Alors que j’esquissais le projet de ce livre, la question Pourquoi étudier la littérature ? (Jouve, 2010) hantait le milieu des lettres françaises. À quoi ça sert, la littérature ? En quoi la société aurait-elle besoin d’un exégète ? La critique littéraire avait déjà sonné le glas de la littérature (Maingueneau, 2006), ses fins (Demanze et Viart, 2012), voire sa mise en péril (Todorov, 2007), après lui avoir dit adieu (Marx, 2005). Comme le remarque Jean-Marie Schaeffer (L’Art de l’âge moderne, 2002), un « spleen généralisé » s’était abattu, laissant place à une vive réflexion sur les finalités concrètes de la littérature posant les questions lancinantes du pour quoi – Pourquoi les études littéraires ? (Citton, Lire, interpréter, actualiser, 2007) ; La littérature, pour quoi faire ? (Compagnon, 2007). Prises dans leur ensemble, ces questions témoignent d’une crise palpable quant à la légitimité de la littérature comme du lettré, – voire de leur utilité. Car le paradoxe de la littérature est qu’elle n’a effectivement pas d’utilité pratico-pratique, elle touche en revanche aux dimensions les plus profondes, les plus intimes de l’existence aussi fondamentales que la culture, l’éducation ou la mémoire. Bref, qui nous sommes, qui nous serons et ce que nous transmettrons. Avant de répondre à la question du rôle de la littérature, ou justement peut-être pour l’adresser, il m’a semblé essentiel de revenir la question du comment. Comment écrire le vivant par-delà l’Occident moderne ? Comment renouer des liens entre sensations, éthique et action après la colonisation, les deux guerres mondiales et la violence exponentielle des mondes contemporains jusque dans les sphères les plus intimes ? Comment témoigner des trajectoires de vies indésirables sans les fragiliser davantage ? Comment rendre sensible ?