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Classiques Garnier

Hommage à Jean-François Sablayrolles

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Neologica
    2021, n° 15
    . Les études de néologie au XXIe siècle. Un état de la recherche européenne
  • Auteur : Humbley (John)
  • Pages : 11 à 14
  • Revue : Neologica
  • Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
  • EAN : 9782406118961
  • ISBN : 978-2-406-11896-1
  • ISSN : 2262-0354
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11896-1.p.0011
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 16/06/2021
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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Hommage à Jean-François Sablayrolles

Comment une revue peut-elle rendre hommage à son fondateur ? Comment la revue Neologica peut-elle reconnaître tout ce quelle doit à Jean-François Sablayrolles ? Elle lui doit avant tout son existence, bien sûr, mais elle fait également partie dun héritage plus large, de tout ce que Jean-François Sablayrolles a créé pour établir la néologie comme branche authentique de la linguistique. Neologica figure donc à côté des nombreuses autres publications quil a signées lui-même, articles, livres, allant du plus strictement théorique aux ouvrages de vulgarisation de bonne tenue. Mais lhéritage sest aussi transmis à travers ses étudiant/es – en particulier les doctorant/es – quil a formé/es en France et de par le monde, les réseaux quil a créés ou avec lesquels il était en correspondance, les bases de données de néologie et les outils de veille quil a contribué à concevoir. Tous ces aspects participent de la même ambition : donner aux études de néologie la crédibilité quelles méritent. De très nombreuses réalisations donc, mais dont Neologica est la pièce maîtresse.

Ces différentes activités sont les facettes dune stratégie globale qui visait à consolider, à institutionnaliser la néologie dans le paysage universitaire. La clé de voûte de cet ensemble est la cohérence linguistique de la néologie, garantie par des activités de recherches larges, sappuyant sur un soubassement théorique solide et amplement illustrée dans la longue liste de publications reproduite dans louvrage issu du colloque de Vérone1. Le deuxième élément, cest la formation en néologie en tant que composante de la linguistique, vaste chantier que Jean-François Sablayrolles avait investi à Paris XIII (Villetaneuse, aujourdhui lUniversité Sorbonne Nord) ; des départements de linguistique en France et surtout à létranger comptent désormais dans leurs rangs de jeunes enseignant/es spécialisé/es en néologie quil a formé/es, souvent à distance, anticipant ainsi les tendances actuelles. Le troisième élément, le prolongement international sous forme de réseaux de différentes natures, 12va de pair avec la formation et le quatrième, loutillage informatique, a fait lobjet dune longue maturation, allant de la conception dune base danalyse néologique, dont les prémisses étaient déjà exposées dans Sablayrolles (2000)2 sous la forme de tableaux de matrices néologiques, à un outil de veille et danalyse, conçu avec Emmanuel Cartier.

Comment Jean-François Sablayrolles a-t-il réalisé ce projet scientifique au cours dune carrière universitaire, qui, nous le savons tous, nest pas un long fleuve tranquille ? Il a commencé sa carrière dans lenseignement secondaire en tant que professeur agrégé de grammaire, mais sa passion pour la néologie la incité à mener des recherches dont lissue logique a été une thèse en linguistique. Et cest en essayant daccéder aux principales publications de néologie, très dispersées à lépoque, que Jean-François, suivant le conseil dElisabeth Blanchon, un jour dété de 1988, a poussé la porte du CTN, Centre détude de terminologie et de néologie, équipe de recherche de lINaLF (Institut national de la langue française), dirigée à lépoque par Pierre Lerat, secondé par lauteur de ces lignes. Léquipe de recherche était spécialisée, comme son nom lindique, en terminologie et en néologie et possédait un fonds documentaire consultable par le public. Au bout dune journée de consultations et de conversations, nous nous sommes promis de nous revoir et lorsquil a été parti, nous constations que cétait la première fois que quelquun venait au CTN non pas pour la terminologie ni même la néologie terminologique, mais pour la néologie en tant que telle. Remarque prémonitoire, car le projet de thèse murissait déjà, sous lœil attentif de Blanche-Noëlle et de Roland Grunig.

Lorsque la thèse est arrivée à maturité et quil a été question de constituer un jury, le nom de Bernard Quemada, autorité incontestée de la néologie depuis plus de trente ans à lépoque, a été tout de suite évoqué. Mais cétait hélas déjà trop tard. Bernard Quemada sétait en effet retiré des jurys de soutenance pour se consacrer à ses activités éditoriales. La soutenance de Jean-François Sablayrolles sest donc déroulée peu avant Noël 1996 à Paris 8 Saint-Denis sans Quemada… et sans chauffage, celui-ci étant arrêté pendant le weekend, mais néanmoins avec beaucoup denthousiasme et de chaleur humaine, les membres du jury ayant pleinement conscience que cette somme ferait date. Après avoir lu le manuscrit, Quemada a tenu à ce quil soit publié dans la collection quil dirigeait avec Jean Pruvost chez Honoré Champion, 13« lexica. Mots et dictionnaires ». Cest ainsi quune version synthétique de la thèse qui tenait lieu en même temps de manifeste a été présentée à la communauté des linguistes.

La thèse a été suivie dun colloque fondateur, « Linnovation lexicale », organisé à lUniversité de Limoges, où Jean-François se trouvait alors en poste, rencontre qui confirma lintérêt quavait généré la néologie en France et à létranger. Les participants venaient de tous les coins de lHexagone et bien au-delà : les collègues de la Péninsule ibérique qui avaient choisi le train de nuit avaient débarqué à la Gare des Bénédictins à quatre heures du matin, et, en hôte parfait, Jean-François était là pour les accueillir. Ce colloque fondateur a marqué une prise de conscience pour les linguistes de la place quoccupe la néologie en sciences du langage. Et lorsque Jean Pruvost, créateur des Journées du dictionnaire à luniversité de Cergy-Pontoise, a été chargé par les PUF de rédiger un « Que sais-je ? » sur la néologie, il a tout de suite fait appel à Jean-François Sablayrolles comme co-auteur.

En 2005, Claude Blum, directeur de collection aux éditions Classiques Garnier, sest adressé à Jean-François Sablayrolles en tant quauteur des publications les plus marquantes sur la question pour fonder une revue spécialisée en néologie. Jean-François a accepté en demandant que je sois associé à ce beau projet. La perspective de lancer une publication périodique consacrée à la néologie était plus quenthousiasmante, mais non sans inconvénient à un moment où le paysage éditorial en linguistique se fragmentait de plus en plus. Nous avons donc suggéré quelle prenne la forme dune livraison annuelle supplémentaire des Cahiers de lexicologie, fondés en 1959 par Quemada et qui venaient de tomber sous la houlette des éditions Classiques Garnier. Ce nétait pourtant pas la politique de la maison dédition et cest donc fin 2006 / début 2007 que le premier numéro de Neologica est paru, profitant dune journée détude sur la dénomination organisée en 2004 à Paris-Diderot par la Cellule de Recherche en linguistique sous la responsabilité dAmr Ibrahim, de Claire Martinot, et, sur place, de Marie-Christine Magloire et de Jean-Michel Benayoun. Les premiers numéros ont nécessité des prodiges de publicité surtout sous forme de bouche à oreille pour susciter suffisamment de propositions darticles valables et pendant les premières années les directeurs ont dû surseoir à leur engagement de ne pas publier dans la revue dont ils avaient la responsabilité.

Jean-François Sablayrolles avait bien prévu lexploitation de corpus de plus en plus importants pour la veille néologique : sa nomination 14au Laboratoire de linguistique informatique (LLI) de Paris XIII fut la parfaite illustration de ladage « la bonne personne au bon endroit et au bon moment ». La base de données néologiques, Neologia, patiemment élaborée au fil des années avec les collègues du LLI, devenu LDI, notamment avec Emmanuel Cartier, a permis lincorporation de cet outil danalyse dans le dispositif de veille Néoveille. Cette nouvelle étape était particulièrement importante, car elle allait permettre le traitement dune quantité de données jusqualors hors de portée et lextension à dautres langues, ouvrant ainsi la voie à une internationalisation des études et des pratiques de néologie. Cette internationalisation prit alors la forme de projets, en particulier dans le cadre des programmes Barrande avec la République tchèque et Polonium avec la Pologne, dont lun est encore en cours. Jean-François a tenu à rédiger lessentiel de lanalyse des données françaises, ayant alors encore la perspective que les collègues compléteraient. Le volume qui en résultera sera donc un hommage à Jean-François et à sa prévoyance.

Travailler avec Jean-François ne nécessitait aucune organisation formelle. Lorsquil sagissait de préparer un numéro de Neologica, tout se faisait naturellement sans quil y ait de répartition a priori des rôles. Dès sa conception, la revue devait comprendre deux parties, lune thématique et lautre ouverte à toute autre étude de néologie. Les thématiques avaient été envisagées dun commun accord au moment du lancement pour couvrir lessentiel du périmètre : néologie et nomination, néologie et littérature, néologie et lexicographie, néologie et traduction spécialisée… Lorsquil sagissait de lancer un appel à publications, chacun faisait au mieux pour que les spécialistes de la question soient bien informés quune fenêtre dopportunité souvrait à eux. La rédaction de lintroduction de chaque numéro se faisait le plus souvent à quatre mains et, au moment de réviser, il nétait pas rare que lun ne sache plus qui avait rédigé quelle partie.

Une des plus grandes satisfactions de Jean-François était davoir trouvé les bons successeurs pour la direction de la revue, revue qui sera en quelque sorte son mémorial.

John Humbley

1 Tallarico Giovanni, Humbley John et Jacquet-Pfau Christine (dir.) (2020), Nouveaux horizons pour la néologie en français : Hommage à Jean-François Sablayrolles, Limoges, Lambert-Lucas, Collection, La lexicothèque.

2 Sablayrolles Jean-François (2000), La néologie en français contemporain. Examen du concept et analyse de productions néologiques récentes, Paris, Honoré Champion.