Avant-Propos
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Mélodrames. Tome II. 1801-1803
- Auteur : Martin (Roxane)
- Pages : 9 à 11
- Collection : Bibliothèque du théâtre français, n° 22
Avant-Propos
Les années 1801-1803, que couvre ce deuxième tome, constituent une période importante dans la carrière de René-Charles Guilbert de Pixerécourt. Après le succès de Cœlina, qui tient toujours l’affiche en 1801, rehaussé par celui du Pèlerin Blanc en avril de la même année1, l’auteur s’impose au cœur de la vie théâtrale du temps et parvient à conquérir la majeure partie des scènes parisiennes, au point de voir figurer son nom à l’affiche de trois théâtres différents au cours d’une même soirée. Ce n’est toutefois pas sur les scènes lyriques qu’il obtient ses plus grands triomphes. Si l’Opéra, les théâtres Favart et Feydeau (qu’il avait assidûment démarchés sous le Directoire) programment désormais volontiers ses œuvres, celles-ci ne remportent qu’un succès d’estime auprès de la critique et sont rapidement reléguées au magasin des accessoires2. Les théâtres dits « de boulevard » lui sont plus profitables. À une époque où les frontières entre les scènes officielles et secondaires étaient encore incertaines, largement brouillées par la loi Le Chapelier de 1791, mais où la critique s’employait à les réaffirmer avec une vigueur manifeste, plusieurs initiatives furent menées, en marge des théâtres anciennement privilégiés, afin d’édifier de nouvelles scènes, résolument tournées vers un répertoire novateur. En mars 1801, les Foignet père et fils prennent la direction du théâtre des Jeunes-Artistes et cherchent à conjuguer les ingrédients du drame à grand spectacle avec ceux de l’opéra-comique. En septembre 1802, Dugas et Jarousseau obtiennent le droit d’exploiter l’ancienne salle de l’Opéra et inaugurent un tout nouveau théâtre, concurrent direct de la
première scène lyrique, sous le nom de théâtre de la Porte-Saint-Martin. Corsse, directeur de l’Ambigu-Comique depuis 1800, affine l’identité théâtrale de son établissement en programmant des pièces publiées sous l’intitulé générique « Mélo-Drame ». Pixerécourt joue un rôle certain dans la réussite de ces entreprises. L’Homme à trois visages, La Femme à deux maris, Les Mines de Pologne et Tékéli, ou le Siège de Montgatz remportent un tel triomphe au moment de leur création qu’ils contribuent à garantir la santé financière de l’Ambigu-Comique jusque dans les années 1820. Les Foignet père et fils trouvent dans le répertoire des anciens drames lyriques de Pixerécourt de quoi satisfaire leur ambition ; sont ainsi programmés aux Jeunes-Artistes Quatre maris pour un3, La Forêt de Sicile4 et Raymond de Toulouse, ou le Retour de la Terre-Sainte. Le théâtre de la Porte-Saint-Martin est inauguré avec Pizarre, ou la Conquête du Pérou, qualifié par Pixerécourt comme « mélo-drame historique », sans doute le premier du genre, qui défraie la chronique au point de favoriser l’émergence des premiers éléments de théorisation du mélodrame naissant. Et c’est là, sans doute, qu’il devient utile d’apprécier les œuvres de Pixerécourt. Les pièces que nous éditons dans ce volume, accompagnées d’un apparat critique minutieusement élaboré, apportent des éléments féconds pour les études historiques et éclairent sous un nouveau jour la création théâtrale d’une époque qui porte en elle le germe des débats esthétiques à venir.
Publiées dans l’ordre de leur parution à la scène, enrichies pour l’une d’entre elles de la partition d’orchestre originale, les sept pièces qui suivent offrent au lecteur la possibilité de redresser quelques-uns des poncifs entretenus par l’histoire littéraire sur la dramaturgie mélodramatique. Pixerécourt sait déjouer l’antagonisme tragédie/mélodrame qui, au cours des trois premières années du xixe siècle, conditionne déjà la réception critique des œuvres. En respectant fidèlement les unités dramatiques, il accorde au mélodrame un aspect « régulier », satisfaisant ainsi la critique, mais mobilise des techniques d’écriture originales, s’appuyant pour beaucoup sur les ressources scéniques et musicales qu’il sait dorénavant parfaitement exploiter. Les motifs de la persécution et de la vengeance,
de la rébellion et de la soumission, supports de l’intrigue mélodramatique, sont aussi maniés avec beaucoup de souplesse et de différences de traitement d’une pièce à l’autre, au point qu’il devient difficile de revendiquer la rigidité du schéma actantiel mélodramatique. Les catégories du traître et de la victime innocente, du père noble et du niais apparaissent, à la lecture du corpus pixerécourtien, bien plus mobiles qu’on serait tenté de le croire de prime abord. Pixerécourt joue habilement avec les conventions du « drame à grand spectacle » tel qu’il s’était épanoui sur les scènes du Boulevard sous le Directoire. Tout en continuant de puiser dans le répertoire des romans de Ducray-Duminil ou de Marmontel, des opéras-comiques de Sedaine et des « tragédies romantiques » allemandes, il construit les principes d’une esthétique singulière, fondement de tous ses mélodrames à venir, largement conditionnée par une politique humaniste et de tolérance que l’auteur s’emploie ardemment à faire triompher. Car le théâtre de Pixerécourt est fortement imprégné par les événements politiques contemporains. Les années 1801-1803 sont celles de l’arrivée de Bonaparte au pouvoir. Les luttes entre les factions sont encore vives, les conspirations contre le Premier Consul fort nombreuses, justifiant de féroces répressions antiroyalistes et antijacobines. Sur le plan extérieur, le traité de Lunéville (9 février 1801) puis la Paix d’Amiens (27 mars 1802) mettent provisoirement fin aux guerres en Europe, mais la loi du 20 mai 1802, en rétablissant l’esclavage dans les colonies, confronte la France révolutionnaire aux principes de liberté et d’égalité promus par la Déclaration des Droits de l’Homme, allègrement bafoués lors de la répression des émeutes dominguoises de 1802. Ces événements émaillent les drames de Pixerécourt, et conditionnent le travail de l’écriture. Ils justifient les remaniements thématiques et formels auxquels se livre l’auteur pour chaque pièce nouvelle, invalidant la thèse d’un mélodrame aux codes rigides et aveuglément reproduits. En définitive, l’auteur Pixerécourt, loin d’obéir servilement à des principes préétablis, contribue à l’édification d’un théâtre résolument actuel, apte à répondre aux attentes contemporaines. C’est pourquoi sans doute il est apparu comme le père fondateur du mélodrame moderne.
Roxane Martin
1 Drame en 3 actes, en prose et à grand spectacle, joué au théâtre de l’Ambigu-Comique à partir du 6 avril 1801 et édité ci-après.
2 Par exemple : Marcel, ou l’Héritier supposé, comédie en 1 acte, mêlée d’ariettes, musique de Persuis, jouée pour une représentation unique à Favart le 12 février 1801 ; Le Chansonnier de la paix, impromptu en 1 acte et en vaudevilles, représenté 26 fois à Feydeau à partir du 18 février 1801 ; Flaminius à Corinthe, drame lyrique en 1 acte et en vers, joué à l’Opéra le 27 février 1801. – Sur les démarches de Pixerécourt à l’égard des théâtres Feydeau et Favart, voir le 1er tome de cette édition.
3 Ce drame lyrique en 1 acte, reçu au théâtre Montansier en 1797, puis créé le 27 avril 1801 au théâtre des Jeunes-Artistes n’a jamais été publié. Dans la mesure où le manuscrit a disparu des archives de la SHLML, il n’a pas été possible de le faire figurer dans cette édition.
4 Cette pièce, créée le 23 avril 1798 au théâtre des Variétés-Montansier, est publiée dans le 1er tome de cette édition.
- Thème CLIL : 3622 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Théâtre
- ISBN : 978-2-8124-3350-4
- EAN : 9782812433504
- ISSN : 2261-575X
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-3350-4.p.0009
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 21/01/2015
- Langue : Français