Hommage à Maria Teresa Lino
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Neologica
2020, n° 14. Perception, réception et jugement des néologismes - Auteur : Alves (Ieda Maria)
- Pages : 11 à 13
- Revue : Neologica
Hommage à Maria Teresa Lino
Maria Teresa Rijo da Fonseca Lino nous a quittés le 28 décembre 2019, à Lisbonne. Sa disparition soudaine et prématurée a provoqué, chez ceux qui l’ont connue et ont été proches d’elle – famille, collègues, étudiants – une grande tristesse et une vive émotion, comme en témoignent les nombreux messages de condoléances.
Née à Lisbonne en juin 1947, Teresa Lino (Teresinha, comme l’appelaient ses proches) passe son enfance et adolescence dans le village de Tramagal, dans la région de Santarém, au centre du Portugal. Elle s’inscrit ensuite à l’Université de Lisbonne et obtient, en 1973, la licence en philologie romane à la faculté de lettres, où elle suit les enseignements de maîtres portugais de grande envergure tels que Luis F. Lindley Cintra, Joseph Piel, Maria Emilia Marques et Maria Helena Mira Mateus.
Soutenue par Maria Emilia Marques, qui lui avait donné des cours de linguistique (lexicologie appliquée), elle obtient une bourse de la Fondation Calouste Gulbenkian pour suivre des séminaires annuels de lexicologie, lexicographie, sémantique et sociolinguistique aux Universités de Paris III et Paris IV et séjourne à Paris d’octobre 1973 à juin 1975. C’est lors des séminaires de l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris III qu’elle rencontre ses maîtres Bernard Quemada et Robert Galisson (son futur directeur de thèse de doctorat), qui l’introduisent dans l’univers des néologismes et des dictionnaires. En 1987, elle soutient, dans cette même université, sa thèse de doctorat intitulée Unités lexicales et situations d’énonciation. Réseaux d’associations sur un domaine d’expérience : la mer, et obtient la mention « très honorable ». La thèse en trois volumes met en lumière des unités lexicales relevant du domaine de la mer qui, comme elle le souligne dans l’introduction, « est un trait distinctif de tous les domaines de la culture et de la civilisation portugaises » (v.1, p. 18). Cette thèse témoigne du souci de Teresa Lino d’articuler recherche et enseignement, ce qui se révélera une caractéristique de ses travaux ultérieurs.
Le travail sur la néologie commence en 1981, dans le cadre d’une collaboration avec Gabrielle Quemada, épouse de Bernard Quemada, 12qui sera le point de départ d’une belle amitié entre les deux chercheuses. Teresa participe à l’élaboration de fiches de néologismes extraits de la presse française et, de retour au Portugal, y introduit des études sur la néologie en lançant les activités de l’Observatoire du français contemporain de Lisbonne, qui est associé à d’autres observatoires spécialisés dans la veille de néologismes du français. La méthodologie et l’expérience qu’elle acquiert dans cet observatoire lui seront utiles pour créer l’Observatoire du portugaiscontemporain, consacré à la veille néologique dans différentes sources – journaux, revues de vulgarisation scientifique et technique et revues spécialisées dans plusieurs domaines. Ces activités l’incitèrent à étendre ses activités à l’étude spécifique de néologismes terminologiques, les néonymes, à un moment où la terminologie commençait à s’introduire dans les études linguistiques. En 1989, elle participe à la création de l’Association portugaise de Terminologie (Termip) et de la revue Terminologias, dont les principaux objectifs sont la publication d’articles, de terminologies et de listes de termes ainsi que la veille de néologismes terminologiques.
Ses activités d’enseignement, qu’elle exerçait avec passion, commencent dès 1971, dans des établissements d’enseignement secondaire de Lisbonne. Son parcours dans l’enseignement supérieur débute en 1977. D’abord assistante à la Faculté de sciences sociales et humaines de l’Université Nouvelle de Lisbonne (FSCH-UNL), spécialité « linguistique », elle obtient un poste d’enseignante auxiliaire en 1988, d’enseignante associée en 1993, puis d’enseignante associée avec agrégation en 1996. En 1998, elle devient professeure des universités en linguistique, spécialité « lexicologie et lexicographie ». Dans cette institution, Teresa a toujours mené une intense activité administrative, en exerçant diverses fonctions au cours de sa carrière (en particulier la Présidence de la Commission Scientifique du Département de Linguistique et la Direction du Centre de Linguistique).
Les directions de recherche ont toujours procuré un très grand plaisir à Teresa. Ses étudiants travaillent surtout sur la néologie (langue courante et littéraire), sur la terminologie du portugais (plutôt européen, mais aussi du Brésil, d’Angola et du Mozambique) et sur la lexicographie, l’apprentissage des langues, la toponymie et l’anthroponymie. L’observation des influences réciproques entre les langues africaines (kiyombe, kikongo, kimbundu…) et le portugais, sujet de recherche de plusieurs de ses étudiants, l’enchante et fait l’objet de travaux précieux. Elle a dirigé 29 thèses de doctorat, 85 travaux de maîtrise, dont une 13grande partie en co-encadrement avec des collègues portugais, français, brésiliens et angolais. Elle a par ailleurs reçu des boursiers dans le cadre du Programme Erasmus-Socrates. Ces travaux portent sur différentes langues : portugais, français, mandarin, arabe, langues bantoues. Sa grande générosité et sa grande sensibilité ont beaucoup contribué à rendre plus agréable et profitable le séjour des étudiants étrangers qu’elle recevait à l’UNL.
Toujours soucieuse de jeter des ponts entre des collègues et des institutions, Teresa a organisé un grand nombre de séminaires pour ses étudiants, des rencontres et des colloques, qui réunissent à Lisbonne des chercheurs venus de différentes universités et de divers pays (du Portugal et de l’Europe, du Brésil, de l’Afrique : Angola, Mozambique, Maroc). Sa production scientifique est impressionnante en volume et en qualité, et prend la forme de livres, d’articles, de publications dans des actes de congrès qui traitent de différents aspects de la lexicologie, de la néologie, de la lexicographie et de la terminologie.
Teresa Lino a été l’un des membres fondateurs du réseau Realiter (Réseau panlatin de terminologie), créé en 1993. En 2016, elle devient membre honoraire du réseau ‘Lexicologie, terminologie et traduction’ (LTT) et de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF). Pour son œuvre, elle a reçu le titre de chevalier de l’ordre des arts et des lettres (France) en 1996 et le prix spécial de terminologie Eugen Wuster (Infoterm et Unesco) en 2006.
Professeure émérite du département de linguistique de la FCSH-UNL depuis le 25 juin 2017, Teresa Lino a poursuivi ses activités de recherche et d’encadrement jusqu’au moment où la maladie l’a frappée.
Sa générosité et son humanité laissent ses nombreux amis, étudiants et collègues pleins de saudades, mot portugais que les lusophones considèrent intraduisible et d’origine controversée – de l’arabe saudâ’ (mélancolie, tristesse) ou du latin solĭtas, ātis (solitude) – ; saudade présente des sèmes de ces deux origines possibles, auxquels vient s’ajouter celui de ‘joie que l’on a connue’. Saudade signifie la douleur de la perte de quelqu’un qu’on aimait beaucoup, mais dont on garde un très doux souvenir. Saudades, Maria Teresa Lino !
Ieda Maria Alves
Université de São Paulo, Brésil
- Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
- ISBN : 978-2-406-10571-8
- EAN : 9782406105718
- ISSN : 2262-0354
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10571-8.p.0011
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 08/07/2020
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français