Avant-propos
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Psychanalyse textuelle. De Sénèque à Duras
- Pages : 11 à 12
- Collection : Théorie de la littérature, n° 22
Avant-Propos
Le titre de ce livre pourra surprendre. Il est dans la droite ligne de la pensée de Freud, telle qu’elle s’exprime, à deux reprises, dans son écrit : « La question de l’analyse profane1 ». On y lit, en effet : « L’utilisation de l’analyse pour la thérapie des névroses n’est qu’une de ses applications ; l’avenir montrera peut-être que ce n’est pas la plus importante » ; « La ligne de démarcation se situe entre la psychanalyse scientifique et ses applications dans les domaines médical et non médical. »
Longtemps réservée à l’étude psychanalytique des textes littéraires (à laquelle Freud, tout le premier, n’a pas craint de s’exercer), l’expression « psychanalyse appliquée » n’est donc pas en elle-même injustifiée. Elle a le tort de laisser croire qu’elle représente la seule « application » de la « psychanalyse scientifique », alors qu’il en existe d’autres – dont la cure. D’où, pour éviter toute ambiguïté, ce titre : Psychanalyse textuelle.
L’expression n’implique pas une quelconque ambition de « psychanalyser » un écrivain à partir de ses écrits : tâche – risquée – à laquelle prétend la « psychobiographie ». Elle ne renvoie pas non plus à l’existence – supposée – d’un « inconscient du texte » : un écrit n’a pas d’inconscient ; il porte seulement la trace de l’inconscient d’un homme ou d’une femme. Trace qui renvoie, non à l’auteur hors texte – ce serait retomber dans l’erreur de la psychobiographie –, mais à l’auteur dans le texte. C’est, en effet, l’une des énigmes du geste littéraire que l’homme et l’œuvre puissent connaître des destins qui ne coïncident pas : non seulement l’écriture 12peut avoir sur qui la pratique des effets négatifs aussi bien que positifs ; mais l’œuvre (dans son ensemble ou dans sa particularité) peut évoluer sans que bouge l’être qui écrit.
Conscient de ce problème, Charles Mauron distingue chez un écrivain son « moi orphique » de son « moi social ». L’idée est juste ; le vocabulaire (dans son recours au « moi » comme instance créatrice) peut paraître contestable. Au reste, ma méthode, si elle s’est, un moment, inspirée de la « psychocritique », s’en est rapidement écartée ; je m’en explique dans mon étude sur Mallarmé.
Les chapitres constituant mes deux premières parties suivent l’ordre chronologique de leur écriture : la première appartient à des époques où la méthode se cherche ; la seconde, à une période où son statut s’affirme plus nettement. Cela revient à dire que le déchiffrement occupe, par rapport à l’interprétation, une place plus importante dans la première partie que dans la seconde. Mais ce déchiffrement (susceptible d’entraîner de la part du lecteur un accord objectif) s’impose dans tous les cas, pour éviter à l’interprétation (qui met en jeu une subjectivité plus radicale) tout risque de délire ; une psychanalyse textuelle ne saurait se passer d’une stylistique textuelle.
Deux fois, les textes étudiés sont traduits de l’anglais : les citations s’accompagnent de notes donnant le texte original. Pareille précaution n’a pas paru utile pour l’œuvre d’un auteur latin.
La troisième partie échappe à l’ordre chronologique, compte tenu de son caractère marginal, plus proche d’une « psychanalyse scientifique ».
Cela n’exclut pas que, dans les deux premières parties, l’analyse textuelle puisse avoir des effets de choc en retour sur la théorie – démarche qui, bien souvent, fut celle même de Freud2.
1 Le texte d’origine parut en 1926, la postface en 1927. Le premier fut traduit en français dès 1928 ; la seconde dut attendre jusqu’en 1985. Deux traductions françaises sont actuellement disponibles : par Janine Altounian, Odile et André Bourguigon, Pierre Cotet, Alain Rauzy, Paris, Gallimard, « Connaissance de l’inconscient », 1985, 2003 ; par Janine Altounian, Anne Balseinte, André Bourguignon, Eva Carstanjen, Bernard Colomb, Pierre Cotet, Jean-Gilbert Delarbre, Daniel Hartmann, René Lainé, Alain Rauzy, Johanna Stute-Cadiot, Eike Wolff, Œuvres complètes, Paris, PUF, t. XVIII, 1994, p. 1-92. Les deux citations qui suivent figurent, la première, dans le texte d’origine (1985, p. 137 ; 1994, p. 76) ; la seconde, dans la Postface (1985, p. 153 ; 1994, p. 86).
2 Les études réunies dans ce livre ont fait l’objet, soit d’articles parus dans des revues, soit de communications dans des colloques ou des séminaires, certaines, elles aussi, publiées, les autres, restées inédites. Leur origine sera à chaque fois signalée. Dans tous les cas, le texte en a été largement remanié.
- Thème CLIL : 4053 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Théorie Littéraire
- ISBN : 978-2-406-09796-9
- EAN : 9782406097969
- ISSN : 2261-5717
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09796-9.p.0011
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 25/05/2020
- Langue : Français