Notice sur Emmeline
- Publication type: Book chapter
- Book: Nouvelles
- Pages: 123 to 124
- Collection: Classiques Jaunes (The 'Yellow' Collection), n° 759
- Series: Littératures francophones
Notice sur Emmeline
Publiée le 1er août 1837, Emmeline est la première des six nouvelles que Musset compose pour honorer son contrat avec Buloz, le directeur de la Revue des Deux Mondes. L’intrigue relate la brève idylle de 1835 entre l’auteur et une femme du monde, Caroline Jaubert, qui restera sa confidente privilégiée et qu’il continuera d’appeler sa « marraine1 ».
Balzac voyait dans ce récit un chef-d’œuvre « de la Nouvelle moderne2 », tout en reprochant le manque d’originalité de son sujet qui tourne autour de l’adultère. Mais c’est en replaçant l’intrigue par rapport à La Confession d’un enfant du siècle, publiée un an et demi plus tôt, que l’on comprend la nouveauté d’Emmeline. Un lien s’établit entre les deux œuvres, dont l’intrigue s’organise autour d’un personnage masculin venant bouleverser la vie d’une femme respectée et qui, après une brève aventure, doit laisser sa place à un autre et reste le seul « malheureux » des trois3. Cette convergence de situation avec la Confession nous permet de mesurer la distance parcourue par Musset. À la violence des rapports entre Brigitte et Octave, à la jalousie délirante du personnage qui porte un regard d’une étonnante lucidité sur sa propre folie, 124succède un récit fluide, s’écoulant sans heurt, et ne laissant au lecteur qu’un goût fade de mélancolie, presque de vide. Il est loin le temps où l’auteur, confondant sa voix avec celle de son personnage, criait dans un lyrisme effréné son « malaise inexprimable », et la souffrance d’une jeunesse en proie au « mal du siècle ». Gilbert, le héros d’Emmeline, n’est ni exalté, ni désespéré, ni jaloux ; il ne crie pas sa solitude, n’éprouve pas le mal de vivre, ne s’insurge pas contre le monde dans lequel il vit. Ses faits et gestes sont rapportés par un narrateur anonyme qui, loin de se faire transparent – comme il le sera dans la plupart des récits en prose composés après Les Deux Maîtresses –, intervient dans l’histoire et semble reléguer la fiction dans un espace et un temps qui n’appartiennent ni à l’auteur, ni au lecteur.
Le classicisme, qui marquera les récits suivants, s’installe déjà dans cette nouvelle qui rappelle La Princesse de Clèves, aussi bien par le ton que par le dénouement : le refus d’éviter les malheurs de l’amour et la décision de céder « à la raison et au devoir ». Peut-être faut-il voir un souvenir de Bérénice dans un récit qui réussit à faire « quelque chose de rien », comme certains proverbes de Musset, et notamment Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée. Avec cette histoire, confinée dans un espace de quelques dizaines de mètres autour de la rue Taitbout où demeurait Caroline Jaubert, on pense à la pièce de Racine, dont Emmeline reprend les expressions, à cet « invitus invitam » qui caractérisait la séparation des amants : Titus se pliant à la raison d’État renvoyait Bérénice, « malgré lui, malgré elle ». Gilbert se soumet au nouvel ordre bourgeois, celui de l’hôtel de Marsan et de la « sévère » Sarah, et abandonne Emmeline à un mari qu’elle n’aime plus et qui ne l’aime plus. Entre La Confession d’un enfant du siècle et la première des six nouvelles, Musset a écrit les Lettres de Dupuis et Cotonnet, qui épinglent, sous couvert de la naïveté provinciale des deux personnages, les travers du romantisme. En 1837, le romantisme de Musset est bel et bien mort, et avec lui les Lorenzo, Frank, Rolla ou autre Cœlio de sa poésie et de son théâtre.
1 « Le fond de l’histoire est vrai ; c’est l’histoire de la première liaison et de la première rupture d’Alfred de Musset avec Caroline Jaubert. Celui qui est ici désigné comme le mari d’Emmeline est M. Achille Boucher, qui était le prédécesseur d’Alf. de Musset dans les bonnes grâces de Mme Jaubert ; Musset le supplanta, mais bientôt surgit une querelle parce qu’il apprit que M. Laurent Batta était des mieux accueilli par la dame. Il partit pour Bade ; à son retour, Mme Jaubert rompit avec Batta et se remit alors avec Alfred de Musset. » (Maurice Clouard, L’Œuvre de Alfred de Musset II, dossier, fonds Spoelberch de Lovenjoul, F 1014, f. 30 ; la remarque sur le départ pour « Bade » est inexacte, puisque c’est en septembre 1834, après sa première rupture avec George Sand, que Musset se rendit à Baden, et non en 1835 après la liaison avec Mme Jaubert.)
2 Voir annexe III, p. 383.
3 Paul de Musset faisait déjà remarquer le rapprochement entre les deux œuvres : « Les lecteurs attentifs qui voudront en prendre la peine découvriront aisément quelques traits de ressemblance entre Emmeline et Brigitte Pierson » (éd. des Amis, tome X, notice de P. de Musset, p. 25).
- CLIL theme: 3440 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- XIXe siècle
- ISBN: 978-2-406-14306-2
- EAN: 9782406143062
- ISSN: 2417-6400
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-14306-2.p.0123
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 02-08-2023
- Language: French