Préface
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : Narrations fabuleuses. Mélanges en l’honneur de Mireille Huchon
- Pages : 7 à 16
- Collection : Rencontres, n° 538
- Série : Colloques, congrès et conférences sur la Renaissance européenne, n° 119
Article de collectif : 1/75 Suivant
Préface
À tous ceux qui la connaissent, le nom de Mireille Huchon évoque bien des souvenirs partagés. Un nom, d’abord, inévitablement : Rabelais, et autour de lui bien des rencontres, des mots savoureux, des rires ; l’écho d’une cave anglaise, les boiseries d’une bibliothèque américaine, un petit air vif canadien ; un sourire au micro, l’enthousiasme ; des trains, des sauts d’un avion à l’autre ; des rues arpentées seule, carte en main, entre deux sessions de congrès ; un havre aux allures de coupe-chou. Et à côté du grand Lifrelofre, bien d’autres : Louise Labé aux multiples visages, Nostradamus, et puis tant de grammairiens, imprimeurs, traducteurs, poètes et prosateurs, qui illustrèrent la langue française, Herberay des Essarts, Abel Matthieu, Jean Bouchet, Jean Calvin, Antoine Fouquelin… À ses élèves qui l’ont vue voyager, Mireille Huchon a ouvert le monde, comme elle leur avait ouvert les voies inextinguibles de la recherche, en bougeant. Difficile de la suivre à la trace. Essayons !
Un point d’ancrage s’impose, avant toute chose : si elle était une ville, elle serait Lyon ; Lyon et ses quenelles, ses rues, ses imprimeurs du xvie siècle, ses réseaux, ses canuts et ses canulars ; ville d’une histoire familiale énergique, de pauses bienvenues, d’un passé de journaliste, d’enquêtes passées, présentes et futures. Mais ailleurs, à Paris et dans le monde, si elle était un lieu, elle serait un atelier ; si elle était un abri sûr, elle serait la maison du poumon ; si elle était un animal, elle serait une panthère fabuleuse ; si elle était un parfum, un parfum d’encre et de scandale. Si elle était une bibliothèque, elle serait une bibliothèque de poche, en biscuit ; si elle était une pièce de théâtre, elle serait un sketch japonais ; si elle était un origami, elle serait une créature de papier ; si elle était un instrument de musique, elle serait une harpe ; et si elle était une conclusion de colloque, une standing ovation.
Partons de Rabelais puisque avec lui tout commence. Celles et ceux qui ont bien connu Mireille Huchon savent à quel point sa pudeur lui fait garder 8le secret sur sa vie personnelle. Mais ses élèves ont fini par comprendre à quel point, pour une jeune femme, à une époque où la Sorbonne n’était certes plus la faculté de Noël Béda (mais où l’alma mater restait cependant un bastion d’hommes), l’accès à une chaire de « professeur [sic]des universités » avait pu être semé d’embûches. Quelque chose comme une cabale, à ce qu’il semble, aurait même tout fait pour barrer la route à la jeune et brillante élève de Roger Lathuillière – mais cette cabale échoua. Il était écrit que Mireille Huchon serait sorbonnicole, sans jamais être sorbonnagre.
Le 17 décembre 1977, Mireille Huchon soutenait en Sorbonne, devant un jury composé de MM. Raymond Arveiller, Jacques Bailbé, Francis Bar, Verdun-Louis Saulnier et Roger Lathuillière (son directeur) une thèse de doctorat d’État intitulée « Rabelais grammairien : de l’histoire du texte aux problèmes d’authenticité ». Pour cette somme de philologie rabelaisienne, Mireille Huchon vous dira trop humblement qu’elle a surtout passé son temps à « compter des virgules » (c’est oublier au moins les parenthèses, ces « lunules » rabelaisiennes dont elle seule a souligné la poésie très singulière). Qui eût imaginé, à vrai dire, que le calcul du « t.d.p. » (« taux de divergences de ponctuation ») ou la chasse à l’orthotypographie rabelaisienne ouvriraient la voie, immédiatement, à tant de conclusions nettes et autres révélations nouvelles, puis, une génération plus tard, à tant de découvertes littéralement inspirées par cette enquête ? C’était là faire de la « textométrie » (mais aussi bien plus que cela !) sans les outils numériques que nous connaissons aujourd’hui. La méthode ? Mireille Huchon vous en parlerait encore avec émotion : passer, livres en main, d’une édition originale à l’autre – de TL P46 à TL V47, de PA X37 à PA L42 – sous l’œil bienveillant de Jeanne Veyrin-Forrer, à l’époque où la salle de recherche du quadrilatère Richelieu accueillait encore le Département des imprimés et où il n’apparaissait pas inconcevable de disposer des vingt Rabelais les plus rares de la Réserve en même temps sur sa petite table rectangulaire. Époque bénie, que Mireille Huchon évoque encore avec un brin de nostalgie, tout habituée qu’elle soit désormais (même pendant l’été !) de la salle Y de la nouvelle Bibliothèque François-Mitterrand. Pourtant, avant la délocalisation, Mireille Huchon avait ses habitudes rue de Richelieu : arrivée en avance, elle demandait toujours la même place et ne manquait pas de croiser les mêmes « horribles travailleurs » qui bientôt devinrent autant d’amis, parmi lesquels le plus haut en couleurs était certainement feu 9Claude Gaignebet, qui respectait difficilement le silence monacal de rigueur, lorsqu’il la rencontrait. Ainsi, des années plus tard, l’apercevant de loin dans la cour de la Sapienza à Rome, lors du colloque consacré au Cinquiesme livre en octobre 1998, le coloré folkloriste et mythologue accourut pour s’agenouiller devant elle, en demandant d’être adoubé, selon son expression, par la « papesse des études rabelaisiennes » ! Les mauvaises langues racontent que, après la dernière journée passée dans le quadrilatère avant sa fermeture, Mireille Huchon serait partie avec la plaque de numérotation de sa table fétiche. L’information est à confirmer.
En 1981, sa thèse parut chez Droz, dans la collection des « Travaux d’Humanisme et Renaissance », et fut récompensée l’année suivante par le prix Monseigneur-Marcel de l’Académie française. On a dit de la fiction pantagruéline qu’elle est « un royaume qui perdure sans femmes » ; en 1981, Rabelais grammairien constituait dans les « Études rabelaisiennes » genevoises la première monographie écrite par une femme… qui fut appelée, quelques années plus tard, à devenir présidente d’honneur de la prestigieuse série à la reliure rouge. Le livre, dédié « à l’alchimiste de Montpellier » – dont Mireille Huchon a toujours refusé de révéler explicitement l’identité, quoique ses élèves partagent une même hypothèse d’identification –, est un opus qui compte et qui fait date : hiératique, il impose au lecteur d’aborder la montagne Rabelais par sa face la plus raide, celle de son « didactisme de grammairien » incarné dans la mise en place progressive d’une « censure antique » que seule pouvait révéler l’étude des éditions anciennes. Ce précis d’« histoire du texte » est étonnamment en avance sur son temps : il devance l’arrivée du bibliographical turn en France en tournant (discrètement) le dos à tout un pan de la critique rabelaisienne alors en vogue, qui s’embarrasse peu de considérations matérielles et de données historiques, réputées « positivistes ». Pour autant, Rabelais grammairien fait bien plus que ressusciter les mânes d’Abel Lefranc et de son équipe : Rabelais y est replacé dans les querelles linguistiques de son temps pour mieux faire apparaître la singularité de sa « prose d’art ». Point fort du livre : s’y trouve arrêtée une position cohérente et novatrice sur la question disputée du Cinquiesme livre ; cette position, fondée sur une enquête qui s’apparente à ce qu’on nommerait aujourd’hui de la « génétique textuelle » (mais sans la base d’un seul manuscrit autographe, d’où la gageure !), fait aujourd’hui consensus et n’a pu être affinée qu’à la marge, sans jamais 10souffrir réfutation.Dans cette thèse se laissent en outre deviner, au moins de façon embryonnaire, la plupart des travaux ultérieurs de Mireille Huchon, qui porteront sur des questions d’attribution, d’imaginaire linguistique, de théorisation rhétorique et poétique, tout autant que ceux d’une nouvelle génération de rabelaisants qui cherchent à en prolonger l’esprit, en s’intéressant aux habitudes de Rabelais comme homme d’atelier, éditeur savant, passeur de textes de l’Antiquité ou de l’humanisme italien, amateur de poésie et véritable grammairien trilingue qui avait un système orthotypographique non seulement en français, qu’il a lui-même appelé « censure antique », mais également en latin et en grec ancien. Rabelais grammairien posait surtout les bases méthodologiques d’une nouvelle édition critique qui pourrait voir le jour en 1994 dans la « Bibliothèque de la Pléiade », chez Gallimard. Lecteurs et lectrices ignorent certainement que cet ouvrage de référence a déjà fait l’objet d’une demi-douzaine de rééditions dans lesquelles, à chaque reprise, Mireille Huchon s’attache – malgré une contrainte de taille : ne pas modifier par trop la mise en page du tirage précédent – à intégrer les avancées les plus décisives de la critique savante. C’est aussi l’esprit qui a présidé à la biographie de Rabelais qu’elle publia en 2011 chez Gallimard, dans laquelle elle réussit le tour de force de mettre Rabelais à la portée de la plupart des lecteurs, comme c’était l’ambition de l’abbé de Marsy en son temps, mais – à rebours de l’éditeur mondain du siècle des Lumières – sans faire de compromis quant à la rigueur et à l’érudition, si bien que le livre constitue aujourd’hui une référence incontournable aussi bien pour le grand public cultivé que pour les spécialistes du médecin humaniste. Récompensé par le Prix de la Biographie de l’Académie française, il s’agit bien plus que d’une simple biographie, c’est un livre qui tient lieu d’introduction aux études rabelaisiennes, tout autant que d’un état présent de la recherche sur l’homme aux mille vies, dont il relate, par ailleurs, le parcours haletant de véritable Protée, écrivain, médecin, éditeur, diplomate, homme de négociation, voire agent secret avant la lettre…
À une spécialiste des imprimeurs-libraires humanistes, des responsabilités éditoriales revenaient de droit. Mireille Huchon a pendant plusieurs années dirigé, aux Classiques Garnier, les collections des « Textes de la Renaissance » et des « Études et essais sur la Renaissance ». En 2012, elle a créé la collection des « Mondes de Rabelais », bientôt suivie par 11la revue L’Année rabelaisienne (2017, no 1), deux des lieux principaux de diffusion des travaux sur Rabelais avec les « Études rabelaisiennes » chez Droz. Ces deux dernières entreprises ont été collectives, et c’est avec l’aide de certains de ses élèves – devenus des amis – que les nouvelles de la Rabelaisie paraissent chaque année.
Par-delà Rabelais et les responsabilités éditoriales, une part importante de la contribution de Mireille Huchon à la recherche se place sous le signe de l’histoire de la langue. Du Français de la Renaissance, publié dans la collection « Que sais-je ? » en 1988 et réédité en 1998, jusqu’au Français au temps de Jacques Cartier, paru en 2006 et réédité en 2009, en passant par l’Histoire de la langue française publiée en 2002, cet ensemble de travaux témoigne d’une curiosité encyclopédique pour notre langue, que ce soit dans la longue durée ou selon les différents territoires où elle s’est implantée. Chacun de ces livres constitue une étude incontournable, qui peut servir autant d’introduction pour les néophytes que de référence pour les spécialistes, qu’il s’agisse de l’évolution de la langue française des Serments de Strasbourg jusqu’au xxie siècle, de l’époque faste et riche de transformations rapides qu’a été la Renaissance ou encore des rapprochements possibles et éclairants entre français préclassique et français québécois. Mais par-dessous tout, cet intérêt procède chez Mireille Huchon d’un véritable goût pour notre langue dans toute sa diversité. Il faut l’entendre raconter l’émerveillement qu’a suscité chez elle la première fois qu’elle a entendu un Cajun parler d’« une crocodile qui grinche », au féminin comme à la Renaissance ! Ce goût n’est pas que révérence pour l’antiquaille, car il se double chez elle d’une préoccupation politique et militante pour son statut de langue internationale, si souvent malmené à l’Organisation des Nations Unies comme au Comité International Olympique, mais qu’elle a constamment défendu dans les colloques et les congrès internationaux et dans la recherche universitaire.
Mais Mireille Huchon n’a pas seulement contribué à montrer Rabelais en grammairien et philologue, tel qu’enfin l’Éternité le change, ou à défendre et illustrer le français comme langue internationale à la longue et riche histoire, elle a aussi déconstruit certains mythes, au risque parfois du scandale. Tout le monde a en tête son Louise Labé, une créature de papier, publié en 2006, et son complément Le Labérynthe, paru en 2020, ainsi que les importants débats scientifiques qu’ils ont suscités. Dans ces deux ouvrages, Mireille Huchon s’attache à révoquer en doute l’attribution à 12Louise Labé des Œuvres parues sous son nom en 1555. Reconstituant le contexte lié à la redécouverte récente de la poétesse grecque Sappho et les pratiques d’atelier propres à l’imprimeur lyonnais Jean de Tournes, elle prend argument du nombre et de l’incongruité des pièces d’escorte pour avancer l’hypothèse d’une imposture collective de poètes masculins, s’ingéniant à écrire à la manière d’une Sappho française, à partir de nombreux rapprochements textuels tirés d’Olivier de Magny, de Maurice Scève, de Guillaume Des Autels, parmi d’autres, tout en insistant sur le goût de l’époque pour l’innovation formelle, de même que pour les jeux sur les identités d’emprunt qui contribuent à jeter le trouble dans le genre, pour reprendre l’expression de Mireille Huchon comme un clin d’œil à Judith Butler. Scandale, ou paradoxe ? Outre cette enquête éditoriale et par-delà les débats qui s’en sont ensuivis, Mireille Huchon persiste et signe, par la publication de ses Œuvres dans la « Bibliothèque de la Pléiade » en 2021… sur papier bible.
Plus récemment, Mireille Huchon s’est attaquée à un autre mythe, celui de Nostradamus, avec la biographie qu’elle lui a consacrée en 2021 chez Gallimard. Ce livre captivant arrive à démêler le mythe du personnage historique, en montrant à quel point le rôle de son fils César, tout comme de son thuriféraire Chevigny-Chavigny, a été central dans la construction de la vie de l’astrologue comme de son prétendu don prophétique. La manière dont elle arrive à porter un regard critique sur Nostradamus, sans jamais pour autant manquer d’empathie pour lui, est particulièrement admirable. Cet exercice d’équilibriste, qui cherche à ménager autant les admirateurs du mage de Salon-en-Provence que ses contempteurs, transparaît avec évidence lorsqu’est évoqué le cas révélateur de l’horoscope de Rodolphe, fils de Maximilien II, préparé par Nostradamus, dont toutes les prédictions ont été démenties par les faits. Mireille Huchon écrit alors : « Plutôt que de livrer ici pareille comparaison entre prédiction et réalité, mieux vaut recouvrir l’horoscope de Rodolphe du manteau de Noé… » (p. 251). Quelle élégance !
Parmi les collègues, élèves et amis qui entourent Mireille Huchon, nombreux sont ceux qui la connaissent depuis leurs premiers pas dans la recherche ; d’autres sont venus à elle pour travailler sur Rabelais, ou par amour pour la langue française ; d’autres enfin ont un jour poussé la porte de l’Atelier et y sont restés. Pour ceux dont le hasard, le bouche-à-oreille, 13le doute ont guidé les pas, le premier contact avec Mireille Huchon a pu frapper par un mélange de chaleur et de distance, chaleur de l’accueil, distance de la retenue élégante, de résolution impulsive, d’aplomb et de malice, d’enthousiasme et de secret, de soutien discret et de bienveillance constante. Qui ne s’est entendu dire d’elle qu’il « fallait foncer », aux moments de latence et d’hésitation ? Qui ne l’a vue jubiler d’avoir « fait un esclandre » ? Qui ne l’a entendue annoncer : « Vous allez voir… Ne dites rien ! » ?
Il n’en faut pas beaucoup, parfois, pour se lancer dans un projet, reprendre intégralement une centaine de pages, ou reconsidérer une décision : le temps d’un jet de dés, d’un bref échange, de quelques mots qui font mouche. Au long des échanges de recherche, Mireille Huchon a eu ce talent des phrases qui touchent et savent emporter l’adhésion ; fine mouche, celui de ménager ses interlocuteurs, non sans piquer parfois – à fleurets mouchetés ; celui d’éviter de froisser, de se préoccuper des uns sans blesser les autres, d’éviter les rivalités et les hiérarchies ; celui de ne pas insister, puis de revenir à la charge. Élégance, prudence, correction. Mireille Huchon connaît son monde. La bonne ambiance qui règne entre ses anciens élèves et membres de l’Atelier lui est redevable. À l’image de l’Abstracteur de quintessence, elle est femme de négociation, animée par l’humanitas, définie par Ange Politien comme convergence entre philanthropia et paideia, autrement dit, elle est une humaniste, chez qui la bienveillance n’a d’égale que l’érudition.
Transmettre, donner parole à l’autre, donner une place à tous et à chacun, les faire naître à leur légitimité de chercheurs : sans doute n’y a-t-il pas lieu incarnant mieux Mireille Huchon que l’Atelier xvie siècle, qu’elle fonda en 1999. Mais pour en saisir la genèse et l’esprit, il faut commencer par évoquer son séminaire du mardi matin, qu’elle anima en Sorbonne, où des générations d’étudiants de maîtrise et de DEA puis de master s’initièrent à la poétique et à la rhétorique des genres à la Renaissance jusqu’à y trouver, pour nombre d’entre eux, leur vocation d’enseignants et de chercheurs. Combien de sujets de thèse naquirent alors, combien de découvertes pour d’apprentis seiziémistes, combien de continents pour la première fois arpentés par de jeunes étudiants au gré des ouvrages que chacun d’entre eux avait la liberté de choisir comme compagnon de route le temps d’une année ou d’un semestre, autour d’une notion chère à leur maître : la description, la narration fabuleuse, l’allégorie, le roman, le dialogue… Et combien d’étudiants 14venus de combien de continents, du Japon au Québec, en passant par le Brésil… Mireille Huchon a eu à cœur de faire rayonner le xvie siècle français dans le monde entier, tant et si bien que l’Atelier, s’il a été tantôt franco-américain, tantôt franco-allemand, tantôt encore franco-canadien, a toujours été international. Aux côtés bien sûr de l’incontournable Rabelais, combien de noms, si familiers aux seiziémistes « confirmés », ont été pour la première fois alors entendus, dont « Madame Huchon » parlait avec passion : Fouquelin, Sébillet, Ramus, Aneau, Abel Mathieu… Aucune parole verticale mais bien plutôt un lieu d’échanges incessants où le professeur incitait les étudiants à faire de ce séminaire leur « lieu », les laissait s’approprier leurs objets, exposer leurs idées, proposer une analyse, forger leur pensée, dans une atmosphère de bienveillante émulation où naquirent non pas seulement de solides vocations et de belles connivences intellectuelles mais aussi des amitiés durables.
La création de l’Atelier xvie siècle répondit alors à la volonté de Mireille Huchon de prolonger cette expérience scientifique et humaine, au désir d’offrir à ses élèves devenus doctorants un lieu de rencontres régulières, et à ses anciens élèves, devenus chercheuses et chercheurs confirmés, l’occasion d’échanger avec les jeunes pousses qu’elle guidait dans leurs recherches doctorales. C’est le 5 juin 1999 que les douze pionniers de l’atelier, réunis par et autour de sa créatrice, échangèrent pour la première fois sur leurs recherches, dialoguèrent librement, réfléchirent ensemble à des objets communs. Ainsi commencèrent-ils à insuffler ce qui est encore aujourd’hui l’âme de l’Atelier, et qui perdure aujourd’hui dans cet esprit qu’elle rappelle encore inlassablement : ni écurie, ni cénacle fermé, ni temple pour initiés mais bien plutôt un lieu libre de toute attache institutionnelle, de toute pesanteur hiérarchique, un lieu d’échanges informels, de circulation permanente de la parole. Dès les premiers temps de son existence, l’Atelier s’ouvrit à toutes et à tous, jeunes étudiantes et étudiants comme chercheurs et chercheuses confirmés, venant de tous horizons, où chacun et chacune pouvait présenter une communication aboutie autant qu’une recherche encore en friche, un « brouillon » d’article ou le premier jet d’une conférence à venir, les premières pierres d’une thèse tout juste commençante ou les résultats d’un inédit d’HDR. À ce partage par chacun et chacune de ses recherches individuelles se joignirent des séances de travail collectif autour de thèmes fédérateurs, sans oublier ces grands moments de 15rencontre que furent et sont encore les colloques et journées d’études de l’Atelier, une vingtaine depuis sa création : « L’Évangélisme au miroir des textes » (2003), « La traduction » (2003), « La douceur de l’Antiquité à la Renaissance » (2004), « L’acte éditorial de la Renaissance à aujourd’hui » (2005), « Le discours du livre à la Renaissance » (2005)… : telles furent les premières manifestations organisées par l’Atelier, représentatives de la variété des champs de recherche qui le nourrissent autant que des grands axes qui font son identité scientifique : la culture et les pratiques du livre, les forgeries linguistiques et stylistiques, et bien sûr l’« inextinguible Rabelais ». Chacun garde en mémoire l’événement exceptionnel que fut le grand colloque international de novembre 2014, que Mireille Huchon consacra à son grand homme et qui réunit autour d’elle les plus grands spécialistes des « mondes de Rabelais ». Du reste, l’ouvrage collectif Paroles dégelées, publié à l’occasion du quinzième anniversaire de l’Atelier, témoigne éloquemment, du haut de ses 800 pages, de la richesse et de la diversité des propos qui s’y sont échangés depuis sa création.
Nous partîmes douze… et Mireille Huchon, d’année en année, vit autour d’elle s’agrandir l’assemblée, et l’Atelier, sous son impulsion, sans cesse se réinventer et élargir ses frontières : ainsi virent le jour les « itinéraires de chercheurs » inaugurés par Nicole Cazauran puis Jean Céard, et les joyeuses sessions qui, au gré des congrès de la Renaissance Society of America, emmenèrent les membres de l’atelier à San Diego, New York, Berlin, Chicago… L’aventure continue, et reste pour nous, qui en bénéficions, l’occasion de saluer en Mireille Huchon l’esprit pionnier des causes qui en valent la peine.
Les Mélanges que voici sont, de nous tous et toutes, anciennes et anciens élèves, collègues et amis, le témoignage de notre reconnaissance, de notre admiration et de notre amitié. Le geste va au-delà de nos souvenirs, anciens ou plus récents, d’accompagnements féconds, de rencontres et de collaborations heureuses, pour manifester quelque chose d’une certaine idée de la communauté seiziémiste et de la dette d’une part de nos études à des hypothèses, des initiatives, des pistes, des engagements et à une façon d’être qui les ont profondément influencées. La richesse des contributions rassemblées dans ce volume témoigne de la diversité des champs couverts par les travaux de Mireille Huchon : l’histoire de la langue, la stylistique, la poétique des genres, les pratiques d’atelier et 16ces mille itinéraires de recherche que couronnent – à tout seigneur, tout honneur –, les travaux sur la langue, le style, la réception et la postérité du grand Rabelais. Elle témoigne aussi de la chaleur des contacts entretenus entre champs d’étude, entre périodes, et d’un continent à l’autre, bref d’un rayonnement, et reflète, du moins nous l’espérons, cet esprit d’une recherche vivante qui se poursuit, de mille manières, chez tous ceux et toutes celles qui tâchent aujourd’hui de porter haut la flamme des études seiziémistes.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-12714-7
- EAN : 9782406127147
- ISSN : 2261-1851
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12714-7.p.0007
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 15/06/2022
- Langue : Français