A tribute to Jean-François Sablayrolles
- Publication type: Journal article
- Journal: Neologica
2021, n° 15. Les études de néologie au XXIe siècle. Un état de la recherche européenne - Author: Humbley (John)
- Pages: 11 to 14
- Journal: Neologica
Hommage à Jean-François Sablayrolles
Comment une revue peut-elle rendre hommage à son fondateur ? Comment la revue Neologica peut-elle reconnaître tout ce qu’elle doit à Jean-François Sablayrolles ? Elle lui doit avant tout son existence, bien sûr, mais elle fait également partie d’un héritage plus large, de tout ce que Jean-François Sablayrolles a créé pour établir la néologie comme branche authentique de la linguistique. Neologica figure donc à côté des nombreuses autres publications qu’il a signées lui-même, articles, livres, allant du plus strictement théorique aux ouvrages de vulgarisation de bonne tenue. Mais l’héritage s’est aussi transmis à travers ses étudiant/es – en particulier les doctorant/es – qu’il a formé/es en France et de par le monde, les réseaux qu’il a créés ou avec lesquels il était en correspondance, les bases de données de néologie et les outils de veille qu’il a contribué à concevoir. Tous ces aspects participent de la même ambition : donner aux études de néologie la crédibilité qu’elles méritent. De très nombreuses réalisations donc, mais dont Neologica est la pièce maîtresse.
Ces différentes activités sont les facettes d’une stratégie globale qui visait à consolider, à institutionnaliser la néologie dans le paysage universitaire. La clé de voûte de cet ensemble est la cohérence linguistique de la néologie, garantie par des activités de recherches larges, s’appuyant sur un soubassement théorique solide et amplement illustrée dans la longue liste de publications reproduite dans l’ouvrage issu du colloque de Vérone1. Le deuxième élément, c’est la formation en néologie en tant que composante de la linguistique, vaste chantier que Jean-François Sablayrolles avait investi à Paris XIII (Villetaneuse, aujourd’hui l’Université Sorbonne Nord) ; des départements de linguistique en France et surtout à l’étranger comptent désormais dans leurs rangs de jeunes enseignant/es spécialisé/es en néologie qu’il a formé/es, souvent à distance, anticipant ainsi les tendances actuelles. Le troisième élément, le prolongement international sous forme de réseaux de différentes natures, 12va de pair avec la formation et le quatrième, l’outillage informatique, a fait l’objet d’une longue maturation, allant de la conception d’une base d’analyse néologique, dont les prémisses étaient déjà exposées dans Sablayrolles (2000)2 sous la forme de tableaux de matrices néologiques, à un outil de veille et d’analyse, conçu avec Emmanuel Cartier.
Comment Jean-François Sablayrolles a-t-il réalisé ce projet scientifique au cours d’une carrière universitaire, qui, nous le savons tous, n’est pas un long fleuve tranquille ? Il a commencé sa carrière dans l’enseignement secondaire en tant que professeur agrégé de grammaire, mais sa passion pour la néologie l’a incité à mener des recherches dont l’issue logique a été une thèse en linguistique. Et c’est en essayant d’accéder aux principales publications de néologie, très dispersées à l’époque, que Jean-François, suivant le conseil d’Elisabeth Blanchon, un jour d’été de 1988, a poussé la porte du CTN, Centre d’étude de terminologie et de néologie, équipe de recherche de l’INaLF (Institut national de la langue française), dirigée à l’époque par Pierre Lerat, secondé par l’auteur de ces lignes. L’équipe de recherche était spécialisée, comme son nom l’indique, en terminologie et en néologie et possédait un fonds documentaire consultable par le public. Au bout d’une journée de consultations et de conversations, nous nous sommes promis de nous revoir et lorsqu’il a été parti, nous constations que c’était la première fois que quelqu’un venait au CTN non pas pour la terminologie ni même la néologie terminologique, mais pour la néologie en tant que telle. Remarque prémonitoire, car le projet de thèse murissait déjà, sous l’œil attentif de Blanche-Noëlle et de Roland Grunig.
Lorsque la thèse est arrivée à maturité et qu’il a été question de constituer un jury, le nom de Bernard Quemada, autorité incontestée de la néologie depuis plus de trente ans à l’époque, a été tout de suite évoqué. Mais c’était hélas déjà trop tard. Bernard Quemada s’était en effet retiré des jurys de soutenance pour se consacrer à ses activités éditoriales. La soutenance de Jean-François Sablayrolles s’est donc déroulée peu avant Noël 1996 à Paris 8 Saint-Denis sans Quemada… et sans chauffage, celui-ci étant arrêté pendant le weekend, mais néanmoins avec beaucoup d’enthousiasme et de chaleur humaine, les membres du jury ayant pleinement conscience que cette somme ferait date. Après avoir lu le manuscrit, Quemada a tenu à ce qu’il soit publié dans la collection qu’il dirigeait avec Jean Pruvost chez Honoré Champion, 13« lexica. Mots et dictionnaires ». C’est ainsi qu’une version synthétique de la thèse qui tenait lieu en même temps de manifeste a été présentée à la communauté des linguistes.
La thèse a été suivie d’un colloque fondateur, « L’innovation lexicale », organisé à l’Université de Limoges, où Jean-François se trouvait alors en poste, rencontre qui confirma l’intérêt qu’avait généré la néologie en France et à l’étranger. Les participants venaient de tous les coins de l’Hexagone et bien au-delà : les collègues de la Péninsule ibérique qui avaient choisi le train de nuit avaient débarqué à la Gare des Bénédictins à quatre heures du matin, et, en hôte parfait, Jean-François était là pour les accueillir. Ce colloque fondateur a marqué une prise de conscience pour les linguistes de la place qu’occupe la néologie en sciences du langage. Et lorsque Jean Pruvost, créateur des Journées du dictionnaire à l’université de Cergy-Pontoise, a été chargé par les PUF de rédiger un « Que sais-je ? » sur la néologie, il a tout de suite fait appel à Jean-François Sablayrolles comme co-auteur.
En 2005, Claude Blum, directeur de collection aux éditions Classiques Garnier, s’est adressé à Jean-François Sablayrolles en tant qu’auteur des publications les plus marquantes sur la question pour fonder une revue spécialisée en néologie. Jean-François a accepté en demandant que je sois associé à ce beau projet. La perspective de lancer une publication périodique consacrée à la néologie était plus qu’enthousiasmante, mais non sans inconvénient à un moment où le paysage éditorial en linguistique se fragmentait de plus en plus. Nous avons donc suggéré qu’elle prenne la forme d’une livraison annuelle supplémentaire des Cahiers de lexicologie, fondés en 1959 par Quemada et qui venaient de tomber sous la houlette des éditions Classiques Garnier. Ce n’était pourtant pas la politique de la maison d’édition et c’est donc fin 2006 / début 2007 que le premier numéro de Neologica est paru, profitant d’une journée d’étude sur la dénomination organisée en 2004 à Paris-Diderot par la Cellule de Recherche en linguistique sous la responsabilité d’Amr Ibrahim, de Claire Martinot, et, sur place, de Marie-Christine Magloire et de Jean-Michel Benayoun. Les premiers numéros ont nécessité des prodiges de publicité surtout sous forme de bouche à oreille pour susciter suffisamment de propositions d’articles valables et pendant les premières années les directeurs ont dû surseoir à leur engagement de ne pas publier dans la revue dont ils avaient la responsabilité.
Jean-François Sablayrolles avait bien prévu l’exploitation de corpus de plus en plus importants pour la veille néologique : sa nomination 14au Laboratoire de linguistique informatique (LLI) de Paris XIII fut la parfaite illustration de l’adage « la bonne personne au bon endroit et au bon moment ». La base de données néologiques, Neologia, patiemment élaborée au fil des années avec les collègues du LLI, devenu LDI, notamment avec Emmanuel Cartier, a permis l’incorporation de cet outil d’analyse dans le dispositif de veille Néoveille. Cette nouvelle étape était particulièrement importante, car elle allait permettre le traitement d’une quantité de données jusqu’alors hors de portée et l’extension à d’autres langues, ouvrant ainsi la voie à une internationalisation des études et des pratiques de néologie. Cette internationalisation prit alors la forme de projets, en particulier dans le cadre des programmes Barrande avec la République tchèque et Polonium avec la Pologne, dont l’un est encore en cours. Jean-François a tenu à rédiger l’essentiel de l’analyse des données françaises, ayant alors encore la perspective que les collègues compléteraient. Le volume qui en résultera sera donc un hommage à Jean-François et à sa prévoyance.
Travailler avec Jean-François ne nécessitait aucune organisation formelle. Lorsqu’il s’agissait de préparer un numéro de Neologica, tout se faisait naturellement sans qu’il y ait de répartition a priori des rôles. Dès sa conception, la revue devait comprendre deux parties, l’une thématique et l’autre ouverte à toute autre étude de néologie. Les thématiques avaient été envisagées d’un commun accord au moment du lancement pour couvrir l’essentiel du périmètre : néologie et nomination, néologie et littérature, néologie et lexicographie, néologie et traduction spécialisée… Lorsqu’il s’agissait de lancer un appel à publications, chacun faisait au mieux pour que les spécialistes de la question soient bien informés qu’une fenêtre d’opportunité s’ouvrait à eux. La rédaction de l’introduction de chaque numéro se faisait le plus souvent à quatre mains et, au moment de réviser, il n’était pas rare que l’un ne sache plus qui avait rédigé quelle partie.
Une des plus grandes satisfactions de Jean-François était d’avoir trouvé les bons successeurs pour la direction de la revue, revue qui sera en quelque sorte son mémorial.
John Humbley
1 Tallarico Giovanni, Humbley John et Jacquet-Pfau Christine (dir.) (2020), Nouveaux horizons pour la néologie en français : Hommage à Jean-François Sablayrolles, Limoges, Lambert-Lucas, Collection, La lexicothèque.
2 Sablayrolles Jean-François (2000), La néologie en français contemporain. Examen du concept et analyse de productions néologiques récentes, Paris, Honoré Champion.
- CLIL theme: 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
- ISBN: 978-2-406-11896-1
- EAN: 9782406118961
- ISSN: 2262-0354
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-11896-1.p.0011
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 06-16-2021
- Periodicity: Annual
- Language: French