Préface
- Publication type: Book chapter
- Book: Réalisme (1856-1857). Journal dirigé par Edmond Duranty
- Pages: 9 to 32
- Collection: Nineteenth-Century Library, n° 52
Préface
Le 10 juillet 1856 aurait dû paraître le premier numéro d’un journal de quatre pages au texte serré sur trois colonnes, arborant un large titre en lettres capitales qui sonnait comme un ordre de mobilisation : Réalisme. Le périodique sera même enregistré à la Bibliographie de la France le 19 juillet 1856 sous le numéro 6712 :
Réalisme. Jeudi 10 juillet 1856. No 1. Petit in-folio d’une feuille. Impr. de Moquet à Paris. – À Paris, chez M. Assezat1, rue des Fossés Saint-Victor, 18 ; M. Duranty, rue du Bac, 106. Paraît les 10, 20 et 30 de chaque mois.
Ce numéro, qui ne fut pas commercialisé2, était rédigé par les deux collaborateurs dont les noms figuraient sous le titre : Jules Assézat et Edmond Duranty. Âgés respectivement de vingt-quatre et de vingt-trois ans, ils sont totalement inconnus en 1856.
De nombreuses zones d’ombre entourent l’enfance et la jeunesse de Duranty, dont l’acte de naissance en date du jeudi 6 juin 1833 mentionne : « Louis Émile […] né hier à midi, chez sa mère, […] fils de Émilie Duranty […] de père non déclaré3. » Nous ignorons si cette Émilie Duranty a vraiment existé ou si ce n’était qu’un prête-nom, car Duranty est en réalité l’enfant illégitime d’Émilie Lacoste et de Louis-Edmond Anthoine (et non de Prosper Mérimée, comme on l’a longtemps prétendu4), dont il portera le nom jusqu’à sa majorité et qui appartient par sa mère à une famille de vieille noblesse bordelaise. Émilie Lacoste occupe en 1856 une situation honorable dans le monde, et Duranty peut « revendiquer un certain rang social, une certaine éducation et certaines relations qui font de lui un réaliste pas 10encore trop boueux5 ». Dans les années 1845, il étudie à Paris à l’école François Ier (qui deviendra le collège Chaptal), où il a pour condisciple Jules Assézat. L’établissement est dirigé par Prosper Goubaux6, dont les méthodes d’éducation progressistes tournées vers le monde moderne, la science et la technologie, plus que vers les humanités classiques, influenceront de façon durable nos futurs défenseurs du réalisme. On perd ensuite la trace du jeune Duranty jusqu’au moment où il obtient son premier emploi : il est nommé en 1853 commis de troisième classe à l’Administration des Domaines et Forêts de la Couronne avec un traitement de 1800 francs par an7. Bien que peu enthousiaste, il accomplit correctement son travail si l’on en croit les gratifications et augmentations de salaire dont il bénéficie. Il est promu commis de deuxième classe le 1er juillet 1856, puis de première classe début 1857, avec 2600 francs d’appointement. Il démissionnera de cet emploi le 4 juillet 1857.
Après ses heures de travail, Duranty fréquente les brasseries où se réunit la jeunesse intellectuelle et artistique, et rêve de se consacrer à la littérature : la brasserie des Martyrs, où Champfleury le peint sous les traits de Trute, dans « Le Poète Puce8 », personnage qui défend avec vigueur la cause du réalisme dans l’art ; la brasserie Andler surtout, rue Hautefeuille9, le quartier général de Courbet. Il est également introduit, certainement par sa mère10, dans le salon à la mode de « la Muse » Louise Colet, qui fut la maîtresse d’Alfred de Musset et de Gustave Flaubert : c’est là que pendant l’été 1856 il rencontre Champfleury, qui fréquente assidûment ce salon depuis deux ans11.
Quant à Jules Assézat (1832-1876), fils d’un ouvrier typographe, formé à la même école que Duranty, il poursuivra après l’expérience de Réalisme une carrière au Journal des Débats, sera membre de la Société d’Anthropologie, et se spécialisera dans la littérature du xviiie siècle : il éditera une sélection des Contemporaines de Rétif de la Bretonne, puis 11les Œuvres complètes de Diderot12. Pour l’heure, il n’a publié qu’une brochure de quatorze pages, en collaboration avec un certain H. Debuire : Magnétisme et crédulité, ou solution naturelle au problème des tables tournantes (Paris, Garnier frères, 1853), où se manifeste son esprit rationnel.
Rédigé par deux jeunes inconnus, ce numéro aurait-il pu séduire par son contenu ?
Il s’ouvre sans explication ni préambule sur des « Notes sur l’art », texte de Duranty qui déplore l’impuissance de la peinture contemporaine, figée dans l’antique, et plus encore de la sculpture, décrétée « art inférieur ». L’auteur, qui affirme que le beau ne doit être qu’une partie du vrai, souhaiterait mettre le feu au Louvre. Suit une attaque en règle d’Assézat annoncée contre deux livres, Profils et Grimaces d’Auguste Vacquerie et Les Contemplations de Victor Hugo qui viennent de paraître13. Assézat ne traite en fait que du premier recueil dans cet article qui sera repris dans le deuxième numéro de Réalisme. C’est Duranty qui se chargera de montrer la vacuité des Contemplations, dans les numéros 3 et 4 du journal. Nous trouvons à la suite un autre pamphlet de Duranty, intitulé « La multiplication des poètes », qui compare ces derniers à la race nuisible et envahissante des lapins. La conclusion, tout aussi provocante, prononce la peine de mort contre la poésie. Pour finir, quelques lignes satiriques contre Gautier, de nouveau Les Contemplations, Lamartine, Ponsard et Janin.
Le ton était donné dans ce premier numéro, qui contenait quelques idées importantes ne demandant qu’à être reprises et développées. Mais les auteurs ne proposaient pas de réflexion théorique solide, ce dont se rendit compte Duranty, qui décida de ne pas le faire paraître : « Ce numéro ne fut pas mis en vente. Nous convînmes, Assézat et moi, de le supprimer parce que je voulais faire l’autre Réalisme, mes idées s’étant modifiées sur la question14. » Une dizaine d’exemplaires seulement auraient été distribués, principalement à des journaux15. Duranty s’explique sur les raisons de cette décision : « C’est après avoir causé avec Champfl[eury] que j’eus d’autres idées sur ce journal, et que la 12pensée de fixer une doctrine nette me tourmenta. » C’est aussi grâce à ce dernier qu’il fait la connaissance du futur troisième collaborateur de Réalisme : « Champfleury m’ayant introduit dans le cercle de ses amis, j’y trouvai Thulié avec qui je devins vite fort intime, et je lui demandai de se joindre à Assézat et à moi16. »
Henri Thulié, né en 1832 comme Assézat, s’est orienté vers la médecine. Sa seule activité littéraire, du reste, sera sa participation à Réalisme. Disciple du docteur Blanche, interne à Charenton, il se spécialisera dans les problèmes liés à l’aliénation mentale. Il poursuivra parallèlement une carrière politique et siégera au Conseil municipal de Paris de novembre 1871 à mai 1883, conseil qu’il présidera à trois reprises en 1875, 1878 et 1880. Comme Assézat, il appartiendra au groupe de la Pensée nouvelle et à la Société d’Anthropologie. Il présidera le bureau du Grand-Orient en 1885, et l’une de ses grandes batailles sera, sous la Troisième République, la lutte contre le cléricalisme17. Passionné de littérature et voulant défendre la raison en art comme ailleurs, il aura l’importante tâche de rédiger les articles consacrés au roman dans Réalisme.
Il ne manque plus aux trois associés qu’un local, et un petit coup de pouce publicitaire pour lancer leur entreprise. Champfleury va leur venir en aide, comme nous l’apprend Lorédan Larchey, le co-directeur avec Edouard Goepp de la Revue anecdotique des lettres et des arts, née l’année précédente :
Il [Champfleury] vint un soir nous dire : « Trois jeunes gens de mes amis veulent faire un journal ou plutôt une revue littéraire intitulée Réalisme ; une feuille in-4o tous les quinze jours car ils n’ont pas d’argent. L’organe ne tiendra pas beaucoup de place, pourriez-vous lui donner l’hospitalité ? – Vous les connaissez bien ? Qu’ils viennent donc ! Seulement nous n’avons qu’une table. – Ils en apporteront une. » Voilà comment Duranty, Assézat et Thulié nous arrivèrent un jour avec une table. Tous trois étaient jeunes et de tempéraments divers, mais unis par une amitié qui a duré jusqu’à la mort, car un seul survit18.
Les voilà donc installés rue de Seine, dans les locaux de la Revue anecdotique, à côté de la librairie où l’on peut s’abonner.
13Le « coup de pistolet » chargé de lancer la revue19 est un article de Duranty intitulé « Les Jeunes », publié dans le Figaro du 13 novembre 1856, l’avant-veille de la sortie de Réalisme. On y retrouve, appliquées à la littérature, les idées mises en avant dans les « Notes sur l’art » à propos de la peinture et de la sculpture : il faut en finir avec ces écrivains qui se prétendent « jeunes », et qui se contentent de reproduire de toutes les manières possibles la littérature de 1830. Duranty n’abandonne pas sa verve satirique et dresse une liste de différentes catégories d’écrivains : Baudelaire, pour ne citer que lui, appartient à celle des « vampires20 ». Une littérature neuve, fondée sur l’observation et la sincérité, doit venir balayer l’ancienne.
Le nouveau Réalisme peut à présent paraître : il fait ses débuts le 15 novembre 1856, et sera enregistré à la Bibliographie de la France du 22 novembre sous le numéro 10839 : « Réalisme. Paraît le 15 de chaque mois. 15 novembre 1856. 1er numéro. In-4o de deux feuilles. Imprim. de de Soye [sic], à Paris. – À Paris, rue de Seine, 11. » La première phrase de ce numéro est reprise dans le descriptif : « Le réalisme est une protestation raisonnée de la sincérité et du travail contre le charlatanisme et la paresse. » Si les dimensions et la périodicité sont plus modestes, le nouveau Réalisme comporte à présent seize pages par numéro ; le texte s’étale sur deux colonnes.
Dès lors, la formule du journal variera peu : articles théoriques destinés à élaborer la notion de « réalisme » (les deux premiers se chargeant d’établir les bases et de proposer une méthode), réflexions sur les arts et la littérature, études portant sur les genres littéraires, et lettres de lecteurs – généralement fictifs – constituent l’essentiel des six numéros. Réalisme propose aussi des « Nouvelles diverses », « consacrées seulement à des choses saillantes21 » : actualité théâtrale, revue de presse, annonce de publications récentes et mondanités diverses apportent la touche finale d’humour et de provocation. À partir du deuxième numéro, le journal offre aussi des comptes rendus d’ouvrages récemment parus. Le ton adopté, on le voit dès le titre des premiers articles, sera celui du 14pamphlet, de la parodie et de la satire : « Âneries des anti-réalistes », « Pourquoi le théâtre est mort », « Les gazetiers-punaises », « Choix dans les papiers d’un poète »…
Duranty est officiellement « propriétaire » et « gérant » de Réalisme22. Il en est aussi le principal « rédacteur » : sur un total de cinquante-huit articles signés, il en rédigera trente-cinq (60 %), Assézat et Thulié respectivement onze et neuf (19 % et 16 %), trois textes (5 %) étant envoyés par des collaborateurs occasionnels. Si l’on considère la part respective de chacun par rapport à la longueur totale, la même constatation s’impose : plus de la moitié de l’ensemble (57 %) est l’œuvre de Duranty, Assézat fournissant 21 % et Thulié 16 % du total.
Ils ne sont que trois, mais pour donner l’impression d’une vaste communauté se retrouvant sous la bannière du réalisme, ils imaginent une liste de collaborateurs dont les noms figurent à la fin du premier numéro : la nouvelle doctrine a ses adeptes dans toutes les régions de France, mais aussi hors des frontières, en Belgique, en Suisse, en Allemagne et jusqu’en Amérique. Le procédé peut paraître un peu gros, et pourtant nombreux sont ceux qui ont cru à une cohorte de correspondants fermement engagés dans la cause de la vérité et de la sincérité. Il faut dire que Duranty poussa le subterfuge jusqu’à varier son style en fonction des différents pseudonymes qu’il prenait, rendant même certains textes obscurs, ou passablement maladroits lorsqu’il s’agissait de prétendues traductions23 !
Il y a cependant un grand absent : Champfleury, dont la participation semblait pourtant aller de soi. Duranty avoue que celui qui est considéré à l’époque comme le maître du réalisme en littérature n’a pas été consulté au début du projet : « J’ai alors fondé, sans lui en parler, le journal Réalisme, pour exposer une manière de voir qui me semble très féconde24. » Champfleury restera en dehors, ne fournissant en tout et pour tout que quelques lignes servant à introduire la Chanson de la 15soupe au fromage25. Il semblait cependant tellement évident qu’il fût le principal instigateur de ce journal qu’il dut à plusieurs reprises s’en défendre, comme en témoigne cette lettre à Max Buchon :
À quelques mots lancés par Duranty dans le Réalisme, un peu taquin et agressif, Murger avait cru (et bien d’autres) qu’il y avait un mot d’ordre de ma part. Je n’ai pourtant jamais donné à ce journal que votre chanson26.
Ou celle-ci, adressée à Assézat :
Vous vous rappelez […] les volées de bois vert que distribuait votre journal le Réalisme et les ruades que j’en recevais de toute part, quoique étranger à votre publication27 !
À la fin de l’année 1856, Champfleury, occupé à la rédaction de sa Gazette, songe peu à ses confrères : il ne consacrera, dans son propre journal, que six lignes à Réalisme28.
En l’absence du principal instigateur du mouvement, et alors que le combat pour le réalisme est engagé depuis la fin des années 1840, que pouvait-on attendre de nouveau d’un journal rédigé par trois débutants qui n’avaient encore fourni aucune œuvre ?
Nous ne reprendrons pas ici l’histoire détaillée de la « bataille réaliste29 », qui a fait l’objet de nombreux ouvrages30. Si le mot « réalisme » apparaît pour la première fois en France en 1826 dans un éditorial anonyme du Mercure de France31, et si l’on s’interroge déjà sur cette notion dans les années 1840, il faut attendre Courbet pour que se manifeste un réalisme militant, comme le rappelle Pierre Martino : « Ce sont 16les expositions successives de Courbet qui marquèrent les premières étapes de la doctrine réaliste32. » En 1849, le peintre expose plusieurs tableaux parmi lesquels L’Après-Dînée à Ornans : on s’indigne parfois de cette irruption des gens ordinaires dans l’art, mais c’est un premier succès pour le peintre qui obtient une médaille d’or : le tableau, acheté par l’État, est envoyé au musée des Beaux-Arts de Lille. Au salon de 1851, trois œuvres vont soulever la polémique à propos du réalisme : Les Paysans de Flagey revenant de la foire, Les Casseurs de pierres, et surtout Un Enterrement à Ornans, dont la banalité du sujet contrastait de façon inconvenante avec les dimensions impressionnantes du tableau. L’année suivante, la peinture intitulée Les Demoiselles de village, dans laquelle Courbet a représenté ses propres sœurs, sera caricaturée sous le nom de « Péronnelles de village » et Courbet sous celui de « Réalista » dans la comédie de Banville et Boyer, Le Feuilleton d’Aristophane33. Le scandale éclate en 1853 avec Les Baigneuses, tableau que Napoléon III aurait frappé de sa cravache, aux dires de Courbet lui-même34, et lorsque L’Atelier du peintre est refusé à l’Exposition Universelle de 1855, Courbet ouvre sa propre « exhibition » avenue Montaigne. Il rédige un prospectus pour présenter son œuvre, introduit par un texte d’une page intitulé « Le Réalisme » et que l’on prendra l’habitude de nommer « Le manifeste réaliste35 ». C’est le point culminant de la bataille en peinture. Comme l’écrit P. Martino, « On peut clore avec l’année 1855 la campagne proprement dite de Courbet : ses toiles devinrent moins tapageuses36 ». À la littérature de prendre alors le relais.
Les tentatives d’engager une réflexion sur le concept de « réalisme » en littérature ne manquent pas dans les années 1850, et le journal Réalisme rendra hommage à ceux qui, comme Champfleury et Buchon, ont esquissé une approche plus systématique de la question. Mais ces 17écrits constituent davantage un état des lieux, ou offrent des études ponctuelles, plutôt qu’une véritable synthèse, ce que ne manque pas de souligner Duranty. S’agissant de la brochure que publie Max Buchon37, il évoque une introduction trouble et un « défaut de résultat définitif38 ». Les articles et études de Champfleury qui seront réunis dans Le Réalisme (Paris, Michel Lévy, 1857), comme sa longue analyse de l’œuvre de Challe ou sa lettre à George Sand en faveur de Courbet39, ne constituent pas non plus une vue d’ensemble, encore moins une volonté de fonder une école. Quant à sa Gazette, dont l’existence se justifie par « le besoin d’exprimer certaines idées critiques40 », et qui aurait pu être le lieu d’une mise au point théorique, elle ne propose pas de réflexion spécifique sur le sujet. On connaît par ailleurs les réticences de Champfleury à employer le terme même de « réalisme » :
Quant au réalisme, je regarde le mot comme une des meilleures plaisanteries de l’époque. Courbet seul s’en est servi avec la robuste foi qu’il possède heureusement, et qui ne lui permet pas de douter. Ma sincérité m’a fait longtemps lutter avant de me servir du mot, car je n’y crois pas. Le réalisme est aussi vieux que le monde, et de tout temps, il y a eu des réalistes ; mais les critiques, en employant perpétuellement ce mot, nous ont fait une obligation de nous en servir. D’ailleurs, le public veut se représenter une génération qui lutte41.
L’œuvre romanesque de l’auteur enfin, avec son penchant pour la fantaisie et les caractères excentriques42, est loin de s’accorder toujours avec les principes théoriques, et l’on pourrait même dire avec Troubat que le « réalisme de Champfleury confina toujours au romantisme43 ».
La singularité du journal Réalisme – et la nécessité de son existence – semble ainsi beaucoup plus évidente lorsque l’on compare cette publication 18à toutes les autres sur le sujet : c’est le premier écrit se fixant pour objectif de définir de façon cohérente et exhaustive la doctrine artistique et littéraire du réalisme. Pour que le public puisse se représenter une « génération qui lutte », selon l’expression de Champfleury, il fallait un véritable combattant, capable d’exposer sa foi avec enthousiasme et virulence : ce sera Duranty, le « premier soldat du réalisme44 » et le maître à penser du journal.
Comme tout nouveau courant, celui-ci se définit d’abord de façon négative : c’est en détruisant systématiquement ce qui l’a précédé qu’il va se construire. Il attaque la conception classique de l’art, sa croyance en un Beau idéal et son adoration de l’antique. Il ne saurait y avoir de critères artistiques, établis une fois pour toutes, que l’on enseignerait de génération en génération : pour Duranty, du reste, le Beau n’est pas la valeur suprême, il n’est qu’une partie du Vrai. Du xviie siècle, il rejette violemment la préciosité et le maniérisme, les mignardises de Voiture et de l’hôtel de Rambouillet qui se prolongent jusqu’à l’époque contemporaine. Les rédacteurs de Réalisme engagent une lutte de tous les instants contre l’ampoulé, l’exagéré, le clinquant, le faux, toutes ces déformations de la réalité qui caractérisent aussi bien la littérature de salon qu’une grande partie de la peinture, notamment celle du xviiie siècle. Nés au début des années 1830, les trois collaborateurs ont surtout une bête noire : le romantisme de leurs pères. S’ils reconnaissent qu’il y avait bien à l’époque nécessité de faire table rase des conceptions classiques et que l’intention était bonne, ils n’acceptent pas que le romantisme se soit figé dans un art de convention, qu’il ait perdu sa jeunesse et son pouvoir novateur. Il n’a pu, d’après eux, échapper à deux défauts également condamnables : d’une part une tendance à réemployer constamment un vocabulaire, des images et des thèmes convenus, d’autre part un attrait pour le « baroque », c’est-à-dire à l’époque le bizarre, le fantastique ou le « frénétique », comme disait Nodier. Le romantisme est globalement mort de ces deux défauts, il ne survit plus que dans le souvenir du maître dont l’exil a fait un mythe et un martyr : Victor Hugo, que Duranty s’efforce de faire tomber de son rocher dans sa longue étude des Contemplations45. Et parce qu’il réalise le tour de force de réunir à lui seul tout ce qu’ils détestent, un genre littéraire attise en permanence leur haine : la poésie.
19Voilà pour les rejets. Quant aux bases de la doctrine réaliste, il faut aller les chercher dans une exigence morale, qui est inscrite dès la première phrase : remplacer la paresse et le charlatanisme par le travail et la sincérité. Champfleury faisait déjà l’éloge du travail en 1850 dans ses « Conseils à un jeune écrivain46 », qu’il dédia a posteriori « à Duranty47 » :
Si l’amour du jeu, du vin, des femmes, l’emporte sur l’art, jette ta plume. [§] Si ta main est inoccupée, que ton esprit travaille. [§] Si tu dors, que ton cerveau travaille encore. […] Refuse toute partie de plaisir aujourd’hui si elle doit empiéter sur cinq minutes de demain48.
L’incipit de Réalisme tourne autour d’une notion qui définit le « premier réalisme » même : celle de sincérité49. Ce mot et ceux qui lui sont apparentés sont si fréquents sous la plume des différents collaborateurs – on relève une cinquantaine d’occurrences de l’adjectif, de l’adverbe ou du substantif dans Réalisme – qu’il serait vain d’accumuler les citations. Il n’est pas inutile, en revanche, de tenter de préciser ce qu’ils entendent par là : leur conception d’un art moral, s’appuyant sur le « travail » et la « sincérité », révèle un optimisme certain, voire un certain idéalisme, terme qu’ils ne cessent pourtant de rejeter…
Deux phrases de Champfleury sont citées par Duranty, et accompagnées de commentaires on ne peut plus clairs :
« Ce que je vois, dit-il, entre dans ma tête, descend dans ma plume, et devient ce que j’ai vu ». Voilà le réalisme. « Je cherche avant tout à rendre sincèrement mes impressions dans la langue la plus simple. » Ceci est net50.
« Voilà le réalisme […] Ceci est net »… Très net, en effet. La concision et la simplicité des phrases citées, comme celles des remarques de Duranty, 20témoignent d’une confiance absolue dans les vertus de l’observation et les pouvoirs du langage : on pourrait croire qu’il suffit de savoir regarder, d’avoir le désir d’exprimer sincèrement ce que l’on a vu, pour que les mots arrivent aisément. Entre deux ensembles isomorphes, celui du monde réel et celui des mots, l’écrivain établit une fonction bijective : un référent possède un signe unique, un mot ne doit désigner qu’une chose. Les tautologies qui s’inscrivent souvent dans le texte de Réalisme en témoignent : « Je suppose que le lecteur a été habitué comme moi à penser que ce qui est vrai est vrai, que ce qui est exact est exact51. » Il n’y a qu’une façon d’être exact, qu’un mot pour le dire… et tout le reste est poésie.
L’écriture réaliste doit reposer avant tout sur cette confiance dans le pouvoir des mots52. L’adéquation du signe et de son référent étant posée en principe, à l’artiste de traduire simplement la transparence des choses dans la transparence du langage. Plus idéalistes en cela que les poètes qui se méfient de l’insuffisance – ou de l’insignifiance – du mot, et qui luttent contre l’arbitraire du signe pour le remotiver, obsession qui hantera bientôt Mallarmé, les réalistes croient en l’existence du mot parfait, le travail de l’écrivain consistant précisément à le découvrir :
À quoi bon employer dix mots quand trois suffisent, rechercher les termes bizarres, inusités, et négliger le mot propre ? […] Il y a des mots exacts qu’on ne peut éviter, mais que tous ne savent pas trouver ; ceux qui les trouvent sont les meilleurs écrivains53.
Certes, les mots ne jouent pas toujours le jeu, et s’abandonnent parfois au changement de sens : « Il y a vraiment une lâcheté des mots qui fait qu’ils peuvent se prêter à dire autre chose que ce qu’ils veulent dire54. » 21Mais le mal vient de celui qui les détourne, non des mots eux-mêmes : « Je n’ai jamais vu mettre les brodequins de la torture aux mots, comme on le fait à présent, pour leur faire dire ce qu’ils ne veulent pas dire55. » L’auteur honnête doit retrouver leur valeur originelle, leur sens premier, et ne pas céder à la facilité de leur faire « dire autre chose ».
Le principe d’équivalence entre le mot et la chose s’applique de façon plus générale à l’ensemble du discours. La description littéraire reproduit fidèlement ce qui est décrit, et les dialogues les conversations de la vie de tous les jours :
M. Champfleury ne se sert pas de grands mots, de longues tirades pour faire comprendre une situation et les sentiments qui en naissent ; pas d’analyse morale, pas de recherches psychologiques : son procédé est plus simple, il se contente de raconter la scène telle qu’elle s’est passée, sans commentaires ; le lecteur se met à la place du héros et sait bien ce que ce dernier pense56.
Inutile d’insister sur la naïveté d’une telle remarque, la critique du xxe siècle ayant abondamment montré à quelles difficultés se heurtait l’écriture réaliste57. À l’époque de Duranty, on voyait là surtout un défaut de créativité : on ironisait sur le manque d’imagination des réalistes, leur absence de spiritualité, voire d’esprit et d’intelligence, comme le déplorait le principal intéressé58.
La confiance accordée au langage permet cette foi en un art qui peut retranscrire le monde, elle est le premier principe de l’esthétique réaliste et fournit une définition claire : « aussi le réalisme est-il la plus juste compréhension de ce qui est qu’on exprime par la plus juste description59. »
L’explication des moyens permettant d’atteindre ce but n’est pas esquivée : Réalisme contient un ensemble d’articles techniques, qui s’intéressent à la façon de faire passer la sincérité dans les arts60, qu’il convient d’abord de hiérarchiser : « le roman, le théâtre, la peinture […] sont les 22trois grands moyens d’action des observateurs61. » Le roman occupe la première place, et la série d’articles que lui consacre Thulié aborde des points essentiels : comment être juste dans la description, comment construire les portraits, les dialogues, quels rapports doivent s’établir entre les passages descriptifs et les passages narratifs, de quelle façon faire progresser l’intrigue pour captiver le lecteur…
Si les réalistes cherchent à s’exprimer dans une langue simple et naturelle, c’est qu’ils veulent être compris de tous. L’art réaliste ne doit pas simplement peindre les gens du peuple ou les bourgeois, il doit aussi s’adresser directement à eux.
Un lien s’établit ainsi entre une certaine conception de la création et le public visé. On connaît l’engagement politique et social d’un Courbet qui déclarait : « Faire des vers c’est malhonnête ; parler autrement que tout le monde, c’est de l’aristocratie62 », et qui affirmait que le réalisme était, « par essence, l’art démocratique63 ». Il serait cependant inexact de penser que l’on trouve chez tous les réalistes, au même degré, une volonté militante : contrairement à Courbet, Champfleury ne voit pas une priorité dans la portée sociale et politique de l’œuvre d’art64. Les rédacteurs de Réalisme, s’ils sont conscients du rôle social que doit jouer l’artiste, tiennent à préciser qu’il ne s’agit là que d’une des facettes de la création : l’artiste poursuit bien « un but philosophique pratique », mais Duranty précise lorsqu’il commente la brochure de Buchon sur le réalisme :
Je lui sais particulièrement gré d’avoir élevé ces idées de Justice, de Vérité et de Virilité dans la pratique de la vie, qui sont le but du réalisme. […] Mais je crois aussi que l’impression générale, à propos de sa conclusion, serait celle-ci : le réalisme, c’est faire de la littérature pour le peuple. C’en est une des applications importantes et intelligentes ; mais comme on n’accorde guère 23d’attention aux idées qu’en raison de l’espace qu’elles occupent sur le papier, on penserait que c’est là sa principale préoccupation65.
Il est difficile de déceler la position politique de la revue, le réalisme « n’ayant aucunes prétentions66 à fonder un gouvernement ou à reconstituer la société67 ! » Cette neutralité peut relever de la simple prudence, comme d’un soutien tacite au régime en place : Crouzet note qu’il y a chez Duranty une tendance à s’attaquer plutôt aux républicains, cibles prioritaires de ses critiques et de ses caricatures et conclut : « Tout se passe comme si l’on voulait faire sa cour au gouvernement, qui, à cette époque, est encore un gouvernement de droite68. » Tandis que Duranty a peu fait part de ses opinions politiques, on sait cependant que Thulié et Assézat se positionneront sans ambiguïté dans le camp des républicains. Si Réalisme ne défend aucune opinion politique précise, c’est peut-être tout simplement que tel n’est pas le sujet : il semble que Duranty ait tout fait pour donner l’image d’un journal plaçant la réflexion à un niveau purement esthétique.
Il en va de même pour la religion. Le réalisme, parce qu’il se veut rationnel, a souvent été taxé de positivisme, de matérialisme (terme que Duranty ne cesse de récuser), voire d’athéisme. Nous savons que les trois collaborateurs penchent vers la libre pensée69, l’anticléricalisme même en ce qui concerne Thulié, mais rien ne transparaît dans le journal, qui exclut toute considération d’ordre religieux. Une trentaine d’années plus tard, en revanche, La Revue indépendante de Chevrier et Fénéon, qui prétend fédérer tous les naturalistes, ne manquera 24pas d’établir sans ambiguïté un lien entre réalisme et matérialisme philosophique70.
Réalisme ne dura que six mois. Il est difficile de dire quel fut exactement son impact sur le moment. Très faible, probablement : ce sont surtout les petits journaux et les critiques hostiles qui mentionnèrent son existence, comme Jules Janin : « […] on a fait cette année (ô travail idiot, et puéril enfantement) un journal du réalisme, enterré sous le mépris du public71 […]. » Duranty savait parfaitement que sa revue risquait de passer inaperçue : « À peine cinquante personnes je ne dis pas admettront, mais seulement se rendront compte de ce Journal72. » On peut même se demander si Réalisme compta plus de deux abonnés, les seules lettres de souscription que nous trouvons dans le dossier constitué par Assézat et complété par Duranty étant celles de leur ancien professeur, Prosper-Parfait Goubaux, et de David Lubin, de l’École de Peinture de Montpellier73. Les difficultés financières furent la principale raison de la mort du journal, comme l’écrit Lorédan Larchey qui exagère cependant la brièveté de son existence : « Le Réalisme lutta trois mois et disparut, faute d’argent […]74 ». Certains billets pressants de la part des imprimeurs viennent confirmer que les rédacteurs du journal ne pouvaient plus s’acquitter de leurs dettes :
Paris, le 14 avril 1857.
Monsieur,
J’ai l’honneur de vous adresser une lettre qui est restée sans réponse. Est-ce que vous ne l’auriez pas reçue ? Je le crains et je vous adresse celle-ci.
La question que je vous posais était relative au Réalisme. S’il a cessé de paraître, je vous prie de me faire savoir par qui nous devons être payés du dernier numéro. M. Assézat, à qui j’ai écrit, me renvoie à vous.
En attendant l’honneur d’une réponse, agréez75…
[…] Mon cher Monsieur,
Nous avons écrit plusieurs lettres auxquelles vous n’avez pas daigné faire réponse. Cela nous fâche, mais cependant nous croyons que la meilleure 25réponse serait que vous daigniez nous désintéresser. Nous espérons et nous comptons sur une prompte solution de cette petite affaire et vous obligerez vos dévoués serviteurs76.
Nous ignorons à combien se montaient les frais occasionnés par la publication de Réalisme, mais nous pouvons en avoir une idée à la lecture des notes personnelles de Champfleury qui consignait scrupuleusement ce que lui rapportaient ses publications et qui précise : « Il faut déduire de ceci ce que m’a coûté en frais matériels ma Gazette, à peu près 70077. » À peu près sept cents francs pour deux numéros, d’une longueur totale inférieure à la moitié de celle des six numéros de Réalisme78 : on peut vraisemblablement estimer autour de mille cinq cents francs la somme que Duranty dut débourser, quand son salaire annuel s’élevait à un peu plus de deux mille francs.
Mais les problèmes financiers ne furent certainement pas les seuls. Le peintre et critique d’art belge Émile Leclerq, ami de Duranty et qui signe ses articles E. Pittore dans le journal bruxellois Uylenspiegel, dresse un bilan à la mort de Réalisme et tente d’expliquer les raisons de sa disparition79. Il reproche aux trois rédacteurs de s’être attachés « à démolir quand même n’importe qui, sans mesure, avec un parti pris qui crevait les yeux » sans avoir au préalable cherché à persuader les lecteurs. Balzac lui-même n’était pas suffisamment mis en valeur. Ils auraient dû rendre hommage à certaines gloires artistiques et littéraires, car ils ne reconnaissaient que Courbet et Champfleury. Pittore n’accepte pas non plus qu’ils aient mis la poésie au ban de l’art. Il leur reproche d’être plus matérialistes que réalistes, de prendre la photographie pour modèle dans l’art, et de ne vouloir reproduire que l’homme du peuple, grief qui sera repris par Zola80. Duranty s’était pourtant expliqué sur ces différents aspects, et l’on sait que ces reproches ne sont pas justifiés : cela prouve 26qu’il n’a pas été compris, même de ceux qui lui étaient favorables. Après avoir noté aussi la mauvaise qualité du papier sur lequel était imprimé le journal, Pittore conclut :
Vous avez été, monsieur Duranty, exclusif au point de toucher à l’absurdité […] Vous étiez trop dur à l’attaque, vous manquiez de bienveillance et de cœur ; vous disséquiez tout avec la froide logique du bon sens ; il y a, dans l’art, autre chose que la raison ; il y a, dans l’âme, autre chose que la logique. Ces rêveurs, dont vous riiez, sont des êtres aimants. Vous froissiez les consciences sans les convaincre ; vous éclairiez les esprits sans les charmer. Telles sont, sans doute, les causes de votre chute81.
Cela est juste, mais il y a peut-être une raison plus profonde à la disparition prématurée du journal, qui tient à sa nature même. Comment envisager de définir une théorie du réalisme, quand on refuse l’idée d’une « école réaliste » ? Duranty avoue que si Assézat a quitté le journal au cinquième numéro, c’est que l’un de ses articles avait été refusé, n’ayant pas « la doctrine assez pure82 ». Dès le premier numéro, un désaccord survient entre Duranty et Thulié au sujet de l’article sur le roman83 : le premier conteste l’expression de « liberté dans l’art » employée par le second, lui préférant celle de « sincérité dans l’art ». Thulié réplique qu’en se soumettant aux exigences de son collaborateur, il irait à l’encontre même de ce que veut celui-ci, car il ne serait plus sincère. L’argument est solide, et révèle un problème majeur : la volonté de construire un système théorique cohérent et consensuel risque de s’opposer à la liberté d’expression de chacun et au principe fondamental de « sincérité ». On remarque d’ailleurs que Duranty n’assumait pas toujours pleinement les idées contenues dans les articles qu’il devait publier : la traduction de Schiller proposée par Buchon dans le cinquième numéro entraîne une mise au point de sa part en introduction. Dans le numéro 0, Assézat annonçait avoir lu deux livres dont il voulait rendre compte, mais il ne traite que de Profils et Grimaces de Vacquerie : c’est Duranty qui se chargera d’éreinter le maître du romantisme dans sa longue étude sur les Contemplations, abandonnant à Assézat l’ouvrage du disciple. Y eut-il accord entre les deux hommes ? Assézat dut-il céder ? Il nous semble parfois que 27Duranty devait avoir un rêve : celui de réunir une diversité de pensées en une seule, la sienne, et qu’il a échoué.
La reconnaissance viendra, mais il faudra attendre presque trente ans et le triomphe du naturalisme. Les auteurs de la nouvelle école savent ce qu’ils doivent à leurs prédécesseurs, même s’ils ne l’avouent pas toujours. Maupassant, dans son étude sur le roman, au début de Pierre et Jean84, reprend largement les idées de Duranty qu’il expédie cependant avec désinvolture dans son « évolution du roman au xixe siècle » :
Derrière lui [Balzac], une école se forma bientôt, qui, s’autorisant de ce que Balzac écrivait mal, n’écrivit plus du tout, et érigea en règle la copie précise de la vie. M. Champfleury fut un des plus remarquables chefs de ces réalistes, dont un des meilleurs, Duranty, a laissé un fort curieux roman : Le Malheur d’Henriette Gérard85.
Rien sur le théoricien du réalisme ; peut-être Maupassant n’a-t-il jamais pu lui pardonner ses attaques contre Flaubert…
Dans un article intitulé « Christophe Colomb », Paul Alexis rendait hommage à Duranty, explorateur de nouvelles contrées littéraires, et déclarait : « Il y a là tout le naturalisme en embryon86. » Du 7 au 25 décembre 1884, le même Paul Alexis rédige seul une petite revue satirique qui ne comportera que quatre numéros : « Le Trublot, torchon hebdomadaire à Dédèle, Officier du naturalisme ». Au verso de la page de titre du premier numéro apparaissent les noms des « patrons » de la revue, avec leurs dates : Diderot, Stendhal, Balzac, Flaubert et Duranty87.
Mais c’est Zola, avec la perspicacité de critique qu’on lui connaît, qui rendit le premier un hommage appuyé au précurseur : « M. Duranty a donc été un des pionniers du naturalisme. Tout ce que nous disons aujourd’hui, il en a eu l’intuition avant nous88. » Il consacra deux articles 28à la revue Réalisme et à Duranty dans Le Bien public en avril 1878. S’il ne manque pas de souligner les défauts et les lacunes du journal dans son deuxième article, il déclare : « Pour moi, Réalisme est une date, un document très important et très significatif de notre histoire littéraire […]. Mais faire du bruit n’est rien, la chose stupéfiante est que ces trois jeunes gens apportaient une révolution, formulaient tout un corps de doctrine89. »
Duranty apprécia l’hommage ; il regrettait pourtant que la reconnaissance ne fût pas davantage partagée. Il était conscient d’avoir « donné la nette formule et lancé les idées qui gouvernent la littérature actuelle90 », comme il l’écrit dans ses notes, et ce n’est pas sans amertume qu’il constate en 1879 qu’il a été « jeté dans le fossé pour servir de pont à ceux qui le suivaient91 ».
Que retenir de Réalisme de nos jours ? Tout d’abord un témoignage : ces six numéros offrent une photographie d’un moment-clé de notre histoire littéraire. À travers les réflexions, les polémiques, les analyses et les comptes rendus de livres ou les revues théâtrales, Réalisme constitue un document d’un grand intérêt sur la création artistique d’une période exceptionnellement riche. Il existe des années, comme 1830, où fleurissent des œuvres qui changent le cours des choses. Les années 1856-1857 sont de celles-là92. Les contemporains, qu’Un Enterrement à Ornans avait scandalisés, laissés dubitatifs ou admiratifs et qui découvrent successivement Les Contemplations, Madame Bovary et Les Fleurs du mal, sentent qu’ils ont sous les yeux de ces œuvres qui vont marquer l’histoire, sans en saisir nécessairement toute la portée. La revue Réalisme est au cœur de ce bouillonnement créateur. Ses auteurs se font l’écho des querelles 29qui agitent le monde de l’art et de la littérature, quand ils ne lancent pas eux-mêmes la polémique, avec leurs idées bien arrêtées, leurs intuitions et leurs jugements novateurs ; leurs intransigeances aussi, et leurs injustices : Duranty assassine Hugo et ses Contemplations, et rejette Madame Bovary.
Lire la revue Réalisme, c’est donc se replonger dans un monde qui a vu naître la modernité93, à la croisée des chemins d’un romantisme que l’on croyait finissant mais qui triomphe encore grâce au lyrisme de Victor Hugo, d’un Parnasse qui s’est déclaré avec les Émaux et Camées de Gautier, d’un symbolisme et d’un impressionnisme en gestation. C’est découvrir des auteurs oubliés et rencontrer ceux qui sont devenus immortels : les études sur Rétif de la Bretonne, G. Sand, Balzac, Hugo, Champfleury ou Flaubert, les commentaires sur les traductions d’Edgar Poe par Baudelaire et celles des romans de Dickens que l’on commence à lire ou les analyses picturales de Duranty suffiraient à satisfaire notre curiosité.
Quant à la place de Réalisme dans l’histoire littéraire, si elle nous semble essentielle, elle ne va pas sans poser un certain nombre de questions. Pourquoi ces premiers réalistes, ces « petits réalistes », sont-ils encore si peu considérés ? Ils souffrent en fait d’un double handicap. Le premier tient à la méfiance généralisée par rapport à tout art qui prétend représenter la réalité. De ce point de vue, la réticence envers les réalistes de la sincérité est encore plus forte, parce qu’elle est liée à un malentendu : celui qui consiste à croire qu’ils voulaient reproduire le monde réel de manière photographique, alors que tous leurs écrits montrent le contraire. Le rejet du daguerréotype chez Champfleury, l’importance des sentiments et des sensations chez Duranty et de l’analyse psychologique dans ses romans en témoignent.
Le deuxième handicap est leur position dans la chronologie du mouvement réaliste-naturaliste. Ils ont le tort d’être coincés entre quatre monstres sacrés : deux « précurseurs », Stendhal et Balzac ; deux maîtres, Flaubert et Zola. Rétrospectivement, Flaubert apparaît comme celui qui aurait dû prendre la tête du mouvement. Mais Duranty est très sévère contre son œuvre, et Flaubert ne s’est jamais considéré lui-même comme un « réaliste ». La façon la plus simple de reconstituer l’histoire littéraire 30est de considérer les réalistes de la sincérité comme un trait d’union, un chaînon manquant entre les deux pôles historiques du réalisme français, comme l’écrit Amiel : « Champfleury et Duranty ont servi de transition entre Balzac et le grand réalisme94. » Mais, ce faisant, on refuse de prendre en compte ce que nous disent Duranty et ses collaborateurs de Réalisme : leur admiration limitée pour Stendhal comme pour Balzac, encore trop romantiques à leur goût, et leur rejet total de Flaubert. On ne saurait voir là simplement de l’incompréhension de leur part : la voie ouverte par Champfleury et théorisée par Duranty, ce réalisme de la sincérité qui se fonde sur une vision subjective du monde qu’il faut transmettre de la manière la plus objective possible, avec toutes les contradictions qu’elle implique, doit bien être prise en compte pour elle-même. Il est certainement plus juste d’affirmer, avec Robert Ricatte, que « toute la perspective du roman français entre 1850 et 1860 s’ordonne autour de l’antithèse que forment Flaubert et Champfleury95 ».
On peut enfin se demander si l’absence de considération dont sont encore victimes de nos jours les premiers réalistes ne viendrait pas tout simplement d’une méconnaissance quasi-totale. En 1913, Pierre Martino écrivait dans son étude sur le roman réaliste : « […] il arrive qu’on joigne au nom de Champfleury celui de Duranty : c’est déjà de l’érudition96 ! » Les choses ont-elles changé cent ans plus tard ? Tandis que le grand public ignore encore largement les deux écrivains97, les spécialistes du réalisme ne manquent pas d’aborder leurs écrits théoriques et, au minimum, d’évoquer leurs romans. Une contradiction étonnante apparaît toutefois au sujet de la revue Réalisme : aucun critique ne saurait négliger son importance, mais… personne ne l’a lue. C’est du moins l’impression qui pourrait ressortir à la lecture de nombreux auteurs. Certains, comme Émile Henriot, ont le mérite de déclarer leur ignorance :
31Faute d’avoir pu mettre la main sur cette rarissime revue, je ne puis me faire une idée des vues de Duranty sur le réalisme comme il l’entendait qu’à travers les extraits glanés çà et là, notamment dans les trois études de M. Maurice Parturier98.
D’autres l’avouent par euphémisme, en parlant de Duranty : « Les six numéros de son journal Réalisme (1856-1857) sont extrêmement recherchés99. »
Les références à ce texte sont très souvent approximatives, voire inexactes. On confond Réalisme avec le recueil d’articles que Champfleury intitula Le Réalisme, on prétend que ce dernier était le cofondateur du journal et son principal instigateur100 : « Dans la revue qu’il dirige vers 1856 avec Champfleury, Duranty n’a qu’une pensée, combattre Flaubert qui lui paraît trahir l’idéal réaliste par sa vision bourgeoise des choses et par son goût littéraire de l’élite. » L’auteur de ces lignes, qui n’est autre que Maurice Blanchot, n’a de toute évidence pas lu l’article de Duranty sur Madame Bovary, et n’a jamais eu Réalisme entre les mains101.
Ces affirmations erronées peuvent s’expliquer par une difficulté bien réelle : celle d’aller aux sources, c’est-à-dire de pouvoir lire l’intégralité des numéros de Réalisme. Il a fallu attendre 1970 pour que soit disponible une reproduction de la revue et d’une partie du dossier constitué par Jules Assézat102, dans un tirage limité à deux cent cinquante exemplaires désormais presque aussi introuvables que les originaux. Cette édition a été numérisée, mais le « numéro 0 » est illisible103.
La nécessité d’une édition complète de Réalisme s’est donc imposée comme une évidence. Nous redonnons ici les documents conservés dans le fonds Spoelberch de Lovenjoul104 : les numéros du journal sont 32complétés par un dossier d’articles de presse rassemblés et annotés par Jules Assézat. Duranty, qui a recueilli ces papiers à la mort de son ami, a ajouté quelques notes et joint l’article de Zola. La présente publication constitue la première édition critique de la revue Réalisme105.
Gilles Castagnès
1 Sic ; on trouve fréquemment écrit « Assezat » pour « Assézat ».
2 Nous publions ce « no 0 » à la fin de l’ouvrage (appendice I).
3 Archives de la Seine, document retrouvé et cité par M. Crouzet, Duranty, p. 10. Sur les origines de Duranty, voir le chapitre i, « Enfance et jeunesse ».
4 M. Parturier et A. de Luppé, La Naissance de Duranty, Paris, L. Giraud-Badin, 1947.
5 Réalisme, no 4, p. 289.
6 Voir appendice II, n. 10, p. 396.
7 Duranty, p. 33-34.
8 Champfleury, « Le Poète Puce », Ma Tante Péronne, Paris, Librairie Achille Faure, 1867, p. 241-287.
9 Sur ces deux brasseries, voir n. 1 p. 167 et n. 160 p. 210.
10 Voir appendice II, n. 3, p. 394.
11 Ibid.
12 Restif de la Bretonne, Les Contemporaines […] Choix des plus caractéristiques de ces nouvelles […] Vie de Restif […], Paris, A. Lemerre, 1875, 3 vol. – Diderot, Œuvres complètes, Paris, Garnier frères, 20 vol., 1875-1877, édition achevée par Maurice Tourneux.
13 Voir p. 127, n. 93.
14 Voir appendice I, p. 377, n. 1.
15 Voir dans l’appendice II les articles annonçant les débuts de Réalisme.
16 Appendice II, p. 394.
17 Voir Coudrelles, « Le Conseil municipal de Paris : le docteur Thulié », La Vie littéraire, 14 mars 1878 (appendice II, p. 442-445).
18 L. Larchey, Scènes de la vie littéraire sous le Second Empire (inédites), cité par M. Parturier, « Zola et Duranty », Bulletin du bibliophile, 1948, p. 51-52. Le seul survivant était Henri Thulié.
19 Duranty, p. 63. – Nous employons indifféremment les termes de « journal » ou de « revue » pour désigner la nouvelle version de Réalisme. Comme un journal elle n’a pas de couverture et n’est pas brochée, mais sa périodicité et son format sont ceux d’une revue. M. Crouzet parle de « publication hybride » (C, th, p. iv).
20 Figaro, 13 novembre 1856, 3e année, no 182, p. 5.
21 Réalisme, no 1, p. 98.
22 Voir la fin du premier numéro, p. 99.
23 Voir dans le dossier (appendice II) les commentaires sur les « collaborateurs » de Réalisme : on ironise souvent sur le provincialisme de leurs noms, mais nul ne suggère qu’ils puissent être fictifs. Les spécialistes eux-mêmes ont pu être trompés : H. U. Forest estime que les articles de l’« Américain » John Wegster, qui souffrent peut-être d’une mauvaise traduction, « sont parfois très amusants, à force d’être “sincères” » (H. U. Forest, « Réalisme, journal de Duranty », Modern Philology, vol. 24, no 4, mai 1927, p. 477, n. 3).
24 Réalisme, no 4, p. 288.
25 Id., no 3, p. 228.
26 Lettre de Champfleury à Buchon, 5 février 1861, citée par J. Troubat, Une amitié à la d’Arthez. Champfleury. Courbet. Max Buchon, Paris, Lucien Duc, 1900, p. 148-149. Les papiers personnels de Champfleury confirment (voir p. 228, n. 246).
27 Lettre de Champfleury à Assézat, 28 septembre 1875, citée par J. Troubat, Un coin de littérature sous le Second Empire. Sainte-Beuve et Champfleury. Lettres de Champfleury à sa mère à son frère et à divers, Paris, Société du Mercure de France, 1908, p. 311.
28 La Gazette de Champfleury ne comporta que deux numéros publiés en novembre et décembre 1856 (Paris, Blanchard) ; l’auteur commente brièvement dans le no 2 le compte rendu donné dans Réalisme de la pièce Madame de Montarcy de Louis Bouilhet (p. 107).
29 É. Bouvier, La Bataille réaliste (1844-1857). Champfleury. La Bohème. Courbet. Max Buchon. Dupont. Mathieu. Le Cénacle réaliste, préface de Lanson, Paris, Fontemoing, s. d. (1913).
30 Voir la bibliographie, p. 460-462.
31 Mercure de France, t. XIII, 1826, p. 6-7. Voir P. Dufour, Le Réalisme, Paris, PUF, 1998, p. 317-318.
32 P. Martino, Le Roman réaliste sous le Second Empire, Paris, Hachette, 1913, p. 74.
33 T. de Banville et P. Boyer, Le Feuilleton d’Aristophane, « La Revue », scène 4 (Paris, Michel Lévy frères, 1853). La pièce est créée le 26 décembre 1852 au théâtre de l’Odéon. On déroulait sur scène une toile caricaturant Les Demoiselles de village.
34 L’anecdote est rapportée par J. Troubat, Une amitié à la d’Arthez, op. cit., p. 105.
35 Exhibition et vente de 40 tableaux et quatre dessins de l’œuvre de M. Gustave Courbet. Avenue Montaigne, 7, Champs-Élysées, Impr. de Simon Raçon, 1855.
36 P. Martino, op. cit., p. 77. Sur la carrière du peintre, voir James H. Rubin, Courbet, Paris, Phaidon, 2003 (éd. française) ; Thomas Schlesser, Le Journal de Courbet, Paris, Hazan, 2007, ainsi que G. Courbet, Écrits, propos, lettres et témoignages, Roger Bruyeron (éd.), Paris, Hermann, 2011.
37 Voir Réalisme, no 2 et 4, p. 106 et 233.
38 Id., p. 112.
39 Champfleury, « Du Réalisme. Lettre à Madame Sand », L’Artiste, 2 septembre 1855 (5e série, XVI, p. 1-5) ; texte repris dans Le Réalisme sous le titre « Sur M. Courbet. Lettre à Mme Sand » (p. 270-285).
40 Gazette de Champfleury, no 1, 1er novembre 1856, non paginé [p. 5].
41 Champfleury, lettre non datée à Buchon, citée par J. Troubat, « Souvenirs du réalisme » suivi de « Lettres inédites de Champfleury au poète franc-comtois Max Buchon », La Revue, volume CV, du 1er novembre au 15 décembre 1913, p. 230.
42 Patrice Rollet qualifie Champfleury de « réaliste de la fantaisie » dans sa « Revue littéraire » (RDM, 15 avril 1851, nouvelle période, vol. X, p. 391).
43 J. Troubat, Une Amitié à la d’Arthez, op. cit., p. 86.
44 Duranty, chapitre iii.
45 Réalisme, no 3 et no 4.
46 Champfleury, Grandes figures d’hier et d’aujourd’hui, Paris, Poulet-Malassis et de Broise, 1861.
47 « Voilà, mon cher Duranty, les quelques pensées que j’avais jetées sur le papier en 1850, sans penser à les adresser à quiconque » (id., p. xiii-xiv).
48 Id., p. ii-iii.
49 Le terme qui apparaît au début du Réalisme de Champfleury (« Je ne reconnais que la sincérité dans l’art », op. cit., p. 3) et qui parcourt également le premier article du journal Réalisme a fait fortune : il sera employé par les critiques pour désigner ceux que l’on appelle aussi les « premiers réalistes », voire les « petits réalistes » (cf. J.-H. Amiel, Le Réalisme de la sincérité dans l’art, (Courbet, Champfleury, Duranty, Buchon, le journal Réalisme), Urbana, thèse soutenue en 1939 à l’Université de l’IIlinois, résumé, p. 4).
50 Réalisme, p. 109 (voir n. 29 pour les références).
51 Id., no 2, p. 116.
52 Cf. P. Hamon, qui évoque « cette illusion linguistique propre au réalisme : croire que le réel est énumérable, est découpable en objets nommables, que la langue est une nomenclature, croire à la transparence des mots aux choses, croire que les mots s’ajustent terme à terme aux choses » (Puisque réalisme il y a, Genève, La Baconnière, 2015, p. 173).
53 Réalisme, no 6, p. 368 et 370. Songeons aux réflexions de Maupassant à la fin de son étude sur le roman : « Quelle que soit la chose qu’on veut dire, il n’y a qu’un mot pour l’exprimer, qu’un verbe pour l’animer et qu’un adjectif pour la qualifier. Il faut donc chercher, jusqu’à ce qu’on les ait découverts, ce mot, ce verbe et cet adjectif, et ne jamais avoir recours à des supercheries, même heureuses, à des clowneries de langage pour éviter la difficulté. » (Maupassant, « Le Roman », Pierre et Jean, Paris, Gallimard, Folio classique, 1982, p. 59.)
54 Réalisme, p. 142.
55 Id., p. 214.
56 Id., p. 239.
57 Voir le « rappel » effectué par P. Hamon (Puisque réalisme il y a, op. cit., p. 8-16).
58 « Ainsi beaucoup de gens m’ont déjà reproché de manquer d’esprit. » (Réalisme, no 4, p. 301) Cf. Paul Souday, à propos de Duranty : « Je crains qu’il ne fût pas très intelligent. » (La Société des grands esprits, Hazan, 1929, 2e édition, p. 265.)
59 Réalisme, no 5, p. 304 ; Duranty écrit « qu’on en exprime », nous corrigeons.
60 Comme l’a fait remarquer P. Hamon, la seule attitude critique positive face à la littérature réaliste n’est pas de se demander comment elle « copie » mais comment elle nous « fait […] croire qu’elle copie la réalité » (P. Hamon, « Un Discours contraint », Poétique, 16, 1973, repris dans Littérature et réalité, G. Genette et T. Todorov (dir.), Paris, éditions du Seuil, 1982, p. 132).
61 Id., no 1, p. 42 ; voir aussi l’article de Thulié, qui fait de la littérature le premier des arts (« Relation des arts », no 2, p. 116).
62 Courbet, cité par É. Gros-Kost, Courbet, souvenirs intimes, Derveaux, 1880, p. 34.
63 Courbet, Discours à l’exposition d’Anvers, publié dans Le Précurseur d’Anvers, 22 août 1861, cité par T. Schlesser, op. cit., p. 223 ; voir dans cet ouvrage les pages qui sont consacrées à Courbet et l’art social.
64 « Quoi qu’il arrive, ne t’inquiète pas de la forme du gouvernement. Ton art est régi par l’époque et la régit à son tour. » (Champfleury, « Conseils à un jeune écrivain », op. cit., p. vi.)
65 Réalisme, no 2, p. 114.
66 L’usage moderne est de ne pas utiliser le pluriel de l’adjectif « aucun(e) ». Littré signale toutefois que cette orthographe est « pleinement légitime » et nous la conservons.
67 Réalisme, no 3, p. 221.
68 C, th, introduction, p. ci.
69 En 1865, Duranty écrira dans un compte rendu du Dictionnaire des Antiquités chrétiennes de l’abbé Martigny : « Nous pensons toutefois qu’à science égale une main laïque aurait encore mieux fait pour le sujet, parce que le point de vue catholique exclusif borne un peu l’interprétation et l’analyse. […] Que représente, en effet, le livre ? Une enquête sur tous les témoignages de la transfusion du paganisme dans le christianisme. Ne nous fournira-t-elle pas à nous aussi des armes plus solides et plus sûres que jamais pour établir que le christianisme n’a pas été une révélation, mais une modification, une variante, forcée à son heure, des formes que peuvent prendre naturellement les sentiments et les aspirations des hommes ? » (Le Progrès, no 1744, lundi 20 février 1865). Sur l’anticléricalisme de Thulié, voir l’article de Coudrelles dans le dossier, appendice II, p. 442-445.
70 Le premier article est intitulé « Matérialisme » (La Revue indépendante, t. 1, mai-octobre 1884, p. 1-4).
71 J. Janin, Almanach de la Littérature du théâtre et des beaux-arts, Paris, Pagnerre, 1858, p. 18.
72 Réalisme, no 2, p. 103.
73 Voir appendice II, p. 395-396.
74 Cité par M. Parturier, « Zola et Duranty », Bulletin du bibliophile, 1948, p. 53.
75 Lettre des imprimeurs de Soye et Bouchet à Duranty, collection Parturier, citée par Crouzet (C, th, p. xxxvi).
76 Id., lettre du 18 juillet 1857, citée par Crouzet (p. xxxix).
77 Champfleury, Papers (1853-1888), Rare book Butler 6th Fl. East, ms. #0208 Manuscript/Archive, Columbia University, New York, Box 1, Notes, 1853-1854, p. 183.
78 Les deux numéros de la Gazette de Champfleury comportent respectivement cent vingt-sept et cent vingt-huit pages de vingt-cinq lignes à cinquante caractères, soit un total d’environ trois cent quinze mille signes disponibles ; les quatre-vingt-huit pages de Réalisme comprennent deux colonnes de soixante-cinq lignes à soixante caractères, soit un total d’environ six cent quatre-vingt-cinq mille signes disponibles.
79 E. Pittore, « Réalisme », Uylenspiegel, 14 juin 1857, 2e année, no 20, p. 2.
80 Voir appendice II, p. 445.
81 Pittore, art. cité.
82 Appendice II, p. 394.
83 Appendice III, p. 451.
84 « Le Roman », Pierre et Jean, op. cit.
85 G. de Maupassant, « L’évolution du roman au xixe siècle », Revue de l’Exposition universelle de 1889, octobre 1889 (Chroniques, Paris, Librairie Générale Française, Le Livre de Poche, « Pochothèque », 2008, p. 1526).
86 P. Alexis, « Christophe Colomb », Le Réveil, dimanche 11 novembre 1883, 7e année, no 315.
87 Alexis les présente comme « les cinq grands noms, les glorieux morts, qui sont les cinq bailleurs de fonds intellectuels, les inspirateurs, les véritables fondateurs de Trublot » (no 1, p. 2). Alexis, qui déclare vouloir fonder le « grand parti naturaliste » (no 2, p. 21), reconnaît également « quatre leaders » vivants : Edmond de Goncourt, Émile Zola, Jules Vallès et Alphonse Daudet (no 1, p. 10).
88 É. Zola, Le Bien Public, 8 avril 1878 (Œuvres complètes, Paris, Nouveau Monde Éditions, t. 10, 2004, Les Romanciers Naturalistes, « Les Romanciers contemporains », chapitre ii, p. 601).
89 É. Zola, « Revue dramatique et littéraire » consacrée à Réalisme, Le Bien Public, 22 avril 1878 (voir l’appendice II, p. 446).
90 Appendice II, p. 396. – Duranty écrivait en 1876 : « La haute littérature d’art contemporaine est réaliste. Celui qui écrit ces lignes a contribué à déterminer ce mouvement dont il a été l’un des premiers à donner la nette formule esthétique il y a près de vingt ans. » (Duranty, La Nouvelle Peinture. À propos du groupe d’artistes qui expose dans les galeries Durand-Ruel, Paris, E. Dentu, 1876, p. 12.)
91 Duranty, Le Malheur d’Henriette Gérard, Paris, Charpentier, 1879 (réédition), « Avertissement de l’auteur ».
92 La revue Études françaises a consacré un numéro spécial à l’année 1857, « un étonnant millésime » au cours duquel « s’exposent les grandes tensions qui structurent le champ littéraire au long du xixe siècle » (1857. Un état de l’imaginaire littéraire, revue Études françaises, numéro préparé par Geneviève Sicotte, Les Presses de l’Université de Montréal, vol. 43, no 2, 2007, p. 6 et p. 9).
93 Voir en particulier Pierre Bourdieu, « La conquête de l’autonomie », Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire [1992], Paris, Seuil, « Points essais », 1998.
94 Amiel, op. cit., p. 18.
95 R. Ricatte, La création romanesque chez les Goncourt, Paris, Armand Colin, 1953, Introduction, p. 21.
96 P. Martino, op. cit., p. 136.
97 Soulignons un regain d’intérêt récent pour l’œuvre critique et narrative de Champfleury : voir La Fantaisie post-romantique, Jean-Louis Cabanès et Jean-Pierre Saïdah (dir.), Presses Universitaires du Mirail, 2003 ; Gilles Bonnet (dir.), Champfleury écrivain chercheur, Honoré Champion, 2006 ; Sara Pappas, « The Lessons of Champfleury », Nineteenth-Century French Studies, Fall-Winter 2013-2014, vol. 42, no 1 et 2. Il n’en va pas de même pour Duranty, que la biographie pourtant remarquable de M. Crouzet (Duranty, op. cit.) n’a pas réussi à réhabiliter.
98 É. Henriot, Réalistes et naturalistes, Paris, Albin Michel, 1954, p. 263.
99 Léon Deffoux, « Le fils de Prosper Mérimée : Edmond Duranty », L’Œuvre, 7 janvier 1936. – Parmi les nombreuses inexactitudes concernant la revue ou son directeur, celle qui consista à faire de Duranty le fils de Mérimée eut la vie dure.
100 Mentionnons simplement Thibaudet, dans son Histoire de la littérature française (Paris, Stock, 1936, p. 365), ou P. Martino, qui pense qu’une douzaine de collaborateurs travaillaient à Réalisme et que le no 0 a été publié (op. cit. p. 86 et p. 88).
101 M. Blanchot, « Chroniques de la vie intellectuelle. Les Malheurs de Duranty », Journal des Débats, no 751, 24 juin 1942. Blanchot se contente de reprendre les erreurs de Thibaudet (voir la note précédente).
102 Paris, éditions de l’Arche, 1970, fac-similé des documents conservés à la Bibliothèque de l’Institut de France (voir la note ci-dessous).
103 Le texte intégral de Réalisme a été récemment mis en ligne sur le site Gallica de la BNF.
104 Bibliothèque de l’Institut de France, fonds Spoelberch de Lovenjoul, « Réalisme – 1856-57 », D 767. Nous plaçons à la fin le no 0 (appendice I) ainsi que la quasi-totalité des coupures de presses rassemblées par Jules Assézat (appendice II ; nous avons supprimé celles qui n’ont pas de lien direct avec Réalisme).
105 Il convient de rendre un hommage tout particulier à Marcel Crouzet pour ses travaux sur Duranty : sa biographie de l’auteur, ainsi que la thèse complémentaire de doctorat (malheureusement restée inédite) qu’il a consacrée à la revue Réalisme ont été indispensables à la réalisation de cette édition.
- CLIL theme: 3440 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- XIXe siècle
- ISBN: 978-2-406-06378-0
- EAN: 9782406063780
- ISSN: 2258-8825
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-06378-0.p.0009
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 06-09-2017
- Language: French