Présentation
- Publication type: Book chapter
- Book: Pantomimes fin de siècle en Autriche et en Allemagne. Textes et contextes
- Pages: 289 to 291
- Collection: Nineteenth-Century Library, n° 95
Présentation
L’écrivain autrichien Max Mell (1882-1971), originaire de l’actuelle Slovénie, est l’auteur de poèmes, récits, pièces et critiques de théâtre. Son attachement à la tradition viennoise est sensible dans sa première pantomime, où se mêlent les influences de la comédie populaire, des spectacles de marionnettes et de la littérature pastorale. Rédigée1 et jouée à Vienne en 1907, elle présente des similitudes avec la pantomime « grotesque » Veilchenspiel [Cérémonie des Violettes] de l’écrivain régionaliste Joseph August Lux, donnée un an plus tôt dans le jardin du castel Marie-Thérèse, à Vienne, et librement inspirée d’une fête moyenâgeuse, où courtisans et paysans s’affrontent dans un renversement carnavalesque de l’ordre social.
Ici aussi, il s’agit d’un projet sécessionniste de spectacle en plein air, dans des décors et costumes Jugendstil, donné à l’initiative des artistes Koloman Moser et Josef Hoffmann. L’idée est de renouveler les traditionnelles fêtes printanières2 en leur insufflant une ambition artistique à travers la représentation d’une pantomime et l’exposition-vente d’objets émanant des ateliers Wiener Werkstätte. La fête se déroule dans l’enceinte du parc Dreher (quartier de Meidling), les 6 et 7 juin 1907, comme cela est indiqué sur la couverture de la publication originale de la pantomime. La page de titre précise que la musique est de Rudolf Braun, les décors et la mise en scène d’Eduard Josef Wimmer – architecte d’intérieur et enseignant à l’école des arts décoratifs –, et que les danses des paysannes ont été chorégraphiées par Else, l’une des cinq sœurs Wiesenthal. Dans 290ses mémoires, Grete Wiesenthal évoque les lignes géométriques des décors et costumes, qui font contraster le noir, le blanc et l’or pour le roi, sa cour, son trône, d’une part, et les couleurs vives pour les groupes de joyeux paysans, d’autre part, également différenciés dans l’orchestration3. L’ensemble se déroule dans un décor stylisé, devant un rideau blanc qui met en valeur les chorégraphies.
À Grete Wiesenthal est confié le rôle principal, celui de la danseuse que se disputent le jeune roi, Hanswurst et le pâtre. Ce dernier est joué par le peintre et décorateur Erwin Lang, l’époux de Grete Wiesenthal, dont les sœurs Bertha et Hilda endossent, quant à elles, le rôle de paysannes. L’ensemble est placé sous le signe de l’antagonisme entre la société courtoise, compassée, et l’élan vital qu’incarne le monde paysan, et tout particulièrement Hanswurst. Ce personnage comique autrichien né au xvie siècle, enrichi par les improvisations du comédien Joseph Anton Stranitzky à la fin du xviie siècle, fait fureur dans les théâtres des faubourgs de Vienne jusqu’au milieu du xixe siècle4. Dans la pantomime de Mell, son rôle de bouffon, d’amuseur affublé d’un bonnet à grelots, fait de lui un intermédiaire entre la cour et le peuple, tout en le rapprochant de Pierrot par son infortune d’amoureux éconduit. La marionnette qu’il brandit lui sert de monnaie d’échange contre la danseuse. À l’image d’Olympia, dans la nouvelle d’Hoffmann L’Homme au sable, elle exerce une fascination hypnotique sur celui qui la regarde et se plaît à la manipuler sans rencontrer de résistance, à l’inverse de la danseuse. Elle constitue à la fois une mise en abyme de la séduction amoureuse5, un symbole de l’art pantomimique et une métaphore des jeux de pouvoir dans la société. Avide de s’emparer du sceptre du roi 291au début de la pantomime, la danseuse a également le mot de la fin, puisqu’elle échappe à la sentence de mort, prononcée contre elle et le pâtre, par un pied de nez sarcastique6 et s’enfuie, la marionnette en main. La danseuse et son substitut – ou son double – sont ainsi réunis ; la vitalité comique triomphe du tragique, mais aussi du sentimentalisme pastoral incarné par le pâtre, qu’elle abandonne à son triste sort sans l’ombre d’un remords, semble-t-il. C’est un dénouement étonnant, propre à déjouer l’horizon d’attente du public, habitué à des codes théâtraux éculés. On peut donc y déceler un clin d’œil, voire un « pied de nez », de l’auteur.
La Danseuse et la Marionnette est représentée à nouveau le 20 juin 1908 lors de la soirée d’inauguration du théâtre de verdure intégré à l’exposition de la Sécession (Kunstschau Wien)7, avec, en guise de prologue, des scènes de danse mises en musique par Franz Schreker. Également conçu dans le style sécessionniste et destiné à accueillir des spectacles novateurs, ce théâtre de verdure se prête particulièrement à des formes plus intimistes comme la pantomime. Une autre pantomime de Max Mell, Der silberne Schleier8 [Le Voile argenté], y est d’ailleurs représentée le 23 juin 1908, avec les sœurs Wiesenthal et Erwin Lang, dans le rôle d’un jeune paysan qui surprend des elfes dansant au clair de lune – sans doute une réminiscence du Songe shakespearien – et séduit l’une d’elles en dérobant son voile. Et dans ce même théâtre de verdure, Grete Wiesenthal joue également, quelques jours plus tard, dans la pantomime L’Anniversaire de l’infante9, d’après Oscar Wilde, sur une musique de Franz Schreker. La danseuse connaîtra un succès grandissant à travers sa coopération avec Hofmannsthal et Reinhardt. Ces représentations en plein air forment un tout avec les œuvres exposées par la Sécession et participent ainsi à son idéal de synthèse des arts.
1 Max Mell, Die Tänzerin und die Marionette. Pantomime, Wien, édition privée, s. d. L’imprimeur est « Ohwlala’s Druck », comme pour la pantomime de Joseph Lux, selon les codes graphiques de l’Art nouveau.
2 Cf. le compte rendu paru dans le journal Wiener Allgemeine du 6 juin 1907, cité dans Die neue Körpersprache, op. cit., p. 50 : « Einmal mit dieser ganzen Meiningerei schablonierter Frühlingsfeste zu brechen und etwas auf eigene Faust zu machen […]. » Outre les décors, l’auteur de l’article loue également la grâce et le naturel qui caractérisent les mouvements et la mimique de Grete Wiesenthal.
3 Grete Wiesenthal, Der Aufstieg, op. cit., p. 208 : « An der dekorativen Ausstattung der kleinen Tanzpantomime arbeitete der Architekt Josef Wimmer mit Hilfe der Kunstgewerbeschüler, welche eine Hofgesellschaft mit König und Thron in Schwarz, Weiß und Gold im Gegensatz zu den in grellen Farben spielenden Bauerngruppen auf die Bühne stellten. » La danseuse ajoute que la pantomime fut reçue très favorablement par le public et par la presse (ibid., p. 209). On trouvera des photos de la mise en scène dans Grete Wiesenthal. Die Schönheit der Sprache des Körpers im Tanz, op. cit. Les stands disposés dans le jardin ont été également peints en blanc, noir et or par les élèves de Moser et Hoffmann.
4 Cf. Beatrix Müler-Kampel, « Hanswurst, Bernardon, Kasperl », art. cité ; Marc Lacheny, Littérature ‘d’en haut’, littérature ‘d’en bas’ ?, op. cit.
5 On retrouve ce thème de la marionnette dans Les Métamorphoses de Pierrot et dans Sumurûn. Cf. aussi la pantomime Marionettentreue (Fidélité de marionnette, 1900), de l’écrivain et journaliste autrichien Rudolf Holzer (1875-1965).
6 Le texte édité matérialise ce pied de nez (« lange Nase », en allemand), puisque la disposition graphique du dernier paragraphe évoque la forme d’un long nez, même si cette mise en page se retrouve dans d’autres publications Jugendstil, comme dans l’édition du ballet-pantomime de Julius Bittner, Der Mantel der Liebe, op. cit.
7 Sur ce théâtre de verdure, cf. Gertrud Pott, Die Spiegelung des Sezessionismus im österreichischen Theater, op. cit., p. 158.
8 Le texte de cette pantomime est aujourd’hui introuvable. Elle a été représentée le 23 juin 1908 sur une partition de Karl Lafite et dans des costumes conçus par Berthold Löffler. On en trouve l’argument dans Hartmut Vollmer, Die literarische Pantomime, op. cit., p. 280-281.
9 Cf. le catalogue Kunst in Wien um 1900, op. cit.
- CLIL theme: 3440 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- XIXe siècle
- ISBN: 978-2-406-12938-7
- EAN: 9782406129387
- ISSN: 2258-8825
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-12938-7.p.0289
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 07-06-2022
- Language: French