Si l’on en croit les souvenirs du romancier Henry Céard, un de leurs amis de jeunesse nommé Jules-Athanase Bobin lisait à haute voix du Bossuet devant eux :
Il nous intéressait à Bossuet en nous faisant percevoir, par delà les formes pompeuses et solennelles des sermons, un sens très aigu, très renseigné des misères de l’être humain, une connaissance presque pathologique des infirmités du monde, telles que par l’exercice du sacrement de pénitence, les confesseurs seuls, – effrayés parfois, – peuvent quotidiennement les surprendre3.
Même s’il est probable, en dépit de ce témoignage tardif, que la beauté de la phrase oratoire du prédicateur chrétien l’ait emporté, dans ce cercle d’amis, sur les préoccupations spirituelles, entre Huysmans et la littérature de l’âge classique apparaissent de multiples motifs d’incompréhension qu’il est nécessaire de présenter succinctement si l’on entend évaluer les jugements qu’il formule sur l’œuvre de Bossuet et l’influence qu’il aurait pu subir de sa part.
Un anticlassique opiniâtre
Face aux écrivains du xviie siècle, Huysmans ne s’est jamais départi d’une aversion qui remonte, semble-t-il, à ses années de formation. Si l’on accorde quelque valeur biographique aux souvenirs de pension échangés par les personnages d’En ménage, son anticlassicisme a débuté par une répugnance envers les langues anciennes et les exercices scolaires. « On devait admirer, raconte-t-il, les lourdes balivernes d’Horace, le fatras stupéfiant d’Homère, réciter du Racine et du Virgile, du Cicéron et du Boileau, passer en revue tout le solennel ennui des époques classiques, copier des 100 et des 1000 vers4. » Dans un tel texte, il est malaisé de faire la part des souvenirs authentiques et d’une réfection ultérieure due à une formation classique inachevée. Car pour lui comme pour beaucoup d’écrivains de sa génération, celle-ci s’est arrêtée au baccalauréat et ne lui a donné de l’héritage antique reçu par l’Europe à la Renaissance qu’une vue partielle et hâtive. Cette relative méconnaissance a été sans nul doute renforcée, à partir de sa rencontre avec Zola en 1876, par son combat en faveur d’un naturalisme qui rejetait, au
nom d’une modernité comprise comme contemporanéité, les thèmes et les formes antiques que la tradition académique faisait survivre au début de la IIIe République. On ne compte pas les imprécations de Huysmans contre les thématiques antiquisantes des Parnassiens et les sujets gréco-romains ou bibliques imposés aux artistes concourant pour le prix de Rome. Le lecteur d’À rebours se rappelle ainsi la savoureuse diatribe de des Esseintes contre « celui que les pions surnomment le cygne de Mantoue », contre Cicéron et « la jactance de ses apostrophes, le flux de ses rengaines patriotiques, l’emphase de ses harangues », le jeu de massacre dont sont victimes « Tite-Live sentimental et pompeux ; Sénèque turgide et blafard ; Suétone, lymphatique et larveux5 ».
Une si vive animosité envers les classiques latins ne le prédispose évidemment pas en faveur des écrivains du xviie siècle. Dans son œuvre, les références à la mythologie antique, à la tragédie, aux moralistes de l’époque classique sont quasi inexistantes. Molière, « ce salaud de Molière6 », n’y échappe pas, l’antipathie de des Esseintes envers ses « farces » allant jusqu’à les assimiler « au point de vue de l’art, à ces parades des bobèches qui aident à la joie des foires ». Sentences confirmées par le témoignage des familiers de Huysmans : « Il me disait, se rappelle Gustave Coquiot, n’avoir même jamais goûté Corneille, Racine, ainsi que Molière. Ces illustres ombres ne l’avaient, à aucun moment, attiré ; il les tenait, Corneille et Racine, surtout, pour d’étonnants “raseurs”7 ! » De tels propos heurtent évidemment les gardiens de la tradition qu’il appelle avec mépris les « pions » de l’École normale ou de la Sorbonne, ces derniers ayant beau jeu de dénoncer en retour l’inculture et la grammaire hésitante des jeunes naturalistes. Plus tard, Huysmans se plaira à choquer les chroniqueurs de la presse catholique attachés à la noble tenue de la langue classique. L’ayant entendu protester contre « une époque où tout se bousille », Germaine de Perceix s’exclame dans la revue Le Pain : « Bousille ! bousille ! Mânes de Racine, ombre de Fénelon ! que dites-vous de ce bousille, introduit ainsi dans un passage si choisi d’ailleurs8 ? » ; et le sentencieux abbé Delfour sort atterré de la lecture de La Cathédrale : « Il n’est pas Français, non, Dieu merci, il n’est pas Français. Il admire
Baudelaire et Edgar Poe, mais il ne comprend rien, le malheureux, à Bossuet, à Racine et à Louis Veuillot9. »
C’est dans ce cadre général qu’il faut comprendre les jugements de Huysmans sur Bossuet. À ses yeux, Bossuet représente plus que lui-même : il résume son siècle et, bien au-delà, toute la postérité néoclassique. C’est ce qu’explique Huysmans à l’abbé Ferret le 1er mars 1897 : « Vous êtes dans l’erreur […] en croyant que j’attaque Bossuet. Ma théorie est générale, et Bossuet n’est qu’une unité dans ce grand mouvement de bégueulisme qui a commencé à La Renaissance pour s’épanouir dans le Jansénisme dont nous avons tous encore, plus ou moins, le virus dans le sang10. » Ou encore à Alphonse Germain qu’il « remercie d’essayer de faire comprendre aux catholiques que l’on peut ne pas écrire comme Bossuet ou son fils Brunetière ; mais vous n’arriverez jamais à les convaincre que je ne suis pas un gredin de style11… » Quelque reproche qu’il lui adresse, Bossuet est inculpé dans un procès qui le dépasse – et d’une certaine façon le disculpe. Pour un écrivain qui fouille les dictionnaires à la recherche de mots rares et d’épithètes imprévues, qui mêle les archaïsmes aux néologismes et les tournures argotiques aux vocables savants, la langue du xviie siècle, « volontairement débilitée, […] solennellement harassante et grise12 », est une langue morte, inintelligible et inutilisable deux siècles plus tard. Cette conviction qu’il ne cessera de répéter à ses lecteurs catholiques est constituée dès À rebours : « de même que l’Église avait perpétué la forme primordiale des objets saints, de même aussi, elle avait gardé […] la langue oratoire du grand siècle13. » Or cette langue est tout aussi incapable que le « dialecte borné de Racine14 » de « s’attaquer à la vie contemporaine, de rendre visible et palpable l’aspect le plus simple des êtres et des choses, inapte à expliquer les ruses compliquées d’une cervelle indifférente à l’état de grâce15 ». Mais le clergé, qui l’a adoptée telle quelle (« tout ce monde-là est encore au xviie siècle », écrit-il à la romancière Mathilde Aigueperse le 2 juin 1900), lui reproche de ne pas
l’employer : « Croiriez-vous qu’on est allé jusqu’à me demander pourquoi je n’écris pas dans la langue de Bossuet16 ? »
La langue n’est cependant pas seule en cause. L’évolution intérieure de Huysmans a conforté son hostilité au Grand Siècle. « Redevenu catholique » vers 1892, il adopte vis-à-vis de l’Église la posture du converti qui a accompli l’essentiel de son cheminement spirituel en-dehors d’elle. Or au cours des années précédentes, son dégoût du présent l’a peu à peu conduit à ériger le Moyen Âge en mythe historique personnel. Il s’est persuadé que le xiiie siècle fut l’âge de la foi pure, « l’époque où nous vécûmes le plus près de Dieu », « où Dieu vécut familièrement, chez lui, dans les âmes17 ». Nostalgique de ce temps fécond en saints et en miracles, il a développé une conception de la mystique visant à rendre Dieu « visible, sensible, presque palpable », et à « nous précipiter au fond de Lui, dans l’abîme silencieux des joies18 ». Du même coup, il voit dans le rationalisme naissant de la Renaissance la revanche du paganisme antique et l’entrée en décadence de l’Église : celle-ci est devenue trop tiède, trop timorée vis-à-vis du merveilleux chrétien, trop ignorante de la véritable mystique pour offrir aux fidèles plus qu’une « religionnette » machinale dépourvue d’ardeur. Aggravée par la Réforme, scellée politiquement par la Révolution française, cette grande débâcle emporte avec elle un xviie siècle pour lequel il montrait déjà peu d’affection. Privilégiant les mystiques “sauvages” nés aux franges ou en marge de l’Église, épris des ordres contemplatifs qu’il croit capables de reconstituer au sein de leur clôture des îlots protégés de Moyen Âge, il montre une extrême sévérité envers le clergé séculier et l’épiscopat qu’il juge compromis avec le siècle (« À bas le clergé ! Vive les Moines ! », déclare-t-il d’une façon peu diplomatique au Gil Blas le 11 janvier 1893 en présentant au public son futur roman En route19) et envers la théologie, « cette théologie, écrira-t-il plus tard, qui met Dieu dans des petites boîtes avec défense d’en sortir, qui est la science de l’orgueil humain20 ». De surcroît, les préventions de ce singulier catholique contre la hiérarchie ecclésiastique et contre Rome ont germé dans un esprit individualiste,
voire libertaire, rétif aux institutions, qu’il tient pour des systèmes d’autorité tyranniques et stérilisants. Ce que le critique d’art n’a cessé de penser des jurys et du Salon officiel de peinture, qu’il proposait tout bonnement de faire disparaître21, se perpétue dans sa perception de l’autorité épiscopale, à ses yeux bornée et illégitime, et fait de lui sur bien des points une sorte d’anticlérical de l’intérieur. Ces convictions, il les a pour l’essentiel puisées à une source peu orthodoxe, il ne l’ignorait pas. Mais que l’ex-abbé Boullan ait été condamné par la justice civile et déchu par Rome, qu’il ait pratiqué des rituels magiques interdits par l’Église l’a renforcé dans l’idée qu’il avait découvert un grand mystique persécuté par le cardinal-archevêque de Paris et qu’il était nécessaire, comme il l’a fait dans Là-bas22, de diffuser ses thèses. Si l’on ajoute que Huysmans, grand amateur de polémique, juge « écœurant » le « juste milieu […] en tout23 » et se porte systématiquement vers les extrêmes, on conviendra que les obstacles le séparant de l’œuvre de Bossuet paraissent insurmontables.
Sans revenir sur les questions de la langue et du style qui exigeraient des microanalyses longues et méthodiques24, on tentera seulement de montrer comment il analyse le rôle joué par Bossuet dans la querelle du quiétisme et de confronter sa lecture providentialiste de l’Histoire à celle de l’auteur du Discours sur l’histoire universelle, puisqu’un article de 1897 s’est aventuré sur ce terrain.
L’affaire du quiétisme
Dans En route, le premier de ses romans catholiques paru en 1895, Huysmans parcourt, dans l’esprit qu’on vient de rappeler, l’histoire de la mystique et croise sur sa route l’affaire du quiétisme qui a mis aux prises à la fin du xviie siècle Mme Guyon, Fénelon et Bossuet. Pour l’introduire, un prétexte lui suffit. Durtal, l’alter ego du romancier, achève une retraite d’une semaine à la Trappe et cherche un peu de lecture pieuse dans la bibliothèque du monastère. Partant de L’Introduction à la vie dévote, de saint François de Sales, qu’il accuse de « poisser l’âme avec ses dragées aux liqueurs et ses fondants25 », il se remémore dans une sorte de discours intérieur les termes de la controverse. Mais c’est pour engager une discussion qui, de proche en proche, va le mener fort loin de son point de départ. Il procède en effet en plusieurs temps26.
Sa réflexion s’ouvre par un parallèle présentant de façon schématique les débats théologiques qui parcouraient le clergé sous le règne de Louis XIV :
Il y avait eu alors dans l’Église deux courants :
Celui du mysticisme dit exalté, originaire de sainte Térèse [sic], de saint Jean de la Croix et ce courant s’était concentré sur Marie Guyon.
Et un autre, celui du mysticisme dit tempéré, dont les adeptes furent saint François de Sales27 et son amie, la célèbre baronne de Chantal.
En fait, l’équilibre et la neutralité de cette introduction ne sont qu’apparents. Un lecteur familier d’À rebours retrouve ici l’apologiste des mystiques espagnols et le détracteur de François de Sales. Dans le paragraphe suivant, ce même lecteur reconnaît l’argumentaire développé en 1891 dans le premier chapitre de Là-bas, où le Christ primitif de Grünewald sert de repoussoir au Jésus sulpicien et prouve la déchéance de la mystique :
Ce fut naturellement ce dernier courant qui triompha. Jésus se mettant à la portée des salons, descendant au niveau des femmes du monde, Jésus modéré, convenable, ne maniant l’âme de sa créature que juste assez pour la douer d’un
attrait de plus, ce Jésus élégant fit fureur ; mais Mme Guyon, qui dérivait surtout de sainte Térèse, qui enseignait la théorie mystique de l’amour et le commerce familier avec le ciel, souleva la réprobation de tout un clergé qui abominait la mystique sans la comprendre ; elle exaspéra le terrible Bossuet qui l’accusa de l’hérésie à la mode, de molinisme et de quiétisme. Elle réfuta, sans trop de peine, ce grief, la malheureuse, mais il ne l’en persécuta pas moins ; il s’acharna sur elle, la fit incarcérer à Vincennes, se révéla tenace et hargneux, atroce.
Pour nourrir son analyse, Huysmans a-t-il lu l’Histoire de Fénelon du cardinal de Bausset qui souligne fortement l’ignorance de Bossuet en matière de textes mystiques28 ? Se rappelle-t-il le chapitre xlvi du Désespéré où Bloy a formulé la même thèse dans des termes voisins29 ? Nous l’ignorons. Mais l’important est d’observer qu’en élargissant ensuite sa narration aux relations entre Bossuet et Fénelon, il ne se fait nullement, comme on pourrait le croire au vu de sa conception fusionnelle de la mystique et de sa répugnance vis-à-vis de la théologie, l’avocat de l’archevêque de Cambrai contre l’odieux Bossuet :
Fénelon, qui avait essayé de concilier ces deux tendances, en apprêtant une petite Mystique, ni trop chaude, ni trop froide, un peu moins tiède que celle de saint François de Sales et surtout beaucoup moins ardente que celle de sainte Térèse, finit à son tour par déplaire au cormoran de Meaux et, bien qu’il eût lâché et renié Mme Guyon dont il était, depuis de longues années, l’ami, il fut poursuivi, traqué par Bossuet, condamné à Rome, envoyé en exil à Cambrai.
Cormoran, donc, c’est-à-dire selon l’étymologie couramment admise un « corbeau de mer », volatile au bec puissant réputé pour l’avidité qui le fait se nourrir de cadavres30. Huysmans se figure donc les relations au sein
de l’épiscopat louis-quatorzien comme un combat de rapaces, Bossuet faisant figure de prédateur en chef. Il n’importe pas ici de discuter la véracité de cette vision qui simplifie outrageusement la complexité des faits historiques (peut-on affirmer par exemple que Fénelon a « renié » son amie ?). Mieux vaut noter que si Huysmans étrille Bossuet, ce n’est nullement pour louer, selon une longue tradition, l’esprit d’obéissance montré par Fénelon après sa condamnation par le Vatican. Au contraire, il lui dénie le statut de victime en sautant d’un bond du terrain de la théologie à celui de l’histoire et de la sociologie de la religion :
Et, ici, Durtal ne pouvait s’empêcher de sourire, car il se remémorait les plaintes navrées de ses partisans, pleurant cette disgrâce, représentant ainsi qu’un martyr cet archevêque dont la punition consistait à cesser son rôle de courtisan à Versailles pour aller enfin administrer son diocèse qui ne paraissait pas l’avoir préoccupé jusqu’alors.
Ce Job mitré qui restait, dans son malheur, archevêque et duc de Cambrai et prince du Saint-Empire et riche, se désolant parce qu’il est obligé de visiter ses ouailles, dénote bien l’état de l’épiscopat sous le règne redondant du grand roi. C’était un sacerdoce de financiers et de valets31.
Fénelon, on le voit, sert de prête-nom à la dénonciation des prélats de l’Ancien Régime pour cette raison qu’il permet à Huysmans de vilipender, dans un nouveau ricochet de la polémique, ses homologues de la fin du xixe, d’une indignité bien pire. Car le haut clergé du xviie siècle, poursuit-il,
avait encore une certaine allure, il avait du talent, dans tous les cas ; tandis que, maintenant, les évêques ne sont, pour la plupart, ni moins intrigants, ni moins serviles ; mais ils n’ont plus ni talent, ni tenue. Pêchés, en partie, dans le vivier des mauvais prêtres [du Boullan dans le texte], ils s’attestent prêts à tout, sortent des âmes de vieux usuriers, de bas maquignons, de gueux, quand on les presse.
C’est triste à dire, mais c’est ainsi, conclut Durtal.
Conclusion provisoire toutefois, puisque Huysmans, dans un nouveau rebond, revient à Mme Guyon. Mais s’il tempère un peu sa sévérité envers elle, c’est pour dresser grâce à son exemple une sorte d’échelle de valeur de la mystique. Le degré zéro y est représenté par les chrétiens qui ne se sont même pas élevés jusqu’à ce « juste milieu » honni où son époque a permis à Mme Guyon de se hisser avec peine :
Quant à Mme Guyon, reprit-il, elle ne fut ni une écrivain originale, ni une sainte ; elle n’était qu’une succédanée mal venue des vrais mystiques ; elle présumait et manquait, à coup sûr, de cette humilité qui a magnifié les sainte Térèse et les sainte Claire ; mais enfin, elle flambait, elle était une emballée de Jésus, elle n’était surtout pas une courtisane pieuse, une bigote mitigée de cour, comme la Maintenon !
Car, ultime extension de la réflexion relevant cette fois de l’histoire culturelle, ce ne sont plus les individus qui sont en cause mais l’époque qui les a produits. Ce dernier paragraphe, où apparaît enfin un Je qui assume la subjectivité du jugement, souligne la désolante unité des productions de l’âge et l’art classiques et les enterre au bénéfice, évidemment, des saints et des artistes du Moyen Âge :
Au reste, quelle époque religieuse que celle-là ! ses saints ont tous quelque chose de sage et de compassé, de verbeux et de froid qui m’en détourne. Saint François de Sales, saint Vincent de Paul, sainte Chantal… non, j’aime mieux saint François d’Assise, saint Bernard, sainte Angèle… La mystique du dix-septième siècle, elle est bien à l’avenant de ses églises emphatiques et mesquines, de sa peinture pompeuse et glacée, de sa poésie solennelle, de sa prose morne !
Au total, quelle image de Bossuet cet exposé en zigzag nous offre-t-il ? Il est clair que Huysmans s’intéresse peu à la querelle du quiétisme en elle-même parce qu’elle est le fait d’une société monarchique et d’un clergé de cour disparus. Même s’il ne la théorise pas, il a une claire
conscience des grandes ruptures historiques qui séparent son temps de celui de Fénelon et de Bossuet. Pourquoi accorder alors à cette affaire deux longues pages qui renvoient les protagonistes dos à dos ? Parce qu’elle sert au polémiste de tremplin pour lancer une triple attaque, en forme de plaidoyer pro domo, contre l’ignorance et la servilité du clergé du xixe siècle, contre la résistance opposée par l’Église au renouveau mystique qu’il promeut lui-même dans En route, enfin contre les survivances esthétiques de la culture classique qu’une large partie du clergé oppose à son naturalisme spiritualiste. Bref, qu’il soit allégué comme théologien, comme politique ou comme écrivain, Bossuet paraît instrumentalisé dans une dispute qui n’est pas la sienne.
Le providentialisme
Deux ans plus tard, le nom de Bossuet reparaît chez Huysmans à propos de la lecture providentielle de l’Histoire humaine au détour d’une lettre datée du 15 février 1897. La vénérable revue catholique Le Correspondant32 vient de publier en bonnes feuilles le premier chapitre de La Cathédrale, roman qui paraîtra en librairie un an plus tard. Dans une page de ce chapitre, Huysmans explique que la Providence a programmé les apparitions de la Vierge à La Salette et à Lourdes, et confié à deux écrivains à gros tirages, Henri Lasserre puis Émile Zola, la mission de faire la « réclame » du sanctuaire pyrénéen pour y mener les foules. Peu après, il résume pour son confesseur, l’abbé Ferret, les commentaires provoqués par cette thèse originale dans la presse. Du côté républicain libre-penseur, lui écrit-il, elle a « suscité des fureurs » : « On appelle cela de la démence catholique, et le Journal des Débats a, dans un article
gouailleur, déclaré que, depuis Bossuet, on n’avait pas soutenu avec plus d’aplomb la théorie providentielle. » De fait, on lisait ceci trois jours plus tôt dans le Journal des débats :
Le Discours sur l’histoire universelle ne nous montre point avec plus de rigueur la volonté divine réglant d’avance, dans sa sagesse, la marche des événements. Si quelques rudesses ne révélaient parfois l’auteur d’En ménage et des Sœurs Vatard, le style même de M. Huysmans ferait penser à Bossuet33.
En écartant une nouvelle fois l’étude du style, nous nous demanderons s’il existe, comme ce journal le laisse entendre, une filiation ou, à défaut, des similitudes entre la philosophie providentialiste de Bossuet et celle de Huysmans.
La première question à poser est de savoir vers quelle date une pensée de cette sorte est apparue chez Huysmans. Durant longtemps, Huysmans a désigné l’arbitraire des événements de la vie humaine, auxquels son caractère grincheux le rendait hypersensible, par une image triviale. On trouve cette image dans En ménage en 1882 : « Lorsque nous ne recevons pas de tuiles sur la tête, nous sommes pleins de joie, et c’est miracle pourtant quand avec un idéal aussi court il ne nous tombe pas sur la caboche de formidables gnons34 ! » Elle reparaît en 1884 avec À rebours, qui vous invite à « vous estimer […] heureux si, à des moments inopinés, il ne vous dégringolait pas sur la tête de formidables tuiles35 ». À cette date en effet, le Vouloir-Vivre de Schopenhauer suffit à Huysmans, parce qu’« il n’exaltait pas les bienfaits d’une Providence qui a inventé cette abomination, inutile, incompréhensible, injuste, inepte, la souffrance physique ».
Les choses changent à partir de l’automne 1884 avec la rencontre de Léon Bloy. Lentement semble-t-il. Léon Bloy, qui tenait sa croyance en un ordre providentiel de Joseph de Maistre36, lui montre ce système de pensée en actes, si l’on peut dire. Fort éloigné de l’Église à cette époque,
Huysmans commence par s’en moquer, mais il n’en mesure pas moins le bénéfice intellectuel qu’en tire son ami. Le 30 août 1886, il évoque Bloy en recourant à une image difficilement imputable, convenons-en, à Bossuet :
Quelle singulière organisation de cervelle cet homme [Léon Bloy] possède, avec sa manie du surnaturel et cet enragement de mettre du mystérieux partout où il n’y en a pas.
Enfin, ça vaut mieux ainsi, il compte sur la Providence – ça lui fourre un pal dans le cul ! – Il est vrai qu’il doit l’avoir bigrement défoncé son cul à la suite de tous les pals religieux qu’il s’y introduit, depuis des ans37 !
À cette date, Huysmans travaille dans une grande proximité intellectuelle avec Bloy qui prépare Le Désespéré. Il a lu le chapitre xxxiv, où Marchenoir affirme que « le mot Hasard était un intolérable blasphème » avant de définir son projet intellectuel en ces termes :
Dégager de l’histoire universelle un ensemble symbolique, c’est-à-dire prouver que l’histoire signifie quelque chose, qu’elle a son architecture et qu’elle se développe avec docilité sur les antérieures données d’un plan infaillible38.
Huysmans tarde cependant à tirer les leçons de ce principe. Il faut attendre Là-bas, le roman de la conversion intellectuelle publié en 1891, pour qu’il récuse explicitement le hasard. « Il [est] vraiment trop facile […] de mettre sur le compte du hasard qui est, lui-même, d’ailleurs indéchiffrable, les événements imprévus, les déveines et les chances. » Dès lors, Huysmans devient à même de s’accorder sur ce point avec la pensée de Bossuet, qui intervient après coup pour légitimer ou conforter un processus largement engagé.
Mais quel Bossuet ? Une lettre, hélas tardive, adressée le 2 juin 1900 à la romancière Mathilde Aigueperse, nous donne quelques indications sur ce qu’il connaît de son œuvre. Après une de ses sorties habituelles contre « la langue sulpicienne », il houspille les prêtres ignares qui critiquent la sienne au nom de la pureté classique avant de poursuivre :
remarquez bien que si l’on vous vante Bossuet, c’est justement dans ses livres emphatiques et ternes et pas du tout dans ce qu’il écrivit de vraiment bien comme les Élévations sur les mystères ou certains sermons.
Parmi les livres « emphatiques et ternes » de Bossuet, Huysmans range-t-il le Discours sur l’histoire universelle ? C’est possible, mais il ne le cite jamais. L’aurait-il fait qu’il aurait vraisemblablement rejeté la conception de la Providence qui y prédomine :
Nouveau et admirable dessein de la divine Providence ! Dieu avait introduit l’homme dans le monde, où de quelque côté qu’il tournât les yeux, la sagesse du Créateur reluisait dans la grandeur, dans la richesse et dans la disposition d’un si bel ouvrage39.
Jamais Huysmans, qui a fait de la hideur physique ou morale une pièce maîtresse de son esthétique, ne conviendra que le monde soit un « bel ouvrage ». S’est-il plutôt tourné vers des textes qu’il juge « vraiment bien » ? À vrai dire, on voit mal ce qu’il pouvait retenir des Élévations sur les mystères sur cette question précise. Restent donc les Sermons, et en particulier le Sermon sur la Providence du Carême du Louvre. S’adressant aux libertins, Bossuet y développe une conception de l’Histoire qui tire paradoxalement argument, pour montrer que celle-ci se conforme à un plan divin, non de l’ordre du monde mais au contraire du chaos où le monde apparaît plongé :
[…] quelque étrange confusion, quelque désordre même ou quelque injustice qui paraisse dans les affaires humaines, quoique tout y semble emporté par l’aveugle rapidité de la fortune, mettons bien avant dans notre esprit que tout s’y conduit par ordre, que tout s’y gouverne par maximes, et qu’un conseil éternel et immuable se cache parmi tous ces événements que le temps semble déployer avec une si étrange incertitude. […]
Peut-être que vous trouverez que ce qui semble confusion est un art caché ; et si vous savez rencontrer le point par où il faut regarder les choses, toutes les inégalités se rectifieront, et vous ne verrez que sagesse où vous n’imaginiez que désordre40.
De telles phrases étaient susceptibles de parler à Huysmans. De fait, son apologétique, nourrie d’un pessimisme foncier insoluble dans la
conversion, ne repose nullement sur le constat de l’ordre et la beauté du monde mais sur l’évidence de sa laideur et de son non-sens.
Voilà donc un Huysmans providentialiste. Le dira-t-on bossuétiste pour autant comme se plaît à la croire le Journal des débats ? Il faut en douter pour plusieurs raisons. Une raison psychologique d’abord. Il manque à Huysmans la vue panoptique de l’Histoire humaine qui est essentielle chez Bossuet. Huysmans n’écrit pas pour un prince et se soucie fort peu de l’élévation ou de la ruine des empires. Il se préoccupe moins de « rencontrer le point par où il faut regarder les choses » que de trouver celui par où il doit se regarder. Étréci, exigu, son providentialisme s’applique d’abord aux menues coïncidences de sa vie ou de sa santé dont il s’efforce de découvrir le sens. Il lui sert à déposer le fardeau de sa liberté personnelle bien plus qu’à déchiffrer le plan divin censé ordonner ce que Bossuet nomme la « carte universelle41 » du monde. Seconde raison : pour Huysmans, on l’a dit, la religion chrétienne a connu son âge d’or spirituel et esthétique au xiiie siècle ; depuis lors, elle a été frappée de décadence sous le triple assaut de la Renaissance, de la Réforme et de la Révolution. Ce déclinisme historique semble étranger à la pensée de Bossuet pour qui une monarchie héréditaire adossée à l’Église, fût-elle soumise à des menaces et des revers temporaires, répond au plan divin et constitue d’une certaine façon la finalité et la fin de l’histoire terrestre. Surtout, le providentialisme huysmansien se différencie de celui de Bossuet du fait qu’il est dévié par les théories conspirationnistes en faveur à la fin du xixe siècle au point de constituer ce qu’on pourrait appeler un providentialisme noir. Il faut remonter pour s’en convaincre à la seconde lettre adressée par Huysmans à l’ex-abbé Boullan le 7 février 1891 à propos de Là-bas, le roman qu’il met alors en chantier :
Je veux […] démontrer […] que le diable existe, que le diable règne, que sa puissance du moyen-âge n’est pas éteinte, puisqu’il est aujourd’hui le maître absolu, l’Omniarque.
Comment expliquer sans lui tout ce qui se passe ?
Pour asseoir cette conviction, Huysmans s’assignera pour but de dévoiler le réseau hiérarchisé de complicités malignes qui explique les déboires politiques subis par l’Église de son temps. Il le sait, il le répète, tous les événements le lui prouvent : le diable a ourdi un complot mondial afin
de détruire l’Église du Christ. Dans ce dessein, il manipule les juifs, qui manipulent les protestants, qui font agir en sous-main les francs-maçons qui utilisent en bout de chaîne les libres penseurs42. Et comme Huysmans n’ignore pas que le manichéisme est une hérésie, il lui faut découvrir à quelles fins Dieu a mandaté Satan dans cette entreprise.
Par exemple, les gouvernements Combes et Waldeck-Rousseau ont dissous et dispersé les congrégations religieuses en faisant voter la loi sur les Associations du 1er juillet 1901 – loi qui, accessoirement, a réexpédié vers Paris l’oblat de Ligugé. C’est donc que la Providence l’a voulu. Mais pourquoi aurait-elle désiré la disparition des ordres monastiques ? Seule réponse possible pour qui « cherche le point par où il faut regarder les choses » – et son malheur personnel : les ordres monastiques le méritaient, Dieu les a punis et détruits en raison de l’indignité où ils étaient tombés. Et Huysmans, pour sauver la pièce maîtresse de sa cosmogonie qu’est la Providence, d’expliquer à qui veut l’entendre que les monastères, qu’il avait si passionnément admirés, étaient devenus des « réduits de méchanceté et d’orgueil43 », des repaires de pédérastie, de prostitution et d’affairisme. Il l’écrit à ses intimes : « Au fond, Combes est un agent de la Providence et balaie, en chassant les cloîtres des feuilles mortes44. » Il l’écrit aussi dans son dernier roman, L’Oblat, où les moines discutent entre eux « des desseins providentiels qui tendaient certainement à épurer l’Église, du rôle inconscient que jouaient les énergumènes des deux Chambres, destinés, sans le savoir, à accomplir peut-être une besogne utile45 ».
Qu’en déduire sinon que le providentialisme ne fonctionne plus après la Révolution comme il pouvait le faire auparavant ? Au regard d’un Bossuet, le système théologico-monarchique répondait à la volonté divine et participait de l’ordre universel. Deux cents ans plus tard, pour un catholique vivant sous un régime démocratique et dans un monde en voie de sécularisation, Dieu a perdu sa sérénité et le chrétien sa confiance. Dans une image significative qui révèle son angoisse eschatologique, Huysmans se figure que le sort de la création dépend du résultat incertain de la partie de cartes qu’il a engagée avec le diable : « Comment
cela finira-t-il ?… le Tout Puissant est évidemment beau joueur, mais n’est-ce pas effrayant de voir qu’il a laissé au démon les meilleurs atouts : l’argent et la chair46 ! » Or il n’existe pas de jeu de cartes, Huysmans le sait bien, d’où le hasard soit totalement exclu…
Pour autant, on n’en déduira pas que Huysmans, qui déteste le règne de la « muflerie » bourgeoise sous lequel le hasard l’a fait naître et s’ingénie à s’y soustraire en esprit, souffre de n’avoir pas vécu sous l’épiscopat de Bossuet et le sceptre de Louis XIV. C’est à un âge bien plus ancien qu’il aspire, un âge d’autant plus désirable qu’il le sait inaccessible, et qui a désenchanté pour lui toute l’histoire ultérieure.
Jean-Marie Seillan
Université de Nice-Sophia Antipolis, CTEL
1 Huysmans se borne à noter que la ville de Meaux a soustrait la gloire de Bossuet à la Bourgogne, L’Oblat, dans Œuvres complètes, Paris, G. Crès, 1928-1934, t. XVII, I, p. 139.
2 Les Rêveries d’un croyant grincheux, éd. P. Jourde et A. Guyaux, Bulletin de la Société Huysmans, no 89, 1996, p. 52. La phrase citée est biffée sur le manuscrit.
3 Le “Huysmans intime” de Henry Céard et Jean de Caldain, éd. Pierre Cogny, Paris, Nizet, 1957, p. 107.
4 En ménage [1881], chap. iii, dans Œuvres complètes, éd. citée, t. IV, p. 54.
5 À rebours [1884], chap. iii, dans Œuvres complètes, éd. citée, t. VII, p. 42-44.
6 Lettre de Huysmans à Robert Caze, août 1885, Bibliothèque de l’Arsenal, Ms Lambert 45.
7 Gustave Coquiot, Le vrai Huysmans, Paris, Charles Bosse, 1912, p. 51.
8 Interview, 5 avril 1899, dans J.-K. Huysmans, Interviews, éd. Jean-Marie Seillan, Paris, Champion, 2001, p. 271.
9 Dans L’Université catholique de Lyon, 15 mai 1898.
10 Nous soulignons.
11 Lettre du 1er mars 1902. Copie conservée au Centre de recherche sur la littérature française du xixe siècle, UMR CELLF 16-21 de l’Université Paris-Sorbonne. Nous soulignons.
12 À rebours, chap. iii, éd. citée, p. 42.
13 Ibid., chap. xii, p. 220.
14 Lettre à Victor Segalen, 16 février 1902, citée par Jean Jacquinot, Bulletin de la Société J.-K. Huysmans, no 71, 1980, p. 67.
15 À rebours, éd. citée, p. 220.
16 Interview citée, p. 270.
17 La Cathédrale, dans Œuvres complètes, éd. citée, t. XIV, I, p. 159 et 203.
18 En route, 1re partie, chap. vi, dans Œuvres complètes éd. citée, t. XIII, I, p. 145.
19 Interviews, op. cit., p. 130.
20 Dans Les Rêveries d’un croyant grincheux, op. cit., p. 57.
21 En 1882, Huysmans a conclu L’Art moderne sur ces mots : « selon moi, il est grand temps de mettre fin à ces mascarades que protège l’État ; il est grand temps de supprimer l’assistance honorifique et pécuniaire que nous prêtons, de père en fils, à ces orgies de médiocrité, à ces saturnales de sottise » (dans Œuvres complètes, éd. citée, t. VI, p. 301).
22 Boullan est à la source des accusations les plus violentes. Par exemple : « voyez ce Pape peureux et sceptique, plat et retors, cet épiscopat de simoniaques et de lâches, ce clergé jovial et mou. Voyez combien ils sont ravagés par le Satanisme, et dites, dites, si l’Église peut dégringoler plus bas ! » (Là-bas, chap. xx, dans Œuvres complètes, éd. citée, t. XII, II, p. 199).
23 Interview donnée à L’Écho de Paris le 7 avril 1891 dans le cadre de l’Enquête sur l’évolution littéraire menée par Jules Huret (Interviews, op. cit., p. 107).
24 Elle a été abordée par Stéphane Macé, « Sur quelques lignes de Huysmans, et de l’usage des constructions clivées dans le Carême du Louvre », Bossuet. Le Verbe et l’Histoire (1704-2004), dir. G. Ferreyrolles, Paris, Champion, 2006, p. 305 sq.
25 En route, éd. citée, t. XIII, II, p. 239.
26 Nous citerons ci-dessous En route, IIe partie, chap. vii, éd. citée, t. XIII, II, p. 239 à 242.
27 L’Introduction à la vie dévote paraît en 1608-1609.
28 « Bossuet, […] peu familiarisé avec le style passionné que les ardeurs de l’amour divin inspire souvent aux auteurs mystiques, laissa sans doute percer son étonnement, à la vue de ces transports amoureux et de ce langage exagéré, qu’il traita dans la suite de pieux excès et d’amoureuses extravagances » (Cardinal de Bausset, Histoire de Fénelon, rééd. Paris, Lecoffre, 1850, p. 380).
29 « Miraculeusement édulcoré, l’ascétisme ancien s’assimila tous les sucres et tous les onguents pour se faire pardonner de ne pas être précisément la volupté, et devint, dans une religion de tolérance, cette chose plausible qu’on pourrait nommer le catinisme de la piété. Saint François de Sales apparut, en ce temps-là, pour tout enduire. De la tête aux pieds, l’Église fut collée de son miel, aromatisée de ses séraphiques pommades » (Le Désespéré, éd. Pierre Glaudes, Paris, GF, 2010, p. 238-239).
30 Cette métaphore à sens péjoratif, attestée chez Balzac, joue sur l’étymologie du mot : le corbeau de mer. Dans les lettres de Huysmans à Jean Lorrain, Paul Bourget, Stéphane Mallarmé ou Remy de Gourmont, elle désigne à partir de 1887 les écrivains, journalistes et éditeurs qui dénigrent leurs collègues par arrivisme. Converti, Huysmans la transfère au clergé et met en réserve la formule « Cormoran de bénitier » dans son Carnet vert en 1892 (Bibliothèque de l’Arsenal, Ms Lambert 75, p. 77). Il l’emploie dans Là-bas pour décrire ses confrères (« aucune amitié n’est possible avec des cormorans, toujours à l’affût d’une proie à dépecer », éd. citée, p. 28) comme dans Les Foules de Lourdes les « mercantis du vieux Lourdes » qui « sont, pour la plupart, des cormorans qui se disputent sinon la peau, au moins la bourse des visiteurs » (Œuvres complètes, éd. citée, t. XVIII, p. 248).
31 Dans Le Désespéré, Bloy incrimine aussi le rôle politique de Bossuet : « Après un tas de siècles pleins de liberté et de génie, Bossuet apparaît enfin qui confisque et cadenasse à jamais, pour la gloire de son calife, dans une dépendance ergastulaire du sérail de la monarchie, toutes les forces génitales de l’intellectualité française. Ce fut une opération politique assez analogue aux précédents élagages de Louis XI et de Richelieu. Ce qu’on avait fait pour les vassaux redoutés du Roi Très Chrétien, l’aigle domestiqué du diocèse de Meaux l’accomplit pour la féodalité plus menaçante encore de la pensée » (éd. citée, p. 241-242). Dans Le Sang du pauvre, il présentera Bossuet comme un « évêque de cour et flagorneur mitré d’un potentat concubin » (« Ceux qui paient », Paris, Stock, 1932, p. 105).
32 Numéro du 10 février 1897, p. 458 à 476. Huysmans, qui est alors sous-chef de bureau au ministère de l’Intérieur dans un gouvernement laïciste, mesure le risque qu’il prend en collaborant à une revue catholique. Il écrit à l’abbé Ferret le 1er mars 1897 : « Mon entrée au Correspondant a été fort mal prise au Ministère. Je vais faire le mort, pendant quelque temps » (« J.-K. Huysmans et son confesseur. Correspondance inédite avec l’abbé Ferret », éd. Joseph Daoust, Bulletin des Facultés catholiques de Lille, no 1, janvier 1951). Il est vrai que Le Correspondant lui avait offert « un pont d’or » (25 f. la page) pour s’assurer sa collaboration (lettre à l’abbé Henry Moeller, 2 mars 1897, Bibliothèque de l’Arsenal, Ms Lambert 65).
33 Lui-même est embarrassé par son argumentation providentialiste : « Toutes les suppositions sont permises sur Lourdes et La Salette, sauf celles qui nieraient le surnaturel et la possibilité du miracle – donc, j’étais parfaitement dans mon droit en supposant la réclame voulue du Ciel », explique-t-il le 22 février au même abbé Ferret (Une étape de la vie de Huysmans. Lettres inédites de J.-K. Huysmans à l’abbé Ferret, éd. Élisabeth Bourget-Besnier, Paris, Nizet, 1973, p. 109-110).
34 En ménage, éd. citée, p. 28-29.
35 À rebours, chap. vii, éd. citée, p. 127.
36 Lire Pierre Glaudes, « Léon Bloy et l’héritage maistrien », Joseph de Maistre, Lausanne, L’Âge d’Homme, coll. « Les dossiers H », 2005, p. 776-788.
37 Lettre à Arij Prins, 30 août 1886, Lettres inédites à Arij Prins, éd. Louis Gillet, Genève, Droz, 1977, p. 61.
38 Le Désespéré, chap. xxxiv, éd. citée, p. 186. Le texte a précisé : « De ce point de vue – fort différent de celui de Bossuet, par exemple, qui pensait, au mépris de saint Paul, que tout est éclairci, – l’histoire universelle lui apparaissait comme un texte homogène, extrêmement lié, vertébré, ossaturé, dialectiqué, mais parfaitement enveloppé et qu’il s’agissait de transcrire en une grammaire d’un possible accès » (ibid., p. 184).
39 Discours sur l’histoire universelle, II, chap. xxv, Tours, Mame, 1870, p. 286.
40 Sermon sur la Providence, dans Bossuet, Œuvres, éd. Yvonne Champailler et Bernard Velat, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1961, p. 1061-1062.
41 Formule de Bossuet dans l’Avant-propos du Discours sur l’histoire universelle, éd. citée, p. 3.
42 Sur cette question, voir notre Huysmans, politique et religion, Paris, Éditions Classiques Garnier, 2009, p. 213-262.
43 Lettre à Adolphe Berthet, 3 mai 1903, Bibliothèque de l’Arsenal, Ms Lambert 67.
44 Lettre à Mme Huc, 2 février 1904, Bibliothèque de l’Arsenal, Ms Lambert 24.
45 L’Oblat, éd. citée, t. XVII, II, p. 232.
46 Lettre à Cécile Bruyère, 20 novembre 1900, J.-K. Huysmans et Cécile Bruyère, abbesse de Sainte-Cécile de Solesmes. Correspondance, éd. Philippe Barascud, Paris, Éditions du Sandre, 2009, p. 113.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-8124-6100-2
- EAN: 9782812461002
- ISSN: 2494-5102
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-8124-6100-2.p.0103
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 04-04-2016
- Periodicity: Annual
- Language: French