Introduction à la troisième partie
- Publication type: Book chapter
- Book: Récit de soi et construction des identités culturelles. Le cas de la littérature afropéenne
- Pages: 325 to 326
- Collection: Comparative Perspectives, n° 126
Introduction
à la troisième partie
Dans la partie précédente, nous avons analysé les œuvres de notre corpus à travers la notion de créolisation avant tout dans son sens linguistique. Cependant, comme nous l’avons déjà souligné, le processus de créolisation évoqué par Glissant n’est pas seulement un phénomène de langue : il relève aussi, plus globalement, d’une poétique. Daniel Delas le rappelle en ces mots dans « Reconstruire Babel ou la notion de créolisation chez Édouard Glissant » :
La créolisation n’est pas chez lui un concept linguistique dont la fonction serait uniquement d’expliquer la naissance et le développement du créole, mais bien un concept poétique emprunté à la linguistique pour son caractère opératoire et son exemplarité1.
Parmi les résultats multiples du processus de créolisation, on peut souligner le phénomène de l’hybridité générique et textuelle. Les œuvres étudiées font preuve, à des degrés divers, de ce que Glissant nomme un « marronnage créateur » grâce auquel elles réinventent les codes romanesques européens, « ce qui fait que ces littératures ne peuvent plus être estimées des appendices exotiques aux corps littéraires français, anglais ou espagnols ; qu’elles entrent soudain, avec la force d’une tradition qu’elles se sont elles-mêmes forgée, dans la relation des cultures2 ».
Dans cette partie, nous tenterons d’exposer en quoi les œuvres ici envisagées peuvent être considérées comme des romans-monde, au sens où il s’agit de récits dans lesquels s’expose la créolisation au travail (créolisation linguistique mais aussi culturelle, générique…) et qui, en outre, proposent des formes esthétiques originales. Nous distinguons ce terme 326du sens donné par Franco Moretti à l’« œuvre-monde » (opere-mondo) qui désigne des ouvrages monuments, des formes de cathédrales littéraires comme celles formées par La Recherche, Faust, ou encore l’Ulysse de Joyce, et que le chercheur lie à la forme épique3 ; cette acception est proche de celle donnée par Tiphaine Samoyault dans sa thèse4 sur les « romans-mondes », qui analyse la totalisation romanesque notamment à travers ses formes sérielle, encyclopédique et archétypique. Ce terme, formé à partir du concept glissantien de « Tout-Monde », a également été utilisé par Katell Colin dans Le Roman-monded’Édouard Glissant. Totalisation et tautologie ; la chercheuse l’emploie pour désigner une œuvre ayant pour objet la « refondation du monde5 ». Nous l’entendons ici plutôt dans le sens que lui donne Patrick Chamoiseau, comme récit qui dépasse la frontière des genres et contourne la linéarité du récit pour s’offrir comme un aperçu d’une vision personnelle d’un monde en mouvement :
Je dis ce Roman-monde où la Merveille connaît les mythes, les légendes, l’étrange, le fantastique, les voltes imprévisibles ; où l’Incertain déploie des échos et miroirs, des reflets de réel, des vérités roulées au gré des personnages, des niveaux de possibles et des tremblées du vraisemblable ; où la Créolisation estompe le héros dans la nouée des histoires, des races, des langues et des cultures ; où le Sacré s’émeut de tous sacrés connus6…
Dans cette troisième partie, nous analyserons tout d’abord l’hybridité des œuvres étudiées en termes de genre littéraire, puis nous nous intéresserons aux pratiques de l’intertextualité et de l’intermédialité, avant de nous pencher plus avant sur le lien que celles-ci tissent avec le genre musical.
1 Daniel Delas, « Reconstruire Babel ou la notion de créolisation chez Édouard Glissant », Poétiques d’Édouard Glissant, Colloque international de la Sorbonne, 11-13 mars 1998, p. 9. En ligne : http://www.edouardglissant.fr/delas.pdf (consulté le 15/03/2020).
2 Édouard Glissant, Poétique du Tout-Monde, op. cit., p. 85.
3 Franco Moretti, Opere mondo. Saggio sulla forma epica dal’Faust a Cent’anni di solitudine, Torino, Einaudi, 1994.
4 Tiphaine Samoyault, Romans-mondes. Les formes de la totalisation romanesque au xxe siècle, thèse de doctorat sous la direction de Jacques Neefs, soutenue à Paris 8 Vincennes-Saint-Denis le 14 décembre 1996, 3 vol., 1 010 p.
5 Katell Colin, Le Roman-monde d’Édouard Glissant : totalisation et tautologie, Laval, Presses Universitaires de Laval, 2008.
6 Patrick Chamoiseau, Écrire en pays dominé, op. cit., p. 288.
- CLIL theme: 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
- ISBN: 978-2-406-14145-7
- EAN: 9782406141457
- ISSN: 2261-5709
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-14145-7.p.0325
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 02-15-2023
- Language: French