[Introduction à la première partie]
- Prix Observatoire du Bonheur 2012
Prix de thèse Aix-Marseille Université 2013 - Publication type: Book chapter
- Book: Plaisirs féminins dans la littérature française de la Renaissance
- Pages: 35 to 37
- Collection: Masculine/ Feminine in Modern Europe, n° 33
- Series: XVIe siècle, n° 4
Comme le rappelle Éliane Viennot (2006b, p. 97), le mariage est « la seule voie qui peut conduire à l’autonomie » pour une femme à la Renaissance ; le mariage lui garantit un statut, une place et une fonction dans la société, sans que cela n’empêche toutefois des critiques, de la part des femmes et de quelques hommes, qui vont non pas à l’encontre de l’institution elle-même mais de situations jugées inadmissibles, telles que les mariages disconvenants, la violence du mari ou l’arrachement de l’épouse à sa famille, comme le montrent notamment les Misères de la femme mariée de Nicole Estienne en 1584. C’est à la fois en tant que garant d’honnêteté et possibilité de liberté, même restreinte, que nous souhaitons étudier le mariage comme espace possible et légitime du plaisir féminin. L’impératif essentiel qui revient systématiquement est celui de la mesure et de la tempérance, et le mariage apparaît en ce sens comme un moyen pour les époux de canaliser la concupiscence et de ne pas y succomber, car, comme l’écrit saint Paul, « mieux vaut se marier que de brûler » (Bible, 2001, 1 Corinthiens 7, 9). La relation sexuelle comme faute originelle telle qu’elle est conçue par Augustin fait du mariage le lieu de réparation de cette faute en même temps que son prolongement. Ce paradoxe est au cœur de nombreux débats au Moyen Âge : le mariage favorise les joies charnelles et c’est en cela qu’il est mauvais, mais la procréation le justifie (Duby, 1997, p. 124-126). Le lien entre la sexualité et le mal n’est cependant pas le fondement de la pensée antique : si les considérations des philosophes et des médecins sont austères et souvent méfiantes à son égard, c’est parce qu’elle est une force qui menace la tempérance du citoyen. Montaigne a parfaitement synthétisé cette idée : « La philosophie n’estrive point contre les voluptez naturelles, pourveu que la mesure y soit joincte : et en presche la moderation, non la fuitte. » (2007, p. 936).
Dans la pensée chrétienne, le mariage est l’espace le moins condamnable pour la sexualité, le seul, en tout cas, à garantir l’honnêteté des rapports sexuels. La question de la volupté est plus délicate ; elle est toujours vouée aux impératifs de tempérance et son usage au sein du mariage lui confère une valeur morale : il y a des manières honnêtes et d’autres deshonnêtes de s’unir pour un couple. La Renaissance voit 36notamment se développer des guides de pratiques sexuelles à l’usage des confesseurs : il s’agit de contrôler la sexualité jusque dans ses gestes, pour que la relation conjugale soit vouée à la procréation et non à la volupté. Légitimer la volupté féminine dans le cadre de la procréation pose les limites d’une telle question en faisant du mariage un espace de tempérance. La femme, naturellement portée à la volupté et mue par sa matrice insatiable, doit être contrôlée ; la femme lascive, immodérée, sera perçue comme agissant hors de sa raison. Ce conflit entre raison et folie est le motif des mesures de prévention contre la lascivité, afin de garantir l’honnêteté de la jeune fille, de l’épouse ou de la veuve. Si ces règles sont largement imposées par les hommes – les femmes, dit-on, étant trop faibles, trop instables pour agir elle-même – il n’en demeure pas moins que les discours féminins défendent également ces idées de prévention, de danger de la lascivité. Plus qu’une perte de contrôle de soi, c’est la crainte de perdre l’honneur et donc la considération sociale comme la considération divine qui les motive. Il est d’ailleurs souvent difficile de distinguer la part de la croyance religieuse et celle de la convention sociale dans les discours féminins : non qu’il faille mettre en doute la sincérité des postures morales féminines, mais elles peuvent parfois être un masque nécessaire, un voile pour se protéger et gagner en tranquillité dans leurs relations aux hommes et, plus largement, à la société. Face au paradoxe du plaisir dans le mariage – nécessaire à la procréation, condamné dans son usage immodéré – les textes de la Renaissance qui envisagent la volupté féminine le font selon les trois états de la femme pendant sa vie, à savoir celui du célibat, du mariage et du veuvage. Dans cette perspective, nous souhaitons mettre en regard traités médicaux et textes de fiction : quel dialogue s’instaure-t-il entre eux et entre les voix masculines et féminines ? Quelle place donnent-ils à la volupté tout en essayant de la concilier avec l’impératif d’honnêteté ? Le mariage pourrait-il aussi être un espace de débats moraux et sociaux qui accueille la réflexion sur le plaisir féminin dans des limites données et légitimes, tout en les remettant subtilement en question ?
La littérature du mariage envisage cependant le plus souvent les limites de cette institution, en particulier par le motif de l’adultère. En toile de fond, c’est bien le plaisir qui motive la littérature sur le mariage. Ce n’est cependant que d’une façon implicite : l’adultère suppose en effet un désir qui pousse la femme à l’extérieur de l’espace conjugal – désir 37de volupté, de prendre du plaisir avec un autre que son mari – mais ce plaisir n’est jamais traité pour lui-même. Largement exploité dans la littérature narrative, empruntant à la fois à la littérature courtoise et aux fabliaux, l’adultère féminin sert bien souvent un propos misogyne ou édifiant qui vise à faire de la femme adultère un objet de moquerie ou un contre-exemple. La question du plaisir, plus particulièrement de la volupté, c’est-à-dire le moment du passage de la relation chaste à la relation luxurieuse, semble indissociable de l’adultère. Selon Madeleine Lazard, c’est même dans ces relations que « le plaisir sensuel s’éprouve donc surtout » (1995, p. 98). Étudier cette question pourrait alors se révéler une tâche bien lourde tant sont nombreux les textes qui mettent en scène l’adultère féminin. Si la volupté se déduit de l’adultère, sa formulation est pourtant bien peu présente dans les textes, le plaisir sexuel féminin s’instaurant comme une évidence lorsqu’il s’agit de faire de l’adultère un motif narratif. S’il est évoqué, il est le plus souvent réduit à une luxure qui tient à la nature lascive de la femme et n’a pas d’autre fonction que de venir nourrir un discours qui, plus que véritablement misogyne, ne repose que sur des poncifs permettant d’ancrer un système de personnages dans des motifs traditionnels.
De la relation au mari à celle à l’amant, du plaisir nécessaire à la procréation au plaisir déviant, quelle place les textes et les discours de la Renaissance – littéraires, didactiques, moralistes, médicaux, philosophiques – accordent-ils à la volupté féminine dans le mariage et comment arrivent-ils à dépasser le topos de la femme lascive en proposant une approche diverse de la volupté féminine ? La volupté se pense par le regard d’un autre, le mari, envisagé, actuel ou disparu. Il s’agit pour les auteurs qui soulèvent le sujet de définir la place de la femme dans ce cadre par rapport à la volupté, comme leur propre place face à la question et aux débats possibles.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-12701-7
- EAN: 9782406127017
- ISSN: 2261-5741
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-12701-7.p.0035
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 02-23-2022
- Language: French