Vie de saint Martin de Tours
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: Nouveau Répertoire de mises en prose (suite). Récits brefs et autres genres (xiiie-xvie siècle)
- Author: Crosio (Martina)
- Pages: 417 to 422
- Collection: Literary Texts of the Middle Ages, n° 75
- Series: Mises en prose, n° 11
Vie de saint Martin de Tours
(Martina Crosio)
(A) la prose
– auteur : anonyme
– dédicataire : non mentionné
– datation : xve siècle (1423-1439, voir infra)
– manuscrit unique :
Tours, BM, 1025 (ARCA). Parchemin, 117 f. numérotés en chiffres arabes en haut à droite ; 260 x 175 mm. Très bien conservé, malgré la perte des premiers feuillets (qui correspondent aux 592 premiers vers de la source), ce beau volume est dépourvu d’illustrations. Copié vraisemblablement dans la seconde moitié du xve siècle, il ne contient que la Vie de saint Martin de Tours. Le texte, sur 24 longues lignes par page, est écrit à l’encre brune en une bâtarde bourguignonne soignée ; les réglures, tracées en rouge, sont toujours visibles. Chaque paragraphe est inauguré par une lettrine rouge ou bleue à décors variés (2 UR) ; les mêmes couleurs alternent dans les pieds-de-mouche et les bouts de ligne. Les premières pages du manuscrit sont abîmées : en particulier le f. 1 présente un trou en bas au centre qui affecte malheureusement la surface écrite ; un feuillet a aussi été arraché entre les f. 27 et 28 actuels : visible dans le manuscrit, la lacune est évidente dans le texte.
L’épilogue cite un roi Charles, la reine, et le dauphin (« qu’i [= Dieu] doint bonne santé, et bonne vie et longue à nostre bon roy Charles et la royne, à monseigneur le Daulphin », f. 117r) : il pourrait s’agir soit de Charles VII (roi de France de 1422 à 1461), de son épouse Marie d’Anjou (1404-1463), et de leur fils Louis XI (1423-1483), soit de Charles VIII (roi de France de 1483 à 1498), d’Anne de Bretagne (reine 418entre 1491 et 1498), et de l’un des leurs deux fils, Charles-Orland de France (1492-1495) ou Charles de France (né et mort en 1496). L’évocation, immédiatement après, de prisonniers royaux toujours aux mains des ennemis (« aussi vueille delivrer tous prisonners du sang real qui sont és mains de noz ennemys », f. 117v) semble faire allusion à la longue captivité anglaise (1415-1439) de Charles Ier duc d’Orléans, cousin germain de Charles VII, et à la guerre de Cent Ans ; si cette interprétation est la bonne, la datation de l’œuvre oscillerait entre 1423, date de naissance de Louis XI, et 1439, an de la libération de Charles d’Orléans.
incipit : s’agissant d’un manuscrit acéphale, l’incipit manque ; le premier folio conservé débute ainsi : « …luy escria que s’il se fioit tant en son Dieu, qu’il se meist dessoubz le pyn et il se feroit cheoir sur luy pour veoir se son Dieu le deffendroit qu’il ne fust tuez… » (f. 1r).
explicit : « Et aprés ces choses, quant noz ames partiront de noz corps, qu’il les vueille recevoir en sa gloire en son paradis, laquelle gloire nous doint et octroye le Pere, le Filz et le Sainct Esperit, la benoiste Trinité, ung Dieu en troys personnes, qui vit et regne in secula seculorum, amen, ainsi soit il. Deo gracias » (f. 117r-v).
– organisation du texte
Lacunaire du début, le titre et le prologue manquent dans le manuscrit. Le texte est réparti en paragraphes, chacun introduit par une lettrine ou un pied-de-mouche. L’organisation du texte est identique à celle de la Vie en vers (sauf pour l’inversion de deux épisodes) : la division en paragraphes coïncide habituellement avec la disposition des initiales décorées dans le seul manuscrit conservé du poème (Paris, BnF, fr. 1043). Il faut néanmoins signaler quelques omissions par rapport à celui-ci : si dans la plupart des cas il s’agit d’épisodes très brefs, au moins dans une circonstance (f. 13r de la prose) la lacune est importante et correspond à trois feuillets du manuscrit en vers (f. 39r-42r), sans qu’on puisse en déterminer la cause. Au f. 72r du ms de Tours on relève en revanche une dittographie qui s’étend sur trois paragraphes.
La mise en prose, qui respecte fidèlement le contenu de son modèle, s’ouvre par le récit de quelques épisodes de la vie de Martin et surtout des prodiges qui se seraient produits de son vivant ; elle se prolonge par 419la narration des miracles posthumes, qui constituent de loin la partie prépondérante du texte en couvrant environ le 72 % du total.
La prosification suit de très près le texte en vers transmis par le ms fr. 1043 ; cette proximité est d’abord quantitative, comme le montre un simple calcul : pour la section comparable, le poème compte environ 54 000 mots, son adaptation 51 000. Même si la distance entre la prose et son modèle n’est pas la même tout au long du texte, on peut quand même classer cette transposition comme « fidèle » d’après les paramètres établis par Annie Combes (« L’emprise du vers dans les mises en prose romanesques (xiiie-xve siècle) », in Le Moyen Âge par le Moyen Âge, même. Réception, relectures et réécritures des textes médiévaux dans la littérature française des xive et xve siècles, Paris, Honoré Champion, 2012, p. 115-140). Non seulement l’enchaînement des prodiges et des miracles respecte scrupuleusement celui de la source, mais le lexique est en grande partie conservé et la prose garde aussi, par endroits, des traces d’octosyllabes.
Notre Vie est l’une des rares mises en prose hagiographiques qui donne des indications précises sur son modèle et qui évoque explicitement le passage du vers à la prose (Ferrari 2014, p. 157) : « Ung jeune enfant, qui estoit debout et estoit cousin à celluy qui ceste histoire mist en rime, laquelle j’ai translatee et mise en prose comme vous voyez… » (f. 107r) ; « À ce derrain miracle cy se taist Payen Gastineau, qui ce livre fist et ceste hystoyre mist en rime. Et pource qu’il n’en parle plus, fault que je me taise, moy, comme non saichant, qui ay translaté et mys de ryme en prose ce que Paien Gastineau avoit fait » (f. 117r).
Épilogue :
À ce derrain miracle cy se taist Payen Gastineau, qui ce livre fist et ceste hystoyre mist en rime. Et pource qu’il n’en parle plus, fault que je me taise, moy, comme non saichant, qui ay translaté et mys de ryme en prose ce que Paien Gastineau avoit fait. Si prenez en gré et, s’il y a faulte de langaige ou d’escripture, si vueillez supplier à mon nom sens et à ma simplesse, et icelluy corriger le plus gracieusement que pourrez. Aussi vous plaise, tous et toutes qui ceste hystoire orrez, priez [sic] à nostre bon patron, ce noble confesseur pa<i>r des appostres monseigneur sainct Martin, qu’il vueille prier et soit nostre advocat et intercesseur env<e>rs nostre doulx saulveur Jhesu Crist, qu’i doint bonne santé et bonne vie et longue à nostre bon roy Charles et la royne, à monseigneur le Daulphin, à leur lignee et à tous ceulx du sang royal aiant bonne voulenté ; et ceulx qui mauvaise l’ont, Dieu les vuelle amander tellement qu’ilz recongnoissent leur droicturier Seignieur [sic] ; aussi vueille delivrer tous prisonners du sang real qui sont és mains de noz ennemys, aussi 420que nous puissons avoir bonne paix et union en ce reaulme, à l’onneur et au prouffit du roy et de la chose publique, à la confusion et deshonneur de ces anciens ennemys estranges et privez. Et aprés ces choses, quant noz ames partiront de noz corps, qu’il les vueille recevoir en sa gloire en son paradis, laquelle gloire nous doint et octroye le Pere, le Filz et le Sainct Esperit, la benoiste Trinité, ung Dieu en troys personnes, qui vit et regne in secula seculorum, amen, ainsi soit il. Deo gracias (f. 117r-v).
(B) la source
Vie de saint Martin de Tours, poème en octosyllabes (10 296 vers : Söderhjelm 1899) composé dans le deuxième quart du xiiie siècle par Péan Gastineau, chanoine de l’église Saint-Martin de Tours. Il s’agit d’une grande compilation de différentes sources latines, dont les principales sont la Vita Martini, les Epistulae et les Dialogi de Sulpice Sévère (généralement regroupés par les copistes médiévaux sous l’intitulé Martinellus) et les Libri VIII miraculorum de Grégoire de Tours, auxquelles s’ajoutent des miracles appartenant sans doute à la tradition orale : pour un aperçu du contenu du poème et une analyse détaillée de ses sources, voir Söderhjelm 1896 (p. 4-12).
manuscrit unique : Paris, BnF, fr. 1043 (Gallica). Seconde moitié du xiiie siècle, Tours (?). Parchemin ; 259 f. numérotés en chiffres arabes en haut à droite ; 290 x 185 mm (justification : 200 x 125 mm) ; 20 lignes par page. Le texte est précédé de deux gardes en parchemin et suivi d’une garde en parchemin et d’une autre en papier (moderne celle-ci). Écriture gothique. Des feuillets manquent entre les f. 54 et 55, 88 et 89. La décoration consiste en une initiale historiée à antenne (f. 1r) représentant saint Martin qui coupe son manteau pour habiller un mendiant ; l’antenne est ornée d’un personnage au-dessous de la lettre l’initiale, de deux animaux qui s’embrassent et d’un oiseau perché sur une tige fleurie dans la marge inférieure ; armes de Louis XII. D’autres initiales filigranées à antenne de I sont disséminées dans le texte ; majuscules rehaussées à l’encre ocre. Ce volume a appartenu au roi Charles V.
éditions
J.-J. Bourassé 1860, Vie de monseigneur saint Martin de Tours par Péan Gatineau, poète du xiiie siècle, publiée d’après un manuscrit de la Bibliothéque impériale, Tours, Mame [édition partielle jusqu’au vers 3712]
421W. Söderhjelm 1896, Leben und Wunderthaten des heiligen Martin. Altfranzösisches Gedicht aus dem Anfang des XIII Jahrhunderts, Tübingen, Bibliothek des literarischen Vereins in Stuttgart
W. Söderhjelm 1899, Das altfranzösische Martinsleben des Péan Gatineau aus Tours, Helsinki, Wentzel Hagelstam
(C) histoire de la prose
On connaît au moins cinq éditions anciennes, dont deux incunables :
(1) Tours, Mathieu Latheron pour Jean du Liège (Jean de Marnef), 7 mai 1496 : il s’agit de l’un des premiers incunables tourangeaux. [London, BL, C-22-b-51 (vélin) ; Paris, BnF, Vélins 1159 (Gallica) ; Wien, ÖNB, Ink 5-G-4]
GW, M21366 ; ISTC, im00317800 ; USTC, 71342 (766987) ; CIBN, V-240 ; FVB, 36978 ; Bechtel 2010, V-278
(2) Paris, Michel Le Noir, 15 avril 1500 (1499 « avant pasques ») [Modena, B. Estense U., alpha-C-2-12 ; Oxford, Bodl. Libr., Bod-Inc. M-129 ; Paris, BnF, Rés. 8-Ln27-13600(B)]
GW, M21363 ; ISTC, im00318000 ; USTC, 767705 (71343) ; CIBN, V-241 ; FVB, 36979 ; Bechtel 2010, V-279
(3) Paris, Michel Le Noir, 26 septembre 1516 [Paris, BnF, Rés. Ln27-13600]
USTC, 26347 ; Moreau II, n. 1502 ; FVB, 36981 ; Bechtel 2010, V-282
(4) Paris, Veuve Trepperel et Jean Janot, s. d. [entre 1516 et 1519][Tours, BM, Rés. 2866]
Bechtel 2010, V-281
(5) Paris, Jean II Trepperel, s. d. [vers 1530][Tours, BM, Rés. 2744]
USTC, 95793 ; FVB, 36982
422(D) bibliographie
(1) édition
Édition en cours par Martina Crosio.
(2) bibliographie critique
S. Bledniak 1994, « L’hagiographie imprimée : œuvres en français, 1476-1550 », in Hagiographies. Histoire internationale de la littérature hagiographique latine et vernaculaire en Occident des origines à 1550, Turnhout, Brepols, I, p. 359-405 (p. 363, 367, 394) [le texte de l’incunable de Tours n’est pas reconnu en tant que mise en prose]
B. Ferrari 2014, « Réécritures en prose de poèmes hagiographiques français. Premier recensement », in Pour un nouveau répertoire des mises en prose. Roman, chanson de geste, autres genres, Paris, Classiques Garnier, p. 151-163
M. Crosio 2022, « La Vie de saint Martin de Tours en prose : du manuscrit à l’imprimé », in Cahiers de Recherches Médiévales et Humanistes, 44, p. 93-121
M. Crosio 2024, « Du manuscrit à l’editio princeps : l’évolution lexicale dans la Vie de saint Martin de Tours en prose », in Études diachroniques, 2, p. 33-46
- CLIL theme: 3438 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moyen Age
- ISBN: 978-2-406-15796-0
- EAN: 9782406157960
- ISSN: 2261-0804
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-15796-0.p.0417
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 04-30-2024
- Language: French