Établissement du texte
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Recueil général de moralités d’expression française. Tome XIII. La Maladie de Chrétienté, La Vérité cachée et six pièces polémiques du Recueil de Rouen
- Pages : 313 à 316
- Collection : Bibliothèque du théâtre français, n° 94
Établissement du texte
Questions de langue
Les remarques qui suivent s’adressent tant aux non-spécialistes qu’aux spécialistes de linguistique ou de philologie. Toute édition critique de textes anciens fait, obligatoirement, le point sur les faits de langue les plus notables que présente l’objet de l’édition. Les remarques sur la langue du texte ou des textes édités ne constituent, bien entendu, qu’un aspect textuel entre autres, mais quels que soient les autres messages qu’apporte un vieux texte français, il est de par son existence porteur et témoin d’un état de langue antérieur à celui, le nôtre, dont l’appellation « français moderne » dénote (qu’on en soit conscient ou non) une longue et irrépressible évolution. Sans les travaux de linguistique historique, les textes anciens – ou « prémodernes » si on préfère – resteraient illisibles et incohérents pour les lecteurs d’aujourd’hui qui disent ne s’intéresser qu’à la littérature ou qu’à l’histoire. À ces lecteurs non-spécialistes de linguistique historique nous espérons réserver quelques bonnes surprises, et peut-être même en amener quelques-uns d’entre eux, quelques-unes d’entre elles, sinon à prendre goût aux recherches en diachronie, du moins à se découvrir une appréciation neuve ou renouvelée pour l’époustouflante complexité des mécanismes constitutifs de cet organisme grouillant de vitalité qu’est la langue, celle que nous parlons et écrivons et qui est – tout en n’étant pas – la même que celle que nous lisons dans les textes de ce volume. Celui-ci s’efforce donc de s’adresser à un lectorat mixte dont nous imaginons la diversité un peu comme les cercles qui se rejoignent et se superposent partiellement à la manière d’un diagramme de Venn ; en clair, ce volume s’adresse, inclusivement,
314–aux philologues et linguistes à qui les textes du théâtre ancien offrent de la langue parlée une image plus fidèle et plus vivace que ne font les textes proprement littéraires ; aux lecteurs de ce groupe nous devons un texte transcrit avec toute la fidélité possible pour que ne soit pas faussée dès le départ, par l’inexactitude des données, la recherche diachronique en phonologie et morphologie, syntaxe et lexique, voire en sémantique et pragmatique du discours théâtral. Ainsi toute correction et émendation, si petite soit-elle, est signalée et justifiée au besoin dans les Notes critiques et dans le relevé des « Corrections textuelles et leçons rejetées » ;
–aux historiens (littérature, théâtre, institutions, idées, religions), public qui exige avant tout un texte lisible, et fourni de notes explicatives destinées à éclairer, développer et approfondir les idées du texte et les nuances de leur expression (d’où nos commentaires accompagnant les notes critiques) ;
–aux étudiants, et en particulier aux jeunes chercheurs et chercheuses qui nous succéderont en nous dépassant, ainsi qu’aux comédiens amateurs à qui nous devons de faciliter l’accès à ces pièces pleines de verve, aux accents lointains et pourtant familiers ;
–en dernier ou en premier lieu, à ce corps mystique de personnes désuètes ou en voie de désuétude que jadis on appelait « lecteurs cultivés » sans autre étiquetage spécialisant.
Sachant que nous ne pourrons pas satisfaire de façon égale et compréhensive tous les goûts et toutes les compétences, nous espérons obtenir du moins l’indulgence des uns pour les exigences des autres.
Corrections et leçons rejetées
Nous avons respecté scrupuleusement la leçon du manuscrit partout où nous avons pu le faire, tout en corrigeant les erreurs manifestes (et en les signalant de la manière décrite plus haut), selon les conventions actuelles de l’édition critique, nous interdisant de « corriger » inutilement le mètre d’un vers en apparence « défectueux » que lorsqu’une telle correction s’offre spontanément et comme naturellement, conforme aux habitudes de l’auteur en question, pour remédier à un lapsus évident du copiste ou de l’auteur. Toute intervention de ce genre s’entoure naturellement de crochets, selon l’usage.
315Graphies modernes et ponctuation
Les consonnes j et v (i et u dans le manuscrit ou l’imprimé)sont rendues de la façon moderne. La ponctuation est la nôtre. Comme celle-ci détermine ou peut déterminer le cheminement de la pensée lisante (« décodage »), la ponctuation participe de la sémantique et de l’interprétation dont l’éditeur doit assumer – ne pouvant l’éviter – une certaine responsabilité. Or si les points et les deux-points, les virgules et les point-virgule inscrits à l’intérieur des vers doivent servent à articuler avec autant de clarté possible l’expression de la pensée, ils ne doivent pas, ce faisant, empêcher la bonne articulation de l’expression vocale de celle-ci (liaisons, enchaînements vocaliques, prononciation des « e muets » latents…)1.
Accentuation
L’accentuation est conforme à l’usage moderne dans les cas suivants :
1. accent aigu : s’ajoute dans les terminaisons comportant –e final tonique dans des lexèmes pouvant prêter à confusion, que ce soit des substantifs (auctorité, pié[pied]) ou des formes verbales : participes passés (arrivé, touché, joué), futurs (je pourré, je verré), présents et impératifs (vous puissés, taisés, [tu]sçés, pesé-je) ;
2. accent grave : pour faciliter les recherches textuelles informatisées nous avons distingué a (forme verbale) de à (préposition) ; ou (conj., prép [= avec, en le]) de où (pron., adv) ; la (art., pron.) de là (adverbe) ;
3. accent circonflexe : pour différencier l’imparfait du subjonctif du passé simple (prît/prit ; fît/fit) ;
4. le tréma s’ajoute pour marquer la mesure du vers en séparant des combinaisons vocaliques pouvant former diphtongue en ancien et en moyen français (et pouvant par conséquent se scander en une syllabe) là où le compte des syllabes exige un débit dissyllabique. Se rappeler que -ee en ancien et en moyen français est toujours dissyllabique1.
316En passant du français moderne au moyen français, nous transcrivons, par exemple, Eglise et Anerie dans le texte de l’édition des pièces où paraissent, en l’occurrence, les personnages qui portent ces noms, mais Église et Ânerie partout ailleurs, selon les normes des Éditions Classiques Garnier2.
Segmentation
Au niveau des morphèmes, nous n’avons rien changé au texte, que si la lisibilité en dépend et qu’aucun principe important de linguistique historique n’est en jeu. Ainsi nous transcrivons par exemple pourquoy pour ms pour quoy quand il s’agit de l’adverbe interrogatif, mais pour quoy pour le syntagme préposition + pronom. Les composés adjectivaux et adverbiaux du type tresgrand, tresbien nous transcrivons normalement en deux mots, très grand, très bien. D’autres composés rappelleront au lecteur moderne que la segmentation morphologique, vers 1530-1540, tout comme la graphie, est loin d’être standardisée, et que toute normalisation abusive, dans ces conditions, serait arbitraire et anachronique.
1 Je me permets de reprendre ici un certain nombre d’observations que j’ai formulées pour des éditions précédemment parues dans le RGM, considérant que le labeur intellectuel, long et pénible, a sa place dans une économie de recyclage-réutilisation. Les lecteurs désireux d’indications plus amples (mais simples, sur ce qu’il faut savoir du moyen français afin d’aborder aisément la lecture des textes de ce volume), sont invités à se reporter à « “Correction” et lisibilité : Comment lire le français d’une époque où “il n’y a pas d’orthographe, il n’y a que des graphies” », Recueil général des moralités d’expression française, t. 2, p. 154 sqq. ; cf. idem, t. 3, p. 25-32.
2 Ces normes ont guidé mes choix en ce qui concerne la forme et le format de l’édition des textes, aussi bien que pour l’élaboration de l’appareil critique : Notes et commentaires, Glossaire, Index (Index des proverbes et locutions proverbiales, Index des noms). Comme ces derniers ont pu susciter des questions de la part de certains lecteurs des volumes précédents du Recueil général des moralités, il m’a paru utile de signaler qu’en tant qu’éditeurs nous nous laissons guider par les protocoles de cette collection, nous ne les inventons pas.
- Thème CLIL : 3622 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Théâtre
- ISBN : 978-2-406-13200-4
- EAN : 9782406132004
- ISSN : 2261-575X
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-13200-4.p.0313
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 28/06/2023
- Langue : Français